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La pin-up et ses filles: histoire d'un archétype érotique

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par Camille Favre
Université Toulouse Le Mirail - Master 2 Histoire des civilisations modernes et contemporaines 2007
  

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2.2 Le voyeur malgré lui.

Avec les pin-up classiques, le spectateur et consommateur est en position de voyeur de manière accidentel. Mais le voyeur au fur et à mesure de l'évolution du genre pin-up est mis en situation de plus en plus active. De nombreux artistes vont travailler sur le voyeurisme afin de le pousser à son extrême pour mieux démonter ces structures. En effet, le voyeurisme semble indissociable de l'histoire de l'érotisme et de la pornographie du XXe siècle.

Pour « peindre » ses portraits et tableaux de groupes dans les trois dimensions de l'espace, Vanessa Beecroft (1969- ) se sert de femmes en chair et en os. Celles-ci restent un certain temps dans un espace défini et fermé - le plus souvent chichement vêtues par l'artiste - et ne prennent jamais contact avec les spectateurs qui les observent de l'extérieur (Ill. 217). L'atmosphère qui s'instaure a quelque chose d'étonnamment froid, voire étrange et le spectateur devient vite mal à l'aise. En 1994, dans une de ses premières expositions, organisée dans une galerie de Cologne, Vanessa Beecroft présente trente jeunes filles dans un showroom fermé aux spectateurs. L'ensemble ne peut être vue qu'à travers un petit rectangle faisant à la fois office de tableau et de judas. Les jeunes filles sont toutes d'une stature similaire, un peu athlétique et ne sont vêtues que de chaussures noires, de bas, d'un slip gris et d'un chemisier noir ou gris. La touche finale de cet habillement uniforme, qui présente en même temps comme une composition  « picturale » très impressionnante dans l'espace, est donnée par des perruques jaunes - tantôt avec des nattes soigneusement tressées, tantôt sans. Certaines filles sont assises, d'autres sont appuyés contre un mur, d'autres encore font lentement les cent pas. Le titre de ce travail est lourd de sens : Ein Blonder Traum (Un rêve blond). L'artiste renoue avec ce même dispositif lors de l'installation Royal Opening (Ill. 216), réalisée au Musée Moderne de Stockholm en 1998. Elle y dénonce l'uniformisation des corps féminins et leur standardisation.

La pornographie et l'érotisme sont également soumis à une anti-lecture à la fois critique et sensuelle. Les lèvres écarlates de la Girl with Lipstick (1992), ou la blonde au bas séducteur roulé jusqu'à la cheville dans Miss January (1997), deux oeuvres de Marlene Dumas (1953- ), exposent la femme au regard du spectateur, dont le voyeurisme n'est pas seulement satisfait, mais aussi dévoilé et mis à nu. Dans Porno Blues225(*), l'artiste s'inspire de pages de magazines pornographiques. Elle explore l'interaction entre ce que révèle la photographie pornographique et ce que voile ou dissimule l'art - ce que l'on considère souvent comme le trait particulier de l'érotisme. Dans les années quatre-vingt-dix, cette artiste s'intéresse particulièrement à l'érotisme. Bien qu'elle emprunte souvent ses images de sujets féminins à la photographie de presse à gros tirage, les attitudes de refus ou les « anti-images » conçues pour subvertir les représentations stéréotypées ne semblent pas l'intéresser. En explorant les caractéristiques sensuelles de son moyen d'expression, elle vise plutôt à renforcer la capacité de la peinture à représenter les mécanismes du désir.

Un des propos de Cindy Sherman (1954- ) est de mettre en évidence les structures du voyeurisme. Elle met en chantier une série intitulée Film Stills, dans laquelle elle pose sous les traits d'héroïnes de cinéma difficiles à identifier bien que familières (Ill. 218). Dans Untitled Film Still No.2 (1977) par exemple, le regard passe par l'embrassure de la porte pour tomber sur une femme qui se regarde dans la glace d'une salle de bain. Cindy Sherman laisse le spectateur inventer l'histoire de chaque personnage, le rendant ainsi complice du voyeurisme des images. Des constellations similaires illustrant et minant la séduction des corps, mais aussi « l'effet poudre aux yeux » de l'image photographique, caractérisent également ses Centerfolds de 1981 (Ill. 219). Ceux-ci représente des femmes allongées ou accroupies après avoir été prises en photo pour le poster central d'un magazine pornographique, mais semblent se soustraire à la fixation photographique par une forme d'absence. Le regard des modèles ne croise jamais celui du spectateur. Leurs yeux semblent se perdre au contraire dans un lointain indéfinissable situé hors du champ. Les corps débordent eux aussi des limites de l'image, de sorte que le regard ne peut jamais les saisir tout à fait comme figures. Dans cette série, Cindy Sherman met en avant la dépersonnalisation des modèles pornographiques, qui ressemblent de plus en plus à des pantins automatisés.

Au cours de sa légendaire performance donnée lors de l'exposition de groupe JETZTZEIT (1994) à la Kunsthalle de Vienne, Elke Krystufek (1970- ), dans une ambiance aussi intime qu'aseptisée, commence à se masturber à loisir, d'abord avec la main, puis avec un pénis en caoutchouc et un vibromasseur. Ensuite l'artiste fait couler de l'eau dans la baignoire et se détend en prenant un bain. Comme un peu partout dans son oeuvre, Krystufek travaille ici sur l'interaction entre le regard (masculin) et le plaisir (auto)érotique, sur le jeu entre la mise en scène artistique de l'identité, l'émancipation et le corps de la femme. Elle brave les interdits en défiant le pouvoir masculin puisque tout en s'exposant, elle l'ignore. Ce qui apparaît peut-être au premier regard comme une provocation artistique, comme une transgression des limites entre l'espace privé et espace public, s'avère finalement être un jeu délibéré, visant à mimer les ordres sociaux et les règles normatives inconscientes qui prétendent définir autoritairement toutes sexualités. Une brève digression dans l'histoire du cinéma permet peut-être de mettre en évidence les stratégies élaborées par l'artiste. Dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema226(*), la féministe, réalisatrice et théoricienne du cinéma Laura Mulvey, analyse le rapport entre l'inconscient patriarcal, le voyeurisme et l'image conventionnelle de la femme dans le cinéma et la société : le phallocentrisme masculin a défini le rôle des femmes dans la société sous forme d' « image de la femme castrée ». Pour parvenir à un « nouveau langage du désir », cette définition doit être analysée afin de détruire, dans un second temps, le plaisir « visuel » éprouvé à la perception de ces images. Elke Krystufek intervient exactement au niveau de ce décodage d'une sexualité définie et se sert de ce décodage (Ill. 220). Dans la performance décrite plus haut, l'artiste s'appuie sur le plaisir direct du regard, sur l'entrée presque voyeuriste du spectateur dans la sphère intime de la vie (jouée et imaginée) d'autrui. Plutôt que d'instrumentaliser le corps féminin, l'artiste instrumentalise le spectateur. Avec les armes d'une femme définie par les regards masculins, Elke Krystufek frappe ainsi exactement le mécanisme auquel - et c'est là tout le problème - elle ne peut malgré tout échapper.

* 225 DUMAS Marlène, Porno Blues, 1993, 6 dessins, 30,5 x 22,5 cm chacun, encre au lavis et aquarelle sur papier.

* 226 MULVEY Laura, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Visual and other pleasures, Bloomington, Indiana University Press, 1989.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein