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Contribution de l'oralité à  l'étude des relations entre les pygmées Baka et les Bantous au sud-est du Cameroun ,des origines à  1960

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par Joseph Jules SINANG
université de yaoundé1, Cameroun - maà®trise 2004
  

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B. L'acculturation

L'une des actions des missions chrétiennes occidentales en Afrique pendant la colonisation a consisté à saper les fondements de la vie religieuse africaine. La culture des Africains était la principale cible de l'oeuvre missionnaire qui y avait repéré une barrière qu'il fallait absolument briser en vue de mieux asseoir sa domination. Toutefois, il convient de relever que les Baka contrairement aux Bantou, n'avaient pas adhéré au message évangélique de façon massive en raison de la solidité de leur système religieux contre lequel les missionnaires avaient engagé une croisade3(*)6. Tant il est vrai que tout système religieux negro-africain repose sur les valeurs de théocentrisme et d' anthropocentrisme3(*)7. Des rites tels le jengui , centre de la vie religieuse chez les Baka, furent déconseillés et taxés de pratiques diaboliques. «Je ne peux plus participer au jengui depuis que je vais à l'église... C'est Satan», nous a confié un Baka converti au christianisme3(*)8.

Cette guerre lancée contre la culture Baka n'avait point connu de succès étant donné que l'édifice était solidement implanté. Les Missionnaires furent contraints de changer d'approche. Pour ce faire, ils se mirent à étudier la culture Baka en vue de mieux la connaître et la pénétrer. Plusieurs d'entre eux se firent initiés dans le jengui. D'où leur l'engouement à mener des études sur les Pygmées. Le père Trilles soutenant cette initiative est exaspéré par l'attitude du pasteur Livingstone qui ne s'adonne pas à la tâche. Aussi s'étonne- t-il qu' : «un missionnaire aussi ardent que l'illustre Livingstone consacre quelques lignes, encore en passant, aux croyances des populations qu'il évangélise»3(*)9.

Les missionnaires ont par la suite procédé à la création de structures d'encadrement en vue de favoriser l'insertion des Baka dans la communauté chrétienne. Ceux-ci étaient admis gratuitement dans les écoles des missionnaires ; ils recevaient des formations en menuiserie, et plus tard étaient utilisés par des scieries et entreprises forestières comme pisteurs ou abatteurs. Les Bantou quant à eux se formaient comme catéchiste dans le but de répandre la bonne nouvelle auprès des deux communautés.

Ainsi, ont évolué les relations entre les Baka et les bantou à cette période charnière de l'histoire africaine. L'équilibre initial marqué par une symbiose socioéconomique due à un impératif de complémentarité, s'est effondré à la faveur des bouleversements de l'époque coloniale, cédant le pas à une relation de dépendance au détriment du Baka. Le fondement économique qui naguère était à la base de la relation avait disparu au profit d'un nouveau rapport d'asservissement. Cette situation perdure jusqu'aujourd'hui ; elle s'est même intensifiée au point de devenir une institution où le Baka est engagé dans un processus de reconversion culturelle.

CONCLUSION GENERALE

L'analyse des rapports entre les Pygmées Baka et les Bantou du Sud-Est Camerounais à la lumière des sources orales, visait à saisir l'évolution des relations entre ces deux sociétés dans une perspective diachronique à partir d'une gamme variée des données de l'oralité.

Au bout du compte, Il ressort que l'éventail des sources orales à même de révéler des informations sur le passé commun des populations ainsi étudiées reste assez large et d'une contribution remarquable.

De toutes les formes explorées, la toponymie est celle qui nous a le plus fourni des informations. Des toponymes, nombreux au Sud- Est, illustrent à merveille la dynamique historique des populations. Ils rappellent des situations allant des migrations à la mise en place du peuplement. Ils situent les lieux de départ, indiquent les sites de bataille et précisent les différents itinéraires, tout en mettant en relief les divers soubresauts que les peuples ont connus.

A cet égard, leur contribution dans la reconstitution de l'histoire des Bangando est appréciable. Ils auront permis d'établir les origines orientales de ce peuple, à partir de la présence dans leurs rites et mythes, du vocabulaire spécifique aux attributs géographiques de cette région: désert, cheval, terre rouge, arabes...se manient avec dextérité dans les traditions ancestrales. Le village Salaboumbé la cité fortifiée, rappelle les circonstances mythiques de la traversée de la Boumba ; les noms de leurs premières habitations, font état du climat social ambiant où ils sont partagés entre angoisse et insécurité.

Il en est de même des Essel qui ont conservé par devers eux, le nom de leur localité d'origine, Mintom. Le cas des villages mixtes créés par force en période coloniale reste palpable par la présence des adjectifs nouveaux et anciens, dans la terminologie des agglomérations. L'attachement des populations à leur passé se manifeste à travers la ré-appropriation au lendemain de l'accession à l'indépendance, de leur nom d'origine.

Plus édifiants encore apparaissent les ethnonymes qui, pour la plupart, voient le jour à la suite des procédures de dislocation ou de structuration des grands ensembles intervenant dans des contextes précis. Ces noms qui indiquent les circonstances de leur baptême, possèdent une lourde charge historique. Ainsi, dans le Sud-Est, nombreuses sont les ethnies dont le nom fait référence à l'ancêtre fondateur. Grâce à ces noms, il est ainsi possible d'établir la filiation entre les différents groupes. C'est le cas des tribus Mpo'oh et apparentés, dont le nom se rattache directement aux ancêtres fondateurs : Mpoumpo'oh, Kozime, Kounabeemb, Mpouomam, Zimé, Mpyémo, Bidjouki ...

Plusieurs clans à la suite de la désagrégation de leur ethnie, à  défaut d'adopter le nom de l' ancêtre dissident, se désignent par les circonstances de cette séparation ; ils répondent par des noms tout à fait différents de ceux de leur groupe d'origine.  L'ethnonyme Bangantou en est une parfaite illustration. D'autres, tout en suggérant leur idéologie de la vie, sont le reflet de la psychologie des peuples. L'exemple des Baka reste patent ; peuple de liberté, leur nom magnifie cet idéal (Bakama). Il en est de même des Bola ne netock dont l'appellation illustre leur caractère belliqueux , élément de dissuasion des voisins.

Bien nombreuses sont les ethnies fondées à la suite des dislocations intervenues à des moments difficiles. Les ethnonymes Bangando et Sanga Sanga qui pour l'un rappelle la traversée du fleuve par la nage à la manière des caïmans (Bengando), et pour l'autre désigne les riverains de la Ngoko, illustrent clairement cette situation.

Grâce aux noms de raillerie que les peuples se donnent, l'on saisit les perceptions réciproques et les idées que les uns se font des autres. Il s'agit là d'un signe patent traduisant la nature des relations entre les différents groupes. Aussi le terme «ebayaga» utilisé par les Bantou pour désigner les Baka et qui signifie rabougri, dur à cuire, nain ou dégénéré montre - t-il bien la perception d'animal mitoyen que les Bantou ont de leurs voisins. On comprend dès lors le mépris dont ils sont l'objet . En revanche, la soumission des Baka aux Bantou se manifeste par le respect aveugle qu'ils leur vouent ; c'est à coeur joyeux qu'ils utilisent les expressions telle « patron», «maître» ou «tuteur» pour designer ceux- ci .

On peut difficilement aborder la question des rapports entre les peuples sans faire référence aux proverbes qui non seulement sont des règles de vie, mais aussi traduisent à bon escient l'état des relations entre les groupes. Ainsi, les Baka appellent à la prudence à travers des proverbes relatifs à la chasse ; ils présentent l'idéal de paix en comparaison avec le bien-être qui prévaut dans l'univers sylvestre , et invitent à plus de responsabilité à travers la métaphore de la collecte du miel.

A la seule évocation de l'adage narguant les Mpyémo, on est assimilé à un Mpoumpo'oh s'attirant ainsi l'animosité rattachée à ce groupe. De la même manière, le dicton relatif à la détention des Mpoumpo'oh chez les Zimé suscite l'amertume de la part de ces derniers.

L'apport de la linguistique reste déterminant en tant que facteur de rapprochement des peuples et élément de différenciation ; elle nous aura rendu facile la distinction entre Mpo'h, apparentés et Ngombé , ainsi que la reconstitution des différents ensembles ethniques.

Les chants ne sont pas moins porteurs d'informations historiques. Suscitant l'allégresse par-ci et l'irritation par-là, ils illustrent de façon éloquente, les victoires des différents peuples. Les Bangando multiplient les adaptations de la chanson composée à l'occasion de leur victoire sur les Zimé lors de la guerre de Salapoumbé pendant les évènements joyeux1(*). Des chansons qui accompagnent leurs rituels nous relatent les épisodes de leurs migrations où le surnaturel intervient sans cesse. C'est ici qu'apparaît la place des totems et des tabous.

Présentés sous forme d'interdits alimentaires, les totems sont les signes visibles des alliances contractées entre l'homme et les forces de la nature. Par leur présence, ils rappellent ce que les hommes leur doivent ; ils les mettent en confiance au même titre que la croix dans les églises, ou encore les saintes images dans les temples2(*).

Pour ce qui est des mythes, ils sont apparus comme des facteurs d'unité entre les peuples. Ils sont tout aussi importants du point de vue historique. Dans le présent travail, ils ont été déterminants dans la compréhension des mouvements migratoires. Tout en précisant l'origine des peuples, ils indiquent les itinéraires empruntés. Ils se sont illustrés notamment dans la traversée des différents cours d'eau : Sangha, Kadey, Boumba...

Plus utile encore a été leur contribution dans l'analyse de la culture de chaque peuple. En tant que véhicule idéologique, les mythes nous auront permis de comprendre les raisons de l'enracinement et de l'épanouissement des Baka dans la forêt. Celle-ci , à travers le mythe de la création chez les Baka , n'est plus un air de repli tel que le laissent entendre plusieurs récits historiques.

Les rites jouent également un rôle similaire . Ils permettent de maintenir les souvenirs en éveil, et sont les points de rapprochements entre les peuples. L'Edio des Bokaré et le Dio des Bangando attestent de l'origine commune de ces groupes telle que présentée par la mémoire collective3(*). Il en est de même du Béka commun à tous les Bakwelé. Aussi intéressant est le cas du jengui dont les Pygmées Aka, Baka et Babinga ont en commun. A travers ce rite, on peut comprendre que ces populations auraient d'abord vécu ensemble avant de se disloquer. C'est à cette occasion qu'ils ont perdu leurs langues originelles au point où chacune est allée adopter la langue du groupe auquel il a été incorporé4(*). Le rite apparaît donc comme un élément d'unité et de rapprochement entre les

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Le mythe de l'éléphant reste très présent dans l'histoire des populations du sud est

peuples dans la mesure où sa pratique reste ouverte à tous ; la participation des Baka et des Bantou au jengui ou au Beka témoigne de façon éloquente de la collaboration entre les deux groupes.

En plus de l'aspect rituel, le jengui fait partie des masques qui, au même titre que d'autres éléments, sont sources d'histoire. Il est à considéré au rang des acteurs de l'histoire , car il est garant des pactes sociaux ; il est la porte d'entrée de la culture Baka, et joue le rôle de justicier suprême.

A la lumière de tous ces éléments, on se rend compte que les rapports entre les Baka et les Bantou remontent depuis les mouvements migratoires. Ces rapports sont tributaires des facteurs historiques inhérents à chaque période.

A l'époque précoloniale, la relation était équilibrée. Entre les deux peuples existait une coopération multiforme dont le partage, l'échange et l'assistance mutuelle étaient les maîtres-mots, dans un souci de complémentarité. L'avènement de la colonisation a créé une rupture. Une nouvelle définition des rapports du fait du contre coup de l'économie coloniale a vu le jour. Le Baka est passé du statut d'associé à celui de prolétaire. Son mode de vie ne fut pas moins affecté. Contraint de s'arrimer à l'économie monétaire, il est passé du statut de chasseur-collecteur habitant la forêt, à celui d' ouvrier agricole contraint de cohabiter avec le Bantou devenu le maître, le patron, le tuteur, dont il adopte la culture. Son alimentation, son model d'habitat et la pratique de l'agriculture sont les premières manifestations de ce processus d'acculturation et d'asservissement qui se poursuit jusqu'à nos jours et dont l'analyse constitue une nouvelle piste de recherche.

Dans cette perspective, il faudra prendre en compte d'autres acteurs tels que l'Etat, l'Eglise, les organisations non gouvernementales qui interviennent dans la chaîne des relations entre ces deux peuples en vue d'assurer leur intégration. Une tâche qui ne manque pas d'enjeux dans un environnement de globalisation où paradoxalement, la résurgence des replis identitaires comme principe de vie , reste pressante. Ceci suggère en filigrane , le problème de choc culturel. Nous ne l'abordons pas dans la classique opposition entre tradition et modernité. Il s'agit plutôt pour nous, d'examiner le frottement de deux cultures africaines, et d'analyser la cohabitation qui en résulte. Une telle ambition insistera donc sur les conflits, les échanges, les alliances, les jeux de structuration où de restructuration.

Le sujet paraît intéressant et nécessite une investigation poussée et une oeuvre de longue haleine. L'étude devra s'étendre au-delà des frontières nationales eu égard au caractère transnational des populations étudiées, et de l'unité géographique que le milieu présente avec les pays voisins. Ce qui place la question au coeur de la problématique de l'intégration régionale. Telles sont les perspectives nouvelles que pourraient interpeller la recherche.

ANNEXES

Annexe I

Université de Yaoundé I

Faculté des arts, lettres et sciences humaines

Département d'histoire

* 36 Mosssus David dans l'entretien qu'il nous a accordé à Massiang le 5 février 2004 nous a dit que les Baka refusaient la religion car Jengui pourvoyaient à leur besoin.

* 37 F. Kange Ewane, Semence et moisson..., p. 61.

* 38 Samuel Ngbenge, entretien du 5 novembre 2004 à Massiang.

* 39 Trilles, L'âme du Pygmée..., p.1.

* 1 Tout en conservant la mélodie, les paroles sont adaptées à la circonstance.

* 2 Les totems sont les symboles qui rappellent la présence salvatrice des forces surnaturelles.

* 3 Ces populations sont de part et d'autre de la Ngoko.

* 4 Le problème de l'existence d'une langue propre aux Pygmées se pose.

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