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La pin-up et ses filles: histoire d'un archétype érotique

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par Camille Favre
Université Toulouse Le Mirail - Master 2 Histoire des civilisations modernes et contemporaines 2007
  

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2. Les filles de Hugh.

2.1 La playmate.

Pour Tom Starler, l'un des trois directeurs artistiques qui se sont succédés à Playboy, « sans le poster central, Playboy aurait été un magazine littéraire de plus135(*) ». L'incroyable succès et la notoriété de la revue proviendraient alors de cette jeune femme qui pose, plus ou moins dénudée, pour le poster central. D'abord appelé « fille du mois », celle-ci deviendra très vite la playmate et ne cessera de marquer les esprits comme le souligne Tom Starler : « les playmates devinrent un rite de passage de l'adolescence à l'âge adulte pour une génération d'Américains. Presque tout le monde se souvient de son premier numéro de Playboy et de sa première playmate136(*) ». Avec celle-ci, Hugh Hefner exploite la notion érotique de « la fille d'à côté ». « La fille d'à côté » est une sorte d'archétype de la voisine de palier, jeune, fraîche et sympathique, en réaction, pour Vince Tajiri, un des photographes attitré de Playboy, « à la beauté froide et sophistiquée des mannequins de Vogue137(*) ». Ce concept s'inscrit alors dans prolongement de la pin-up dessinée.

Pour Hugh Hefner, son concept de « la fille d'à côté » est proprement révolutionnaire et résulte d'une nouvelle conception de la sexualité, et particulièrement de la sexualité féminine : « tout comme les pin-up reflétaient l'image un peu coquine de la bonne fille américaine, les playmates ont reflété ma propre vision romantique du sexe opposée. Dès les origines, je suis parti à la recherche de cette image de la fille d'à côté, de la voisine de pallier. Une image faisant partie d'une attitude positive, croquant la vie à pleines dents, vis-à-vis de la sexualité. [...] Ce concept a bien plus servi à l'émancipation qu'à l'exploitation des femmes. Cela dit je ne pensais guère en ces termes lorsque le magazine fut créé. A l'époque, j'essayais de faire passer le message que les jolies filles des voisins pouvaient aussi aimer le sexe. Cette idée fut révolutionnaire dans les années cinquante alors que soufflait le vent du refoulement. A cette époque, l'homme n'avait le choix - dans la représentation de la femme - qu'entre la madone et la putain. Toute expression de sexualité devait aussitôt déclencher des sentiments d'inconfort. Mon idée ne faisait que réactualiser ce qui avait été déjà dit sur les pin-up. L'art de la pin-up n'avait jamais été quelque chose de vulgaire138(*) ». L'éditorial du numéro de juillet 1955 va dans ce sens : « bien sûr on serait tenté de croire que d'aussi splendides créatures vivent dans un monde à part. Cependant détrompez-vous : d'innombrables playmates en puissance évoluent au tour de vous. Il suffit d'ouvrir les yeux : la secrétaire que vous venez d'embaucher, la beauté aux yeux de biche assise en face de vous hier au restaurant, la vendeuse de votre magasin préféré. La preuve : nous avons trouvé Miss Juillet dans notre service abonnements139(*) ».

Pour répondre à ce concept de « fille d'à côté », la rédaction du magazine invente à chaque fois de petites anecdotes pour introduire les playmates. A partir du numéro de juillet 1971, la magazine propose même une fiche d'identité plus ou moins fabulée de la playmate, fiche nous renseignant sur les loisirs de celle-ci, ses lectures...Tout cela est mis en place afin de rendre la playmate accessible aux lecteurs. Le fantasme prend alors une allure très réaliste. L'érotisme est aussi renforcé par le fait que la playmate est d'abord présentée, avant le poster central, dans son quotidien : photographie d'elle lisant dans son salon, promenant son chien... Le poster central raconte, lui aussi, une histoire, comme si nous surprenions la playmate dans une scène de vie quotidienne, détail, qui pour Vince Tajiri, crée tout l'érotisme de l'image : « Hefner affectionne une sorte de spontanéité naturelle et candide. Surtout il aime observer une étincelle dans l'image et un certain éclairage. La fille est active. Elle est photographiée à un instant de sa vie, en train de faire quelque chose ou vient juste de la faire, et là, elle regarde l'objectif. C'est ce qui crée le contact avec le lecteur140(*) ».

Mais l'érotisme dégagé par l'image provient aussi du fait qu'une présence masculine est suggérée. La playmate est plus ou moins dénudée, l'homme n'est pas loin, comme si nous surprenions le couple ou plutôt la playmate à un moment de sa vie sexuelle. Gary Cole, aujourd'hui directeur photo du magazine, souligne ce même point : « Hef aime les posters qui véhicule une idée, qui raconte une histoire. Un instant de séduction. La présence d'un homme est suggérée. Nous commençons avec une jolie fille, mais ce sont les autres éléments - le stylisme, les vêtements, les détails - qui en font un poster. Le poster est un film tout entier dans une seule image141(*) ». Comme avec les pin-up, le côté voyeuriste est mis en avant. Mais la playmate, déculpabilise également le spectateur voyeur en le regardant et en souriant. Mais elle n'est pas vraiment surprise, elle se sait regardée et apprécie. Cette présence masculine apparaît différemment dans les mises en scène des poster : pour le numéro d'avril 1955, une pipe est posée près du lit sur lequel est étendu la playmate ; pour celui d'août de la même année, on retrouve aussi une pipe près du tabouret et la playmate porte une chemise d'homme ; pour le mois de novembre 1955, une cravate, un savon à barbe et le blaireau sont disposés sur une table contre laquelle s'appuie la playmate et enfin dans le numéro de juillet 1956, on distingue la silhouette d'un homme au fond.

Comme nous le souligne Hugh Hefner, Playboy se propose alors de réaliser le rêve américain : transformer la voisine de pallier en sex-symbol142(*). Et pour ce faire, on n'hésite pas alors à « retravailler » le corps féminin afin qu'il réponde aux canons esthétiques en vigueur (40 % des playmates sont blondes par exemple), mais aussi à l'agrémenter des signes de séduction afin de le rendre plus attrayant et érotique. La playmate, tout comme la pin-up qu'elle soit dessinée ou photographiée, est une idéalisation du corps féminin. A ne pas en douter, en plus d'une stricte sélection basée sur l'esthétique et l'âge, la playmate subit une « purification » du corps grâce au maquillage qui gommera les imperfections indésirables à l'harmonie corporelle. Ainsi, par exemple, grâce à des artifices comme l'air conditionné, les mamelons sont « retouchés », autrement dit, mis dans un état d'érection qui les rendra plus désirables et censés traduire l'excitation sexuelle de la jeune femme.

Susan Bernard pose dans les années soixante comme playmate : « Mon père me présenta Hugh Hefner, un homme en robe de chambre rouge fumant la pipe sous un tableau de Picasso. C'est ainsi que, dans les années soixante libérées, à l'âge tendre de 17 ans, je devins la première vierge juive à poser pour le poster central de Playboy ! Je me tenais devant un arbre de Noël, souriante, la hanche droite en avant, un bras levé, un bouquet de gui dans une main, le corps cambré en S, le menton bien haut, mes mamelons poudrés de rose dressés dans toute leur splendeur143(*) ». En dissimulant ainsi les imperfections de la peau comme les moindres boutons, les cicatrices, les veines apparentes ou les tâches de naissance, la féminité est exacerbé, car renvoyée à une sacralisation, loin de la réalité du corps des femmes. Ce corps est « amélioré » afin de correspondre aux canons esthétiques et érotiques et devient ainsi un support de fantasmes. Et pour ce faire, le modèle est tenu à une discipline de fer. La playmate n'est pas finalement une femme réelle puisque, grâce à d'habiles procédés elle atteint une certaine perfection corporelle, perfection corporelle instrumentalisée dans un but commercial. Et c'est justement parce qu'elle n'est pas tout à fait réelle qu'elle s'inscrit dans la continuité des pin-up en tant qu'image idéalisée et normalisée de la beauté féminine.

Cette exigence corporelle est la base du statut de playmate et ce qui la fait advenir comme telle. L'article 5 du contrat de playmate souligne bel et bien cet aspect là : « au cas où la playmate se laisserait aller et négligerait son apparence physique, par exemple en prenant ou en perdant excessivement du poids, ou en subissant toute modification physique susceptible de porter atteinte à son pouvoir de séduction et de détruire ainsi la valeur promotionnelle qu'elle représente, le magazine Playboy se réserve le droit de mettre fin au contrat144(*) ». Cette exigence esthétique, ce corps idéalisé et l'image que renvoie la playmate à propos de la sexualité féminine, dans les années soixante-dix, vont profondément affecter les féministes de l'époque. Ce que prouve la « lettre ouverte aux femmes que Playboy ne publiera jamais » de Susan Braudy, lettre publiée dans Glamour, un magazine féminin : « Pourquoi un magazine pour titiller des hommes n'offre-t-il pas une représentation objective de la vraie femme à ces braves hommes ? Pourquoi faut-il monter un corps de rêve si déshumanisé qu'il en devient désexualisé : poil épilés, odeur remplacée, pores bouchées par les cosmétiques, visage lisse et expression doucereuse, vide de toute menace ? L'homme de Playboy est-il si faible, si désespéré ? Incapable d'affronter la réalité et les vrais femmes que la créature de rêve qui hante ses fantasmes inspirés sur le papier glacé de Playboy doit être mécanisée, passive, manipulable et dominable ?145(*) »

* 135 PETERSON James, Playboy 50 ans de photographies, Paris, Ed. Playboy, 2003, p.13.

* 136 «Ibid».

* 137 «Ibid».

* 138 GRETCHEN Edgren, Le livre des playmates, Paris, Taschen, 2005, p.13.

* 139 MILLER Russel, «op. cit.», p.53.

* 140 PETERSON James, «op. cit.», p.14.

* 141 «Ibid».

* 142 GRETCHEN Edgren, Playboy 50 ans, Koln, Taschen, 2005, p.7.

* 143 BERNARD Susan, «op. cit.», p.32.

* 144 MILLER Russel, «op. cit.», p.55

* 145 Idem, p.167.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard