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Boccace et son ombre : du préhumanisme à la désillusion

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par Guillaume SELLI
Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence - Diplôme de l'IEP d'Aix-en-Provence 2006
  

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b) Un regard pertinent sur la condition féminine

Dans le prologue du Décaméron, Boccace donne l'impression de dénoncer la situation de certaines femmes. Il a écrit cette oeuvre dans le but de consoler les femmes ayant subi un chagrin amoureux, estimant que celles-ci auraient plus de difficultés à s'en remettre que les hommes.2 En effet, trop de dames mènent une vie oisive, recluses dans leurs chambres, et n'ont guère accès à des distractions leur permettant d'oublier leurs peines : elles sont seules face à leurs tourments, ne pouvant s'en détacher, ce qui suscite ainsi la pitié de l'écrivain3. Au contraire les hommes peuvent aller à la chasse, se réunir entre eux, se réfugier dans leur travail, tout ce qui leur permet d'oublier d'éventuels souvenirs douloureux. De tels propos résonnent particulièrement aux oreilles du lecteur d'aujourd'hui, qui se rend compte que les débats actuels sur la place de la femme dans la société et sur son rôle dans la famille sont déjà traités dans une oeuvre du XIVème siècle !

Cette triste situation des femmes, enfermées par leurs maris ou leur famille, évoquée dans le prologue du Décaméron se retrouves dans plusieurs nouvelles de la même oeuvre. On remarque que même les femmes échappant en principe le plus à l'autorité d'un mari, d'un père ou d'un frère, c'est-à-dire les veuves, subissent elles aussi des pressions pour se remarier, comme on le voit dans l'avant-dernière nouvelle du recueil, où la femme de messire Torello, parti en croisade et tenu pour mort, est pressée par sa famille de se remarier,

1 Décaméron, X, 6 : «voici que firent leur apparition dans le jardin deux filles, [...] à la blonde chevelure d'or toute bouclée et dénouée et couronnée d'une légère guirlande de pervenches. [...] Elles étaient simplement vêtues d'une tunique de lin léger et blanc comme neige. [...] Les jeunes filles [...] sortirent du vivier, leur blanche et légère tunique plaquée sur leur chair, de sorte qu'elle ne dissimulait presque plus rien de leur corps délicat.» Trad. Marthe Dozon, s.d. Christian Bec.

2 «Elles sont beaucoup moins fortes que les hommes pour endurer leurs peines» p.33 trad. Marc Scialom s.d. Christian Bec.

3 « Empêchées par les volontés, les plaisirs, les commandements des pères, des mères, des frères et des maris, elles restent le plus souvent recluses dans l'étroite enceinte de leurs chambres... » p.32-33

ce à quoi elle se résout finalement1, jusqu'à ce que son premier mari réapparaisse à Pavie de façon miraculeuse. La première nouvelle de la quatrième journée met elle aussi en scène une jeune veuve qui vit chez son père, Tancredi le prince de Salerne, qui l'aime de façon possessive au point de se refuser à la remarier et de faire tuer son amant qui était un de ses valets. Lui ayant fait manger le coeur de celui qu'elle aimait, il hésite lui-même à tuer sa propre fille, avant que finalement ce soit elle-même qui se donne la mort.

On remarque que beaucoup de femmes dans le Décaméron ne sont pas libres de construire leur propre bonheur avec la personne de leur choix, et Boccace les prend en pitié, faisant preuve de beaucoup d'indulgence à l'égard de celles qu'un mauvais mariage poussera à commettre des adultères. Les mariages arrangés sont loin de produire les meilleurs résultats, les femmes se voient souvent attribués des maris vieillissants, impuissants ou stupides, ce qui les pousse facilement à aller voir ailleurs. Ainsi dans la dixième nouvelle de le deuxième journée, la jeune épouse d'un vieux juge, se faisant enlever par un corsaire plus à son goût, refuse de retourner avec son mari lorsque celui-ci parvient à la retrouver. Chez Boccace la critique est souvent présente en filigrane, l'écrivain fait toujours passer l'histoire avant le message, la littérature avant la politique, cependant on trouve toujours des allusions, des précisions d'apparence anodine, mais qui en réalité peuvent en dire long sur le regard que porte Boccace sur la société de son temps. C'est ainsi que lorsque l'épouse du juge lui exprime son refus de rentrer à Pise avec lui, principalement motivé par le peu de vigueur de son mari à lui donner du plaisir, elle critique également le choix de ses parents de lui avoir donné un tel mari de façon intéressée, pour un piètre résultat2.

Il y a tout de même une nouvelle où Boccace semble se mouiller bien plus qu'à l'accoutumée. Il s'agit de la septième nouvelle de la sixième journée, où une femme adultère de Prato risque le bûcher selon une disposition statutaire de la ville3. Au tribunal l'accusée va tenir un véritable discours

1 Et la pression familiale semble avoir été forte puisqu'un abbé, oncle de Torello, lui parle en ces termes : «ta femme, vaincue par les prières et les menaces de sa famille, mais contre son gré, est sur le point de se remarier». p. 837

2 «Que mes parents n'y ont-ils pensé [à mon honneur] quand ils m'ont donnée à vous !», s'exprime-t-elle, devant son mari qui avançait qu'elle devait le suivre ne serait-ce que pour préserver son honneur ainsi que celui de sa famille. Il est évident que les parents ont bien plus pensé à la position sociale du mari, qui est juge, qu'au bonheur de leur propre fille, or cela les conduit finalement directement au déshonneur.

3 Cette disposition ordonnait le bûcher pour les femmes adultères prises en flagrant délit par leurs maris ainsi que celles s'étant données au premier venu pour de l'argent.

politique1, dénonçant l'inégalité hommes/femmes devant la loi et arguant de l'invalidité de cette disposition au motif qu'elle concerne les femmes mais que celles-ci n'ont été absolument pas consultées à son sujet. Elle obtient ainsi une modification de la disposition incriminée et obtient la vie sauve. Le conteur de la nouvelle juge lui-même la disposition «sévère et critiquable» : sans aller jusqu'à dire que Boccace milite pour les droits politiques des femmes, le fait est que nous avons un exemple ici d'une femme courageuse qui parvient à dénoncer la tyrannie abusive des hommes. Dans cette nouvelle, Boccace ne se contente plus de prendre une femme en pitié, il la fait agir et même triompher : en fait chez Boccace les femmes préfèrent lutter elles-mêmes activement et efficacement pour leur émancipation au lieu de s'apitoyer sur leur sort et de demander pitié.

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