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La migration andine, rapport à la terre et conquête de la ville. Entre Huancavelica et la Vizcachera. De la Sierra à Lima.

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par Tiphaine POULAIN
Université Paris VII - Denis Diderot - Maitrise Ethnologie 2005
  

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La répartition / la recommandation / la participation communautaire « Compre un terreno » ('l'ai acheté un terrain)

Pour être accepté en tant que comuneros dans la communauté, il faut présenter une requête pour prétendre obtenir l'usufruit d'un terrain, moyennant un « achat » de la parcelle, même s'il ne s'agit pas d'un achat à proprement parler... Plutôt qu'un achat, il s'agit d'un montant à verser à la communauté pour les frais administratifs....Alors qu'il était assez insignifiant dans les premiers temps, il augmente notablement depuis quelques années.

C'est d'ailleurs souvent, aux dires des habitants, une des raisons de leur venue ici le fait qu'il y avait des terrains disponibles certes, mais surtout accessibles, en terme de coût I! (Même si certains sont encore en dette vis-à-vis de la communauté...) Cette somme semble « modique » au regard du prix en vigueur des terrains à Lima. Même si, très souvent, les terrains de Lima sont l'objet d'un « trafic de terrain » en raison de leur acquisition informelle (invasion, par exemple) faite à dessein, suivie d'une revente (bien qu'il n'y ait jamais eu d'achat !), alors qu'il n'y a ni titres ni même propriété... Même en ces cas, le coût peut être relativement important, sans aucune sécurité une fois la passation., .

Tandis qu'à la Vizcachera, les terres font l'objet d'une certaine protection : la communauté campesina est le seul « propriétaire » (ou plutôt sa matrice !!) ; ses terres sont, de droit, inaliénables...Cela protège outre mesure l'usufruit qu'en ont les habitants, bien que la première expectative ne semble pas être la lutte pour la reconnaissance de la propriété, et l'acquisition de titres qui l'accompagne, comme on peut le voir partout !

De même, il ne devrait pas y avoir, à l'instar de nombre de quartiers de Lima, de discorde quant à la propriété ou de propriétaires multiples qui réclament leur bien, preuve d'achat- vente des plus informelles à l'appui33...

--> Mais c'est là que nous touchons à tout le dilemme du quartier... Cette même quête de terrain que l'on retrouve chez les migrants, mais ici, une propriété communautaire accessible et, a priori, sure...Cet acharnement pour la défendre, mais en ce cas contre les acheteurs sournois et les envahisseurs à l'affût, par le biais de cette appartenance commune...Mais, à moyen terme, ne cachent-ils pas les mêmes aspirations vers la propriété privée, allant de soi dans la réussite à la ville, permettant un essor économique plus fondé...Et d'entrer dans les jeux de revente et de possessions multiples ? Les désirs semblent variés et tacites entre des discours sur le communautaire et des aspirations personnelles...

33 Très souvent, sur un même territoire, de multiples « propriétaires » potentiel se disputent la véracité de celle

possession par des preuves d'achat en général assez informelle...

« Hernos luchado para esta tierra » (nous avons lutté pour cette terre)

Force est de constater que la Vizcachera n'a pas été protégée des trafics de terres en vigueur ci et là... et que la conquête du terrain, comme ailleurs, est l'objectif numéro un ; de la même manière que le défendre personnellement et communautairement va de soi. Au-delà, le rapport à la terre semble être le vecteur des appartenances et des rapports sociaux. Cela n'est pas exclusif à la Vizcachera, mais se manifeste dans d'autres quartiers de Lima, en fonction du mode d'acquisition du sol d'un groupe et du statut dont il jouit par rapport à celui-ci...Je développerai cela par la suite, un chapitre mérite d'y être consacré...

Pour en revenir à nos cochons, toute personne désirant résider à la Vizcachera est tenue de se présenter au dirigeant (après l'avoir longuement cherché...diraient certains!), une enquête sera faite pour s'assurer de la bonne foi de la personne: elle ne doit pas posséder de terrain ailleurs. On n'octroie pas un terrain à quelqu'un qui n'en a pas « besoin » dans le sens d'y vivre vraiment, avec sa famille --et pas d'en faire un négoce, ou une résidence secondaire, a priori... ( il y a quand même des habitations dont le "propriétaire" est peu présent... Des cas un peu farfelu, comme le montre cette maison nommée "el rancho" par son possesseur, habitants Campoy : "il vient le week-end" !)

L'investigation concerne aussi ses antécédents pénaux, à savoir s'il s'agit d'une personne « de mal vivir » (de mauvaise vie), parce qu'il faut que se soit « gente sana » (des gens sains). C'est d'ailleurs de cela que se vanteront certains habitants à propos de la population de leur quartier : « au moins ce sont des gens sains » à la différence de tant d'autres quartiers malfamés, alors... (on parle souvent de la délinquance à Lima...) Si tout est OK, et que la personne accepte ses devoirs au sein de la communauté, elle sera donc reconnue comme membre et recevra sa petite parcelle, ses 90 ou 100 m2, et libre à elle de construire sa maison comme elle l'entend, et comme elle le peut, sur les versants...

« C'était les parents... et les gens recommandés »

Autant dire que la recommandation joue un rôle charnière pour l'intégration de nouveaux comuneros dans la communauté. Chez les gens des Andes, la recommandation et le système en réseau montre l'importance de la parole et de la confiance qu'on lui attribue. L'un des codes culturels les plus facilement repérables est celui qui concerne l'organisation et la structure familiales. Recommander fonctionne à double sens... on peut recommander quelqu'un ou lui «passer Pie)» (pasar la voz)...

Dans une société où les codes sont informels, les règles adaptables, et où la précarité règne, ce sont les réseaux qui fonctionnent, les rapports, les relations...C'est la parole qui compte, la recommandation de quelqu'un à quelqu'un

Les réseaux

Différents réseaux s'enchevêtrent pour jouer ces rôles de « passage d'info » et de recommandation...D'abord le familial proche, puis éloigné, ensuite le réseau «origine culturelle», parfois professionnel, puis de voisinage. Mais celui de la famille semble être le plus important. De nouveaux peuvent se former peu à peu. C'est souvent, pour ne pas dire toujours, de cette manière que la Vizcachera s'est peuplée...

«Un schéma34 explicatif: un migrant s'installe à Lima, prépare l'arrivée d'un ou deux frères, puis d'une cousine, puis d'un voisin, puis d'un compadre quelconque venu étudier.»

Ces réseaux semblent montrer combien la solidarité est de rigueur entre les gens, dans des espaces d'appartenances (réseaux) et de vie commune. Elle est une condition indispensable de l'existence des habitants dans un nouvel environnement. Et elle fonctionne, même s'il existent des tensions, ces dernières renforcent la solidarité entre le gens du même «camp».

Comment savoir s'il s'agit de gens «sains» s'ils ne sont pas recommandés par d'autres? D'ailleurs, cela commence par la manière dont on est informé des possibilités en un lieu: c'est toujours par quelqu'un de connu qui a «passé la vo>... Autant de réseaux qui fonctionnent et se donnent à voir, a posteriori, à travers les liens entre les habitants. A commencer par le lien familial: d'aucun dira qu'il a un frère, un cousin.. ou quelqu'un de sa famille qui habite aussi là! Si ce n'est pas la sienne, alors c'est celle du conjoint...

Des liens familiaux...Une famille tout entière vient de la Choya (ville minière du département de Huancayo), les grands parents, quelques uns de leurs enfants (3/4) et la fille de l'une d'elle avec son mari et ses enfants. Chacun ayant bien sûr sa propre maison, même si elles ont toutes attenantes!

Maisons d' n'il', famine aargie de la ratoya.'

_free

01.1 !a maison

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nra,.-...;,..11 de mariée à un frère de I.,enaïda. etc.

34 Christophe MARTIN. Ibid.


·

Le père de Zenaïda (veuf) venu de la Sierra après ses enfants, devant chez lui, non loin de là. (on peut noter que sa maison est encore faite d'esteras")

Consuelo est la dernière de sa famille à être arrivée à la Vizcachera, il y a environ 8 ans... Sept de ses frères et soeurs vivent ici, ainsi que sa maman. Ils viennent de El Agustino et se sont tous transférés par ici («il y avait beaucoup de pandilleros35, des gens de mauvais vie »). Et même: sa mère avait une casa propia al Agustino mais l'a vendue pour aller dans un endroit plus tranquille...Elle vient de la Sierra, de Huancavelica* --alors que Consuelo, sa fille (ainsi que tous ses enfants) est née à Lima; elle a donc vécu dans des endroits différents, mais comme pour beaucoup de migration assez ancienne, elle a eu sa casa à El Agustino.

(*Consuelo dira d'abord Huancayo... sans trop oser parler du réel département de sa maman... sentiment de honte par le simple fait de prononcer le mot de la région la plus connotée péjorativement ?)

Des liens géographiques, ou plutôt la cohésion d'un même lieu d'origine, sont patents. Certes, nombreux sont ceux qui viennent de la zone centrale/ centre-sud du Pérou, mais toute une "horde" venant du même district du département de Huancayo, c'est éloquent! En effet, il existe tout un groupe, venu au fur et à mesure mais à peu près au même moment, de gens venant d'un même district de la Sierra... (voir plus loin)

Il s'agit maintenant de retracer le peuplement de la Vizcachera et comment il s'est fait.

35 Les pandillas sont des bandes de jeunes et les pandilleros, ses membres, délinquants, qui défendent également leur territoire à l'intérieur d'un quartier. Cela peut entraîner de véritable affrontement entre pane/lila ...

Histoire du peuplement de la Vizeachera

D'une communauté d'éleveurs de cochons à une « invasion » régulée et contrôlée Dar la communauté...

"Vizcacha": du quechua wiskacha, rongeurs des punas...

ou lièvre des pampas...

Comment comprendre l'histoire de la Vizcachera si ce n'est par les discours des uns et des autres... Comment comprendre les accrochages entre les groupes si ce n'est en écoutant les changements qui ont marqué la vie à la Vizcachera... Comment remonter le passé, si ce n'est en évoquant les souvenirs contés par leurs protagonistes.

Je ne dispose pas de données formelles ni d'archives sur le quartier. Ce que je peux relater, provient de ce que les gens m'ont conté. A travers leurs récits, on peut détacher quelques phases ou étapes de l'évolution du quartier, depuis le moment, presque sublimé, de la fondation.

La fondation et ses fondateurs, des éleveurs...

Le territoire de la Vizeachera, comme l'a décrit le dirigeant actuel, ou d'anciens habitants, a commencé à être habité depuis les années 80, voir fin 70, par le biais de la présence porcine. Les cochons sont arrivés là parce que les gens de Campoy se sont mis à faire de l'élevage de cochons; un espace tout proche leur a été donné pour pouvoir les garder (et ne pas les élever chez eux). La fondation de la communauté campesina remonte à l'année 82 ou 83. Je ne saurais dire pourquoi une communauté en est née, si ce n'est en raison de la présence des éleveurs qui, bon gré mal gré, durent s'installer auprès des animaux... ? En outre, des gens vinrent y habiter en tant que « gardien » des cochons36.

C'est le cas de Marcelino, venu s'installer ici en 83, parce qu'il avait obtenu ce travail "dans les chanchos", tandis que sa femme Cirila restait dans leur casa du cerro "El Pino" --district de La Victoria. Elle le visitait régulièrement jusqu'à ce qu'elle revende sa maison37 et vienne le rejoindre, en 90. Leur parcelle se trouve donc au milieu du quartier, non loin de l'entrée de la chancheria (celle qui donne sur les habitations --

l' autre entrée se trouvant sur le chemin menant au quartier), sur la partie relativement
pampa. Leurs enfants ont grandi auprès de leurs parents et aucun d'eux n'est parti

36 A Lima le métier de gardien est très répandu. Faut-il toujours mettre quelqu'un pour protéger un lieu. un territoire. des biens ? On en trouve pour les maisons. pour les stades, pour les terrains, pour des magasins --dans ces cas. ils disposent d'une petite pièce dans laquelle ils vont vivre...

37 On utilise le terme "maison.' pour traduire le terme -casa-, qui dénote plutôt un "chez soi". un lieu ou l'on habite que ce soit une maison. un appartement, ou une cabane. etc.

s'installer en dehors du quartier, mais, ayant pu récupérer un terrain attribué subséquemment par les parents, ils s'y sont établis avec leur conjoint(e) (peut-être aussi de la Vizcachera)

Dominga : «Je suis arrivée il y a 18 ans (17ans ! corrigera sa fille de 11 ans...!) On vivait à 7 [foyer], au début... ». Elle a habité trois endroits différents de la Vizcachera, après un séjour de quelques années dans sa famille, dans le quartier de Caja de Agua. « J'ai eu un premier terrain : mais il était en bas, et la communauté m'a délogée...puis un autre mais c'était "muy cerro" (très pentu), alors ça n'allait pas pour construire ....j'ai donc acheté un autre terrain sur la pampa, plus grand ». Mais elle a dû le payer plus cher, avec ses quelques économies, fruit de son travail...

La vie a donc commencé avec les chanchos. Tous ceux qui en élevaient ont bénéficié de terrains, comme nous l'avons déjà dit, répartis entre eux, pour eux-mêmes, et pour le futur, pour leurs enfants et petits enfants (et des proches parents)... Il me semble même que certains fondateurs ont reçu des lots mais n'y résidaient pas. Ou bien, ils sont partis s'installer ailleurs au bout d'un certain temps, et parfois, leurs enfants sont revenus pour profiter des parcelles parentales38. On dit que beaucoup de fundadores sont désormais partis, qu'ils ont quitté les lieux, aujourd'hui. (C'est ce qui se redira lors de la fête de la Croix dans la chancheria : ceux qui viennent n'habitent plus ici... I)

Rien ne devait donc perturber l'ordre préétabli par les fondateurs ? Avaient-ils présagé la venue d'une telle « foule » au fil des années ?

Pourquoi avoir choisi ces terres arides et éloignées pour y mettre les cochons ? Simplement parce qu'elles étaient proches des habitants de Campoy, et pour ne pas faire l'élevage dans leurs habitations. A l'époque Campoy comptait encore des champs, grâce à une bonne irrigation et quelques petites usines s'y étaient installées... La Vizcachera était proche du quartier, mais bien éloignée du reste. Peut-être la juridiction des terres hors de la ville, en tant que terres paysannes, facilitait l'installation ?

Qui sont les premiers à être venus s'y installer ? Des gens vivant aux alentours ? Des migrés ? Les exemples dont je dispose, proviennent d'une part de personnes assez vieilles, y habitant depuis longtemps et d'autre part de quelques familles venues des Andes, et dont l'histoire m'a été contée par les enfants aujourd'hui revenus vivre dans les terres acquises par leurs parents- fondateurs. Un couple dont les parents sont originaires du département de Huancavelica (Churcampa pour les uns, Ancash (dans le nord) et Tayacaja pour les autres...) m'a expliqué son parcours et celui de ses parents, fondateurs de la communauté. Une autre jeune dame, Carine est dans le même cas. Ses parents viennent du département de Huanuco et ne vivaient guère plus à la Vizcachera, parce qu'ils étaient partis s'installer (plus dignement ?) dans la zone de Zarate avec toute la famille --hormis la soeur aînée qui est restée. Ils maintenaient un « contact » avec les lieux par les porcs en venant les nourrir quotidiennement. Carine, cherchant à s'installer avec sa famille hors du toit parental et pour éviter la location, est revenue, malgré elle, s'installer dans un de leurs lots, et y construire sa demeure... Ces personnes livraient une partie de l'histoire de leurs parents ; la mémoire à travers les enfants

38 Une pratique courante consiste à récupérer les terrains inoccupés... Or. les terres des fondateurs semblent inspirer le respect de tous. Personne ne les a reconquises. Encore que...1 Certains sont ventis dernièrement poser des murs d'enceinte alun de protéger leur lot d'éventuels gourmands. Est-ce une autoprotection par crainte de l'autre ou est-ce justifié par une réelle usurpation des terres inoccupées ?

Des émigrés de la Sierra à Lima redeviennent éleveurs

S'il s'agit bien en grande partie de migrants de la Sierra à Lima qui sont venus fonder la chancheria, on peut penser qu'il s'agit de paysans andins ayant cherché à retrouver une certaine forme d'élevage. Peut-être aussi parce qu'ils habitaient une zone encore assez "rurale" (Campoy). Faute d'être reproduite, cette pratique a dû être adaptée à un nouveau type de bétail (les porcs ne sont pas les animaux élevé en priorité...), mais surtout une nouvelle forme ! Il ne s'agit plus d'emmener pâturer les animaux, il faut leur apporter à manger...Cette nourriture ne vient plus de la production familiale et des terres, il faut se la procurer, l'acheter...En outre, cet élevage s'est développé à travers une organisation nouvelle, tout en l'insérant dans des cadres paysans...

 

Le peuplement de la Vizcachera a dû se faire progressivement, par la suite, avec quelques phases que l'on peut relever. Les années 90 semblent avoir attiré plus de monde...Nombreuses sont les personnes que j'ai rencontrées qui sont là depuis une huitaine d'années, ce qui correspondrait aux années 97/98... Mais souvent, la durée depuis laquelle ils sont là et l'année d'arrivée ne se corrèlent pas exactement...

Phase Huancayo dans les années 90 (Vieso, Orcotuna --Akko)

"Dans la manzana39, ce sont surtout des Huancaynose ...ils se connaissent tous... ils sont arrivés il y a ... 7 ans". En 98 seulement?! --Vilma, qui habitent dans leur coin...

"Le dirigeant était de Huancayo...c'est pour ça qu'il y a beaucoup de monde de là- bas! "-Lila, de Huancayo!

"Trajd a su gente" : il a ramené les gens de chez lui, ses connaissances, ses proches...

On parle en effet beaucoup des gens qui viennent d'un même district du département de Huancayo, en raison de leur proéminence à côté des autres habitants. C'est un peu comme si le dirigeant de l'époque (dans les années 90) avait fait venir sa horde à la Vizeachera...même si, ethnologiquement parlant, le terme est évidemment inexact. U correspond pourtant bien à ce que tout le monde dit de ce groupe de paisanos41 venant tous de Akko. Ils semblent être plus nombreux dans une zone du quartier...une rue qui monte (et ne cesse de se prolonger) à travers les cerros (une « manzana »). On dit qu'ils se connaissent tous ; ils semblent former un groupe très lié...

Comment ce peuplement de toute une communauté --celle des gens de cette province s'est-il effectué ? Les gens sont-ils venus directement de leur province, ou étaient-ils à Lima ? Peut- être les deux ; d'abord ceux qui étaient déjà à Lima et peu à peu, les migrants potentiels dans la Sierra, à qui l'on a "passé l'info" ? Parfois, on a l'impression que quelques personnes de la communauté migrent et ainsi tâtent le terrain, et le préparent, pour que les suivants qui

Mauzana, c'est un secteur dans tm quartier, un îlot.

4e) Habitants de la région de Huancayo. Sierra. Centrai

41 Le terme « paisanos » correspond aux rapport entre des gens venant d'un même endroit. 11 peut s'agir de compatriote lorsque Fou parle d'une origine nationale commune. En l'occurrence, il s'agit de personnes venant de la même région ou sous région...

hésitaient à partir, puissent les suivre... Parfois, ils suivent le chemin de leurs compatriotes, se rendant compte des possibilités à travers ces derniers.

Il serait intéressant de voir qui part... Sont-ce des familles entières, ou quelques uns des enfants de la famille ; les célibataires, ou les couples... ? En ce cas, ils ramènent parfois leurs vieux parents à la ville... pour ne pas les laisser seuls, même si ces derniers n'ont pas réellement "choisi" cette migration.

Faute de les avoir vraiment rencontré, j'ai plutôt entendu parler d'eux, par leur voisin de la montée... ( qui habitent l'îlot), ou par d'autre Huancainos de la Vizcachera.

Cette petite vieille, de Huancayo nous dit- elle, habite tout en haut de la montée. Elle s'adresse à nous par quelques petites tirades en quechua... Elle vit fort probablement chez ses enfants... Peut-être de passage, en visite à.

ses enfants... mais

sûrement résidente

maintenant...

En effet, il arrive souvent que les parents, un peu âgés, viennent habiter avec leurs enfants, tout en

retournant régulièrement là-bas, dans leur village d'origine. Ainsi, les enfants peuvent s'en occuper. Parfois aussi, ils viennent pour se faire soigner à Lima. Mais très souvent, ils n'aiment guère être à Lima. Certains racontent que leurs parents sont tombés malades parce qu'ils ne s'habituaient pas à Lima. Le lien entre la maladie et la non adaptation est assez fort chez les plus anciens... Signe d'un mal être... Ce sont eux aussi, qui le plus souvent expriment leur désir à être enterrés dans leurs terres... C'est ce qu'a fait la famille de Zenaida : réaliser la volonté de sa maman défunte, venue les rejoindre à Lima depuis quelques temps, en l'enterrant dans sa terre...

« El ano pasado se lleno » - L'explosion de ces dernières années. Les nouveaux arrivés...

« C'est l'année dernière que ça s'est rempli ...en 2004-2003. Avant, on était peu nombreux, phis ou moins 1000, maintenant on est à 2000. Ils [la communauté] ont vendus beaucoup [de terres]. Tous les cerros grandissent, tous cherchent [à avoir! leurs terrains_ »

« Le nouveau président a vendu pas mal de lots. Aux nouveaux. Comme ça c'est eux qui participent... »

Ils ne sont pas les seuls à constater cette « invasion » (on expliquera par la suite comment se manifeste ce moyen informel d'occuper la terre), bien que ce n'en soit pas une au sens qu'a cette pratique courante à Lima. L'invasion est informelle, c'est une occupation de fait sur un terrain, par un groupe. C'est souvent comme cela que naissent des quartiers. Ici, il ne s'agit point de cela, d'autant plus que la Vizcachera se protège de ce genre d'incursion. Il s'agit plutôt du grand nombre de gens qui viennent peser dans le quartier, parce que nombreux. Simplement, la communauté se sent sûrement moins unie, moins reliée : elle n'est plus ce qu'elle était...

Durant la relativement courte durée pendant laquelle je m'y suis rendue, j'ai pu voir de nouvelles maisons apparaître...Et des gens, hommes, femmes et enfants en train de rompre les cerros, de plus en plus pentus, de plus en plus haut, afin d'incruster une maison dans les collines abruptes... Peut être qu'il s'agit des enfants qui sortent de chez leur parents, non loin de là., et qui s'y installent ? Pas sûr, étant donné le nombre de "nouveaux" dont on entend parler.

On les voit nombreux pour la construction --ou plutôt l'aplanissement préalable--, aidés par des proches qui sont aussi à Lima (photo ci-dessous)

« Les nouveaux, dans les latéraux... »

Ils semblent même y avoir une représentation spatiale des habitants. En effet, tout comme les Huancaïnos sont dans la montée (la rue montante qui s'enfile dans les cerros), les nouveaux, sont « éparpillés » dans les parties latérales (flancs des cerros, ou à l'intérieur de ceux-ci). La partie centrale est historiquement habitée par les plus anciens. Ces espaces sont aussi des espaces d'appartenances intermédiaires...

Pourquoi tant d'arrivées ces dernières années? Serait-ce parce que Lima arrive à saturation? Les migrants en quête d'installation seraient-ils toujours plus nombreux? La Vizcachera ne serait-elle plus un endroit "mal vu"...ou serait-elle en train d'acquérir une certaine réputation, offrant un accès facile pour acquérir des terrains ?...C'est peut-être aussi la Julie Directiva actuelle qui cherche à "vendre" plus de lots, et renforcer son nombre de comuneros, pour avoir plus de poids?

De la formation d'un quartier à l'explosion : les changements d'aujourd'hui pour demain. Les mouvements : nouvelles arrivées et relogement

Voir des collines en cours d'aplanissement ou des maisons en cours de fabrication ne veut pas seulement dire que de nouveaux habitants s'installent... Un déplacement à l'intérieur de la communauté est généré par des comuneros, en raison de changement à venir des espaces... Ce sont de nouveaux emplacements octroyés aux habitants en vue de les reloger.

La route du futur

Sur une partie de la pampa et d'un coté des cerros, on parle d'un projet dont il est question depuis des années. Il semblerait que la construction de la route qui doit contourner la grande Lima d'aujourd'hui verra sa réalisation une fois menés à terme les travaux de la terrible et chaotique avenida Grau, dans le centre de la ville. On en parle depuis des années et aujourd'hui cela semble imminent. COFOPRI42 serait même venu dans les demeures en cause pour y faire un état de lieux...Avec pour consigne: plus de travaux, ils ne seront plus pris en compte dans le dédommagement... Cette route traverserait TOUT le quartier, depuis la chancheria jusqu'au hueco, empruntant de manière transversale, le long des cerros, toute une étendue d'habitations...

Cette route est un poids pour tout ceux qui ont construit, au prix de longs sacrifices, les parois, parfois le toit, d'une maison qui se dessine au gré des années. Elle est un bulldozer sur ces années d'installation à la Vizcachera, qui anéantit l'âme de ces lieux, tout comme l'importance du toit établi, avec ses voisins, dans la réalisation personnelle, etc. mais...

r

fl

Cette route est aussi le terrain de projection quant à l'avenir de ce quartier, même si l'on se vante de sa tranquillité, loin du bruit et de la délinquance urbaine, toutes ces calamités urbaines que tous semblent soulagés d'avoir quittées...Il s'agit des fruits que portera cette route qui va changer tout le cours de la vie à la Vizcachera... Autant d'espoirs et de possibilités d'essor d'un quartier qui ne se suffit peut être pas à lui même .Et d'imaginer quel négoce (negocio) on pourra y faire quand le commerce battra son plein, grâce au brassage des gens de passage, à la circulation... Une dame parle de ses terrains à la porcherie, en se disant qu'ils acquerront de la valeur, puisqu'à terme, la chancheria disparaîtra au regard du développement futur et les terres seront le lieu de spéculations, étant donné la rareté...

Certains, comme la famille de Lila, viennent de construire la toiture (on ne manquera pas de redire l'importance de cet acte) et voit déjà leur maison tomber en ruines...D'autres avaient déjà arrêté la construction en cours devant cet anéantissement à venir...

riLa communauté campesina a prévu un espace pour reloger tous les habitants avertis. Un tirage au sort a été réalisé pour leur attribuer des lots. Tardivement, j'ai découvert que la situation était vraisemblablement gérée, les gens montraient leur inquiétude, sans pourtant être si alarmés, étrangement. Comme il ne semble pas y avoir de terrains pour tous, seuls ceux qui se sont manifestés dès à présent seront "sauvés", dans un premier temps.... Lila m'avait emmenée visiter son "autre terrain" qui était en cours d'aplanissement et sur lequel elle prévoyait un bel avenir pour ses enfants43. Mais elle ne m'avait pas encore informée de l'existence de ces lots nouvellement attribués et de la construction en cours, alors que nous discutions souvent du moment où ils devraient partir et ce qu'ils deviendraient... Néanmoins, elle me parlait d'un arbre qu'elle faisait pousser « en face ». Je pensais qu'il s'agissait de l'"autre" terrain (celui où elle m'avait toujours emmenée). Peut-être était-ce l'arbre, le symbole de cette future maison. Lorsque finalement Lila m'y emmena, par hasard, je vis les constructions en cours des uns et des autres. Son frère, qui aujourd'hui habite presque en face de chez elle serait désormais son voisin. Sa voisine allait être Rosa qui vivait de l'autre coté, en bordure du Hueco, au milieu de sa « horde » de La Oroya...

42 COFOPRI, commission de formalisation de la propriété informelle.

43 « On fait un étage pour les enfants, puis c'est eux qui construiront les autres pour leur, famille »... Une autre fois, elle me dira : « on pense faire au l" [RIX7 une salle de billard fils ont effectivement des billards dans la cour J, et eux s'installeront au second La maison pourra faire 4 étages... »). Que de projections

Cette partie ne dispose pas encore d'électricité.. Mais, les futurs "habitants" de cet îlot préparent déjà les "activités"44 qui permettront de réunir les fonds pour l'installation de la lumière... C'est toujours ensemble, entre voisins, entre comuneros, que l'on organise les choses et qu'on se soutient. C'est aussi, parfois, ce qui établit des sous appartenances...

Ensevelis dans le hueco...Quand le relleno avance...

Le Hueco, cette ancienne carrière de sable, ici appelée "mine", a été peuplé sur ses pourtours, toujours sur les versants de collines... Certains ont même eu l'audace de l'installer dedans : à l'intérieur du trou ! Sur le côté certes, mais dans la partie susceptible d'être prochainement ensevelie par les décombres de bâtiments. C'est pour cette raison qu'on les voit « remonter la pente », c'est-à-dire transposer leur habitat dans les hauteurs du trou... Toute une ligne transversale rend compte, par ses constructions en cours, de ce repositionnement des gens vivant dans le hueco. Les concernés semblent ne pas encore vouloir y emménager, mais s'y préparent...

En voyant l'endroit où ils vont se déplacer, on peut se demander si la route ne va pas passer par là, où se redessinent des maisons ? Peut être ne fera-t-elle que longer les habitations...

Le paysage de la Vizcachera change très vite. Le relleno avance, les habitations se déplacent. De nouvelles se forment. Sans cesse. Le trou un jour ne sera plus, une route passera. Je serais sûrement très surprise par l'évolution du quartier lorsque j'y retournerai... !!

Le fait de se réapproprier un passé commun, de lui donner du sens, permet sûrement de souder l'appartenance commune, si nécessaire dans cette conquête du nouveau ; et de créer, ce qui est si nécessaire à la vie, une cohésion entre les membres, une réalité avec laquelle on interagit, dans laquelle on est co-acteur. Une sécurité sur laquelle s'asseoir, loin d'un passé aux semblants de reniement.

 

Préparation de chicharron : le porc frit dans sa propre

graisse...

 

44 On appelle activité cc qu'on organise pour réunir des fonds pour une cause commune, on l'on va inviter les
gens, et quelque par les "obliger" à participer (ça peut être une chicharronada, poilacia . comme nous l'avons

déjà expliqué..)

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry