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La pin-up et ses filles: histoire d'un archétype érotique

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par Camille Favre
Université Toulouse Le Mirail - Master 2 Histoire des civilisations modernes et contemporaines 2007
  

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Conclusion

Tout au long de cette recherche, la pin-up classique, telle que nous l'avons définie en introduction, s'efface progressivement pour donner naissance à d'autres représentations féminines tout aussi érotiques et idéalisées. Les liens entre ces premières pin-up et ces nouvelles effigies sont réels et sensibles. De la simple image dessinée à son incarnation, par ses rôles complexes et complets, la pin-up s'inscrit dans une dynamique historique, politique et artistique.

Les pin-up et l'art érotique.

L'histoire des pin-up est révélatrice de l'histoire de l'art érotique occidental et de comment se mettent en place les figures érotiques, supports de fantasmes.

Ce que révèle la place initiale de la pin-up dans cette histoire de l'art, en première remarque, est l'origine européenne et plus particulièrement française de cet art. En 1900, la France possède une presse érotique masculine bien établie, et les premières images de femmes toutes en dentelles et en bas fleurissent sur les pages de ces revues. Ainsi nos pin-up dessinées s'inscrivent bel et bien dans une certaine tradition de l'art érotique par leurs codes esthétiques (corps idéalisés, joues rouges, chevelures abondantes) par leurs accessoires (bas, chaussures à talons, parures, miroir) et par leurs mises en scènes (scènes de bain, exotisme). Ce faisant, elles puisent aussi leurs racines dans la production française de photographies érotiques et pornographiques de la fin XIXe et du début du XXe siècle. La pin-up joue alors avec les signes de séduction et d'érotisme selon les codes conventionnels. Aux Etats-Unis, quelques revues grivoises telles The National Police Gazette ou Metropolitan (qui propose de « belles parisiennes ») s'inspirant largement de la production française voient le jour. Mais l'ancienne loi Comstock, adopté en 1873, freine largement la propagation de documents érotiques sur le sol américain.

L'industrie de la pin-up connaît sa première grande expansion immédiatement après la Grande Guerre. Les soldats, adolescents ou jeunes hommes qui ont quitté les Etats-Unis, ont vu du pays et ont connu plusieurs années de frustrations sexuelles, de manques affectifs, de pulsions et de fantasmes inassouvis. Outre le souvenir des belles Européennes, ils rapportent avec eux un nombre considérable de cartes postales légères, d'exemplaires de presse de charme français. Les premières tentatives de pin-up américaines ne sont faites que lorsque les éditeurs américains sont assurés de l'acceptation complète par le public de ces pin-up françaises. Les Etats-Unis reprennent à leur compte cette « première pin-up » et vont en faire un produit d'exportation mondiale. En 1933, la Petty Girl, première pin-up classique à émerger des vaches maigres de la Dépression, orne désormais les pages d'Esquire, suivie de nombreuses autres en raison de la multiplication des girlies magazines*. Avec la Seconde Guerre Mondiale, les soldats américains ramènent dans leurs bagages les Varga Girls et autres pin-up sur le sol européen.

L'évolution de l'histoire de la pin-up permet alors de formuler une deuxième remarque sur l'art érotique populaire (c'est-à-dire l'art érotique qui utilise comme supports les média de culture de masse). Cet art occidental se construit grâce à un va et vient entre le Vieux Continent et le Nouveau Continent. Il ricoche entre l'Europe et les Amériques, s'enrichissant sans cesse et les guerres qui traversent le XXe siècle en sont des moments charnières. Ces dernières permettent à la fois une cristallisation, une accélération et une nouvelle visibilité de ces images érotiques.

Dans un premier temps, l'Europe et plus particulièrement la France abreuvent les Etats-Unis de représentations érotiques et influencent ce dernier pays lorsqu'il peut réaliser ses propres images. Dans un deuxième temps, ce sont les Etats-Unis, grâce tout d'abord à la Seconde Guerre Mondiale, qui orientent la production européenne d'images érotiques. La presse masculine française décline fortement et certaines revues telles Paris Hollywood ou La Vie Parisienne, qui avaient fait la renommée du pays en art érotique populaire, disparaissent. Les publications suivantes, Lui par exemple, sont créées à partir du modèle Playboy. Même si Lui est publié pendant un temps aux Etats-Unis sous la dénomination de Oui, c'est sous la coupe de Playboy. Cependant, les images érotiques américaines sont aussi influencées par la production nordique (Suède, Danemark, Norvège) notamment pour la représentation de la nudité et de l'acte sexuel ; en effet la première photographie de coït non simulé date de 1967 et paraît dans Private, un magazine masculin suédois. L'Angleterre avec l'arrivée de Penthouse sur le marché, accélère aussi cette concurrence. Ce dernier entraîne les périodiques américains dans « la guerre de poils » et rivalise avec Playboy avec des images de plus en plus explicites. La guerre du Vietnam est significative du conflit entre les deux revues pour la conquête du coeur des soldats. Enfin, dans un dernier temps, l'Europe renoue avec son passé en produisant aujourd'hui les dernières pin-up dessinées à la sexualité plus franche. Le Japon semble aussi un pays propice à la création de nouvelles figures féminines érotiques.

La troisième remarque que met en valeur l'histoire de la pin-up dans l'art érotique est que celui-ci est à mettre directement en rapport avec la notion d'interdit. L'érotisme valide l'interdit pour jouir de sa possibilité de non respect. Dans son rapport intime à la transgression, il suppose alors la présence et le maintien des interdits qui limitent la sexualité humaine qui, par ce fait, la déplace dans le monde du fantasme et la démarque de celle des animaux. Les représentations érotiques féminines semblent alors procéder des limites fluctuantes entre la visibilité et l'interdit : sont considérées comme érotiques à une période les parties du corps qui relèvent de certains tabous, sans être pour autant une grave transgression, évitant ainsi la censure, remarque qui s'applique particulièrement à la presse masculine. Une des séductions primordiales de la pin-up est qu'elle est à la fois irrévérencieuse et complètement intégrée aux normes sociales et morales de leur époque : formes maternelles, activités « féminines ».

Mais son principal tour de force réside dans sa capacité d'acculturation : la pin-up traverse le XXe siècle car elle a su s'adapter et correspondre aux goûts et fantasmes de son public. La seule modification notable mais de taille qu'ait connue la pin-up se trouve alors dans son comportement. De toujours, les pin-up dessinées ont devancé l'évolution des moeurs, leurs consoeurs photographiques se contentant peut-être de leur emboîter le pas. De chastes à leurs débuts, elles sont devenues audacieuses. Sur le papier glacé des calendriers ou des magazines, elles ont délaissé les attitudes amusantes pour se faire directement provocatrices. Le voyeur se fait de plus en plus actif et la présence masculine de plus en plus suggérée (Ill.232). Et pourtant la pin-up classique, désuète peut-être mais non ringarde, conserve toujours autant de charme et de succès, preuve en sont les prix vertigineux que peuvent acquérir certaines images ou gadgets publicitaires sur lesquels elle apparaît.

Se pose ensuite la question du regard dans l'art érotique, et c'est là que l'histoire des pin-up permet de formuler une quatrième remarque. L'oeil, est le premier sens, le seul, à être sollicité avec les images pornographiques et érotiques. Il est évident que cet organe joue un rôle primordial dans la sexualité. En effet, la compétence sociale de l'oeil est énorme ; ce serait une erreur de considérer le regard comme secondaire par rapport à la parole. Certes le langage occupe une position privilégiée : c'est lui qui transmet le plus directement et le plus efficacement les messages les plus explicites et les plus conceptualisés. Il est au sommet visible de l'édifice communicationnel. Mais le langage dissimule par sa visibilité l'importance de la communication non verbale. Car aussi futiles et secondaires qu'apparaissent les images de pin-up, elles portent en elles la capacité à faire passer un message. Or le regard est lui-même imprégné et façonné par la culture. A propos d'érotisme et de pornographie, il est des conventions à ce point enracinées qu'il paraît presque superflu de les mentionner ; entre autres le fait que l'expression « art érotique » désigne implicitement un « érotisme pour homme ». L'art érotique occidental est donc emprunt d'un regard masculin, hétérosexuel et blanc. Pourtant la deuxième partie du XXe siècle voie l'apparition et le développement des représentations du corps masculin érotisé dans les média de masse. Certains auteurs voient dans le genre photographique du « beefcake », le tenant masculin des pin-up. Cette représentation érotique du corps masculin est tout autant idéalisée que le corps des pin-up et est aussi un assemblage harmonieux des attributs virils : muscles hypertrophiés, mâchoire carrée, regard d'acier, corps lisse... Pourtant comme les dessins masculins érotiques de Tom of Finland, ces représentations sont destinées à un public masculin homosexuel. Il faudra attendre véritablement l'après Révolution des années soixante-dix pour trouver de nouvelles figures érotiques féminines qui ne s'inscrivent pas dans cette notion.

Au regard de cette production artistique érotique, nous pouvons formuler une cinquième remarque : la femme demeurent pour l'essentiel, un non sujet c'est-à-dire un simple objet de désir paré des attributs physiques (corporels) et des attitudes (psychologiques) qui la rendent toujours attrayante et désirable pour le regard voyeuriste de l'homme spectateur. L'image est le mode d'accès à l'éternel féminin censé traverser le temps et l'espace. Mais cet éternel féminin ne doit sa pérennité qu'à sa capacité à s'adapter à l'évolution de la société et à l'imaginaire collectif. Il est évident que les pin-up ne véhiculent pas dans les années cinquante le même éternel féminin que dans les années soixante-dix, même si il est possible de cerner certaines permanences : beauté idéalisée et sexualisée... Le domaine des images ayant été exclusivement celui des hommes jusqu'au XXe siècle, le féminin qui nous a été transmis à travers ces images, est un féminin vu, pensé, rêvé et fantasmé par les hommes. Se dessine alors en filigrane dans l'histoire des pin-up, l'histoire du mythe, du fantasme de la femme-enfant. Les pin-up ont une figure fraîche, saine et enfantine mais un corps terriblement féminin. Elles représentent la femme que l'on souhaite protéger tout autant qu'on la désire ardemment. C'est pourquoi l'art des pin-up se rattache au concept du « cheesecake » (gâteau de fromage). Le cheesecake peut se définir ainsi : une image dévoilant le charme érotique de la féminité. Tout comme le gâteau, la pin-up est à la fois douce et sucrée mais aussi légèrement « salée ». La pin-up est rassurante sur la sexualité féminine et ne remet pas en cause la domination masculine au sein de cette sexualité. Par son graphisme et les valeurs qu'elle véhicule, la pin-up s'inscrit dans le « good art girl » (l'art des bonnes filles).

Les pin-up et l'histoire du XXe siècle.

Mais les pin-up présentent peut-être une particularité dans l'histoire de la représentation féminine érotique : le rôle direct qu'on leur a fait jouer et qu'on leur a attribué, est lié intimement à l'histoire politique et économique du XXe siècle.

La Seconde Guerre Mondiale représente dans l'histoire de la pin-up un moment de cristallisation. Elle permet de fidéliser des milliers d'hommes, et plus particulièrement les Américains à cette image. En raison de l'érotisme léger qu'elle dégage, la pin-up va être alors instrumentalisée afin de gérer et de contrôler la sexualité des hommes au front.

Non seulement, elle pallie une absence affective et sexuelle sans pour autant l'exacerber. Mais elle permet aussi de réduire les visites des hommes aux bordels et de lutter, de ce fait, contre les maladies vénériennes.

Ces filles de papier jouent également un rôle primordial, en temps de guerre, celui de la validation de la culture hétérosexuelle afin de lutter contre l'homosexualité latente. C'est pourquoi lors des conflits militaires suivants, on n'hésitera pas à renouveler l'utilisation d'images féminines érotiques d'autant plus que les zones de combats sont éloignées. La formule semble faire ces preuves. La pin-up, dans ces années de conflits, contracte les deux figures antagonistes de l'éternel féminin : la mère et la séductrice. Par exemple, Miss Lace, l'héroïne du strip de Milton Cannif, est à la fois terriblement attrayante et sexy (jusqu'à rejoindre la vamp) mais aussi incroyablement douce, rassurante, prévenante envers les soldats.

Le devoir de ces représentations est de faire oublier la dure réalité de la guerre. Elles sont alors utilisées comme symbole patriotique des Etats-Unis. A chaque guerre, on assiste à la réactualisation de l'érotisme patriotique.

Les dessins animés sont aussi un support sur lesquels les pin-up sont omniprésentes. Betty Boop, née en 1930, femme-enfant, demeure un stéréotype sexué, archétype sensuel et irréel, désirable mais inaccessible. Elle est alors la première pin-up animée, et la première sex-symbol du monde de l'animation. Dans cette lignée d'autres films d'animation vont proposer des pin-up animées et ainsi ouvrir la voie aux premières déclinaisons de pin-up classiques. En 1943, l'armée finance une série de 28 films d'animations « private snafer » destinés aux soldats et dont le contenu érotique est évident. Cette thématique de sex symbol est notamment présente dans les dessins animés de Tex Avery produits durant cette période. La pin up de Tex Avery, animée la plupart du temps par Preston Blair, est toute en courbes, avec une poitrine imposante, une taille de guêpe et de longues jambes. Souvent habillées de rouge, couleur de la passion, elle exécute la plupart du temps une danse très séduisante et sensuelle accompagnée d'une chanson tout aussi sensuelle, point culminant du dessin animé. Elle exerce complètement son pouvoir d'excitation et de fascination alors qu'elle intervient dans un monde animalier la plupart du temps. La principale fonction de cette pin-up reste une fonction érotique. Red Hot Riding Hood, de Tex Avery est le premier court-métrage où apparaît son personnage de la pin-up. Celui-ci est destiné, dans un premier temps aux hommes d'outremer.

A la fin du conflit, les pin-up se trouvent au seuil d'une nouvelle ère pleine de promesses. Elles sont devenues socialement acceptables et sont parfaitement intégrées dans la culture populaire de la nation. Le processus de construction de la féminité est alors complètement géré et orienté par la société de consommation. On propose aux petites filles grâce à Barbie puis aux jeunes filles et aux femmes au travers les magazines féminins et à la publicité un modèle corporel induisant chez le sujet une pratique double de son propre corps : celle du corps comme capital, celle du corps comme fétiche (ou objet idéal de consommation). Dans les deux cas, il importe que le corps, loin d'être nié ou omis, soit délibérément investi. Barbie, créée à partir de Lilli, une pin-up paraissant dans la presse allemande, inaugure le concept de déclinaison en « poupées russes » propre à l'imagerie de la pin-up. En effet, les archétypes érotiques féminins vont alors se succéder et leurs dénominations se multiplier, entrant elles aussi dans le langage courant : « la bimbo », terme d'origine aussi anglophone. La bimbo lui emprunte ses formes corporelles, sa légèreté et son innocence, sa naïveté voire son côté maladroit mais aussi son côté « fashion vistime ».

En raison de leur caractère et de leur aspect typiquement américains, et de leur rôle positif lié à l'optimisme consumériste, les pin-up trouvent également un public hors des frontières, car les Etats-Unis sont en pleine période d'expansionnisme culturel. Elles sont pleines de sex-appeal, sans pour autant inciter à la débauche et toujours en formes et en rondeurs. Elles symbolisent une économie florissante et un avenir radieux. Les pin-up représentent une société où « tout va bien » et matérialisent le mythe de « l'american way of life ». De plus, à l'inverse de la vamp, beauté fatale tout aussi inaccessible, la pin-up ne met pas en péril le pouvoir masculin et est potentiellement féconde. C'est pourquoi, d'autres pays européens vont utiliser des pin-up, tout en les adaptant à leurs propres codes érotiques, comme symboles d'un renouveau économique, social, culturel. Leur corps porte non seulement les accessoires et les signes du désir et de l'érotisme mais aussi les valeurs d'une société américaine optimiste et pleine expansion. Mais les moeurs et les besoins évoluent. Et l'histoire de la pin-up va alors se complexifier.

Les pin-up et l'évolution des moeurs.

L'un des intêrets, en effet, qui se dégage de l'analyse de l'iconographie de la pin-up et de son évolution est qu'elle met en valeur une sorte de traçabilité de l'histoire de la sexualité dans les sociétés occidentales. La pin-up se situe alors comme la part émergente que l'on peut décrypter de l'imbroglio que constituent dans une évolution constante nos codes sociaux, moraux, économiques, politiques mais aussi la perception, la place, la tolérance et la représentation de la sexualité des femmes.

On assiste ainsi à une multiplication des figures féminines érotiques mais aussi à un renouveau de ces figures. Des artistes s'appuyant sur le « système » pin-up pour créer de nouvelles effigies : idéalisation et sophistication du corps féminin, utilisation massives des signes sexuels et des accessoires de séduction. Ces filles proposent alors une invitation sexuelle plus directe et plus franche avec leurs oeillades ravageuses. Le spectateur-voyeur est alors beaucoup plus actif qu'avec les pin-up traditionnelles. Ces autres figures de la pin-up peuvent parfois être plus sophistiquées et plus inaccessibles en raison de leur statut social. Et cette sophistication des figures féminines connaît aussi son apogée avec les beautés glamour pour en devenir la caractéristique principale. La glamour marque peut-être la transition vers la femme-objet, mise en valeur comme bijou dans son écrin et ne correspond plus à la beauté simple de la « voisine de pallier ».

Cependant, aux débuts des années cinquante, il semble que le dessin ne suscite plus assez de fantasme. En effet, la presse, tout d'abord, puis la publicité, va utiliser la photographie comme support pour créer le désir. Ces femmes qui posent alors comme modèles sont alors appelées pin-up.

Le genre photographique pin-up est un style photographique dont les frontières sont finalement assez floues. Entre la simple pin-up et l'actrice sex-symbol, la délimitation est parfois difficile à tracer. Malgré de nombreuses caractéristiques corporelles communes aux pin-up dessinées, corps valorisés, mêmes attitudes ou présentations et des fonctions identiques, soutien moral en temps de guerre, promotions publicitaires, les pin-up de chairs s'affranchissent de leurs cousines dessinés. Elles constituent alors une sorte de transition pour la presse masculine et préparent l'arrivée de la nouvelle figure féminine érotique : la playmate. L'arrivée de la playmate coïncide avec la première visibilité, aux Etats-Unis, de la sexualité masculine et féminine. En effet, les rapports scientifiques, dirigés par le docteur Alfred Kinsey, analysant les pratiques, les habitudes et les comportements sexuels mais aussi les fantasmes, sont publiés en 1948 pour celui concernant la sexualité masculine et en 1954 pour celui traitant de la sexualité féminine.

Par son iconographie (mises en scène, attitudes, perfection corporelle) et par son utilisation (patriotisme érotique en tant de guerre), la playmate s'inscrit évidemment dans la lignée des pin-up. Mais elle renouvelle le genre, en dépoussiérant l'érotisme de « la fille d'à côté » à l'adaptant aux nouvelles attentes du public masculins. Dès le début l'hétérosexualité est suggérée dans le poster central. La présence d'un homme est sous-entendue grâce à de minuscules détails (cravate, pipe...). Ce procédé permet d'insérer le consommateur-voyeur à l'intérieur du scénario dans lequel apparaît la playmate. Playboy offre alors un renouveau dans l'histoire de l'érotisme et de la pornographie. D'autres revues masculines de charme vont alors s'engouffrer dans le sillage de Playboy : Penthouse pour le Royaume Uni, Lui pour la France, proposant eux aussi ce qui a fait le succès et la popularité de Playboy, la femme de papier glacé : la playmate.

Malgré la présence de plus en plus importante de photographies de plus en plus explicites de femmes dans la presse masculine et la multiplication de ces titres, certains éditeurs continuent à publier des dessins érotiques de femmes. Le dessin, induisant une certaine distance, serait peut-être un support aménageant un espace plus grand pour le fantasme. De nombreux artistes, le plus souvent européens, perpétuent le fantasme de la femme inaccessible. Tout comme les pin-up, ces nouvelles figures féminines sont idéalisées et irréelles. Elles continuent aussi d'utiliser les accessoires de séduction propres aux pin-up. Pourtant le graphisme a évolué ainsi que les attitudes et mises en scène. Le genre pin-up ne cesse de se modifier pour s'adapter aux exigences et aux attentes du public mais surtout à ce que l'on peut montrer. Même si ces dernières pin-up s'éloignent fortement des premières pin-up, il est possible de voir en filigrane que le « système » pin-up continue de fonctionner et de faire de nouveaux adeptes, se déplaçant en « surfant » sur la ligne de la tolérance morale. Mais l'érotisme que dégagent ces nouvelles pin-up est alors plus direct. A l'inverse d'autres artistes font se servir de ce « système » afin de le dénoncer et de le critiquer. Ces artistes, grâce à leurs oeuvres, poussent alors le spectateur à réfléchir sur la production de représentations érotiques dans notre société, sur l'emploi des femmes comme symboles de la sexualité et sur l'utilisation du corps féminin comme support. Ces nouvelles figures semblent sonner le glas d'une époque optimiste et d'une société « où tout va bien ».

La pin-up classique va donner naissance à d'autres figures féminines qui peuvent exister parallèlement à celle-ci ou de manière plus contemporaine. Certes le graphisme utilisé les rapproche des pin-up classiques néanmoins elles s'éloignent de l'iconographie de celles-ci par une utilisation différente et des rôles moins traditionnels. Ce sont d'abord les comic books, qui avec leurs personnages féminins sexy, amorcent cette « dérive », mêlant leurs héroïnes à des aventures dangereuses ou à des univers traditionnellement réservés aux hommes. Leur corps devient l'égal en force et en adresse de celui des hommes tout en restant sexy. Ces héroïnes réactualisent le fantasme de l'amazone, de la femme guerrière. Cela est en mettre en relation avec l'évolution des moeurs mais aussi aux changement du statut des femmes et de leurs conditions de vie. Puis la bande dessinée pour adulte prend le relais en proposant des histoires qui vont de plus en plus critiquer le monde des pin-up et mettre en relief le fonctionnement du « système » pin-up pour, souvent, mieux le dénoncer. Même si toutes ces héroïnes des comic books puis des trois bandes dessinées pour adultes choisies ici se rattachent par leur graphisme au code traditionnel des pin-up, celles-ci s'en éloignent fortement par tous les autres aspects. En effet, elles vont tout d'abord sortir du « monde féminin » auquel on les avait cantonné pour devenir de plus et plus « actives » et obtenir enfin leur indépendance. Ces nouvelles figures féminines inaugurent ce que l'on nomme « le bad art girl » (l'art des mauvaises filles). Le regard que portent les dessinateurs contemporains de ces nouvelles pin-up est en rupture par rapport à leurs ancêtres et constitue un discours novateur. Mais elles demeurent dans la base commune à toutes les représentations des femmes depuis la pin-up naïve et fraîche à la playmate plus osée : le plaisir des hommes à dessiner, photographier le corps féminin, à le regarder sur papier et à en faire un support de fantasmes.

L'histoire de la pin-up et de la multiplicité de ses figures est une histoire « buissonnante ». La pin-up classique et son érotisme de la « fille d'à côté » va être de plus en plus idéalisée et sophistiquée jusqu'à la beauté glamour, figure féminine érotique inaccessible, fétiche au milieu de fétiche. Et Marilyn Monroe incarne et symbolise dans son extrême, le fantasme de la femme-enfant. Parallèlement, les représentations érotiques féminines vont être aussi de plus en plus sexualisées et animalisées. Il faut remarquer l'importance que jouent les différentes révolutions politiques (sexuelles et remise en cause de l'économie capitaliste) des années soixante-dix. Le retour du fantasme de l'amazone ainsi que l'apparition des poils pubiens dans les photographies et les dessins érotiques constituent des indices intéressants pour saisir ce processus. Les dernières pin-up de Jean-Yves Leclercq qui ressemblent parfois à d'étranges animaux en sont un exemple frappant (Ill. 229, 230, 231).

Le corps des pin-up : moyen et support de communication.

Le « système » des pin-up est un système qui « marche », preuve en est la pérennité de ces figures féminines et leur capacité à s'adapter aux modes, goûts et attentes du public. De nos jours on trouve encore des représentations féminines érotiques que l'on peut rattacher à l'iconographie des pin-up.

Pourtant ces images des femmes et les valeurs qu'elles véhiculent dérangent aussi de nombreux artistes. Ils vont alors se servir d'éléments caractérisants les pin-up, les pousser à leur extrême. La pin-up morcelée devient alors le symbole des luttes contre les structures normalisées de l'érotisme et notamment la prégnance du regard masculin dans l'art érotique, les représentations traditionnelles de la sexualité. Ces artistes dénoncent aussi les exigences corporelles auxquelles sont soumises les femmes et le cantonnement de celles-ci à des rôles figés. Le corps féminin est toujours utilisé comme support pour véhiculer des messages (opinions, dénonciations, expérimentations) mais de façon plus extrêmiste. La pin-up, dans ces dernières oeuvres artistiques n'apparaît souvent qu'en filigrane. Parfois ce n'est que le « système » auquel elle participe qui transparaît. En choisissant qu'un élément ou deux de ce « système » ou des caractéristiques des pin-up, les artistes par des procédés expérimentaux (exagération, déconstruction) les désamorcent, jouent avec eux pour mieux les dénoncer.

Pourtant certains artistes n'arrivent pas à échapper à certains stéréotypes et continuent de perpétuer alors des poncifs autour du corps ou de la sexualité. Le regard masculin dans l'art érotique même chez des artistes se revendiquant féministes est plus ou moins présent, souvent incorporé inconsciemment. La limite de ce questionnement est sans doute de se servir encore une fois du corps féminin et de sa nudité comme support de message. Utiliser le corps des femmes pour dénoncer l'emploi donné aux pin-up ou les valeurs qu'elles représentent relève peut-être du même procédé médiatique. Mais le corps a toujours été un support et un moyen d'inscription de message, en même temps que par ses codes (vêtements, attitudes, tatouages...) un symbole d'appartenance sociale ou clanique.

En dehors des productions pornographiques, l'évolution des pin-up révèle l'évolution de la condition féminine. Le fait de montrer de plus en plus dans la vie usuelle les femmes et leur corps est lié au fait qu'elles puissent elles mêmes se montrer (et revendiquer de plus en plus). Cette remarque doit être associée à leur libération et à l'acquisition de nouveaux statuts sociaux, professionnels et sexuels (indépendance, respect, sécurité, autonomie). Les dernières pin-up, notamment celles réalisées par Jean-Yves Leclerq, nous le prouvent : leurs désirs sexuels est reconnus et visibles (scènes où elles se masturbent). L'aquisition de la capacité à être ou à se dévoiler est bel et bien à mettre en parallèle avec la conquête et l'obtention d'un nouveau statut social et de sa reconnaissance. Mais ce sont-elles vraiment affranchies du regard masculin ? En effet, cette évolution apparaît néanmoins ambiguë, elle s'accompagne de contraintes de plus en plus « incorporées » : contraintes d'utilisation du corps féminin dévoilé pour des objectifs économiques et politiques (capitalisme) auxquelles s'ajoutent les contraintes d'appartenances et de soumissions à des normes esthétiques. Comme le souligne Philippe Perrot : « au fur et à mesure que rétrécissent les zones de pudeur et de désir, s'accroissent celles de la surveillance sanitaire, du contrôle anatomique, de la vigilance hygiénique et du quadrillage cosmétique242(*) ».

* 242 PERROT Philippe, Le corps féminin, le travail des apparences, Paris, Seuil, 1984, p.205.

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