CHAPITRE II : SANCTIONS DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE
L'obligation essentielle est l'obligation qui centre le
contrat. C'est le coeur du contrat, l'obligation la plus importante dans le
contrat. Il est donc logique que sa violation, plus que la violation de toute
autre obligation, implique des sanctions.  
Toutefois, il fut une époque où la Cour de
cassation assimilait ipso facto, la violation de l'obligation essentielle 
à la faute lourde, sans doute à cause de la grande importance que
les hauts magistrats accordent à la notion. 
Donc cette partie va nous imposer tout d'abord de  nous
reporter sur le concept de faute lourde synonyme de violation d'obligation
essentielle (Section I). Et ensuite nous verrons les conséquences de
cette violation (Section II). 
SECTION I : LA VIOLATION DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE
ASSIMILEE  A LA FAUTE A LOURDE
 Depuis très longtemps, la Cour de cassation qualifie
la violation de l'obligation essentielle de faute lourde. Pour comprendre le
sens de cette démarche de la haute juridiction, la meilleure 
façon que nous ayons   est de détailler la notion de faute lourde
 d'une part, et d'autre part , de voir si ladite démarche résiste
à l'évolution  sans cesse fulgurante du droit des contrats ; qui 
se meut inévitablement vers une notion autonome d'obligation
essentielle. Ainsi, la notion de faute lourde exposée (paragraphe I),
nous verrons dans une analyse nécessaire si cette notion continue
d'exprimer la violation de l'obligation essentielle (paragraphe II) 
PARAGRAPHE I : LA NOTION DE FAUTE LOURDE
  
 La faute délictuelle  est définie par l'article
1382  du Code civil : « Tout fait quelconque de l'homme qui cause
à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est
arrivé  à le réparer ». 
La faute est donc la défaillance de l'homme qui
n'accomplit pas  son devoir. La faute est une notion difficile à
définir, même si la Cour de cassation a fait d'elle une notion de
droit dont elle assure le contrôle. 
La doctrine  la définit très
généralement  à partir   d'un critère
général, critère fondé soit sur une obligation
préexistante, soit sur un acte illicite. C'est Planiol
qui a parlé d'obligation préexistante dans sa
définition de la faute : « la faute est la violation d'une
obligation préexistante ». Cette définition n'est pas
claire d'autant plus qu'elle ne définit pas les devoirs
préexistants. Le terme acte illicite se retrouve dans  la conception de
la faute en Allemagne et même en Suisse  .Le droit Suisse dispose que
« Celui qui cause , d'une manière illicite, un dommage à
autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est
tenue de le réparer »  . Pour ces droits, la condition de la
faute est l'illicéité ; cela  prête à discussion 
car l'illicéité ne tient compte que de l'aspect objectif de la
faute. Habituellement, la faute est considérée  comme  un acte
blâmable, qui a une signification morale, et qui implique un jugement de
valeur. Mais l'inexécution où la mauvaise exécution du
contrat constitue aussi une faute. Elle conduit à la
responsabilité contractuelle prévue par l'article 1147 du Code
civil. Le fondement de cette responsabilité a longtemps divisé la
doctrine. Certains auteurs affirmaient l'autonomie du droit des contrats et
dissociaient la responsabilité contractuelle de la responsabilité
délictuelle. Ils prétendaient que le Code civil n'envisagerait
que l'allocation de dommages et intérêts sans mentionner le terme
responsabilité. 
Peut-on de nos jours souscrire à cette autonomie ? Ou
alors doit-on rattacher la responsabilité contractuelle à la
responsabilité délictuelle dans un ensemble unique de
responsabilité civile? 
Quand  la responsabilité était liée
à la faute, la distinction se justifiait ,mais depuis que la
responsabilité a perdu sa connotation morale, c'est à dire
dès qu'elle a acquis un une dimension sociale de solidarité avec
les régimes d'indemnisation automatique,l'autonomie de la
responsabilité contractuelle ne se justifie que difficilement. La
question demeure débattue,  mais nous, nous  considérons ici que
la responsabilité contractuelle n'est qu'une variante de la
responsabilité civile; cela se confirme d'autant plus que les trois
exigences d'un dommage, d'un fait dommageable et d'un lien de causalité
de la responsabilité délictuelle  se retrouvent dans la
responsabilité contractuelle aussi 
 Il existe une hiérarchie des fautes; c'est la
classification des fautes selon leur  gravité. Selon cette
hiérarchie, on trouve : la faute légère, la faute grave et
surtout la faute lourde. Cette dernière ne  suppose pas  l'intention de
nuire comme la faute intentionnelle ou dolosive, mais elle implique  une 
gravité  singulière soit en elle-même, soit par
l'importance de l'écart de conduite qu'elle engendre. C'est un acte
très grave, une négligence grossière que l'homme le moins
averti ne commettrait pas soit en raison de la gravité de ses
conséquences prévisibles  par le responsable. 
En principe, la faute lourde n'a pas de conséquences 
particulières en matière de responsabilité contractuelle
ou délictuelle. Mais la jurisprudence applique très souvent
l'adage : «Culpa lata dolo aequiperatur » à savoir
que la faute lourde est équivalente à la faute dolosive. Cet
amalgame  a de très graves conséquences car elle sert à
aggraver la responsabilité du fautif tout en  le privant du
bénéfice de l'article 1150 du Code civil .Pourquoi une  telle
assimilation ? Tout est  une question de preuve ! La faute dolosive est
très difficile à prouver, la  
preuve de l'intention de réaliser le dommage est une
« diabolica probatio », c'est une preuve impossible. Puisque
la preuve de la faute lourde ne nécessite pas d'investigations
impossibles car elle est non intentionnelle et le  seul constat de la non-
exécution de l'obligation du débiteur suffit à la
caractériser, il a paru plus simple de la faire passer pour la faute
dolosive. C'est pourquoi on lui attache les mêmes conséquences
qu'à la faute dolosive. 
 Il y a deux conceptions de la faute lourde : 
-La conception subjective ; qui fait
déduire la faute lourde de l'attitude du débiteur. Le
comportement de ce dernier est apprécié eu égard à
la notion de bonne foi de l'article 1134 al 3 du Code civil. Cette conception
subjective de la faute lourde est défendue par Rodière qui disait
que : « la loi veut de façon impérative que les contrats
soient exécutés de bonne foi. S'il  y a dol et la faute lourde le
présume, le débiteur est de mauvaise foi et  aucune clause ne
peut l'abriter ». La faute lourde subjective s'appuie ainsi sur la
notion de bonne foi, qui irradie tout le  processus contractuel : à la
formation  (et même au cours des négociations)   à
l'exécution, et à l'extinction (la résolution judiciaire 
et surtout la résolution unilatérale du contrat). La bonne foi
est vue comme une règle de conduite comportementale, qui impose au
contractant loyauté et honnêteté ; Ainsi, celui ne doit
avoir  aucune intention malveillante dans l'exécution du contrat. Chaque
fois que le juge applique la notion, il essaie insuffler une sorte
d'éthique  ou de civisme dans le contrat, afin d'éviter que la
sphère contractuelle  soit une jungle où règnerait la
raison du plus fort. Malgré ce noble rôle qu'elle est
supposée jouer, la notion de bonne foi n'est pas bien reçue  en
doctrine. Pour les auteurs classiques, le contrat est avant tout un accord
entre les intérêts antagonistes qui tire sa force de sa fonction
de prévisibilité et de sa vertu de stabilité. Pour ces
auteurs, la bonne foi doit avoir un rôle limité dans le processus
contractuel car elle constitue une arme fatale contre la sécurité
juridique et la  stabilité  du contrat. C'est une notion qui modifie
l'économie du contrat en ce sens qu'elle permet au juge de substituer
son sentiment  de justice par les stipulations librement créées
par les parties. Mais pour les auteurs de l'école sociale  ou morale, le
contrat est une oeuvre de coopération mutuelle, le rôle de la
bonne foi est beaucoup plus important. 
- La conception objective de la faute
lourde ; ici la faute résulte non d'un quelconque
comportement mais de la  valeur et de l'importance de l'obligation
violée. C'est cette dernière conception qui se trouve à la
base de l'assimilation de la violation de l'obligation essentielle à la
faute lourde. La  conception  objective de la faute lourde fut retenue dans
plusieurs décisions. Entre autres on peut citer  l'affaire Loto
(précitée)  où  la Cour de cassation à la suite des
juges du fond  qui  avaient étés influencés par l'ampleur
du dommage subi, déclara que  «La faute commise (par les
employés de Loto), privant le joueur de sa participation au jeu et lui
ôtant toute chance , fait disparaître  « un
élément substantiel »  du contrat et ne saurait  donc
être couverte  par une clause d'irresponsabilité » (en
l'espèce, la clause  limitative de responsabilité engendrant le
litige  portait sur une somme  tellement dérisoire qu'elle a
été considérée  purement et simplement comme une
clause de  non responsabilité). 
Ainsi chaque fois que dans un contrat il y avait une clause
limitative de responsabilité, et dans le cas où cette clause
empiétait  sur l'obligation essentielle, la Cour de cassation annulait
ladite clause au seul nom de la faute lourde. Cela était une
jurisprudence assise depuis  l'assimilation de la faute lourde au dol. Mais
cette jurisprudence  connaît de nos jours des changements. 
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