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L'"arbitralisation" de la cour internationale de justice: une étude critique

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par Pierre Barry NJEM IBOUM
Institut des Relations Internationales du Cameroun - Diplome d'Etudes Supérieures Spécialisées 2010
  

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PARAGRAPHE 1

Les modalités de formulation de la compétence de la Cour internationale de Justice.

Nous ne retiendrons pas ici la saisine par requête unilatérale se rapprochant de la plainte devant les juridictions étatiques. Non pas qu'elle ne soit pas importante mais n'exprimant pas l'idée développée dans cette partie de notre travail156(*). Aussi arrêterons-nous sur le compromis (A) et sur le forum prorogatum (B).

A : Le compromis de règlement judiciaire devant la Cour.

Le compromis est une modalité de saisine de la Cour très usité157(*) « c'est que le compromis permet à chacune des parties d'exprimer clairement son consentement à la compétence de la Cour ; c'est un accord conclu entre les parties à un différend, par lequel elles définissent de façon précise l'objet du litige qu'elles s'accordent à soumettre à la Cour et déterminent les questions auxquelles celle-ci est appelée à répondre »158(*).

Contrairement à la requête unilatérale, parce que porteur d'une volonté commune des parties, le compromis peut opérer comme une transformation ou une dénaturation de l'objet du litige. En effet la Cour doit-elle résoudre le différend réel ? Ou doit-elle répondre à la volonté des parties si elle s'avérait être différente de l'objet réel du différend ? Imaginons pour mieux l'illustrer, un différend portant sur les limites frontalières entre deux États et que ces derniers devant la Cour parlent plutôt d'un différend territorial. Va-t-elle fixer les limites exactes des deux territoires comme cela devrait être le cas ou va-t-elle dire à qui appartient le territoire disputé, ce qui au final ne résoudra pas le problème ? De toutes les façons, le compromis tend à restreindre la compétence de la Cour comme le dit d'ailleurs le Professeur Kamto

« La compétence de la Cour est liée par les diverses indications contenues dans le compromis ; sa juridiction s'exerce dans le cadre de l'objet du différend tel que défini par les parties et la Cour doit répondre uniquement mais complètement, aux seules questions qui lui sont posées par ces dernières ».

Pour autant penseraient certains, la Cour ne « s'incline » pas devant les États fusse devant un compromis. Car comme le pensait le juge Kellog

« Tout compromis qui soumet une affaire à la Cour doit être considéré comme contenant, en guise d'annexe tacitement ajoutée, tous les articles pertinents du Statut de la Cour 159(*)». Le juge Kellog affirmait là une autorité de la Cour, la fonction judiciaire faisant barrage à la volonté des Parties. Mais parfois la pratique est faite de souplesse, le consensualisme l'emportant sur l'institutionnel. Examinons certains aspects du fonctionnement de la Cour.

Prenons la composition de la Cour 160(*); il faut remarquer que c'est bien souvent au travers du compromis que les parties formulent plus clairement leurs desiderata quant aux juges qu'ils voudraient voir siéger dans leur affaire. Loïc C. Marion affirme d'ailleurs à ce propos « [qu'il] est d'ailleurs significatif que les trois chambres constituées depuis la réforme du Règlement, l'ont été à partir d'un compromis 161(*)». Les circonstances d'inauguration de ce procédé tels que décrites par l'auteur en disent long sur les pouvoirs des parties162(*).

S'agissant du déroulement de la procédure, Loic C. Marion nous renseigne qu'elle est dominée par deux principes : la maîtrise de la procédure par la Cour principe qui est « atténué par la spécificité du contentieux international qui est moins directif que le contentieux national dans la mesure où le juge doit, lorsqu'il organise sa fonction juridictionnelle, se renseigner au préalable auprès des parties et, sinon obtenir leur accord, tout au moins tenir compte de leurs observations163(*) ». C'est ainsi que la procédure écrite devant la Cour est généralement organisée dans le compromis. C. Marion en dit même lorsqu'il la compare à la procédure orale que « à la différence de la procédure écrite, où les parties, en fait, fixent l'ordre de présentation des pièces, la Cour a l'entière maîtrise de la phase orale du procès164(*) ». Certes « la Cour, exerçant une juridiction internationale, n'est pas tenue d'attacher à des considérations de forme la même importance qu'elles pourraient avoir dans le droit interne 165(*)», mais est-ce toujours la forme lorsque l'article 46166(*) du Règlement de la Cour formule de façon claire la prééminence du compromis et donc de la volonté des parties dans l'organisation de la procédure ? La Cour pourrait-elle passer outre ce compromis ? Nous ne pensons pas malgré sa nature judicaire que la Cour puisse ou oserait « affronter » les États sur ce plan au risque de les éloigner d'elle et donc de menacer en quelque sorte la paix et la sécurité internationales.

Bienheureuse apparaît la Cour que les États ne vont pas loin ou ne sont pas encore allés loin dans l'affirmation de leur volonté de s'approprier au travers du compromis167(*) les règles d'organisation de la procédure devant la Cour.

B : Le forum prorogatum, compromis bis ?

Ce que le professeur Kamto appelle « concordance a posteriori des volontés étatiques 168(*)» signifie littéralement prorogation de compétence. « Dans un sens technique hérité du droit romain, il s'entend de l'extension, par le consentement des parties à une instance de la compétence d'un tribunal à une affaire qui, d'après les règles ordinaires, ne relevait pas de cette juridiction169(*) ». Ce consentement « après coup » a été formalisé dans le Règlement révisé de 1978 au travers de l'article 38 paragraphe 5170(*). La Cour la définira ainsi, « [plaider] sur le fond, sans faire des réserves sur la compétence constitue une manifestation non équivoque de la volonté de l'État d'obtenir une décision sur le fond de l'affaire [, et donc de reconnaître sa compétence]171(*) ». Procédant peut être d'une façon moins affirmée - dans l'expression de la volonté des États -, le forum prorogatum n'en est pas moins l'expression d'une « arbitralisation » de la Cour.

En effet, autant que le compromis judiciaire - notamment sur l'établissement de la compétence de la Cour -, et autant que le compromis d'arbitrage, le forum prorogatum, en des instants différents, fixe et établi la compétence de la Cour. Comme le dit le Professeur « le forum prorogatum consacre le caractère nécessaire et suffisant de la volonté des parties comme fondement de la compétence de la juridiction internationale172(*). ». Il ne dépend pas d'une volonté unique - celui du requérant - pour que la Cour soit compétente, mais - comme pour le compromis d'arbitrage ou judiciaire - celui des deux parties.

Que ce soit donc par le forum prorogatum et plus fermement par le compromis, les parties arrivent à s'insinuer dans le fonctionnement de la Cour, notamment en maîtrisant sa compétence, mais plus encore.

* 156 Pour autant la saisine par requête unilatérale n'est pas loin d'éclairer sur le comportement arbitral de la Cour. En effet, faut-il le rappeler la mise en branle de la justice de la Cour ne peut se faire sans le consentement des deux parties. De ce fait même comme il y' a saisine unilatérale, il faut par la suite que l'État contre qui la requête est adressé consente à s'engager à l'instance (ce qui produira l'hypothèse de forum prorogatum que nous verrons). S'il ne participe pas il n'y aura pas d'instance. D'un autre coté la saisine unilatérale qui semble démontrer une volonté - celle du demandeur - unique pour déclencher la compétence de la Cour, n'est en réalité qu'une formule diffuse d'expression d'une sorte de clause compromissoire générale. En effet, les États soit en signant la Charte des Nations Unies - et devenant de ce fait partie au Statut de la Cour (art.93 de la Charte des Nations Unies) -, soit en ratifiant tout autre traité qui donne compétence à la Cour pour trancher les différends qui pourraient survenir de l'application ou de l'interprétation de ce traité, forme ainsi préalablement à la survenance d'un litige - définition même de la Clause compromissoire, voir par exemple le protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends en annexe à la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, qui donnera lieu aux affaires Avena, Lagrand, - leur volonté de se soumettre à la Cour. Maintenant, ce déclenchement de compétence peut se faire soit de façon unilatérale comme c'est très souvent le cas, soit de façon concerté. Souvent les Etats concluent des accords soit bilatéraux soit multilatéraux qui contiennent une clause donnant compétence à la Cour pour le règlement de tout litige qui pourrait survenir. Citons par exemple : l'article 20, par.2 de la Convention sur la procédure du consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l'objet d'un commerce international, traité multilatéral conclu à Rotterdam le 10 septembre 1998 ; l'art.66, par.2 de la Convention des Nations Unies contre la corruption, signé à Mérida le 31 octobre 2003 ; ou l'art.9 de l' Accord de gestion et de coopération signé le 14 octobre 1993 à Dakar entre le Sénégal et la Guinée-Bissau ; l'art. 21, par.3 du Traité sur l'entraide judiciaire en matière pénale signé le 25 novembre 1991 à Berne entre la Suisse et l'Australie. Voir sur ce point le site de la Cour à l'adresse : http//www.cij-icj.org.

* 157 Jusqu'à présent (juillet 2009) 18 affaires ont été soumises à la Cour en vertu d'un compromis. Par ordre chronologique (de la plus récente à la plus ancienne) Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour) ; Différend frontalier (Bénin/Niger) ; Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie) ; Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie) ; Projet Gabèíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie) ; Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad) ; Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) ; Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali) ; Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte) ; Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d'Amérique) ; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) ; Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d'Allemagne/Pays-Bas) ; Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d'Allemagne/Danemark) ; Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Belgique/Pays-Bas) ; Minquiers et Ecréhous (France/Royaume-Uni) ; Haya de la Torre (Colombie/Pérou) ; Demande d'interprétation de l'arrêt du 20 novembre 1950 en l'affaire du droit d'asile (Colombie/Pérou) ; Droit d'asile (Colombie/Pérou) ;

* 158 Maurice KAMTO, op. cit. à la p. 387.

* 159 Observations, affaire des zones franches, CPJI, série A, n°24, p.33.

* 160 Voir infra section 2, Paragraphe I, A.

* 161 Loic C. MARION « la saisine de la Cour internationale de Justice par voie de compromis », R.G.D.I.P., 1995, à la p.275.

* 162 Cette formule a été inaugurée dans l'affaire du golfe du Maine. Le compromis entre les Etats-Unis et le Canada, d'une façon tout à fait conforme à la « légalité » formelle, soumettait le différend à « une chambre de la Cour internationale de Justice composée de 5 personnes et constituée après consultation des parties, en application du paragraphe 2 de l'article 26 et de l'article 31 du Statut de la Cour... », Mais dans un contexte qui révélait la ferme intention des parties d'imposer une composition déterminée sous la menace de retirer l'affaire en dénonçant le compromis. Voici d'ailleurs en quels termes s'expriment les parties dans cette affaire : 

« Article II. Si pour une raison quelconque, la chambre visée a l'article 1 n'a pas été constitué conformément aux dispositions du présent traité et du compromis à la fin du sixième mois civil révolu suivant la date d'entrée en vigueur du présent traité, l'une ou l'autre Partie peut dénoncer le compromis à tout moment avant la constitution de la chambre,auquel cas le compromis entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique visant à soumettre à une cour d'arbitrage la question de la délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine entre en vigueur. En cas de dénonciation du compromis, les parties notifient conjointement la Cour internationale de Justice de la discontinuation de la procédure aux termes du compromis.

Article III Si. à quelque moment que ce soit après la constitution de la chambre conformément aux dispositions du présent traité et du compromis, il n'est pas pourvu à une vacance à la chambre d'une manière que les Parties jugent acceptable dans les quatre mois suivant la date à laquelle s'est produite la vacance, I'une ou l'autre Partie peut dénoncer le compromis dans les deux mois qui suivent le délai de quatre mois, auquel cas le compromis d'arbitrage annexé aux présentes entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique visant à soumettre à une cour d'arbitrage la question de la délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine entre en vigueur. En cas de dénonciation du compromis, les Parties notifient conjointement la Cour internationale de Justice de la discontinuation de la procédure aux termes du compromis. ». TRAITÉ ENTRE LE GOUVERNEMENT DU CANADA ET LE GOUVERNEMENT DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE VISANT A SOUMETTRE AU REGLEMENT OBLIGATOIRE LE DIFFÉREND RELATIF A LA DELIMITATION DE LA FRONTIERE MARITIME DANS LA RÉGION DU GOLFE DU MAINE, 29 mars 1979.Affaire de la délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d'Amérique) volume 1 compromis; mémoire du canada. Qu'il s'agisse d'un « ultimatum » (expression du juge Morozov dans cette affaire, Rec. 1982, p.3 et s.) ou, à tout le moins, d'un procédé « inélégant » (propos de Elisabeth ZOLLER : « la première constitution d'une chambre spéciale par la Cour internationale de Justice », R.G.D.I.P., 1982, p.311, n'empêche que la Cour, en faisant droit à la demande des parties, a perdu toute maîtrise sur la composition d'une chambre ».

* 163 Loic C. MARION, ibid à la p.276.

* 164 Loic C. MARION, Ibid. à la p. 280.

* 165 C.P.J.I., 30 août 1924, arrêt, concessions Mavrommatis, Série A n°2, p.34.

* 166 Article 46 du Règlement : « 1. dans une affaire introduite par notification d'un compromis, le nombre et l'ordre de présentation des pièces de procédure sont ceux que fixe le compromis lui-même, à moins que la Cour, après s'être renseignée auprès des parties, n'en décide autrement.[...] »

* 167 Qui apparaît au final comme dangereux pour la fonction judiciaire de la Cour de par la place de choix laissée aux parties de s'introduire dans la mécanique de fonctionnement de la Cour. Possibilités qu'elles n'ont pas avec la requête.

* 168 Maurice KAMTO, op. cit. à la p.392.

* 169 Dictionnaire de la terminologie du droit international (de Jules Basdevant), Paris, Sirey, 1960, p.481, cité par M. KAMTO ibidem.

* 170 Article 38 al 5 « lorsque le demandeur entend fonder la compétence de la Cour sur un consentement non encore donné ou manifesté par l'Etat contre lequel la requête est formée, la requête est transmise à cet État. Toutefois elle n'est pas inscrite au rôle général de la Cour et aucun acte de procédure n'est effectué tant que l'Etat contre lequel la requête est formée n'a pas accepté la compétence de la Cour aux fins de l'affaire »

* 171 C.P.J.I., 26 avril 1928, arrêt, Ecoles minoritaires en Haute-Silésie, série A n° 15, 24 ; CIJ, 25 mars 1948, arrêt, Détroit de Corfou, Rec. 1947-48, 27 ; id., 11 juillet 1996, arrêt, Application de la convention sur le génocide, Rec. 1996, 621. Commentaire article par article de la Charte des Nations Unies par olivier CORTEN, disponible sur le lien http:// www.ulb.ac.be/droit/cdi/Site/Textes_de_droit_international_annotes.html.

* 172 M. KAMTO op. cit. à la p. 393 qui reprend là les propos de Michel DUBISSON in la Cour internationale de Justice, Paris, LGDJ, 1964, p.200.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway