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Boccace et son ombre : du préhumanisme à la désillusion

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par Guillaume SELLI
Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence - Diplôme de l'IEP d'Aix-en-Provence 2006
  

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c) Un Décaméron peuplé de femmes dominatrices et charismatiques

Boccace se plaît à brosser dans le Décaméron des portraits de femmes au caractère fort, au tempérament frondeur, souvent aux prises par opposition avec un mari stupide et borné. Dans nombre de nouvelles, la hiérarchie est renversée, le faible mari se fait berner par sa femme, et souvent la compagnie de jeunes gens juge que le dit mari n'a que ce qu'il mérite. Ainsi dans la cinquième nouvelle de la septième journée la narratrice Fiammetta annonce ouvertement qu'un mari jaloux ne mérite rien d'autre que de se voir pousser les cornes2, ce dont la protagoniste de l'histoire ne se privera pas.

Boccace se plait à inverser les rôles traditionnellement dévolus à l'homme et à la femme. Ainsi en amour c'est bien souvent la femme qui fait le premier pas, qui choisit et conquiert elle-même son amant et non pas l'inverse. Cela se retrouve particulièrement dans la troisième nouvelle de la troisième journée, où une femme mariée ayant jeté son dévolu sur un «valeureux homme» se plaint auprès d'un prêtre d'être harcelée par lui. L'homme comprend parfaitement les

1 «Mais vous savez, j'en suis certaine, que les lois doivent être les mêmes pour tous et être faites avec l'assentiment de ceux auxquels elles s'appliquent. Or, tel n'est pas le cas, puisque ladite disposition n'a pour cible que les pauvres femmes sans défense [...].De plus, jamais femme n'a donné son assentiment à une telle disposition, aucune n'a jamais été appelée à donner son avis en la matière : on peut donc à juste titre considérer ce texte comme mauvais.» p. 513

2 «Je pense que les femmes ont toutes les raisons de leur jouer des tours (aux jaloux), surtout lorsque rien ne fonde leurs soupçons. Et, si les législateurs avaient été suffisament diligents, je juge qu'ils n'auraient pas traité ces cas d'espèce autrement que comme des affaires de légitime défense» p.559

intentions de la perfide après avoir été accablé de reproches par le prêtre lui ayant répété la confession de la dame : il ne se privera pas de satisfaire la belle. Ainsi c'est ici la femme qui est maîtresse de l'action : elle assume ses désirs, trompe sciemment son mari qu'elle estime indigne d'elle, fait le premier pas avec son amant, use de fourberie avec le prêtre. Ayant pris son destin en main elle se montre indépendante du bon vouloir des hommes à améliorer sa condition. A la fin la narratrice souhaitera à toute la compagnie d'avoir le même plaisir que cette dame : non seulement Boccace ne blâme pas sa conduite mais semble faire d'elle un exemple à suivre.

Inspiré par l'amour courtois, Boccace va tout de même prendre ses distances dans le Décaméron, préférant la plupart du temps voir des femmes dans un rôle actif et non pas simplement d'attente. La neuvième nouvelle de la septième journée renverse complètement les codes de l'amour courtois puisqu'ici c'est la femme qui va déclarer son amour à l'élu de son coeur, un serviteur de son mari, qui la soumettra à des épreuves1 pour s'assurer de sa sincérité, craignant qu'il ne s'agisse d'un piège. Cet échange de rôle valorise la femme dans son esprit d'initiative et son dynamisme.

Les maris eux-mêmes ont assez peur de leurs femmes. Le stupide Calandrino2, refusant à ses compères peintres Bruno et Buffalmacco le plaisir de faire tous les trois bonne chère d'un porc que lui avait fourni une propriété de sa femme et qu'il destinait au saloir en vue d'un repas de famille, répond en ces termes à ses acolytes qui lui proposaient de faire croire à sa femme qu'on lui avait volé le porc : ((Non, elle ne le croirait pas et me chasserait du logis.» Dans la cinquième nouvelle de la neuvième journée, nous retrouvons les mêmes personnages et Calandrino subit les foudres de sa femme pour avoir tenté d'en séduire une autre, de telle manière que nous comprenons mieux pourquoi il redoute tant sa femme : ((Dame Tessa s'élança les ongles en avant vers le visage de Calandrino [...] et le griffa de partout». Boccace se plaît à brosser ces portraits de femmes pittoresques, hautes en couleur, parfois un peu trop caricaturales mais qui font mener la vie dure aux hommes, ne se laissant pas faire et se battant vigoureusement pour défendre leurs droits.

1 Ces épreuves sont plutôt comiques puisque la dame doit successivement tuer l'épervier de son mari en sa présence, envoyer à son futur amant une touffe de poils de la barbe de son mari, et enfin une dent de celui-ci, parmi les plus saines. Nous sommes loin des combats épiques que mènerait un chevalier servant pour l'amour de sa dame.

2 Dans la nouvelle VIII, 6.

On remarque également que les femmes du Décaméron sont dotées d'un appéttit sexuel hors norme1, au point que la grande majorité des adultères est causée par l'incapacité à être satisfaite par un seul homme, quand bien même celui-ci se montrerait vaillant. On apprend un détail amusant dans la troisième nouvelle de la neuvième journée lorsque Calandrino, berné comme d'habitude par Bruno et Buffalmacco, croyant qu'il attend un enfant, en vient à accuser sa femme et le fait qu'elle préfère se placer au-dessus de lui lorsqu'ils font l'amour : les femmes de Boccace assument pleinement leurs besoins sexuels, se libérant ainsi du carcan de la morale religieuse qui sévissait à l'époque. Elles n'ont que peu de remords ou de complexes, leurs désirs apparaissent au lecteur comme tout à fait sains et naturels.

Mais Boccace ne se borne pas à rire des maris cocus et à célébrer l'ingéniosité des femmes adultères, il brosse également des portraits de femmes on ne peut plus nobles de coeur et d'esprit, ayant fait preuve d'un courage et d'une dignité exemplaires. Il suffit de penser à Madame Beritola, dans la sixième nouvelle de la deuxième journée, qui vécut pendant des mois seule sur une île, son mari étant prisonnier de Charles d'Anjou et ses enfants capturés par des corsaires, avant de retrouver les siens par miracle. La neuvième nouvelle de la même journée conte elle le destin de la femme d'un marchand qui, injustement soupçonnée d'adultère, parvient à échapper à la mort que son mari lui destinait, s'engage comme matelot avant d'échouer au service du sultan d'Egypte, déguisée en homme. Etant entrée dans les faveurs du Sultan qui ne fait que se louer de la qualité de ses services, elle retrouve son mari et lui prouve son innocence avant de rentrer à Gênes avec lui. Nous avons enfin l'exemple de la neuvième nouvelle de la troisième journée, dans laquelle une femme médecin ayant guéri le roi de France d'une fistule se trouve méprisée par son noble mari Bertrand de Roussillon que le roi lui avait accordé en récompense à sa propre demande. Si à la fin le mari se rend compte de la valeur de son épouse et lui témoigne la considération qu'il lui doit, son attitude du début, uniquement motivée par des préjugés sociaux et par la méfiance qu'inspire une femme savante ayant étudié, est implicitement condamnée. Au contraire le courage de la femme qui parvient finalement à conquérir son mari, son intelligence et même son culot (étant amoureuse de Bertrand depuis le

1 Nouvelle V, 10 : «la femme qu'il épousa était une jeune gaillarde, à laquelle il eût fallu deux maris au lieu d'un ».

début, c'est elle-même qui est allée demander sa main au roi, après l'avoir guéri d'une fistule) ne peuvent que susciter l'admiration. Boccace se plait ainsi à raconter des histoires où les femmes jouent non seulement le rôle principal mais se montrent également d'une intelligence et d'une force de caractère bien souvent supérieures à celles des hommes. Les femmes sont même aptes à remplir des fonctions importantes dans la société, que ce soit médecin ou conseiller des princes comme nous l'avons vu dans les nouvelles précitées.

Le Décaméron ne se contente donc pas de s'apitoyer sur le sort des femmes du temps de Boccace : au-delà des nombreuses situations comiques traditionnelles où nous voyons des femmes berner des maris stupides et jaloux, il montre également des femmes qui ont su obtenir respect et considération, du fait de leurs talents et de leurs mérites. Dans le même temps la justification explicite de nombreux adultères nous montre à quel point Boccace pouvait se montrer subversif pour son époque...

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway