2. Réponses aux questions : analyse du processus
entre acteurs institutionnels
Le processus de la construction du Projet Nô-Life ne
peut pas être considéré comme un procédé
résultant de simples opérations administratives, juridiques,
techniques ou politiques, mais comme un processus émergent et complexe
qui implique les dimensions historique, sociale et culturelle des acteurs
impliqués dans ce processus, que nous avons étudiés plus
haut.
Rappelons-nous ici les trois éléments
déterminants de l'objecif du Projet Nô-Life tels qu'ils ont
officiellement été définis par la Municipalité de
Toyota.
607 En plus, Monsieur N n'a pas été prévenu
par le Centre Nô-Life de cette politique de l'élargissement...
1 Conservation des terrains agricoles (prévention de
friches)
2 Conservation de la main-d'oeuvre agricole (formation
agricole)
3 Proposition de nouvelles activités aux personnes
âgées pour assurer leur Ikigai
Ces trois éléments déterminent l'objectif du
Projet Nô-Life à savoir : le développement de l'agriculture
de type Ikigai.
Cependant, ces éléments officiellement
présentés par le Projet ne nous permettent pas
immédiatement de répondre à une série de questions
générales que nous pouvons supposer telles que : quel est
l'objectif initial du projet ? (développement agricole ou mesure sur le
vieillissement de la population ?) ; de quel domaine ou secteur le Projet
relève-t-il ? (politique agricole ou Ikigai des personnes
âgées, mais quelle définition opérationnelle du
terme d'Ikigai ?) ; dans quel contexte le Projet a-t-il été
établi ? (il semble être multiple...) ; quel est le contenu des
actions du projet ? (formation agricole ni professionnelle ni amatrice, mais de
quel type ? Et location de terrains agricoles, mais cela relève du
domaine privé...) ; quelle finalité le Projet se donne-t-il ? (y
a-t-il une fin à ce projet ?)
Vu la complexité et le flou que l'objectif officiel du
projet implique, il nous paraît quasiment impossible de répondre
à ces questions d'un point de vue objectif ou général, ce
qui nécessite de recourrir à d'autres types d'explications
capables d'appréhender les dimensions plus concrètes et
substantielles des choses. C'est pourquoi nous avons pris un «
détour » qui, afin de comprendre plus sociologiquement le Projet
comme une action, va mettre en évidence les éléments
déterminants les représentations et actions de chaque acteur dans
son enjeu, et nous permettera finalement d'analyser la relation sociale entre
ces acteurs qui est à la fois construite autour du projet et mis en jeu
par le Projet.
En sa basant sur les éléménts de l'analyse
des acteurs effectuée plus haut, nous allons répondre aux quatre
questions posées au début de ce chapitre.
Elaboration de l'ensemble des actions concrètes pour
la construction du Projet Nô-Life
Comment l'ensemble des actions concrètes pour la
construction du projet a-t-il été élaboré par
différents types d'acteurs locaux ? Le Projet Nô-Life n'a pas
été construit de manière isolée des autres projets
précédemment menés soit par le BPA lui-même, soit
par d'autres acteurs du territoire de la Ville de Toyota, dont les
thématiques ont des points communs avec celles du Projet Nô-Life.
Mais il se situe dans la continuité d'idées et d'actions qui
l'ont précédée au sein des 7 acteurs étudiés
plus haut. Chacun de ces acteurs avait construit ses propres actions,
anticipant d'une manière ou d'une autre, les thématiques du
Projet Nô-Life. Nous avons établi ci-dessous un tableau
chronologique les situant à la fois par période (année) et
par acteur afin de mettre en évidence la relation entre ces actions
historiques liées au Projet Nô-Life.
Ce tableau chronologique nous permet de réorganiser les
actions constitutives du processus de la construction du Projet Nô-Life.
C'est pourquoi il est intéressant de retracer l'itinéraire que le
BPA, notamment Monsieur K président du Centre Nô-Life, a pris pour
arriver à la réalisation de son but : réalisation du
Projet Nô-Life. En fait, cet itinéraire nous montre tout un
emsemble d'actions du type du bricolage qui combine plusieurs types de
ressources disponibles aux yeux de l'acteur (BPA et Monsieur K) Puis, cette
démarche, dont l'oeuvre est la réalisation du Projet
Nô-Life, n'a pas exclu la réalisation d'un certain nombre de
transactions sociales entre les agents concernés de champs sociaux
différents à base territoriale.
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Tableau chronologique des actions dans le processus de
l'élaboration du Projet Nô-Life
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Act. 1 BPA
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Act. 2 SCI
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Act. 3 CAT
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Act. 4 BDPA
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Act. 5 ECV
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Act. 6 CLFS
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Act. 7 GASATA
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Avant 1996
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Jardins Familiaux (- aujourd'hui)
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Marché du Marrdi Soir (vers 1984- aujourd'hui)
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Journée de la Peinture des Fleurs de
pêcher (1 993-2003)
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1996
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Plan fondamental de l'Agriculture (-2005)
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1997
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Maison des fleurs (-aujourd'hui)
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1998
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Jardins Citoyens (- aujourd'hui)
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Jardins Citoyens (- aujourd'hui)
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1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Plan fondamental 2001-2005
Projet Nô-Life (- aujourd'hui)
Ecole Vivante de l'Agriculture (-2003)
Discussion pour la « Recherche et formation de
nouveaux porteurs » (-2002)
Ferme-Ecole pour les Personnes
agées (-aujourd'hui)
Comité pour le « Centre pour le soutien aux
activités agricoles » (-2004)
Enquête sur la Conscience sur l'agriculture de
Toyota
Zone spéciale pour la Création de
Nô-Life
Projet Nô-Life (- aujourd'hui)
Comité pour la Promotion de la Création d'
Ikigai : CPCI (- aujourd'hui)
Dépôt du "Rapport de propositions" au Maire
de la Ville de Toyota
Ferme-Ecole pour les Personnes
agées (-aujourd'hui)
Ecole Vivante de l'Agriculture (-2003)
Discussion pour la « Recherche et formation de
nouveaux porteurs » (-2002)
Comité pour le « Centre pour le soutien aux
activités agricoles » (-2004)
|
Projet Nô-Life (- aujourd'hui)
Comité pour le « Centre pour le soutien aux
activités agricoles » (-2004)
Zone spéciale pour la Création de
Nô-Life
Projet Nô-Life (- aujourd'hui)
Comité pour le « Centre pour le soutien aux
activités agricoles » (-2004)
|
Projet Nô-Life (- aujourd'hui)
Plan fondamental 2006-2010
Comité pour le « Centre pour le soutien aux
activités agricoles » (-2004)
Enquête sur la Conscience sur l'agriculture de
Toyota
Discussion pour l'établissement du GASATA
Etablissement du GASATA (-aujourd'hui)
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Itinéraire des actions du BPA pour la construction du
Projet Nô-Life
Nous illustrons ici les manières dont ont
été mises en place les six actions suivantes, dont les trois
premières se sont déroulées avant que le Projet
Nô-Life ait été mis en discussion en 2001, et les trois
autres se sont déroulées après 2001.
Avant la mise en discussion du Projet Nô-Life :
1 Mise en place des Jardins citoyens avec la CAT(acteur 3) en
1998
2 Etablissement de l'Ecole de l'agriculture vivante avec la CAT
en 2000
3 Etablissement de la Ferme école des Personnes
âgées avec la SCI(acteur 2) en 2001 (inauguration en 2002)
Après la mise en discussion du Projet Nô-Life :
4 Etablissement du GASATA(acteur 7) avec des arboriculteurs de
Sanage en 2003
5 Réalisation de l'Enquête sur la Conscience sur
l'agriculture de Toyota avec le CFLS(acteur 6 ) en 2003
6 Application de la politique de la Zone spéciale pour la
Création de Nô-Life avec le BDPA(acteur 4) et l'ECV(acteur 5) en
2003
1 Mise en place des Jardins citoyens avec la CAT(acteur 3) en
1998
Les Jardins citoyens ont été
réalisés à l'initiative de la CAT mais à la demande
plus ou moins informelle du BPA qui voulait les réaliser dans le
prolongement de la conception du « Parc rural »
présentée dans le Plan de 96 (voir la partie de l'acteur 1).
L'idée des Jardins citoyens est importée de
l'idée des « Jardins familiaux » en Europe, connue au Japon
sous le nom du « Klein garten », alors que la construction des
cabanes était interdite par la Loi agraire au Japon, ce qui a contraint
la CAT à aménager les jardins sans cabane. Et pour la
création des Jardins citoyens, il y avaient deux intérêts
différents croisés : faire du bien au public (pour la
Municipalité), mais également profiter des usagers de ces jardins
pour s'assurer de futurs producteurs agricoles (pour la CAT).
L'intérêt de la CAT était de conserver les
terrains agricoles et de s'assurer de futurs producteurs au sein des usagers de
ces jardins pour un développement durable du secteur agricole. C'est
pour cela que la taille d'une parcelle est plus grande (100 \u13217§) que
celle des « Jardins familiaux » (20 - 30 \u13217§). Et si les
Jardins citoyens sont aménagés à l'extérieur de la
zone à urbaniser, les Jardins familiaux sont aménagés
à l'intérieur de cette zone.
Puis, l'intérêt du BPA était de
réaliser l'idée de la multifonctionalité qui était
pronée par le Plan de 96 en incitant les citoyens à se mettre aux
activités agricoles. Ce qui est considéré par le Plan
comme une approche « bien commun » vis-à-vis de l'agriculture
et de la ruralité. Cette idée est conforme à la position
de la Municipalité orientée vers le bien-être public.
Malgré quelques insatisfactions de la part de la CAT(voir
la partie de l'acteur 3), le fait qu'il y ait constamment des usagers constitue
un élément de succès des Jardins citoyens.
2 Etablissement de l'Ecole de l'agriculture vivante avec la
CAT en 2000
Ensuite, l'Ecole de l'agriculture vivante fut
réalisée à l'initiative de la CAT en coopération
avec le BPA comme un projet qui était également prévu dans
la conception de l' « Ecole rurale » conçue dans le Plan de
96.
L'intérêt de la CAT portait toujours sur la
conservation des terrains agricoles et les porteurs de l'agriculture face
à la situation de crise (pluriactivité démotivant les
producteurs pour leur production agricole ; vieillissement de la population
rurale etc). D'ailleurs, c'était Monsieur S qui avait conçu cette
idée afin d'animer les activités agricoles de la population des
foyers agricoles pluriactifs, dont notamment les femmes et les retraités
salariés. C'est pourquoi il voulait destiner ce projet uniquement
à cette population.
Mais l'intérêt du BPA était de destiner le
projet au public y compris la population non agricole. Finalement, un compromis
entre ces deux agents aboutit à la réalisation d'une formation
agricole destinée au public. (« Pour la Coopérative,
dit Monsieur S de la CAT, s'ils deviennent ainsi successeurs, c'est
suffisant pour nous de s'adresser uniquement aux foyers agricoles. Mais si on
travaille avec la Municipalité, elle veut s'adresser également au
public, c'est-à-dire à ceux qui n'ont pas de terrains agricoles.
C'est ainsi que l'on a fait appel aux personnes non agricoles pour lancer
l'Ecole de l'agriculture vivante »)
A travers les tentatives des Jardins citoyens et de l'Ecole de
l'agriculture vivante, le BPA a réellement commencé à
mener sa politique de manière à s'orienter vers le public,
c'est-à-dire la population générale à
majorité urbaine.
Un facteur de la réussite de ce projet réside
dans le grand nombre de stagiaires qui ont participé à la
formation du projet, et l'établissement d'un groupement de producteurs
de l'agriculture biologique au sein de la CAT.
Enfin, l'expérience de ce projet a relevé la
nécessité d'établir un nouveau système de location
de terrains agricoles pour que les stagiaires puissent continuer et
développer leur activité agricole après leur formation.
C'est ainsi que, par la suite, le Projet Nô-Life fut envisagé par
le BPA et la CAT.
3 Etablissement de la Ferme école des Personnes
âgées avec la SCI(acteur 2) en 2001 (inauguration en 2002)
La Ferme école des Personnes âgées fut
réalisée à l'initiative de la SCI à l'aide du BPA
dans le cadre des mesures pour la création d'Ikigai des personnes
âgées dans le contexte du vieillissement de la population
générale (urbaine comme rurale). Ce fut la première
approche dans la Ville de Toyota combinant la thématique d'Ikigai des
personnes âgées et l'agriculture.
Si l'idée de ce projet a été
énoncée par une citoyenne participant au Comité pour la
Promotion de la Création d'Ikigai (CPCI), lequel a rendu le «
Rapport de propositions » au maire de Toyota en 2001, le CPCI a
également « recyclé » l'idée du « Second
Life Academy » qui avait été proposée par Monsieur S
de la CAT pour le Plan de 96, pour formuler son idée dans ce rapport
remis au maire en 2001.
Monsieur K, en tant que délégué du BPA,
avait participé au CPCI et coopéré pour
l'élaboration et la réalisation de ce projet. En effet, Monsieur
K s'est impliqué dans ce projet à la fois afin de « servir
» à sa réalisation avec les compétences qu'il a en
tant qu'agent de la politique agricole, et également « s'en servir
» pour chercher à valoriser autrement les biens agricoles et
ruraux.
Les intérêts étaient donc conjoints entre ces
deux agents de la Municipalité pour valoriser des éléments
de « nô (l'agricole et le rural) » pour le bien-être
public.
Pour le BPA (Monsieur K), les procédures pratiques pour
monter ce projet de formation agricole destinée au public
(élaboration des programmes, location de terrains par la
Municipalité etc) furent un bon apprentisage. («
C'était, dit Monsieur K, encore le moment où le plan
de notre projet (Nô-Life) n'était pas clair, puis, j'ai
négocié avec le [BPA] pour réaliser cette Ferme
école et ainsi de suite, faire les programmes etc. Ces
expériences-là nous ont servi à commencer ici
(Nô-Life) »)
Après 2001 où le Projet Nô-Life était
mis en discussion, le BPA dont le responsable était Monsieur K, mena les
trois actions suivantes vers la réalisation du Projet Nô-Life.
4 Etablissement du GASATA avec des arboriculteurs de Sanage
(acteur 7) en 2003
L'établissement du GASATA en 2003 était un acte
réalisé à l'initiative d'arboriculteurs de Sanage.
Monsieur K a participé à des réunions pour cet
établissement en vue de mener une coopération avec eux dans le
Projet Nô-Life. La filière frutière est ainsi
réalisée avec la coopération avec les membres du
GASATA.
L'intérêt des arboriculteurs membres du GASATA
pour l'établissement de ce groupement portait sur le maintien de leur
zone de production via un renforcement de : l'entraide entre arboriculteurs ;
la reconnaissance publique de cette zone de production et de ses produits
fruitiers ; l'augmentation de la motivation des autres arboriculteurs
âgés des foyers pluriactifs pour leur production.
En fait, la coopération avec le GASATA fut tout
à fait occasionnelle aussi bien pour le BPA que pour le GASATA. Le BPA
est intervenu dans son établissement pour réaliser son propre
objectif à lui : Projet Nô-Life. Mais cette intervention du BPA
fut effectuée de manière à intéresser son objet
d'intervention (GASATA) au Projet Nô-Life.
5 Réalisation de l'Enquête sur la Conscience sur
l'agriculture de Toyota avec le CFLS(acteur
6 )en 2003
Puis, l'Enquête sur la Conscience sur l'agriculture de
Toyota fut réalisée à l'initiative du BPA en
coopération avec le CFLS. Cette enquête avait, avant le lancement
du Projet Nô-Life, pour but de confirmer les types et les degrés
des attentes de la population locale (urbaine et rurale) de la Ville de Toyota,
vis-à-vis de l'agriculture et de la ruralité. Puis, cet acte a
permis au BPA d'avoir, pour la première fois, un rapport de
coopération avec le CFLS qui représente la grande majorité
des syndicats ouvriers présents dans la Ville de Toyota, et constitue
ainsi la plus grande organisation sociale dans cette Ville.
L'intérêt du CFLS pour la coopération dans le
Projet Nô-Life était également lié à sa
propre position
sociale : contribuer à la politique municipale lui permet
de renforcer l'ancrage local de son organisation. Ainsi, la promotion d'Ikigai
des personnes âgées constitue, aujourd'hui, un pilier de sa
politique locale.
Le rapport établi entre le BPA et le CFLS se situe
spécifiquement dans le contexte de la construction du Projet
Nô-Life. Ces deux agents appartenant à deux champs sociaux
habituellement opposés (secteurs agricole et industriel), ont ouvert un
espace de discussion sur le thème du Projet Nô-Life, celui
croisé vieillissement / agriculture et ruralité. Et ce rapport
est construit de manière à ne pas se baser sur les effets du
Projet à court terme. En effet, en réalité, le rapport
entre l'idée d'Ikigai et l'idée de la conservation des terrains
agricoles ou de s'assurer de futurs producteurs agricoles paraît peu
compatible pour le CFLS.
6 Application de la politique de la Zone spéciale pour
la Création de Nô-Life avec le BDPA (acteur 4) et l'ECV(acteur 5)
en 2003
Enfin, en 2003, la procédure pour l'application de la
politique de la « Zone spéciale pour la Création de
Nô-Life » fut réalisée en coopération avec les
agents agricoles du département d'Aichi : le BDPA et l'ECV.
Cet acte avait pour la Municipalité, d'un
côté, pour but pragmatique de la dérèglementation de
la Loi agraire, et de l'autre pour but politique et stratégique :
renforcement de la valeur officielle du Projet Nô-Life au delà du
niveau local via une reconnaisance dans le cadre de cette politique
gouvernementale qui était bien « en vogue ».
En fait, l'objectif officiel de la politique nationale de la
Zone spéciale de la Réforme structurelle est la relance
économique de l'Etat. Mais en réalité, la
Municipalité de Toyota « s'en est servi » afin d'avancer le
processus qui était déjà en marche dans son territoire,
à savoir le processus de la participation citoyenne aux activités
agricoles avec une série de projets antérieurs expliqués
plus haut. Et ceci malgré le fait que le Projet Nô-Life ne
servirait pas forcément - objectivement parlant - à contribuer
à l'objectif de la relance économique de l'Etat...
Bricolage et transaction
En survolant l'itinéraire des actions et les oeuvres du
BPA dont Monsieur K était responsable, nous permet de voir une forme de
l'action publique locale qui s'est effectuée sous forme de «
bricolage » agencé par une série de transactions sociales
qui sont des compromis entre agents de champs sociaux différents
à base territoriale. Nous utilisons le concept du « bricolage
», célébre notion anthropologique employée par Cl.
Lévi-Strauss, et le concept sociologique de la « transaction
sociale » et du « compromis » pour analyser le processus de la
construction du Projet Nô-Life. Ceci dans la mesure où le BPA agit
comme un « donneur de sens » vis-à-vis des ressources
disponibles à ses yeux afin de « s'en servir » pour la
réalisation de son projet, tout en effectuant des communications entre
ses propres projet et la structure de ces ressources humaines (personnelles,
institutionnelles et représentationnelles) et non-humaines (juridiques
et économiques : matérielles, foncières et
financières).
Concept du « bricolage » chez Lévi-strauss : ses
caractéristiques et possibilité
Nous relevons ici les caractéristiques du concept du
« bricolage » proposé par Lévi-Strauss dans une partie
de son ouvrage « la pensée sauvage » publié en 1962,
dans laquelle il essaie d'expliquer la nature de la pensée mythique et
établit le lien entre celle-ci et la pensée
scientifique608.
D'abord la caractéristique du bricoleur réside
dans ses rapports avec les moyens qu'il utilise pour son acte créateur.
A la différence de l'ingénieur, le bricoleur effectue son acte
créateur non pas à partir de ses projets déterminés
par des concepts, mais à partir de moyens disponibles qui lui sont des
occasions de réaliser « un ensemble » qui est son oeuvre.
Ensuite, il donne des sens à ces moyens pour que ceux-ci puissent
effectivement jouer le rôle d' « opérateur » pour la
réalisation de son oeuvre.
Or, de ce fait, le bricoleur et l'ensemble ainsi
réalisé (oeuvre) sont forcément dépendants de la
nature des
608 Lévi-Strauss, 1962 : 30-36.
moyens utilisés, c'est-à-dire, leurs fins
antérieures. Les moyens du bricoleur ne sont donc pas
définissables par les fins proprements conçues par le bricoleur,
autrement dit, la structure de son projet.
A partir de cette explication de Lévi-strauss que nous
avons résumée, nous pouvons relever la qualité, le
défaut et la possibilité de l'action et de l'oeuvre de type
bricolage.
D'abord, la qualité de l'action et de l'oeuvre de type
bricolage est son approche ascendante (d'en bas). Il s'agit, comme dit
Lévi-strauss, de celle « première »609 qui
est originale et non standardisée par des critères descendants
(d'en haut) donnés par des « savants ». Et ceci surtout dans
la mesure où l'action et l'oeuvre de type bricolage sont «
libéralisatrices » des objets quelconques mobilisés par
cette action, car le bricoleur leur donne une nouvelle signification.
Ensuite, son défaut réside dans l'incertitude du
résultat de son action, car cette action est limitée par la
nature de ses ressources. Il s'agit, comme nous l'avons dit plus haut, de sa
dépendance à la structure des moyens qui impliquent toujours des
fins antérieures.
Lévi-strauss relève ainsi la capacité
limitée du « signe » donné par le bricoleur par
opposition à la capacité illimitée du « concept
» qui donne une « ouverture » vers la
généralisation610. D'après lui, si
l'ingénieur peut toujours aller « au-delà » de ses
moyens pour créer un « autre message » par le biais de son
projet, de ses concepts et de ses fins, le bricoleur reste « en
deçà » de ses moyens611.
Mais, en complément à la proposition de
Lévi-strauss, nous pouvons relever que la possibilité du
développement « réel » et non théorique de
l'action et de l'oeuvre de type bricolage est illimitée : puisque le
processus de l'acte créateur du bricoleur est un processus de «
reconstruction incessante à l'aide des même matériaux
»612 dont le cycle de la fin et du moyen des objets
mobilisés est le moteur.
Et d'ailleurs, aujourd'hui, est-ce que les matériaux et
les savoirs sur ceux-ci doivent toujours être « limités
» ou « mêmes » en réalité, comme
Lévi-strauss entend le dire ? La réponse peut clairement
être non. D'ailleurs Lévi-strauss reconnaît lui-même
que la différence entre l'ingénieur et le bricoleur n'est jamais
absolue en réalité, en disant que le pouvoir créteur de
l'ingénieur est également limité par ses ressources qui
sont ses « interlocuteur[s] » avec lesquels il doit toujours
dialoguer et transiger. Et il doit souvent recourrir à des moyens dont
les fins sont antérieurement déterminées613.
En plus, vu que la circulation des savoirs est aujourd'hui
explosive au niveau mondial, on peut souvent avoir accès à des
oeuvres données par des « savants » et des savoirs
généraux diffusés sur celles-ci. Ainsi, tout en
étant bricoleur, on pourrait bien « détourner » la fin
de ces oeuvres scientiques en les « inventoriant » et les
transformant en des moyens pour réaliser une nouvelle oeuvre. Et le
résultat de cet acte créateur du bricoleur implique toujours,
comme dit Lévi-strauss, « un compromis entre la structure de
l'ensemble instrumental et celle du projet » du bricoleur.
Du bricolage à la transaction sociale...
Ici, les types des ressources mobilisées dans ce
processus sont divers et complexes tels que les types humains et sociaux
(personnel, organisation, relation sociale et représentations),
économiques (matériel, foncier, financier) et politiques
(décision politique, législations).
Et l'ensemble des actions s'est effectué en relation
avec des agents de champs sociaux différents à base territoriale,
aux niveaux des contextes, des secteurs et même des échelles
institutionnelles. D'où la nécessité de la
réalisation d'une série de transactions sociales entre agents
intersectoriaux.
D'ailleurs, comme nous l'avons vu avec en nous
référant à Lévi-Strauss, le bricolage s'effectue
par le biais d'un « compromis entre les structures de l'ensemble
instrumental et du projet ». La transaction sociale nous semble ainsi
constituer, avec le bricolage, le moteur de l'ensemble des actions temporelles
(processus) de la
609 Ibid. : 35.
610 Ibid. : 34.
611 Ibid. : 33.
612 Ibid. : 35.
613 Ibid : 33. « lui aussi devra commencer par inventorier
un ensemble prédéterminé de connaissances
théoriques et pratiques, de moyens techniques, qui restreignent les
solutions possibles »
construction du Projet Nô-Life614. Paradigme de
transaction sociale
La transaction sociale n'est pas un concept bien
défini, mais celui qui est suscetible d'être un « paradigme
» qui permet d'appréhender la vie sociale comme « une forme de
séquence d'ajustements successifs »615. En se
référant à quelques recherches récentes
s'inscrivant dans ce cadre616, sans toutefois être exhaustif,
nous pouvons relever un certains nombre de traits caractéristiques de ce
cadre d'analyse. Ensuite, nous allons montrer, selon l'approche proposée
par Mormont (1994), dans quelle mesure ce cadre pourrait être pertinent
comme grille d'analyse pour comprendre le processus du Projet Nô-Life.
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