Représentations : mise en relation de Ikigai et la
ruralité (Nô)
Pourquoi et comment la place de l'idée d'Ikigai a
été accordée et légitimée par la politique
de la municipalité de Toyota ? Pour répondre à cette
question, nous allons d'abord constater une portée politique et sociale
de l'entrée en vigueur en 2000 de la Loi sur l'Assurance des Personnes
âgées dépendantes, qui marque, au niveau politique, un
grand changement des représentations du vieillissement au Japon. Ensuite
nous allons examiner l'évolution récente des
représentations portées par la politique municipale de Toyota sur
le vieillissement. Il s'agit d'une approche généalogique sur
l'émergence de l'idée d'Ikigai en tant qu'un projet politique
légitime aussi bien qu'au niveau national qu'au niveau local.
Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes
âgées dépendantes (Kaigo-hoken hô)
La Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes
âgées dépendantes adoptée en 1997 semble marquer un
grand tournant politique et sociétal au Japon. C'est un tournant pour le
Japon en tant qu'Etat-providence. L'objectif de notre analyse ici n'est pas
d'étudier l'évolution de la politique sociale du vieillissement
au Japon dans son détail. Cependant, il nous serait utile de survoler
cette évolution pour comprendre le changement qui s'est
opéré sur les représentations objectives du vieillissement
au Japon de ces dernières décennies, ainsi que les contextes
d'apparition de l'établissement de la SCI de la Ville de Toyota, et
ensuite le processus de la construction du Projet Nô-Life. C'est pourquoi
nous allons nous baser sur des explications générales
données
411 Direction Santé et Bien-être, 2000 ; Section
Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et
Bien-être, 2003 ; Section Bien-être et Vieillissement de la
Direction Santé et Bien-être de la Ville de Toyota, 2006.
412 Comité pour la promotion de la création
d'Ikigai, 2001.
dans un ouvrage japonais publié en 2001, intitulé
« Introduction à la Sécurité sociale (Shakai
Hoshô Nyûmon) » et ecrit par Zenji TAKEMOTO, expert de la
sécurité sociale japonaise413.
L'apparition de la Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes
âgées dépendantes est liée, d'une part, au
vieillissement de la population accéléré414 par
rapport aux autres pays développés, d'autre part, au changement
du style de vie de la population japonaise lié à l'urbanisation
et à la rapide industrialisation réalisée à
l'époque de la Haute croissance japonaise (Kôdo keizai
seichô jidai)415.
Quant au vieillissement, d'après une estimation
nationale, le taux de la population âgée de plus de 65 ans va
dépasser 25% en 2015 au Japon. Cette phase du vieillissement est
appelé « société hyper âgée
(chô-kôrei shakai) ». En général, l'augmentation
du taux de population âgée dans une société fait
augmenter celui de la population malade ou handicapée, parmi laquelle le
risque de dépendance s'impose à long terme. Ce risque de
dépendance à long terme est présent, surtout chez les
personnes âgées de plus de 75 ans, dû aux affections
chroniques comme le diabète, les rhumatismes, les troubles des organes
de la digestion plutôt qu'aux affections aiguës416. Et
ceci constitue la plus grande cause de l'augmentation du coût
médical417. Ce risque de dépendance nécessite
non seulement des services médicaux mais surtout des aides aux personnes
âgées dépendantes (kaigo) et de divers services pour le
"bien-être (hukushi)" à long terme418.
Le nombre des personnes qui ont besoin d'aides aux personnes
âgées dépendantes au Japon était de 2 627 675 en
2001419. Le Ministère du Travail et du Bien-être
(Kôsei Rôdô shô) estime qu'en 2010, il y aura, parmi la
population âgée de plus de 65 ans, 1 900 000 personnes affaiblies
(kyo-jaku), 300 000 personnes démentielles (chihô) et 1 700 000
personnes grabataires (netakiri), soit 3 900 000 personnes au total. Puis, pour
l'an 2025, on estime 2 600 000 personnes affaiblies, 400000 personnes
démentielles et 2300000 personnes grabataires, soit 5200000 personnes au
total420.
Par alilleurs, le principal changement du style de vie de la
population japonaise est au niveau famillial. En effet, la rapide
industrialisation de l'époque de la Haute croissance et l'urbanisation
qui s'est développé parallèlement, ont fait augmenter le
nombre des familles nucléaires ainsi que les foyers constitués
uniquement par des personnes âgées421. Ce qui fait
diminuer considérablement la capacité de la prise en charge des
personnes âgées dépendantes au sein des
familles422.
Le phénomène appelé l' «
hospitalisation sociale (shakai-teki nyûin) » explique bien une des
conséquences de ces derniers constats de la société
japonaise. Il s'agit de bon nombre de gens ayant des maladies
inguérrisables par des traitements médicaux, qui restent
hospitalisés pour des raisons "sociales" dues notamment à la
situation familliale et ensuite au manque de systèmes de aides aux
personnes âgées dépendantes et du bien-être dans leur
territoire. Ce phénomène est vu de manière négative
dans la société japonaise. De plus, au niveau familial, la
surcharge que constitue la prise en charge des personnes âgées
dépendantes imposée aux autres membres de la famille, souvent des
femmes au foyer, peut même conduire, de manière critique, à
la détérioration des relations familiales.
Tous ces contextes sociaux ont fait apparaitre l'idée
de la « socialisation des aides aux personnes âgées
dépendantes (kaigo no shakai-ka) » qui consiste d'abord à
séparer le travail des aides aux personnes âgées
dépendantes de celui des services médicaux, puis, à
financer ces services par l'introduction d'une nouvelle assurance sociale et
ensuite à les assurer avec divers acteurs publics et privés.
En fait, cette introduction de la nouvelle assurance sociale
en matière des aides aux personnes âgées dépendantes
implique un important changement au niveau des représentations
politiques du vieillissement au Japon : il s'agit du rôle de l'Etat
centralisé et de celui de la famille. En effet, auparavant, les aides
aux personnes
413 Takemoto, 2001 : 145-166.
414 Naikaku-hu, 2006 : 9.
415 Takemoto, 2001: 146-147.
416 Takemoto : 148.
417 Ibid.
418 Ibid.
419 Ibid. : 160.
420 Ibid. : 147.
421 Ibid. ; Naikaku-hu, 2006 : 9.
422 Ibid. : 147.
âgées et les services de bien-être des
personnes âgées étaient financés par l'impôt
centralisé et assurés par certains organismes limités
(collectivités territoriales et « personnes morales pour le
bien-être public (shakai-hukushi hôjin) »)423 .
Puis, les familles et les hôpitaux complétaient le manque de
services généré par ces organismes limités.
Toutefois, la situation du vieillissement accéléré a rendu
insuffisante la capacité des prises en charge assurées par ce
système centralisé de l'Etat et complétée par les
familles.
L'application du système de l'Assurance des Aides aux
Personnes âgées dépendantes introduit une série de
nouveaux principes : choix des individus-usagers vis-à-vis des aides aux
personnes âgées dépendantes ; nouveaux rôles des
collectivités territoriales en tant qu' « assureur (hokensha)
» ; rôle complémentaire de l'Etat ; services centrés
sur ceux à domicile ; divers services offerts par les organismes publics
et privés.
Le paiement de cotisations est obligatoire à partir de
l'âge de 40 ans424. Les cotisants ont le droit de demander une
aide aux personnes âgées dépendantes à partir de
l'âge de 65 ans. L'Etat (c'est-à-dire l'impôt) finance les
collectivités territorriales pour la moitié du coût de ces
services pour compléter le financement assuré par cette
assurance425.
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