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à‰volution du débat sur la rétroactivité de la norme prétorienne en droit privé : vers un droit transitoire pour la jurisprudence ?

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par Julien MOAL
Facultés des affaires internationales, Le Havre - Master de recherche en théorie générale du droit 2006
  

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Section II / Critique de la rétroactivité du revirement de jurisprudence d'après ses effets.

C'est ici la deuxième partie de la critique sur la rétroactivité du revirement de jurisprudence. Si la règle jurisprudentielle a fait l'objet de critiques du point de vue logique - partant de l'idée que, si la jurisprudence est source de droit, alors elle doit être accompagnée d'un droit transitoire adapté comme toute règle de droit émanant de la volonté d'une autorité -, elle a également fait l'objet de critiques du point de vue des effets de revirements de jurisprudence rétroactifs. Ces critiques sont de deux ordres : elles tiennent à l'effet de cette rétroactivité du point de vue de la sécurité juridique, d'une part, et d'autre part, à l'idée d'un dévoiement de la règle de droit (I) .

Ces critiques n'ont pas été sans influence sur la jurisprudence. Le critère des effets dévastateurs de la rétroactivité de la jurisprudence a inspiré tant les juges du Quai de l'Horloge que les juges de Strasbourg, même si leur doctrine a su se détacher des opinions qui les ont inspiré (II) .

§ I / Le critère des effets : un fondement de la critique scientifique.

Une partie de la doctrine a pu attribuer deux défauts au revirement rétroactif : le changement brutal de norme, sans limitation de l'effet de la norme nouvelle dans le temps est attentatoire à la sécurité juridique (A) ; le refus de limiter l'effet dans le temps de la règle jurisprudentielle nouvelle, à l'instar de la norme écrite, est une façon de dévoyer la règle de droit (B) . Bien qu'il n'y ait pas unanimité sur les solutions à y apporter, l'existence de ces effets, dans leur ensemble, est souvent admise.

A. Conséquences de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle du point de vue de la sécurité juridique.

La valeur de l'argument de l'effet de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle du point de vue de la sécurité juridique peut être apprécié de deux façons : l'argument peut être examiné d'un point de vue juridique (1) , et l'examen aboutira alors au rejet ; l'argument peut être envisagé comme un argument d'équité, voire d'opportunité (2) , et il ne sera pas sans poids.

1) La valeur de l'argument de la sécurité juridique du point de vue du droit.

a. L'invocation d'un principe qui s'impose au juge.

Cet argument a été invoqué à plusieurs reprises dans des pourvois devant la Cour de Cassation. L'argument peut alors être décomposé comme suit.

Le juge peut être appelé, dans son action, à adopter une position ferme sur une question de droit - quelle que soit la nature de cette position : précédent, coutume, phénomène d'autorité, ... Ce faisant, il permet aux justiciables de savoir comment il seront jugés sur cette question de droit. Ce faisant, le juge crée une norme -au sens premier de signification d'un . Cette position du juge a donc une valeur normative.

Les justiciables, pour fonder raisonnablement leurs projets, veillent à la conformité de ceux-ci avec le droit positif. Pour connaître le droit positif, ils examineront la position du juge et fonderont donc leurs actions sur cette position. La position du juge doit donc garder une certaine stabilité, dans les limites du raisonnable, pour respecter les prévisions légitimes que les justiciables ont pu fonder sur cette jurisprudence.

La sécurité juridique est un principe supérieur de notre droit. Un tel principe s'impose au juge. Le juge, par son comportement, ne peut pas porter atteinte à un principe supérieur de notre droit - sauf le cas de la conciliation entre impératifs supérieurs, comme c'est parfois le cas en matière de libertés publiques, par exemple, mais ce n'est pas le cas ici. Donc, il ne peut pas porter atteinte au principe de sécurité juridique. En tant que droit fondamental, le principe pourrait même faire échec à d'autres grands principes du droit.

En faisant évoluer sa position, le juge ne porte pas atteinte à la sécurité juridique. Un droit qui n'évolue pas, c'est un droit qui finit inévitablement par mourir.

Mais en faisant évoluer sa position rétroactivement, le juge porte atteinte à la nécessaire stabilité de sa norme, et donc également aux prévisions légitimes des justiciables ; il empêche les justiciables de se fonder sur une position ferme de sa part. Le juge, en adoptant une norme rétroactive, adopte donc un comportement qui porte atteinte à cet impératif de sécurité juridique qui s'impose à lui.

Le raisonnement est séduisant, d'autant plus que les juges Allemands, suivis par les juges Européens, ont adopté un raisonnement analogue pour fonder un principe de non-rétroactivité de la règle jurisprudentielle dans des cas exceptionnels238(*).

Mais ce raisonnement, pour séduisant qu'il soit, n'en est pas moins erroné du point de vue du juriste de droit privé Français.

b. L'absence de valeur juridique du principe de sécurité juridique en droit Français

Sur cette question, on peut tout d'abord évoquer la tentative de définition que fait Sylvia CALMES de la notion de sécurité juridique : « pour appréhender son contenu exact, l'approche qui paraît la plus adaptée à sa nature est une approche dynamique, de type temporel, qui peut, me semble-t-il, se décliner en trois propositions.

D'abord, dans l'optique de « prévoir », la sécurité juridique se décrit comme la « prévisibilité » - ou encore « calculabilité » - des mesures ou comportements à venir de la puissance publique, ceux-ci ne pouvant pas être susceptibles de survenir de façon totalement inattendue. Cette idée renvoie notamment au principe de légalité, aux changements annoncés par la jurisprudence, à la non-rétroactivité, aux mesures de transition, ou encore au principe de protection de la confiance légitime, reconnu en droits Allemand et en droit communautaire : le droit doit avoir une dimension prospective permettant aux personnes, avec un degré suffisant de certitude, de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes et de leurs actions.

Ensuite, dans l'optique de « savoir » - afin de « prévoir » - , la sécurité juridique présuppose une autre valeur absolue, l' « accessibilité » - ou « saisissabilité », « lisibilité » - qualitative qui, par son double sens formel et matériel, englobe la « palpabilité » et la « mesurabilité » des dispositions prise et des comportements adoptés. Il s'agit donc, d'une part, sur un plan formel, de leur publicité effective, adéquate et suffisante (« palpabilité » donc accès au droit - et aux droits-) . Il s'agit, d'autre part, sur un plan matériel, de leur motivation, de leur cohérence, de leur clarté et de leur précision (« mesurabilité ») .

Enfin, par un phénomène de boucle, à nouveau dans l'optique de « prévoir », la sécurité juridique exige la « stabilité » - ou continuité, constance, permanence, régularité - des situations en vigueur. Une fois émis, les mesures ou comportements peuvent certes être modifiés ou supprimés - cette exigence étant donc relative - , mais seulement selon certaines formes et sous certaines conditions strictement délimitées. Cette idée renvoie notamment aux forces de chose jugée et décidée, aux règles en matière de prescription, de forclusion, d'usucapion, aux validations législatives, au respect des droits acquis, ou à la protection de la confiance légitime là encore. Ces changements, quand ils sont autorisés par ces mécanismes stabilisateurs, doivent en outre être prévisibles, en vertu de la première proposition déjà présentée. »239(*)

On peut rappeler ensuite que les tentatives pour introduire un principe autonome de sécurité juridique - un principe supérieur qui s'imposerait même au juge, bien sûr - , similaire à celui existant en droit Allemand240(*) ne sont pas nouvelles en droit Français. L'idée a séduit de nombreux juristes Français, et plus particulièrement depuis les années 1980. Mais quel en est le résultat concret241(*) ?

En Droit Public, le résultat est mitigé. Le Conseil Constitutionnel en a certes fait un « principe constitutionnel clandestin mais efficient », pour reprendre l'expression de Bertrand MATHIEU242(*). A ce titre, il inspire l'action du juge constitutionnel - « le juge a, de fait, reconnu valeur constitutionnelle aux exigences qui en constituent la substance »243(*) - sans pour autant avoir reçu de consécration explicite244(*). Les usages de ce principe implicite sont variés : Le juge constitutionnel l'utilise ainsi pour veiller à la qualité de la loi, notamment à son accessibilité et à son intelligibilité, mais aussi sa normativité245(*), bref, à sa qualité ; aux « garanties légales devant entourer des exigences de valeur constitutionnelles », par exemple dans les domaines de la propriété ou de la liberté contractuelle ; ou encore dans le contrôle des lois de validation.

Le Conseil d'Etat, quant à lui, s'en est longtemps tenu à une attitude similaire, faisant de la sécurité juridique l'une de ses préoccupations sans jamais l'admettre246(*), sauf dans les matières régies par le droit communautaire, où un principe de confiance légitime a été expressément reconnu par le juge communautaire. Et si, en 2006, la haute-juridiction a reconnu un principe général de sécurité juridique par l'arrêt K.P.M.G.247(*), elle ne semble vouloir en faire usage qu'avec parcimonie et ne l'a pas appliqué à sa propre action.

En droit privé, la question a été traitée sur un mode analogue : la Cour de cassation en tient compte, mais, en quelques sortes, n'en introduit que des principes dérivés sans en faire un principe autonome. La Cour de cassation a ainsi introduit plusieurs principes qui en sont des manifestations pour des sujets particuliers, mais n'a jamais reconnu à un principe de sécurité juridique une valeur générale comme l'a fait le Conseil d'Etat - bien que certains arrêts dans des domaines particuliers aient pu utiliser l'expression pour en désigner des applications particulières.

« le principe de sécurité juridique trouve de multiples expressions dans des principes plus spécifiques tels que l'obligation pour le juge de statuer en fonction du droit applicable au jour de la demande, la non-rétroactivité des normes juridiques, l'effet obligatoire des conventions entre les parties, l'interprétation restrictive des textes d'incrimination, l'existence de délais de recours et de prescription, le principe de la confiance légitime. Un tel constat explique pourquoi le principe de la sécurité juridique « à l'état pur » se rencontre rarement exprimé dans la jurisprudence de la Cour de cassation. La concision de la Cour de cassation, qui n'explique pas pourquoi elle choisit d'établir telle norme de droit plutôt qu'une autre est sans doute aussi à l'origine de cet état de fait »248(*).

En particulier, elle n'a jamais admis qu'un principe de sécurité juridique puisse s'imposer à la jurisprudence, même si, là encore, elle en fait l'une de ses préoccupations, ce qui explique le développement des moyens permettant de lutter contre l'imprévisibilité du revirement - obiter dicta, maîtrise de la publication des arrêts, annonce des revirements au rapport annuel, ... ou en reconnaissant au législateur la possibilité de valider des actes menacés par une jurisprudence nouvelle pour d'impérieux motifs d'intérêt général249(*).

Bref, loin d'être devenu, comme certains auteurs le prédisent pour un avenir proche, un principe autonome de notre droit, la sécurité juridique n'est, pour la Cour de Cassation, qu'une préoccupation qu'elle ne paraît pour le moment, pas prête à reconnaître ; une préoccupation, mais pas un objectif officiel ou un principe autonome. A fortiori, il ne s'agit pas d'un principe supérieur qui s'imposerait au juge - pas encore, du moins.

Revenons-en maintenant au problème précis de la rétroactivité des revirements de jurisprudence. Comme nous l'avons dit, de nombreux pourvois invoquaient l'argument de la sécurité juridique pour contester la validité de l'application rétroactive d'un revirement de jurisprudence : la Cour de cassation ayant exprimé une position sur une question de droit, des justiciables se sont fondés sur cette position pour leurs prévisions. Le principe de sécurité juridique leur donnerait le droit de se voir appliquer cette position sur laquelle leurs actions sont fondées.

Or, lorsque la Cour de cassation change sa position, elle le fait pour l'avenir, mais aussi pour le passé, ce qui remet en cause les prévisions faites sur sa jurisprudence antérieure. Elle évince donc la norme qu'elle appliquait au jour de l'action des requérants, au profit d'une norme apparue postérieurement, sur le fondement de laquelle ils ne pouvaient pas fonder leur action, puisque, par hypothèse, ils ne la connaissaient pas encore. Ce faisant, la Cour de Cassation adopte un comportement contraire à la sécurité juridique.

Ce raisonnement a notamment été invoqué250(*) devant la première chambre civile (arrêt rendu le 21 mars 2000), devant la deuxième chambre civile (arrêt rendu le 8 juillet 2004251(*)), devant la troisième chambre civile (arrêt rendu le 2 octobre 2002252(*)) , et devant la chambre sociale (arrêts rendus le 7 janvier 2003253(*), le 25 février 2004, et le 23 février 2005254(*)) . Dans tous les cas, la réponse de la Cour de Cassation fut la même : le principe de sécurité juridique ne pouvait fonder un « droit acquis à une jurisprudence figée », « immuable » , ou « constante », même quand il est invoqué sur le fondement de l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales255(*). N'ayant aucune valeur, ce principe ne pouvait pas aller contre deux autres principes qui, par ailleurs, étaient reconnus en droit français, à savoir le principe de la déclarativité de la jurisprudence, et la nécessaire évolutivité de la jurisprudence, « l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit ».

Parmi ces arrêts, celui rendu par la deuxième chambre civile est particulièrement intéressant. En effet, la deuxième chambre civile, le même jour, a accepté de limiter l'effet dans le temps d'une jurisprudence nouvelle en ne l'appliquant pas à des faits qui remontaient à avant le revirement256(*). Or, si elle a refusé l'argument de la sécurité juridique, elle a accepté, sur le fondement du droit à l'accès au juge, reconnu par l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Refusé sur le fondement de la sécurité juridique pour des faits analogues - un revirement de jurisprudence sur une question de prescription empêche le requérant de défendre sa cause devant un juge - , la limitation de l'effet de l'arrêt de revirement « changeant la règle du jeu en cours de partie » est acceptée au nom d'un principe radicalement différent257(*). Ce qui confirme que la Cour de cassation refuse de prendre en compte l'argument de la sécurité juridique à propos de la rétroactivité du changement de jurisprudence, alors qu'au moins l'une de ses chambres admet un autre fondement.

2) La sécurité juridique invoquée du point de vue de l'opportunité ou de l'équité.

Il convient tout d'abord de rappeler que, pour les auteurs comme pour le rapport MOLFESSIS, le revirement de jurisprudence n'est pas en soi un phénomène négatif. En abordant la question des « conséquences néfastes attachées à la rétroactivité des revirements de jurisprudence » , le dit-rapport rappelle cette profession de foi : « Evoquer les conséquences néfastes de la rétroactivité des revirements de jurisprudence ne signifie pas qu'il faille condamner les revirements eux-mêmes. Le groupe de travail a entendu souligner la nécessité qu'il y a de distinguer les revirements et leurs effets.

Les revirements de jurisprudence sont la manifestation de la vie du droit, le signe de son adaptation aux faits. Un droit sans revirement de jurisprudence - à supposer l'hypothèse envisageable, ce qui n'est pas - serait au fond un droit entièrement sclérosé. Comme l'a affirmé Yves CHARTIER : « les revirements font partie de la Cour de cassation, comme d'ailleurs des autres juridictions. Une jurisprudence qui ne se modifie pas est une jurisprudence qui se dessèche. Que serait devenu le droit de la responsabilité si la Cour de cassation n'avait pas pu adapter aux circonstances les vieux textes du Code civil ? »258(*)

Il n'est pas envisageable de réserver au législateur la tâche d'assurer l'évolution et l'adaptation du droit aux réalités sociales. PORTALIS l'avait souligné. Maints avantages sont attachés à ce que la jurisprudence change et évolue. Le revirement de jurisprudence est donc avant tout la manifestation heureuse d'une certaine plasticité -nécessaire - de notre droit »259(*)

Il conclut, délimitant le champ à la fois de ses recherches et de la critique : « Ce sont donc les effets négatifs induits par les revirements qui doivent retenir l'attention. Précisément en raison de l'insécurité juridique qu'ils peuvent entraîner. »260(*)

Le Premier Président Guy CANIVET, qui avait commandé ce rapport, n'affirmait pas autre-chose lorsqu'il rappelait que, si « les revirements de jurisprudence engendrent un déséquilibre pour la partie qui succombe en vertu d'une jurisprudence nouvelle qu'elle ne pouvait pas connaître au moment des faits et un déséquilibre de masse pour toutes les situations affectées par la nouvelle règle jurisprudentielle », il ne faut pas pour autant oublier que « le revirement de jurisprudence a (...) pour effet positif de donner une interprétation de la loi mieux adaptée au contexte économique et social mais, dans quelques rares situations, il peut aussi être facteur de désorganisation et de coût »261(*).

La sécurité juridique a été invoquée par de nombreux requérants comme un argument de droit susceptible de s'imposer même au juge. Dans cette optiques, l'argument a toujours été rejeté par la Cour de Cassation, qu'il ait été invoqué contre la rétroactivité de la jurisprudence ou pour d'autres sujets.

Mais en doctrine, la sécurité juridique n'a été que peu invoquée du point de vue du droit. C'est dans des arguments d'opportunité et d'équité que la critique a trouvé toute sa force. Deux arguments ont été envisagés de ce point de vue : le revirement de jurisprudence rétroactif a un impact destructeur sur les situations individuelles (a) ; il a par ailleurs un impact économique non-négligeable (b) .

a. L'impact du revirement de jurisprudence rétroactif sur les situations individuelles et collectives.

a.1) le revirement « à la Française » et ses conséquences : L'argument de la sécurité juridique, dans cette optique individuelle, présente de nombreuses similitudes par rapport à l'argument de la sécurité juridique dans l'optique du droit.

Les principes selon lesquels l'intervention de la Cour de cassation est neutre et se fait sans prendre ses précédents en compte reposent, au moins en partie, sur une fiction. En réalité, la Cour de cassation, en se prononçant sur une question de droit, adopte une position qui a vocation à être ferme, et à s'appliquer au-delà du litige pour lequel ou à l'occasion duquel elle a été adoptée ; lors des pourvois qui lui sont présentés, elle cassera les arrêts et rejettera les pourvois en fonction de cette position.

Les justiciables se fondent donc sur cette position, sorte d'avis émanant des « experts » chargés de mettre en oeuvre la loi, pour s'assurer de la validité de leur action en droit. Les règles jurisprudentielles sont donc à l'origine de prévisions légitimes. Cette question des prévisions légitimes fondées sur la jurisprudence fournira donc un critère de qualité de l'action des pouvoirs publics.

Ces prévisions légitimes devant se faire dans un environnement sécurisé, il est nécessaire d'accorder aux justiciables le bénéfice de la jurisprudence sur laquelle ils se sont fondés au moment de leur prévisions262(*).

Or, les revirements de jurisprudence, s'opérant rétroactivement, ont pour effet d'imposer une position nouvelle - ou « règle » nouvelle, ou « norme » nouvelle, ... - pour l'avenir comme pour le passé. Cette application rétroactive, systématique et non volontaire263(*), a plusieurs effets.

En premier lieu, les justiciables ont fondé leurs actions sur la règle ancienne. Dans la mesure où ce n'est pas cette règle qui leur sera appliquée, mais la règle nouvelle, la rétroactivité conduit à juger les justiciables d'après une autre règle que celle sur laquelle ils ont fondé leurs actions. Ainsi, « le revirement menace des actes que leurs auteurs, sur la foi de la jurisprudence, avaient cru réguliers au moment où ils les ont conclu »264(*) ; les revirements sont donc dangereux en ce qu' « ils modifient dans le passé des millions de situations, alors même que leurs auteurs avaient fidèlement respecté les solutions ou prescriptions alors en vigueur », l'auteur concluant donc à « l'insoutenable rétroactivité » des revirements de jurisprudence »265(*).

Leurs actions, si elles n'étaient donc pas illicites au départ, le deviennent au moment où le juge statue. « Le revirement démasque l'artifice de la présomption de vérité attachée à la chose jugée : vérité hier, erreur aujourd'hui. »266(*).

En deuxième lieu, les justiciables ne peuvent fonder leur action sur la règle nouvelle, puisqu'elle n'est par hypothèse adoptée qu'après que ceux-ci aient fait leurs prévisions. Bref, la norme n'est pas sécurisante. « Ceux qui ont cru que la solution antérieure était du droit sont démentis ; s'ils ont contracté, ils sont floués ; s'ils l'ont intégrée dans leur prévisions, ils perdent tout bénéfice et récoltent des pertes. La croyance commune, synonyme de stabilité, est bafouée. »267(*)

Donc, « le revirement engendre une imprévision dans l'interprétation de la loi. »268(*). Denys de BECHILLON va encore plus loin, écrivant à propos de l'arrêt rendu par la première chambre civile le 9 octobre 2001269(*), que cette jurisprudence « aboutit à placer les acteurs juridiques dans une situation d'insécurité insupportable. Que dire d'autre, en effet, d'un système juridique qui se donne à voir comme dépourvu de toute prévisibilité puisque, selon toute évidence, ses sujets peuvent y être punis, sans préavis, pour des actes ou des abstentions qui ne sont pas illicites au moment où ils sont commis. Et ce plus encore lorsque lesdits sujets n'ont rigoureusement aucun moyen de savoir ou même de penser qu'ils pourraient ou auraient pu, ce faisant, commettre une faute. Qu'on le veuille ou pas, cet engagement de responsabilité là ressemble à celui qu'impose la main d'un dieu terrible, seul connaisseur de ses propres desseins, frappant où bon lui semble des hommes stupéfiés. Pas vraiment à du droit »270(*).

Par ailleurs, cette rétroactivité est associée à ce qui est considéré, nous l'avons dit, comme un dogme : celui de la neutralité du juge, aboutissant à la déclarativité de la norme jurisprudentielle. Or, « pour le justiciable, (...) , il importe peu de savoir si la règle nouvelle qu'on lui impose rétroactivement résulte de l'adoption d'une loi nouvelle ou d'un changement dans l'interprétation jurisprudentielle d'une loi ancienne. Dans les deux hypothèses, le litige est en effet tranché par application d'une règle de droit, pure ou interprétée, dont le justiciable n'avait pas eu connaissance au moment des faits et dont il n'a donc pas pu, par hypothèse, tenir compte dans ses prévisions. La Cour de cassation ne peut donc, à son égard, se retrancher derrière une lecture aussi formelle de l'office du juge ; au regard du justiciable, créancier de sécurité juridique envers l'Etat, le revirement de jurisprudence porte effectivement atteinte à la sécurité juridique »271(*).

Tout cela a conduit les auteurs du rapport MOLFESSIS à affirmer que « le revirement de jurisprudence peut avoir pour effet, en premier lieu, d'imposer aux justiciables l'application d'une règle qu'ils ignoraient et dont ils ne pouvaient anticiper la survenue au moment où ils ont agi »272(*). Plus loin, encore : « on pourrait aisément gloser sur cette imprévisibilité. Elle signe l'incompréhension du droit et dès lors porte en elle son rejet : comment expliquer à un médecin qu'il a commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard d'un patient sans manquement à une règle obligatoire à l'époque où il a prodigué les soins à l'origine du litige ? Comment justifier, sans faire appel à des notions que seuls les juristes manient - sans pour autant y adhérer - , une solution qui défie le bon sens pour s'acquitter de l'effet déclaratif de la jurisprudence ? La rétroactivité comporte ainsi le risque de contredire les prévisions et anticipations des acteurs, alors que c'est le droit lui-même qui les avait rendues parfaitement légitimes »273(*).

Mais l'impact sur les situations individuelles, dans la mesure où la norme nouvelle sera appliquée pour toutes les situations similaires qui seront présentées à la Cour de cassation, s'accompagne logiquement d'un impact sur le plan collectif. En effet, le revirement de jurisprudence ne concerne jamais qu'une cause, mais potentiellement toutes les causes similaires. Dans tous les procès de même type achevés après le revirement, c'est donc une règle nouvelle qui ne pouvait pas être envisagée à l'époque du litige qui sera appliquée rétroactivement à toute une catégorie de justiciables ou de situations ; le revirement , s'il n'est envisagé que du point de vue individuel par les juges qui y procèdent, dans le seul cadre de l'affaire pour laquelle ils se prononcent, a pourtant un impact collectif.

De ce point de vue collectif, la rétroactivité du revirement est donc également susceptible d'avoir un impact économique considérable, et ceci pour deux raisons : comme nous l'avons dit, le revirement a un impact, quantifiable, en ce qu'il menace un certain nombre de situations274(*), mais aussi un impact psychologique en ce qu'il crée une incertitude.

Sur le point, Christian MOULY prenait plusieurs exemples : « Lorsque le 9 février 1988, la Cour de cassation a subitement déclaré que l'article 1907 du Code civil s'appliquait au régime de l'intérêt débiteur des comptes courants, alors qu'elle admettait le contraire depuis un siècle et demi, le Ministère des finances a évalué à cinquante milliards de francs le coût de la rétroactivité de cette décision. C'est la somme qu'aurait dû rembourser les banques à leurs clients pour avoir pour avoir prélevé des intérêts sans en avoir indiqué le taux au préalable, si tous les clients en avaient demandé la répétition. Lorsque le 15 octobre 1991, la même Cour de cassation a affirmé que les déclarations de créance devaient être signés par un mandataire spécialement autorisé, des milliers de créances déclarées par un directeur du contentieux ou un directeur d'agence des banques on été remises en question sans qu'il soit possible de les régulariser en raison de l'expiration des délais. Lorsque le même jour, la Cour de cassation décidait, contrairement à la pratique antérieure, que les sociétés de crédit-bail devaient revendiquer les biens auprès du mandataire liquidateur ou de l'administrateur, des milliards de francs furent perdus, là encore sans possibilité de régularisation »275(*).

« On aura compris que la rétroactivité des revirements de jurisprudence peut placer les acteurs juridiques dans une situation d'insécurité insupportable. Notamment en ceci qu'elle déjoue toute prévisibilité : les sujets de droit peuvent être sanctionnés, sans préavis, pour des actes ou des abstentions qui n'étaient pas illicites au moment où ils ont été commis. Par suite, les revirements peuvent remettre en cause par série des actes ou des agissements dont l'adoption volontaire reposait sur un calcul économique et supposait une organisation logiquement mise en place en considération de la solution antérieure. Le revirement condamne dès lors le schéma instauré sur la foi de la solution abandonnée. Il crée donc un coût a posteriori, puisqu'il affecte des actes qui furent anticipés comme n'en ayant pas »276(*).

Le rapport rappelle également qu'un tel impact économique n'affecte pas seulement les parties au(x) procès, mais également les tiers qui en subissent indirectement les répercussions : « on aurait au demeurant tort de croire que le risque pèse unilatéralement sur les seules entreprises et uniquement sur les seuls secteurs juridiquement structurés et organisés. La répercussion sur le tarif des prestations ou sur le prix des produits, qui peut résulter de la naissance d'une charge imprévue sur les entreprises, affecte potentiellement la situation des consommateurs de ces produits ou services. Ce qui s'énonce autrement : le destinataire final est souvent le premier à souffrir des conséquences économiques et des surcoûts engendrés par un changement de solution. Car il faut bien que les répercussions des revirement soient assumées, souvent par ceux-là même qui étaient censés en profiter... »277(*)

Mais le risque est également d'ordre psychologique : dans l'optique d'éviter des « effets fondamentalement anti-économiques » et à propos de l'arrêt rendu par la première chambre civile le 9 octobre 2001 en matière de responsabilité médicale, Denys de BEHILLON explique que « peu de choses sont moins immédiatement performantes que la généralisation d'un sentiment d'inquiétude lié à l'impondérabilité d'obligations juridiques aussi lourdes que celles susceptibles de peser sur les acteurs du droit de la responsabilité. Mieux vaudrait, à ce propos et de manière générale, ne pas perdre trop de vue le rapport intime qui relie le dynamisme économique à la prévisibilité juridique. Max WEBER avait noté cela il y a longtemps : « Pour les intéressés au marché, la rationalisation et la systématisation du droit signifient en général (...) prévisibilité croissante du fonctionnement de la juridiction, une des conditions les plus importantes à l'existence d'entreprises économiques devant fonctionner de façon permanentes, plus spécialement les entreprises capitalistes qui ont besoin de la « sécurité juridique du commerce »278(*).

Et il ne fait pas de doute que la leçon soit actuelle. Même et peut-être surtout, si le fantasme prend le pas sur la réalité, et que le sentiment d'insécurité juridique dans les entreprises, démultiplié par la connaissance qu'elles peuvent avoir de règles aussi inquiétantes que celles dont nous parlons, excède le contentieux objectif, fût-ce de beaucoup. C'est aussi de la peur qu'il faut craindre les effets.

D'autant plus qu'elle s'exploite aisément. Dans la sphère médicale, en particulier, où l'on sait la prégnance d'une anxiété sévère au sujet de la prétendue « dérive à l'américaine » dans laquelle le droit Français serait embarqué. Postulant que tout le monde y croit en gros, et que personne, sauf exception, ne cherche à savoir si une telle évolution existe, voire si ce mouvement est simplement possible, la voie est d'autant plus royale pour conclure à l'existence bien réelle d'un environnement juridique hostile, pour de bon, au corps médical. Et c'est encore plus vrai lorsque, comme ici, le droit positif se met à ressembler effectivement au film d'horreur que beaucoup de médecins ont déjà dans la tête.»279(*).

C'est également la conclusion du rapport MOLFESSIS : « le peur de l'inconnu que produit le revirement peut avoir des effets d'anticipation, eux aussi préjudiciables à ceux que les revirements entendent protéger. Il n'est ainsi pas dit que les acteurs économiques n'adoptent pas des comportements orientés par la crainte d'un éventuel revirement. Autrement dit, qu'ils expriment d'emblée un manque de confiance dans la règle qui leur est applicable, celle-ci ayant en effet vocation à disparaître rétroactivement.

Cela pourrait se traduire, par exemple, par un surcroît de pesanteurs que s'imposeraient certains, par prévention, et corrélativement par l'existence de contreparties destinées à assumer les coûts d'une règle qui n'existe pourtant pas et qui n'existera peut-être jamais. Le processus d'anticipation des revirements met en scène le combat du rationnel contre l'irrationnel.

Il en ressort à nouveau que le débat sur les revirements n'intéresse pas que les seules parties litige. Les intérêts particuliers ne sont pas - il s'en faut de beaucoup - les seuls à se trouver impliqués dans le jeu. C'est aussi en ce sens qu'un intérêt proprement général s'attache à ce que puisse être modulée l'application dans le temps des créations prétoriennes »280(*).

a.2) Critiques doctrinales et officielles de l'argument de la sécurité juridique : Fonder cette critique de la rétroactivité de la jurisprudence sur le critère des légitimes prévisions des parties n'a toutefois pas été sans amener certaines critiques. Celles-ci ont surtout été adressées aux propositions du rapport MOLFESSIS. On peut notamment évoquer les reproches adressés par le président SARGOS et par Vincent HEUZE.

Pierre SARGOS a ainsi pu écrire que le critère des prévisions légitimes n'était pas adapté, dans le domaine du contrat, à la protection de la partie plus faible281(*) : « une telle critique relève d'une conception que l'on croyait réservée à d'autres temps de l'autonomie de la volonté du renard libre au milieu des poules libres, pour reprendre une image connue.

On a quelques scrupules à rappeler que le contrat de travail met en présence - sauf rares cas d'espèce - des parties fondamentalement inégales, inégalités encore aggravée en période de fort chômage. Comme l'a encore rappelé la Cour de Justice des Communautés Européennes dans son récent arrêt PFEIFFER du 5 octobre 2004, « ...le travailleur doit être considéré comme la partie faible du contrat de travail, de sorte qu'il est nécessaire d'empêcher que l'employeur dispose de la faculté de circonvenir la volonté du contractant ou de lui imposer une restriction de ses droits sans que ce dernier ai manifesté explicitement son consentement282(*).

Comment alors les auteurs du rapport peuvent-ils oser parler, à propos d'une clause de non-concurrence sans contrepartie financière, de « méconnaissance des prévisions raisonnables d'une partie » ? La seule « prévision raisonnable » que peut faire un candidat à un emploi dont dépend sa survie économique est celle-ci : « ou j'accepte la clause sans contrepartie financière, ou bien je n`ai pas l'emploi » . Le salarié est donc en réalité contraint d'accepter la clause de non-concurrence sans contrepartie financière alors même qu'elle porte atteinte, lorsqu'il aura quitté cet emploi, à sa liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle »283(*).

Le Professeur Vincent HEUZE284(*) va plus loin encore : il estime qu'aucune prévision légitime ne peut être fondé sur la règle jurisprudentielle ancienne, la règle jurisprudentielle nouvelle étant par hypothèse meilleure et plus adaptée qu'une règle qui a montré des limites tellement graves qu'elle a été abandonnées285(*).

Il part de l'idée que les auteurs du rapport MOLFESSIS « considèrent que les prévisions des parties sot légitimes par le simple fait qu'elles sont celles-là mêmes que permettait de nourrir la jurisprudence antérieure au revirement. Et ils estiment que, par un raisonnement in abstracto, ils faut tenir ces prévisions pour avérées lorsque le comportement des parties, non seulement a effectivement été dicté, mais encore pourrait l'avoir été par cette jurisprudence antérieure. Ce double-parti est pourtant en contradiction flagrante avec les termes mêmes de la question posée.

En effet, lorsqu'un revirement de jurisprudence est envisagé, c'est, par hypothèse, que la solution antérieurement retenue n'est pas satisfaisante. Et si elle n'apparaît pas satisfaisante, c'est en principe (...) , parce que son application à une espèce donnée conduit à des résultats inopportuns, ou parce qu'elle n'est pas compatible avec l'esprit, sinon même la lettre de la loi. Mais si telle est en effet la cause de l'insatisfaction des magistrats, alors il y a tout lieu de penser que les justiciables qui ont connaissance de cette solution ne peuvent qu'avoir conscience qu'elle est, à tout le moins, discutable, et par suite susceptible d'une remise en cause. Si bien que, s'ils peuvent certainement nourrir l'espoir qu'elle sera maintenue, il est assurément contestable de considérer que cet espoir mérite la qualification de prévisions légitimes ».

Bref, « au lieu de considérer que le droit qui se déduit de la jurisprudence est une oeuvre de la raison, [les auteurs du rapport] le regardent comme un acte d'autorité, derrière lequel celui des plaideurs auquel il est favorable serait toujours autorisé à se réfugier » , alors même que cette oeuvre est - ou devient - inadaptée ou dangereuse.

L'auteur conteste ensuite la validité des illustrations prises par le rapport : « c'est ainsi qu'apparaît fort contestable l'affirmation que les « anticipations légitimes » des parties sont méconnues chaque fois que « le revirement revient à rendre nul tout ou partie d'un acte juridique valable sous l'empire de la solution abandonnée ». Car si la nullité est prononcée, c'est par hypothèse même que l'acte apparaît socialement néfaste ou que la liberté contractuelle a été utilisée par l'une des parties, la plus forte ou la moins scrupuleuse, pour obtenir de l'autre un avantage injuste. Et de cet état de fait, les contractants avaient vraisemblablement conscience ; en tout cas, ils ne pouvaient pas légitimement ne pas en avoir conscience. Par conséquent, s'ils pouvaient sans doute espérer que cet état de fait continuerait à n'être pas sanctionné, la seule chose qu'ils étaient réellement en droit de déduire de la jurisprudence antérieure est qu'il était jusqu'alors seulement toléré. Cette analyse explique en particulier qu'à la différence des auteurs du rapport, on ne voit pas en quoi la Cour de cassation mérite le reproche d'avoir porté atteinte aux prévisions légitimes des employeurs lorsque, rompant avec sa tolérance antérieure, elle a décidé en 2002 qu'une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail ne devait pas produire effet si l'entrave à la liberté du travail qu'elle imposait au salarié était dépourvue de contrepartie financière » .

Mais le Rapport MOLFESSIS prend également le contre-pied d'autres rapports émanant de la Cour de Cassation elle-même. Nous avons déjà évoqué en effet le travail de justification des réponses données par la Cour de Cassation sur le problème de la rétroactivité des revirements, explication apportée par les Conseillers dans les rapports annuels pour les années 2001 et 2003286(*), mais il convient de les citer à nouveau : le rapport annuel pour l'année 2001, comme nous l'avons dit, évoquait le problème de l'interprétation. Sur ce point, il citait, pour montrer le consensus en la matière, les arrêts rendus par la Cour de Justice des Communautés Européenne dans l'affaire BARBER et par la Cour Européenne dans l'affaire MARCKX.

Or, la citation issue de cet arrêt ne fait pas que condamner la vision d'un droit transitoire fondé sur le constat d'une jurisprudence de source de droit, mais elle condamne également l'idée selon laquelle la sécurité juridique pourrait imposer une limitation de l'effet des arrêts de revirement : « Le principe de l'immutabilité de la jurisprudence européenne n'existe donc pas dès lors qu'il existe un motif valable de s'en écarter. On doit d'ailleurs observer que l'arrêt Marckx c/ Belgique du 13 juin 1979, souvent cité, énonçait déjà au § 58 qu' "on ne saurait aller jusqu'à infléchir l'objectivité du droit et compromettre son application future en raison des répercussions qu'une décision de justice peut entraîner pour le passé". »287(*) Bref, les juges du Quai de l'Horloge, sur le modèle de leurs homologues de Strasbourg, ne pourraient laisser la sécurité juridique aller contre ce qui ne serait que le cours normal des choses.

La deuxième condamnation de l'argument de la sécurité juridique était plus précise encore : « dans une période de mutations accélérées dans tous les domaines, il n'est pas étonnant que la jurisprudence, qui n'est que le reflet de l'évolution des pratiques sociales, économiques, politiques ou des mentalités, connaisse elle aussi des changements. Cependant il ne faut pas exagérer l'impact des bouleversements entraînés par la modification de l'interprétation jurisprudentielle d'une norme légale. Relativement rares, et fort heureusement, sont les revirements qui ont notamment un impact économique lourd, voire difficilement supportable pour le passé. Au surplus certaines évolutions étaient largement prévisibles. »288(*)

b. Facteurs pouvant influer sur la gravité de la rétroactivité du revirement.

b.1) Facteurs communs à tous les revirements : Plusieurs facteurs pouvant influer sur l'impact de la rétroactivité ont pu être envisagés, dont on peut citer quelques exemples. Ainsi, la matière dans laquelle le revirement est opéré. « cette gravité de la règle jurisprudentielle est d'ailleurs variable ; il est certain qu'elle est toujours regrettable par le seul fait qu'elle interdit au justiciable de savoir à l'avance quelles conséquences juridiques seront attachées à son comportement, mais le regret n'est pas uniforme »289(*)

En matière contractuelle, par exemple, le revirement a des effets particulièrement dévastateurs : dans une matière où la volonté joue un rôle des plus importants, l'échec des « prévisions légitimes » a un effet particulièrement dévastateur. A propos de l'arrêt rendu par la chambre sociale de a Cour de Cassation le 21 décembre 2004, le Professeur Pierre-Yves GAUTIER explique ainsi qu' « on est en matière contractuelle, où on sait que la prévision des parties, doublant en quelque sorte celle de citoyens, joue un rôle considérable du point de vue de la connaissance et des garanties fournies par le cadre juridique tel qu'il existait au moment où elles ont échangé leur consentement »290(*)

En matière de responsabilité civile délictuelle, par contre, l'effet sera moindre : Comme le résume Alain HERVIEU en une formule pleine d'humour, « il est certain que la jeune Carole METTETAL n'est pas allée s'exposer aux brûlures résultant de l'explosion parce qu'elle savait que la faute de la victime était normalement sans incidence sur son droit à indemnisation !... ».

Un autre facteur, expliqué par Pierre VOIRIN291(*), pouvant influer sur la gravité de la rétroactivité est la possibilité pour les parties à l'acte - si acte juridique il y a - de régulariser l'acte. Un exemple récent a ainsi marqué les esprits : celui du revirement effectué par la chambre sociale en matière de clause de non concurrence le 10 juillet 2002292(*) : l'impact est ici renforcé par la jurisprudence en matière de modification du contrat de travail : « l'employeur n'a en effet pas le droit d'imposer au salarié la révision de la clause et l'introduction d'une juste contrepartie financière, même pour répondre aux exigences jurisprudentielles nouvelles293(*). Or, on sait que ce droit est absolu et qu'il ne saurait être remis en question sous prétexte que la révision lui serait plus favorable ou conforme à la commune intention des parties, comme cela pourrait être le cas »294(*).

Un revirement aura un impact plus ou moins important selon son imprévisibilité : annoncé par des « petits pas », il pourra éventuellement, par exemple susciter des modifications d'un acte juridique menacé ; mais les prévisions des parties sont déjouées « surtout lorsque le revirement est inopiné et surprend par sa soudaineté »295(*). Sur cette question, Christian MOULY notait en 1994 que « les décisions de la Cour de Cassation sont semblables en la forme, qu'elles portent revirement de jurisprudence ou non. Rares sont celles qui sont annoncées et certaines font l'effet d'une bombe : par exemple, l'arrêt du 9 février 1988 annulant les intérêts débiteurs prélevés sur les comptes courants ou celui du 6 avril 1993 annulant les dates de valeur. Leurs conséquences humaines et financières sont considérables, et pourtant leur contenu n'a pas fait l'objet d'un débat de grande ampleur. Parfois, au contraire, le débat est passionné mais la surprise naît de la soudaineté du revirement, après une longue résistance de la Cour de Cassation. L'arrêt DESMARRES en 1982 est un bon exemple.

L'imprévisibilité est aggravée par une motivation insuffisante. Les décisions de revirement ne sont pas davantage motivées que les autres, ce qui revient à dire qu'elles ne le sont pas. Leur compréhension en est rendue difficile et incertaine. »296(*)

Les auteurs divergent sur un point : si l'accord est unanime sur le fait que la rétroactivité des arrêts de revirement « est pire que celle des autres arrêts puisqu'elle les conduit à sanctionner ceux-là même qui se sont conformés au droit antérieur »297(*), tous ne sont pas d'accord sur le fait de ne considérer que la rétroactivité des revirements de jurisprudence ou celle de tous les arrêts de principe.

Ainsi, pour Pierre VOIRIN, « le revirement seul corrode la présomption de vérité attachée à la chose jugée »298(*). Comme nous le verrons, c'est d'ailleurs l'optique choisie par le rapport MOLFESSIS. Mais tel n'était pas le cas de Christian MOULY, qui écrit en 1994 qu'« une solution jurisprudentielle n'intervient jamais dans un paysage juridique totalement vide. Même si la position prise par un arrêt est la première expression judiciaire sur une question, elle peut bouleverser un état de droit antérieur, le plus souvent concrétisé par une doctrine et une pratique communément admises », il en conclut donc que « les arrêts de principe ou de règlement doivent bien relever du même régime transitoire que les arrêts de revirement »299(*)

b.2) Détermination des revirements de jurisprudence dangereux : Le Rapport MOLFESSIS prend comme point de départ pour sa démonstration l'idée que la jurisprudence est à l'origine de normes. Mais les propositions de modulation des effets des revirements de jurisprudence dans le temps ne sont basées que sur la deuxième partie de sa démonstration, celle de l'atteinte à la sécurité juridique : les seuls revirements de jurisprudence qui peuvent poser problème sont ceux qui portent atteinte à la sécurité juridique, correspondant aux « hypothèses dans lesquelles la solution nouvelle déjoue les prévisions des justiciables ; mais « tous les revirements n'ont pas de conséquences injustes ni ne désorganisent les secteurs économiques visés par la décision », ce qui signifie que rares sont les revirements qui nécessitent la mise en place d'un régime particulier. »300(*)

L'identification de ces revirements est alors d'autant plus nécessaire. Les problèmes constatés concernant essentiellement le respect des prévisions des parties, c'est le critère de l'atteinte aux prévisions légitimes des parties au procès qui fournira le critère séparant les revirements dangereux de ceux qui ne le sont pas. Dans la première catégorie, on trouvera les cas où le comportement des parties n'aurait pas dépendu de la solution nouvelle retenue à l'occasion du revirement - c'est-à-dire la plupart des revirements. Il s'agit notamment des revirements visant à améliorer la situation des justiciables, mais aussi ceux qui préjudicient à l'une des parties au litige sans pour autant méconnaître ses prévisions. Le rapport ne donne toutefois pas de critère permettant de détecter a priori ces revirements, mais donne plusieurs exemples : ainsi, la décision d'autoriser la modification de l'état civil des transsexuels ne fait qu'améliorer leur situation sa ns préjudicier à qui que ce soit ; ainsi, le changement dans l'appréciation du caractère d'une nullité et donc du droit d'agir, ou encore la modification d'une règle procédurale telle que les modalités de preuve, le changement d'appréciation de la force probante d'un type de documents, ... ne déjoueront pas les prévisions des parties.

Deux constatations sont d'ailleurs évoquées : le revirement peut préjudicier à une personne, par exemple en la rendant responsable ou en alourdissant ses obligations, sans pour autant porter atteinte à ses prévisions - du moins à ses prévisions légitimes : par exemple, le responsable d'un dommage ne peut légitimement prévoir un acte engageant sa responsabilité parce qu'il sait que la réparation du préjudice par ricochet n'est pas admise. Par ailleurs, le revirement peut affecter une situation contractuelle sans pour autant déjouer les prévisions des parties : le revirement visant à réduire les possibilité d'invoquer la nullité dans les contrats-cadre, par exemple, affecte la situation contractuelle, mais ne déjoue pas les prévisions des parties puisqu'il sauve l'acte qu'elles voulaient conclure - à moins qu'elles aient voulu conclure un acte nul, mais il ne s'agit pas, alors, de prévisions légitimes. L'a priori, la catégorisation n'est donc pas possible de ce point de vue, seule l'appréciation au cas par cas des prévisions des parties permet de mettre en évidence la dangerosité d'un revirement.

La deuxième catégorie concerne les cas dans lesquels la décision de revirer « méconnaît les anticipations légitimes de justiciables », ce qui est le cas à chaque fois qu'un « comportement a été ou aurait pu être orienté par la solution que le revirement entend donner ». Le justiciable a cru en la solution ancienne, il n'est pas juste de lui en refuser le bénéfice. Les deux exemples sont les arrêts rendus le 9 octobre 2001 par la première chambre civile et le 10 juillet 2002 par la chambre sociale.

Reste enfin les cas « à part », qu'il est impossible de ranger dans l'une de ces deux catégories : « la solution retenue en conséquence du revirement peut, selon les cas, déjouer ou non les prévisions des parties. Il en sera ainsi, par exemple, selon que la décision de revirement reviendra à valider ou au contraire à prohiber le comportement jugé. Le prix doit-il être déterminé dans les contrats-cadres pour que ces derniers soient valablement formés ? Un changement de solution conduisant à l'affirmative déjouera les prévisions des contractants en conduisant à la nullité des actes conclu. A l'inverse, un revirement se soldant par une réponse négative ne violera logiquement pas les prévisions contractuelles. » Là encore, seule l'appréciation au cas par cas permettra de déterminer quels revirements peuvent être dangereux.

B. Le reproche d'un dévoiement de la règle de droit.

Des problèmes différents trouvant parfois leur problème dans les mêmes causes, il est également nécessaire d'évoquer le reproche de l'effet de dévoiement de la règle de droit qui a pu être fait à propos du phénomène de rétroactivité de la jurisprudence. Comme nous le verrons, le Rapport MOLFESSIS propose les mêmes solutions, ce problème reposant sur les mêmes causes.

Les conséquences négatives de ce phénomène de rétroactivité reposent sur deux idées : la rétroactivité naturelle viole l'idéal social de la règle de droit (aspect individuel) , mais elle donne également au juge un pouvoir que n'a pas le législateur (1) . Il faudra alors s'attarder plus longtemps sur une conséquence particulière de ce dernier point : le dévoiement de la règle de droit en matière pénale (2) .

Là encore, nous ne cherchons pas, bien sûr à prendre parti sur cette question, mais simplement à expliquer comment les critiques développées à propos du phénomène de rétroactivité de la jurisprudence ont pu marquer les esprits au point de provoquer une possible évolution du droit en la matière.

1) Les effets de la rétroactivité de la jurisprudence sur la conception de la règle de droit.

a. Principe de légalité et rétroactivité de la jurisprudence.

En parlant d'idéal, nous ne cherchons pas, bien sûr à dévaloriser la critique que nous expliquons maintenant, mais simplement à rappeler la dimension dans laquelle se place cette critique. Elle va plus loin que la « simple » insécurité juridique, même s'il s'agit là encore d'un lien de confiance : il ne s'agit plus ici de constater que le revirement anéantit les prévisions des parties, avec, parfois un impact économique redouté, il s'agit de relier ce phénomène à un certain idéal de la règle de droit, lié à l'extension du principe de légalité à la règle jurisprudentielle.

a.1) l'incompatibilité de la rétroactivité avec les objectifs du droit moderne : Cet idéal est notamment expliquée par Denys de BECHILLON301(*), auquel le rapport MOLFESSIS se réfère d'ailleurs au moment d'entreprendre cette analyse : « même pour celui qui, comme l'auteur de ces lignes, cultive une certaine prudence devant le maniement des idées un peu trop abstraites au sujet de mission sociale du droit, il n'est tout de même pas interdit de penser que certaines fonctions sont attachées à l'existence même d'un système juridique au sens moderne du terme. Sous ce rapport, on ne risque pas de choquer grand-monde en avançant que les normes de droit ont pour fonction première de fournir aux personnes un guide et un cadre pour leur action, et que, dit autrement, les obligations juridiques sont là d'abord pour fournir aux sujets de droit des repères et des modèles pour déterminer leur conduite dans le monde. (...) La rationalité sous-jacente à un système juridique tend donc sans équivoque à la satisfaction du même objectif : il s'agit de donner aux personnes des normes pour régler leur comportement. »

Dans l'optique d'un rapprochement entre la norme jurisprudentielle et la norme législative, ce reproche porte donc non plus sur l'idéal de sécurité, mais sur l'idéal de connaissance de la règle. Ce reproche est bien sûr lié à la conception de la jurisprudence comme créatrice de droit, ce qui sera également une faiblesse aux yeux de ceux qui ne partagent pas cette conviction.

« Lorsqu'on a affaire à une règle du même type que celle que formule la Cour dans notre arrêt, cette intention est entièrement déjouée. La règle mise en cause ne peut prétendre avoir eu un rapport quelconque avec la direction publique de la personne jugée pour les faits qui lui sont reprochés, puisque par hypothèse, cette règle ne pouvait rien diriger avant que d'apparaître. Symétriquement - et ce n'est pas forcément le moins grave - elle rend l'utilité sociale de la norme illisible aux sujets de droit dans leur ensemble.

A quoi sert, en effet, de vouloir se conformer parfaitement aux normes en vigueur si l'on ne peut même pas, ce faisant, cultiver pour soi-même la conviction de n'avoir, comme dit l'expression populaire, rien à se reprocher ? A quoi bon l'effort pour agir légalement, si cela n'autorise même pas un minimum de sûreté, raisonnablement entretenue, devant le droit et ses punitions. C'est cette conviction et cette sûreté, primordiales, que la rétroactivité d'une obligation de responsabilité rend impossibles, puisqu'elle revient à punir celui qui n'a transgressé aucune norme et qui ne pouvait même pas chercher à se conformer à elle, puisqu'elle n'existait pas. L'incohérence de tout cela est profonde en regard de ce à quoi sert, à la base, n'importe quel système de droit moderne. Il suffit de lire BECCARIA pour s'en convaincre. »

Les défauts ainsi allégués ont une importance particulière dans certaines matières, dont le fonctionnement recèle certaines particularités. Ainsi, la responsabilité civile : Denys de BECHILLON, à propos de l'arrêt du 9 octobre 2001, en matière de responsabilité des médecins, explique que le décalage entre la règle telle qu'elle existait au moment des faits et celle qui existe au moment du jugement est amplifiée par les « traits « naturellement » associés par la mécanique du droit aux règles impliquées dans la genèse d'une obligation de responsabilité ». Pour cela, il dégage quatre facteurs spécifiques au domaine de la responsabilité civile.

Le point de départ est bien sûr la rétroactivité naturelle de la règle prétorienne : « Jean RIVERO avait en son temps rendu cela éclatant302(*). La règle créée au prétoire l'est forcément après qu'ont eu lieu les faits ou les situations auxquels il s'agit de l'appliquer. On sait bien, d'ailleurs, que les juges Français ont une assez claire conscience de ce trait puisqu'ils ont, souvent, cherché à atténuer son impact en recourant à divers procédés d'adoucissement. »

Le deuxième facteur est le suivant : « toute règle de responsabilité est tournée vers le passé » : « dans tous les cas, puisqu'il est appelé à réparer un préjudice constitué, au moins en partie, le juge a pour mission de statuer à l'expérience, de qualifier une situation désormais donnée, au vu de conséquences déjà produites. » Le contentieux de la responsabilité conduit donc à juger des choix non a priori, mais « dans l'après-coup, au vu des résultats dommageables qu'ils ont pu provoquer. En responsabilité, c'est le passé que l'on juge. Et on le fait toujours à la lumière du présent et de ses preuves. »

Le troisième facteur est « l'anachronisme naturel de la règle de responsabilité », qui est « amplifié lorsque le dommage considéré apparaît longtemps après le phénomène qui est réputé en fournir la cause ». : « tel est le problème rencontré dans la quasi-totalité des cas de contamination sérielles qui font le plus gros de l'actualité juridique en matière sanitaire [amiante, maladie de KREUTZFELT-JACOB, sang contaminé, etc...] : nous sommes portés à qualifier les situations passées avec les catégories et les schémas de perception en vigueur au moment où la question se pose à nous. Or, il est bien clair que ce phénomène de décalage est encore plus sensible lorsque ces évènements sont appréciés des dizaines d'années plus tard, alors que les états d'esprit ont, le cas échéant, changé en profondeur. A fortiori si, comme c'est inévitable, ces événements sont jugés à l'aune des valeurs nouvelles que les conséquences dommageables de ces actes ont précisément fait advenir. (...) Bref, plus le temps passe, plus la distance cognitive s'installe vis-à-vis des catégories de pensée qui régnaient au moment des faits. Jusqu'à les rendre incompréhensibles ».

Enfin, « Cet anachronisme amplifié est renforcé lorsque la règle prétorienne qu'il s'agit d'appliquer crée une obligation de prévention, dirigée vers le futur ». Il s'agit ici de blâmer « les acteurs d'aujourd'hui pour n'avoir pas anticipé pertinemment notre actualité, c'est-à-dire leur futur. »

Le décalage pourrait être atténué par la prise en compte du droit positif tel qu'il existait à l'époque des faits, et non pas le droit au moment où le juge statue. Mais dans la mesure où le juge refuse de prendre en compte la jurisprudence telle qu'elle existait au moment des faits - ainsi, dans l'affaire qui fournit le point de départ de la réflexion de Denys de BECHILLON, la Cour estime que le médecin peut être condamné « alors même qu'à l'époque des faits, la jurisprudence admettait qu'un médecin ne commettait pas de faute s'il ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels »303(*) - , ce décalage sera amplifié jusqu'à créer une « obligation de prévention indéfinie parce que logiquement impossible à satisfaire. ».

a.2) Conséquences concrètes : Cette idée de l'atteinte au principe de légalité n'est pas sans conséquences concrètes : comme nous le verrons, il a provoqué la condamnation de la France à plusieurs reprises ; mais le Rapport MOLFESSIS met également en relief une autre conséquence de la perte de confiance en la norme jurisprudentielle : « une telle insécurité risque de se solder par un surcroît d'actions en justice. Le revirement de jurisprudence, en ce qu'il peut offrir à un justiciable une issue qui mette à mal les anticipations de son adversaire, est facteur de « litigiosité ». Il incite à tenter sa chance pour tirer profit de la versatilité de a règle. D'où un surcroît de pourvois dans les domaines en prise aux revirements »304(*).

Ce problème, comme nous l'avons dit, est lié à la conception normative de la jurisprudence, qui indique tout à fois les effets et les causes de cette situation ; « difficilement supportable, parce qu'elle porte en elle-même une contradiction profonde avec l'idée même d'Etat de droit, cette issue est pourtant inéluctable dès lors que notre système juridique se refuse à admettre que la jurisprudence constitue une source de droit, autrement dit qu'elle est la matrice de situations juridiques qu'il convient d'insérer dans l'ordre juridique.

Comme l'avait démontre Jean RIVERO, « la technique d'édiction de la règle jurisprudentielle qui lie formulation de la règle et application à l'espèce, condamne [le juge] à la rétroactivité : la sécurité juridique se trouve ici nécessairement sacrifiée au progrès présumé du droit ». »305(*)

b. L'idéal de la coexistence entre des règles issues de pouvoirs complémentaires.

Cet idéal est celui d'une création prétorienne qui serait faite en harmonie avec celle du législateur, sur la base de la complémentarité. Cet idée est présentée par Pascale DEUMIER : « chaque source est utile au système juridique par ses qualités propres : la loi présente le cadre général traduisant les orientations décidées par la volonté générale ; la jurisprudence adapte le droit vivant à mesure des cas. Sa capacité d'adaptation au cas, son aptitude à l'évolution, sa précarité naturelle, souvent critiquées comme signes de son incapacité à être source de droit, sont au contraire ses principales qualités car elles sont la manifestation que le droit vivant est bien en mouvement permanent. En voulant poser du droit à l'instar du législateur, elle en adopte les travers en termes de fixité, généralité, distance avec la variété des situations, et ce sans en avoir la légitimité et sans en procurer les garanties d'accessibilité et de sécurité. S'appuyant sur une autorité dont elle est dépourvue, elle perd en puissance, là où la persuasion, la conviction, la présentation du sens pourrait donner un surplus de légitimité à l'affirmation nouvelle de son action créatrice. Il appartient à la Cour de cassation d'assumer ce pouvoir non à la façon du législateur mais à la manière d'un juge : en respectant les contraintes du texte, en recourant aux techniques d'interprétation, en justifiant ses constructions afin que l'acceptation d'un tel pouvoir ne se solde pas par une concurrence entre deux législateurs mais en une complémentarité entre la règle générale et la règle du cas » 306(*).

Or, la rétroactivité de la règle jurisprudentielle s'inscrit dans une négation de cette relation de complémentarité, en ne plaçant pas les deux autorités au même niveau : au titulaire de la potestas, les contraintes de la non-rétroactivité de principe ; à l'auctoritas, la rétroactivité naturelle. Deux aspects sont ici à prendre en compte : le contexte idéologique et les raisons de cet état de fait.

Or, la rétroactivité de la règle jurisprudentielle s'inscrit dans une négation de cette relation de complémentarité, en ne plaçant pas les deux autorités au même niveau : au titulaire de la potestas, les contraintes de la non-rétroactivité de principe ; à l'auctoritas, la rétroactivité naturelle. Deux aspects sont ici à prendre en compte : le contexte idéologique et les raisons de cet état de fait.

Le contexte idéologique est celui d'une remise en cause des schémas classiques de la séparation des pouvoirs307(*). Le rôle du juge face au législateur évolue, celui-ci voit sa légitimité de plus en plus contestée, tandis que le juge, sous la pression de contraintes liées notamment aux engagements internationaux de la France, se voit accorder un pouvoir qu'il ne demande pas toujours, et qui ne devait pas lui être attribué en principe. Or, les craintes liées à cette redistribution du pouvoir interviennent dans le cadre d'une tradition juridique légicentriste, qui fait du législateur le seul créateur de normes légitimes. Dès lors, le fait de voir le législateur faire face à des contraintes de plus en plus lourdes alors que le pouvoir créateur du juge s'affirmerait sans limite participe des inquiétudes grandissantes d'une partie importante de la doctrine.

Ensuite, l'effet négatif visé ici est moins celui de la rétroactivité que celui des prémisses du raisonnement qui aboutit à cette rétroactivité. D'après Christian ATIAS, l'origine de ce déséquilibre serait à trouver dans la négation par le juge de son pouvoir créateur. Ainsi, il explique, à propos de l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation le 21 mars 2000308(*), que « l'enjeu [de cette négation] était bien là : il s`agissait de sauvegarder la liberté de décision judiciaire en lui octroyant ce privilège de rétroactivité dont le législateur n'oserait se prévaloir comme tel.

Plusieurs traits caractérisent l'analyse ici reconduite. Sans les évoquer, la Cour invoque les rapports entre les dispositions légales et les décisions juridictionnelles. La « jurisprudence » est neutralisée ; dissimulée sous la loi, elle évite de s'exposer en prenant rang parmi les sources du droit. Elle y puise la suprématie qui résulte de sa mise à l'écart de tout contrôle, de toute limite.  « L'application » du droit est plus libre que sa « création ». »309(*) La mise à l'écart de la jurisprudence, contexte conceptuel dans lequel s'inscrit la rétroactivité de la jurisprudence, aboutirait non pas à « la neutralité de la jurisprudence ou la jurisprudence sous la loi », mais à « l'immunité de la jurisprudence ou la jurisprudence au-dessus de la loi ».

La critique, bien sûr, ne sera admise que dans l'optique de la reconnaissance d'un pouvoir créateur du juge. Si on préserve toute leur valeur aux prémisses du raisonnement sur la précarité naturelle de la norme jurisprudentielle dans le temps, ou sur le rôle révélateur du juge, alors la critique est relativisée, voire sans aucune valeur. C'est donc là encore de cette conception fondamentale du rôle du juge que dépend le choix entre deux logiques en grande partie incompatibles, d'où une divisions profonde au sein du monde du droit.

2) Le revirement de jurisprudence en droit pénal.

Si l'on admet que la rétroactivité de la jurisprudence peut présenter un danger, alors le revirement de jurisprudence en droit pénal présente un danger tout particulier, du fait des enjeux de la rétroactivité en matière pénale. C'est une donnée qui a longtemps été ignorée par les pénalistes, car le danger d'une jurisprudence source de droit y est dénoncé de façon plus insistante que dans les autres matières.

Pour mieux comprendre les enjeux particulier du revirement en droit pénal, les auteurs du rapport MOLFESSIS avaient demandé à Didier REBUT310(*), Professeur à l'université Panthéon-Assas (Paris II) de préparer une étude sur ce sujet nouveau en droit pénal311(*). Le revirement intervient dans un contexte idéologique particulier, celui d'une crainte toute particulière à la fois de la rétroactivité et du pouvoir du juge ; mais la question ne peut être ignorée dès lors que le rôle créateur du juge est reconnu.

En matière pénale, le spectre de la privation arbitraire de liberté a donné une importance toute particulière au principe de légalité. « Soumises par la Constitution au principe de légalité, les solutions pénales doivent avoir un fondement légal »312(*). La conséquence a été de placer l'application de la norme dans le temps et la jurisprudence dans deux optiques différentes et incompatibles.

Les seules normes reconnues en droit pénal - issues d'un droit écrit, et non d'un droit prétorien - , sont soumises à des principes différents selon qu'il s'agisse des lois de fond ou de forme313(*). Les lois pénales de fond « plus douces » sont rétroactives, tandis que les lois pénales de fond « plus sévères » sont soumises au principe de non-rétroactivité ; les lois pénales de forme sont soumises au principe de l'application immédiate. Etant donnée l'importance des enjeux en la matière, le principe a une valeur constitutionnelle.

L'application de la norme pénale dans le temps est donc soumise à un régime strict. Mais la norme jurisprudentielle en est tenue à l'écart, parce qu'ici, il est justement particulièrement important que le juge se contente d'appliquer la loi sans prendre part à la création du droit pénal. Le juge est donc tenu au principe d'interprétation stricte de la loi pénale, et sa mission est purement déclarative ; ne devant créer aucune norme, il n'est donc pas concerné par les principes qui régissent l'application de la loi pénale dans le temps.

Cette vision des choses a « cependant perdu de sa force avec l'observation de l'importance prises par les solutions judiciaires dans la connaissance du droit pénal. Celle-ci a inévitablement conduit à reconnaître que le juge pénal exerce un pouvoir créateur quand il définit ou précise la loi pénale. Le principe de l'interprétation stricte a en effet cessé d'être considéré comme faisant obstacle à l'émergence d'une jurisprudence pénale, dès lors qu'il est acquis que les lois pénales doivent parfois être précisées ou adaptées. Aussi l'existence de solutions jurisprudentielles complétant les dispositions légales n'est-elle plus guère contestée. »314(*)

C'est dans ce contexte que le régime de l'interprétation jurisprudentielle en matière pénale a été critiqué : laissant les normes jurisprudentielles hors de l'ordonnancement juridique, il avait pour effet de priver les justiciables de garanties d'ordre constitutionnel concernant l'application de la loi pénale dans le temps. C'est en effet « par rapport à ces solutions légales qu'il convient d'apprécier la rétroactivité des revirements de jurisprudence, parce qu'ils ont les mêmes effets que les modifications légales », sans pour autant sortir du principe de la « rétroactivité naturelle » quel que soit leur effet. Les effets de « dévoiement de la règle de droit » sont ici plus graves qu'ailleurs, car ici, ce n'est pas « simplement » l'effet concret de la norme jurisprudentielle, qui est en cause, ou l'incompatibilité de son action avec une vision du droit, mais bien son incompatibilité avec des principes supérieurs de notre droit, des principes d'ordre constitutionnel.

Pour préciser sa pensée, Didier REBUT applique aux revirements les mêmes distinctions que celles prévues pour la loi, rappelant pour chaque catégorie les principes à l'oeuvre en matière législative.

Il étudie tout d'abord les « revirements de fond » prévoyant des règles plus douces. Prévue par l'article 112-1, alinéa 3 du Code Pénal, le principe de rétroactivité est justifié par l'idée de nécessité de la peine : dès lors que le maintien d'une infraction, ou d'une répression d'une certaine force, n'est plus jugé nécessaire pour les besoins de la société, les justiciables doivent bénéficier de cette clémence nouvelle de façon rétroactive. La rétroactivité in mitius a en outre une force constitutionnelle depuis que le Conseil Constitutionnel l'a rattachée au principe de nécessité des peines en droit pénal, déduit de l'article 8 de la Déclaration de droits de l'homme.

« Dans ces conditions, la rétroactivité des revirements de jurisprudence est en parfaite harmonie avec les règles du droit pénal quand elles conduit à adoucir la répression. » Son effet sera alors identique à celui des normes d'origine législatives, mais ne choquera pas, alors même que l'apparition de cette normes serait imprévisible : « il faut en effet rappeler que [l'imprévisibilité de la norme] n'est rejetée en droit pénal que dans la mesure où elle est susceptible de porter préjudice à la personne poursuivie en aggravant la répression à laquelle elle était exposée quand elle a commis son infraction. »315(*)

« A l'opposé, les lois pénales plus sévères sont soumises à un principe de non-rétroactivité. Celui-ci est le corollaire classique du principe de la légalité envisagé comme instrument de protection contre l'arbitraire de la répression. Cet objectif ne peut pas admettre que des peines puissent être appliquées à des faits qui ne les encouraient pas au moment où ils ont été commis. A ce titre, le principe de la non-rétroactivité a été formulé conjointement au principe de la légalité. A son instar, il a pris une valeur constitutionnelle, puisqu'il est expressément affirmé par l'article 8 de la déclaration de droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il a aussi une valeur internationale, étant donné qu'il est posé par l'article 7§1 de la CESDH. Il est par ailleurs prévu par l'article 121-1 du code pénal suivant lequel « sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis » et « peuvent être prononcés les peines légalement applicables à la même date ». »316(*)

Dans l'optique du pouvoir créateur du juge, « la rétroactivité de la jurisprudence lui est bien entendue résolument contraire ; Son application immédiate à l'instance en cours et à l'ensemble des faits identiques qui ont été commis avant lui et qui n'ont pas encore été définitivement jugés conduit à les soumettre à une répression plus sévère que celle qu'ils encouraient au moment de leur commission. L'application récente de l'abus de confiance aux biens incorporels peut servir d'illustration ; Alors que la chambre criminelle refusait classiquement de punir le détournement d'un bien incorporel au motif que le délit d'abus de confiance exigeait la nature corporelle du bien détourné, elle est revenue sur sa jurisprudence dans un arrêt en date du 14 novembre 2000317(*). Nonobstant le fait que la chambre criminelle a pris prétexte d'une modification textuelle de l'incrimination de l'abus de confiance par le Code Pénal de 1992, sa solution donnait bien lieu à un revirement, puisqu'elles s'opposaient à celles qui avaient été données auparavant. Ce revirement a été appliqué à l'instance même qui en a été l'occasion, alors que le prévenu se défendait précisément en invoquant la jurisprudence ancienne sur l'impossibilité de punir le détournement d'un bien incorporel au titre de l'abus de confiance. Il va de soi que cette rétroactivité pose problème au regard du principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères puisqu'elle le transgresse ouvertement. »

L'argument tiré de cette incompatibilité a été soulevée par la suite dans une autre affaire. A partir d'un raisonnement par analogie avec les principes de l'application de la loi pénale dans le temps, et s'inspirant des principes gouvernant la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme en matière de prévisibilité de la jurisprudence pénale318(*), le pourvoi concluait que l'application rétroactive d'un revirement de jurisprudence constitue une atteinte au principe de légalité. La chambre criminelle a rejeté le pourvoi dans un arrêt rendu le 30 janvier 2002, estimant que le principe de non-rétroactivité est prévu pour une « modification de la loi pénale » et non pas pour une « simple interprétation jurisprudentielle » 319(*).

« C'est une position éminemment formaliste qui entend attacher la non-rétroactivité aux seules solutions qui émanent d'une norme de nature légale. Elle ignore le fait que la jurisprudence peut avoir la même valeur normative et que, de toute façon, sa modification produit les mêmes effets. C'est incontestable quand ce changement conduit à punir un fait qui ne l'était pas auparavant ou quand il conduit à l'exposer à une répression plus sévère. Cette application formaliste et, au bout du compte, étriquée du principe de la non-rétroactivité s'écarte des objectifs du principe de la légalité par-delà l'apparence de son respect. Si elle semble s'accorder avec lui en refusant d'assimiler la jurisprudence à la loi, elle le méconnaît substantiellement en permettant qu'une répression plus sévère puisse rétroagir, et, à ce titre, s'appliquer à des faits commis avant sa prévision. Elle est en outre exposée à être considérée comme incompatible avec la Convention Européenne, dès lors que celle-ci inclut la jurisprudence dans les sources du droit soumises à ses stipulations. Dans ces conditions, l'application rétroactive d'un revirement de jurisprudence apparaît contraire à l'article 7§1 CESDH, puisqu'il conduit à soumettre un fait à une répression plus sévère que celle qu'il encourait quand il a été commis. »320(*)

Le dernier point concerner les normes en matière pénale relatives à des questions de procédure et de prescription. Le principe est ici celui de l'application immédiate. A distinguer du principe de rétroactivité, ce principe conduit à l'application des dispositions nouvelles aux instances en cours, sans pour autant conduire à l'annulation des actes de procédure valablement accomplis sous l'empire des dispositions anciennes. « Supposées porteuses d'améliorations procédurales, elles doivent être appliquées immédiatement ; Cette application immédiate ne se heurte pas en outre à l'exigence de prévisibilité de la répression en raison de l'absence présumée d'effets répressifs des lois de procédure. Ayant pour objet les procès pénal, les lois de procédure n'intéressent pas les infractions, ce qui explique qu'elles n'ont pas d'incidence répressives. »321(*)

Ici, l'effet de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle n'est évidemment pas calqué sur l'effet de la norme d'origine législative : elle va plus loin, « puisqu'elle conduit à remettre en cause les actes qui ont été accomplis sous l'empire des solutions jurisprudentielles précédentes. »322(*) La norme jurisprudentielle est donc porteuse d'une certaine insécurité, qui n'est, là encore, pas contraire à la conception formaliste de la norme jurisprudentielle, mais entre en contradiction avec les objectifs du principe d'application immédiate. La norme n'a donc pas le même effet selon qu'elle est d'origine législative ou jurisprudentielle, aboutissant à neutraliser les principes constitutionnels prévus pour cette matière.

Didier REBUT illustre son propos avec le revirement intervenu sur la recevabilité des actions civiles des associés et des actionnaires en matière d'abus de biens sociaux : « après avoir admis qu'un actionnaire ou un associé engage une action civile en réparation du préjudice personnel que pouvait lui causer l'abus de biens sociaux du dirigeant, la chambre criminelle est revenue sur sa solution en estimant que le préjudice né de la dépréciation des titres ou de la dévalorisation du capital social à la suite d'un abus de biens sociaux était un dommage subi par la société elle-même et non un dommage propre à chaque associé. Ce revirement s'est appliqué rétroactivement, ce qui a conduit à déclarer irrecevables des actions civiles qui ne l'étaient pas quand elles avaient été engagées. Un plaideur a précisément contesté cette application rétroactive d'un revirement de jurisprudence au motif que « lorsqu'une nouvelle jurisprudence conduit à violer un droit garanti par la convention Européenne, le principe de sécurité juridique s'oppose à ce que cette jurisprudence soit rétroactive et fasse disparaître un droit qu'elle consacrait jusqu'à la date du revirement » et que « le revirement restreignant à la seule société le droit de se constituer partie civile du chef d'abus de biens sociaux ne peut être opposé à l'actionnaire qui s'était régulièrement constitué partie civile en l'état du droit positif alors en vigueur ». La prétention a été repoussée par la chambre criminelle qui a répété sa solution selon laquelle « le principe de non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle »323(*). Cette position n'est pas surprenante dès lors que la chambre criminelle admet même la rétroactivité des revirements qui ont pour effet d'aggraver la répression. Il n'empêche que la rétroactivité des revirements de procédure met à mal la sécurité juridique en permettant la remise en cause d'actes sur le fondement de solutions qui ne leur était pas applicables au moment où ils ont été accomplis. Elle s'écarte donc de la solution légale de sorte que la question de son maintien peut donc être posée. »324(*)

La logique gouvernant les principes constitutionnels de l'application de la loi pénale dans le temps était basée sur le principe de légalité, lui-même basé sur l'idée d'une certaine sécurité juridique. Or, ce même principe de légalité, en enfermant l'interprétation jurisprudentielle dans le principe de l'interprétation stricte, est également à l'origine d'un problème d'incompatibilité de la norme jurisprudentielle avec cette nécessaire sécurité juridique : la création d'une norme pénale étant un acte grave qui ne peut être accompli que par le législateur, le principe de légalité conduit donc à écarter l'interprétation jurisprudentielle de la hiérarchie des normes, alors qu'elle aurait précisément été le motif d'une extension des garanties entourant la loi pénale.

En appliquant strictement le principe de légalité dans ses deux applications, la chambre criminelle s'est donc enfermée dans un paradoxe : appliquant strictement les principes prévoyant des garanties pour l'application de la loi pénale dans le temps, elle ne pouvait que laisser les normes qu'elle crée - quelle que soit la nature de ces normes - hors du champ justifiant l'intervention de ces garanties, alors même que ces garanties sont d'ordre constitutionnel.

Bref, on peut conclure sur cette question en expliquant que, pour une partie de la doctrine, le revirement de jurisprudence est un bienfait, mais que sa rétroactivité naturelle, dans l'optique du pouvoir créateur de la jurisprudence, a naturellement des effets négatifs. D'après cette partie de la doctrine, la jurisprudence consiste, pour la Cour de Cassation, à affirmer une position sur une question de droit, et notamment sur le sens à donner à une règle de droit, position d'après laquelle elle déterminera la solution des litiges qui suivront et présenteront les mêmes caractéristiques.

Dans une certaine mesure, peu importe la nature de cette solution, puisqu'on constate que la rétroactivité de la règle jurisprudentielle conduit non seulement à priver le justiciable du bénéfice de cette position sur laquelle il s'était fondé pour déterminer son action, mais encore à lui appliquer une règle qu'il ne pouvait connaître au moment de son action. Car cette réalité comporte deux inconvénients majeurs : les justiciables, qui ont besoin de la jurisprudence pour connaître le droit qui leur est applicable, sont alors dans l'impossibilité d'agir dans un environnement sécurisé. Il y a alors atteinte au principe de sécurité juridique, ce qui n'aura aucune incidence sur un plan strictement juridique, puisque le principe de sécurité juridique - s'il existe - ne pourra pas être appliqué à l'action du juge. Mais dans l'optique de l'opportunité et de l'équité, la rétroactivité du revirement aura des inconvénients graves qu'on ne peut ignorer ; le droit ayant une finalité, et s'inscrivant dans un contexte, les critères de la qualité du droit ne peuvent être exclusivement juridiques.

Le deuxième inconvénient est le dévoiement de la règle de droit : la règle ne peut plus fournir un cadre aux actions des justiciables, un cadre a priori, du moins, leur permettant de se fonder sur la loi pour avoir une attitude conforme aux besoins de la société ; quant à la deuxième atteinte, c'est la constatation que le juge, qui ne devrait, d'après son statut constitutionnel, n'être qu'une simple « autorité », dispose alors dans son action d'un pouvoir plus fort que le législateur.

Cette critique n'est pourtant pas admise par une autre partie de la doctrine, ce désaccord ayant parfois été relayé par la Cour de Cassation elle-même. Le désaccord peut alors porter sur deux points. La première attitude consiste à relativiser les effets négatifs de la rétroactivité de la jurisprudence, sans nécessairement les nier ; la conclusion est alors la suivante : pourquoi remettre en cause les principes dirigeant l'office du juge, puisqu'il n'y a là que des inconvénients, sinon mineurs, du moins exceptionnels325(*) ?

Le deuxième reproche est de rappeler que la constatation de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle doit, par hypothèse, partir de la constatation d'un certain pouvoir créateur de la jurisprudence. En partant du postulat de l'absence de normes jurisprudentielles - légitimes, du moins - , la conclusion est que ces reproches, pensés dans l'optique du pouvoir créateur du juge, ne concernent pas un phénomène légitime, mais surtout qu'ils aboutissent à la remise en cause de principes nécessaires : la déclarativité de la jurisprudence est avant tout un corollaire de la séparation des pouvoirs dans sa conception stricte. La mise en balance de ces deux données - les principes fondant l'office du juge et les inconvénients de l'action du juge dans la pratique - aboutit alors à assumer ces inconvénients au nom d'impératifs supérieurs326(*). S'il n'y a pas de « droit acquis à une jurisprudence figée », c'est parce que « l'évolution de la jurisprudence relève de l'office du juge dans l'application du droit » ; et si tel est son office, c'est parce que la jurisprudence doit nécessairement évoluer, et même, parce qu'il est vital que la jurisprudence évolue.

Dans l'optique de la critique, on rappellera que des problèmes différents sont parfois liés. Celui du champ d'application de la règle jurisprudentielle, « naturellement rétroactive » d'après cette partie de la doctrine, est lié aux problèmes que nous venons d'expliquer, et qui sont allégués par cette même doctrine. Les causes sont identiques : le juge ne peut limiter le champ d'application de la norme qu'il produit. La solution préconisée ici est donc la même : la limitation du champ d'application de la norme jurisprudentielle, éventuellement dans l'optique de ne pas porter atteinte aux prévisions légitimes des justiciables.

Cette solution, la Cour de Cassation l'a utilisée à deux reprises, comme nous allons le voir maintenant, mais en se fondant sur une autre préoccupation, celle du droit à un procès équitable. La Cour de Strasbourg, quant à elle, a pris position sur ce sujet depuis les années 1990, et a depuis condamné la France à plusieurs reprises.

§ II / Le critère des effets : un fondement de la critique par les juges.

L'inquiétude quant aux effets de la rétroactivité de la jurisprudence n'est pas uniquement le fait de la doctrine. Si la Cour de cassation s'est prononcée pour la thèse de la déclarativité, assumant les conséquences négatives de ses postulats, elle a aussi ménagé une exception dans ses principes, estimant que ceux-ci peuvent, en certaines hypothèses précises, ne pas être conformes à certains principes qui s'imposent même à la loi, et a fortiori à la jurisprudence (A) . La Cour de Strasbourg, quant à elle, ne partage pas les conceptions de la Cour de Cassation quant à la place de l'interprétation jurisprudentielle dans la hiérarchie des normes, ce dont elle tire certaines conséquences quant aux effets de cette interprétation, et notamment quant à sa prévisibilité (B) .

A. L'hypothèse de l'atteinte au droit à un procès équitable par la rétroactivité de la jurisprudence.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, pour trancher un conflit entre deux impératifs, a pris l'initiative de procéder à un revirement pour l'avenir (1) ; Après avoir expliqué comment et pourquoi elle a procédé, nous nous pencherons sur la portée de cette solution (2) .

1) Le résultat d'un conflit entre deux impératifs.

Cette hypothèse de l'atteinte au droit à un procès équitable par la rétroactivité de la jurisprudence a été envisagée pour la première fois dans un arrêt de la deuxième chambre civile le 8 juillet 2004327(*) à l'initiative de la Cour de Cassation elle-même.

En l'espèce, comme nous avons pu le dire, « la discussion portait sur les conséquences de l'interruption de la prescription de trois mois prévue par l'article 65-1 de la loi de 1881 à propos des atteintes à la présomption d'innocence : le délai courant après l'interruption était-il le délai ordinaire ou, à nouveau, le délai de trois mois ? Alors que la Cour d'appel a estimé que la demanderesse n'avait pas à « réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action engagée », la deuxième chambre civile décide au contraire que « ces dispositions spéciales d'ordre public dérogeant au droit commun, le délai de trois mois courait à nouveau à chaque acte interruptif de la prescription abrégée prévue par ce texte »328(*). La Cour de Cassation abandonne donc une règle qu'elle a définie dans un arrêt du 4 décembre 1996.

En principe, la thèse de la déclarativité aurait dû inciter la Cour de Cassation à appliquer la règle jurisprudentielle nouvelle à l'instance en cours : l'intervention du juge est neutre, comme nous l'avons dit, elle ne doit viser qu'à clarifier la loi, et n'est donc pas autonome ; elle s'incorpore à la loi, et l'entrée en vigueur de ce régime substantiel - qui n'est basé que sur une interprétation - est donc la date d'entrée en vigueur de la loi interprétée. Le même jour, la même chambre a d'ailleurs réaffirmé cette solution : « les exigences de sécurité juridique et la protection de la confiance légitime invoquées pour contester l'application d'une solution restrictive du droit d'agir résultant d'une évolution jurisprudentielle, ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante, dont l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du droit »329(*).

Pourtant, la Cour de Cassation a choisi de retarder l'entrée en vigueur de cette règle jurisprudentielle nouvelle : « si c'est à tort que la cour d'appel a décidé que le demandeur n'avait pas à réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action engagée, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales »330(*). Ce faisant, la Cour de Cassation décide donc de limiter la portée dans le temps de sa propre jurisprudence, procédant donc à un revirement pour l'avenir.

Rappelons-le : l'objet de la règle intervenue ici était bien particulier : il s'agissait d'une règle de prescription, moins favorable que l'ancienne règle pour le demandeur. Celui-ci n'avait respecté que les exigences de l'ancienne règle, moins contraignante. La règle aboutissait ici à rendre nulle toute la procédure, sur le fondement d'une règle que les parties ne pouvaient pas encore connaître puisqu'elle n'a été adoptée que dans l'arrêt du 8 juillet 2004. Le demandeur ne pouvait pas prévoir l'intervention de la règle jurisprudentielle nouvelle, et ne pouvait donc pas se conformer aux exigences procédurales nouvelles.

Or, en l'espèce, l'intervention de la règle nouvelle ne concernait pas l'issue du litige mais son existence-même. Elle ne concernait pas la solution au fond, mais la possibilité d'engager la procédure. La question n'était pas de savoir si les parties pouvaient prévoir ou non l'intervention de la règle qui allait trancher la procédure, mais de savoir si les parties pouvaient ou non engager l'action d'après les exigences procédurales nouvelles.

Ce n'est donc pas en soi l'intervention rétroactive de la règle nouvelle en cours d'instance qui est en cause. Ce qui est en cause, c'est la possibilité même de défendre sa cause devant un juge. Et cette possibilité, garantie par l'article 6§1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, aurait été anéantie si une règle moins favorable au demandeur était intervenue en cours d'instance alors que celui-ci, ne pouvant connaître son existence, ne l'avait pas appliquée. Le résultat était donc bien plus grave.

C'est ici qu'interviennent donc deux impératifs contradictoires : d'un coté, la volonté d'adopter une position nouvelle, s'inscrivant dans le cadre d'une politique jurisprudentielle confirmée depuis une dizaine d'années331(*) ; d'autre part , le droit de défendre sa cause devant un juge, garanti par une norme à laquelle l'article 55 de la Constitution de 1958 confère une valeur toute particulière, puisqu'elle s'impose même au législateur. A fortiori, elle s'impose au juge, qui ne doit pas, par son comportement, empêcher une partie de défendre sa cause devant un juge.

Nous avons dit que le principe de sécurité juridique, s'il existe en droit privé Français, n'avait pas une force telle qu'il puisse aboutir à la remise en cause des principes fondant l'office du juge. Mais l'article 6§1 a, quant à lui, cette force obligatoire qui s'impose au juge dans son action. Entre ces principes qui dirigent l'action du juge - entre autres la règle de rétroactivité naturelle - qui sont déduits des articles du Code civil, et l'impératif de ne pas entraver le droit de défendre sa cause devant un juge, la Cour de Cassation ne pouvait que trancher en faveur de la règle imposée par une règle qui ne plie que devant la Constitution.

L'objectif de la Cour de Cassation étant donc d'adopter une règle nouvelle qu'elle estime nécessaire sans pour autant empêcher le justiciable de défendre sa cause, la Cour a donc procédé en trois temps.

Dans un premier temps, elle a reconnu l'existence d'une règle de droit ; ceci facilitait grandement sa démarche, voire la rendait tout simplement possible. Ce qui était en cause en l'espèce était donc bien plus que la simple clarification d'une loi obscure -une interprétation, dont la chambre criminelle a pu dire que le principe de non rétroactivité ne s'y applique pas332(*). - , il s'agissait bien d'une règle s'intégrant au droit positif de façon autonome. Elle parle à ce sujet d'une « règle de prescription », même si elle n'en précise pas le fondement exact.

Dans un deuxième temps, elle constate que la règle nouvelle devrait conduire à la nullité de toute la procédure : « c'est à tort que la cour d'appel a décidé que le demandeur n'avait pas à réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action engagée ».

Dans un troisième temps, constatant que la règle nouvelle a pour effet d'empêcher l'accès au juge, et donc de « priver la victime d'un procès équitable », elle décide de ne pas faire application de cette règle pour le litige en cause, accordant donc au demandeur le bénéfice de la règle ancienne, sur laquelle il s'était fondé.

La Cour procède donc, comme nous l'avons dit, à un revirement pour l'avenir : elle annonce l'apparition d'une règle nouvelle mais n'en fait pas immédiatement application ; l'hypothèse dans laquelle elle décide de revirer pour l'avenir est bien précise : il s'agit ici du cas où « l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Comme le rappelle Patrick MORVAN, la solution ne s'est pas imposée sur le fondement de la sécurité juridique, même invoquée sur le fondement de l'article 6.1, mais sur le fondement de l'équité333(*). « Ironie de l'histoire, l'article 6§1 Conv. EDH dont la Cour régulatrice refusait de déduire un « droit acquis à une jurisprudence figée » est devenu le socle textuel du revirement pour l'avenir, figeant bel et bien pour le passé voire le présent (les instances en cours) , une jurisprudence répudiée. » Comme nous l'avons dit, la même deuxième chambre civile, le même jour, avait refusé de procéder à un revirement pour l'avenir demandé sur le fondement de la sécurité juridique et du principe de la confiance légitime, reproduisant la motivation désormais classique selon laquelle ceux-ci « ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante, dont l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du droit »334(*) : cette solution, refusée sur le fondement de la sécurité juridique, devient nécessaire sur le fondement du droit à un procès équitable.

Nous pouvons enfin faire une remarque : si la Cour ne pouvait juger autrement sans nuire gravement aux intérêts du demandeur, elle pouvait en revanche procéder à un revirement pour l'avenir sans que sa décision ne soit gravement préjudiciable aux intérêts de l'autre partie : dans un tel cas de figure il ne s'agit pas de trancher le litige, mais simplement de faire perdre à l'autre partie une chance de la conclure à ce moment précis. Bref, dans un tel cas, la partie qui subit le revirement pour l'avenir ne perd pas la guerre, mais seulement une bataille.

2) Un mécanisme d'exception à la portée ambiguë.

Il est intéressant de noter qu'en l'espèce, la deuxième chambre civile a utilisé ce mécanisme de sa propre initiative : aucune demande n'avait été formulée en ce sens par les parties, et elles ne le pouvaient d'ailleurs pas, puisque le revirement et la limitation de la portée de la solution ont été décidés dans le même arrêt. C'est donc un choix qui s'est fait sans aucune contrainte, marquant une volonté particulièrement forte de la deuxième chambre civile de ne pas faire rétroagir la règle nouvelle.

C'est ensuite un choix qui a été confirmé solennellement par l'assemblée plénière de la Cour de Cassation, le 21 décembre 2006335(*), dans une autre affaire, mais avec un enjeu absolument identique: il s'agissait en l'espèce de la même controverse, et l'Assemblée Plénière aurait pu réaffirmer la solution ancienne, désavouant l'initiative de la deuxième chambre civile. Il n'en fut rien, l'assemblée plénière profitant toutefois de l'occasion pour préciser le sens de ce mécanisme d'exception.

Car il s'agit bien d'un mécanisme d'exception, destiné à éviter que le droit de défendre sa cause devant un juge ne soit menacé par la rétroactivité de la jurisprudence, et pas à s'imposer à toutes les hypothèses de revirement de jurisprudence. Cela, l'assemblée plénière le montre clairement en ajoutant un élément à la formule de la deuxième chambre civile « l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge ». Bref, le seul cas où la Cour de Cassation a accepté pour le moment d'écarter l'application d'un revirement de jurisprudence pour des faits qui se sont passé avant le revirement est le cas où la règle nouvelle a pour effet - quand bien même ce ne serait pas son objectif - de priver un justiciable du droit d'accéder au juge.

Et, il faut le préciser, c'est le seul cas où la Cour de Cassation accepte de reconnaître pleinement à la règle prétorienne un caractère normatif de jure336(*).

C'est aussi un mécanisme qui ne fait pas l'unanimité : la solution classique a été réaffirmée après l'arrêt de la deuxième chambre par les autres chambres, y-compris dans un cas où une règle procédurales nouvelle empêchait un justiciable de pouvoir défendre sa cause devant un juge337(*). Toutefois, aucun arrêt n'a été rendu à notre connaissance dans l'hypothèse précise du droit à l'accès à un juge impartial depuis l'arrêt de l'assemblée plénière.

C'est d'ailleurs ce qui nous pousse à rappeler que le procédé, s'il était nécessaire du point de vue des engagements internationaux de la France, et plus précisément du point de vue de l'article 6§1 invoqué ici, n'en est pas moins profondément novateur : le juge a accepté de limiter de sa propre initiative la portée de la décision que son statut lui imposait de rendre, et cela avec un parfum d'arrêt de règlement - nous développerons ce point dans une deuxième partie. De plus, le mécanisme répondait à des demandes de la part d'une partie de la doctrine, comme nous l'avons dit. Dans ces conditions, ce qui n'est pour le moment qu'une exception - acceptée mais cantonnée pas l'assemblée plénière - est-il destiné à le rester, ou doit-on y voir une étape dans une politique de « petits pas », ou encore un « ballon d'essai » ?

L'arrêt laisse enfin des zones d'ombre : tout d'abord, la Cour ne précise pas si elle apprécie l'atteinte à l'article 6§1 in concreto ou in abstracto. Le choix de ce critère peut ne pas être sans conséquence, par exemple, dans le cas du revirement rendu prévisible par une politique de « petits pas », ou par le caractère controversé de la solution - en l'espèce, il y avait une controverse, mais, sur ce point, elle était réglée depuis 1996, ce qui incite à penser qu'il faudrait une controverse particulièrement importante pour convaincre d'une impossibilité de se conformer à la règle nouvelle.

Ensuite, l'article 6§1 s'est imposé au juge en l'espèce parce qu'il avait une force toute particulière en droit Français, mais ce n'est pas exceptionnel : d'autres dispositions ont la même force, à commencer par les autres articles de la Convention, mais aussi tous les traités adoptés régulièrement. Ces dispositions l'emportent-elles également sur les principes dirigeant l'action du juge - entre autre la rétroactivité de la règle jurisprudentielle - ou le cas de l'atteinte au droit de défendre sa cause devant un juge est-elle le seul cas de figure où la Cour accepterait de renoncer à la rétroactivité ?

L'article 6§1, comme nous venons de le dire, s'est imposé au juge en l'espèce parce qu'il avait une force toute particulière en droit Français. Mais l'article 6§1 n'est pas au somment de l'ordonnancement juridique - sauf, bien sûr, à considérer que l'article bénéficie de l' « aura » de l'article 55 de la Constitution de 1958. Les dispositions du bloc de constitutionnalité pourraient éventuellement conduire à sa remise en cause, les dispositions constitutionnelles l'emportant sur les dispositions conventionnelles. Si une norme d'origine constitutionnelle - telle que le « principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine »338(*) ou la « liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle »339(*)- était opposée à l'article 6§1, quelle disposition l'emporterait ? La chambre criminelle, en 2002 et en 2004340(*), a clairement opté pour la solution classique. Mais cette solution date d'avant la solution de la deuxième chambre civile - un ralliement n'est donc pas exclu - , mais surtout avant la consécration de la solution par l'assemblée plénière.

La solution choisie par la deuxième chambre civile dans l'optique d'un mécanisme d'exception, solution consacrée par l'assemblée plénière, n'est donc pas seulement profondément novatrice - tout particulièrement dans ce contexte intellectuel - , elle est aussi ambiguë. La question de son étendue reste à déterminer, de même que la question de savoir si elle convaincra.

B. La reconnaissance de la jurisprudence nationale par la Cour de Strasbourg.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme, soucieuse de l'impératif de sécurité juridique depuis l'arrêt MARCKX341(*), a entrepris de ne pas laisser la norme prétorienne hors de la hiérarchie des normes (1) . Cela lui a permis de sanctionner son imprévisibilité, voire sa rétroactivité (2) .

1) La jurisprudence nationale, source accessoire de droit.

Comme l'explique Patrick MORVAN, « la Cour Européenne des Droits de l'Homme  a, la première, admis la jurisprudence nationale au rang des sources du droit positif. La présence en son sein de juristes de common law l'y incitait fortement »342(*). Cela ne passe pas, toutefois, par une assimilation pure et simple de la norme jurisprudentielle à la norme législative. La norme jurisprudentielle « fait partie du bloc de légalité (lato sensu) »343(*), mais comme un accessoire obligatoire pour des raisons logiques.

Selon quel schéma la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme a-t-elle intégré la norme jurisprudentielle dans le droit positif ? Il s'agit d'une conséquence du principe de légalité344(*), mais aussi d'une affirmation logique345(*) : le droit ne peut pas être parfait, il a besoin d'être précisé même après l'entrée en vigueur de la norme. Le principe de légalité implique notamment la qualité et la prévisibilité de la loi : « Comme la Cour l'a dit dans son arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993 (série A n° 260-A, p. 22, par. 52), l'article 7 ne se borne donc pas à prohiber l'application rétroactive du droit pénal au désavantage de l'accuséì: il consacre aussi, de manieÌre plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manieÌre extensive au désavantage de l'accuseì, notamment par analogie. Il en résulte qu'une infraction doit être clairement définie par la loi. »346(*)

Or, la cour estime par ailleurs que le droit ne peut être parfait. Dans l'affaire CANTONI, la Cour avait ainsi pu expliquer, à propos de la définition des médicaments, que « La Cour a déjàÌ constateì qu'en raison même du principe de généralité ì des lois, le libelléì de celles-ci ne peut présenter une précision absolue. L'une des techniques types de réglementation consiste aÌ recourir aÌ des catégories générales plutôt qu'aÌ des listes exhaustives. Aussi de nombreuses lois se servent-elles par la force des choses de formules plus ou moins floues, afin d'éviter une rigiditéì excessive et de pouvoir s'adapter aux changements de situation. »347(*) L'idée a été reprise dans l'affaire PESSINO c. France348(*), ce qui permet à la Cour de ne laisser aucun doute quant à sa généralité, en dehors du domaine pour lequel elle a été invoquée, mais aussi d'ajouter que « L'interprétation et l'application de pareils textes dépendent de la pratique (...). La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l'interprétation des normes, en tenant compte des évolutions de la pratique quotidienne. »

La jurisprudence peut alors être appelée à jouer un rôle d'interprétation de la loi ; ce faisant, l'interprétation sera intégrée au droit positif comme ayant précisé, voire ajouté à la norme législative. Dans l'affaire C.R. c. Royaume-Uni, la Cour concluait : « La Cour a donc indiqué que la notion de "droit" ("law") utilisée à l'article 7 (art. 7) correspond à celle de "loi" qui figure dans d'autres articles de la Convention, notion qui englobe le droit écrit et non écrit et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d'accessibilité et de prévisibilité. »349(*) Elle s'est montrée plus précise dans les affaires CANTONI et PESSINO, évoquant le « droit d'origine tant législative que jurisprudentielle ».

L'idée n'est pas neuve : sans préciser autant sa pensée, la Cour avait déjà affirmé le caractère normatif de l'interprétation jurisprudentielle dans les affaires KRUSLIN c. France350(*) et GEOUFFRE De La PRADELLE c. France351(*). Dans l'affaire KRUSLIN c. France, elle avait précisé qu' « il convient d'entendre le terme « loi » dans son acception matérielle et non formelle ». Dans l'affaire GEOUFFRE De La PRADELLE c. France, elle avait pu évoquer « l'extrême complexité du droit positif, telle qu'elle résulte de la combinaison de la législation (...) avec la jurisprudence ».

Dans l'affaire C.R. c. Royaume-Uni (paragraphe 34) , elle précisait encore que « Aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation. D'ailleurs il est solidement établi dans la tradition juridique du Royaume-Uni comme des autres Etats parties àÌ la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement àÌ l'évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l'article 7 (art. 7) de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilitéì pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire àÌ l'autre, aÌ condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible. »352(*)

Bref, si la loi doit être précise, une part d'imprécision est acceptable lorsque la jurisprudence précise par la suite le sens de la loi : « la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale »353(*).

Ce faisant, la Cour insère la jurisprudence dans la hiérarchie des normes. Cela ne passe pas, comme nous l'avons dit, par une assimilation pure et simple de la norme jurisprudentielle à la norme législative. La norme jurisprudentielle « fait partie du bloc de légalité (lato sensu) »354(*), non pas comme une source autonome du droit, mais comme une source accessoire, probablement subordonnée dans ce travail de création au seul créateur de normes légitime, le législateur. La Cour trouve ainsi un moyen de surmonter le problème des « infirmités jurisprudentielles », celles-ci n'étant pas nécessairement un obstacle dans le rôle qu'elle lui assigne.

La Cour ne donne pas de fondement à cette insertion de la jurisprudence dans la hiérarchie des normes. Elle même estime que sa propre jurisprudence est fondée sur l'idée d'interprétation355(*). Il s'agit probablement d'une façon de respecter le principe de subsidiarité en laissant chaque état libre du fondement de sa jurisprudence - elle rappelle d'ailleurs « qu'il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne ». Mais ce faisant, elle oblige toutefois les Etats à inclure la jurisprudence dans les sources du droit, quel que soit le fondement.

Or, comme nous allons le voir, cette reconnaissance d'un pouvoir créateur en partie légitime du juge n'est pas un cadeau qu'elle fait au juge - ou peut-être un cadeau empoisonné- , c'est, plus subtilement, un moyen pour elle de veiller au respect par le juge de certains impératifs dont elle impose le respect dans le cadre de la production de la norme, et notamment des impératifs concernant la portée de la jurisprudence dans le temps.

2) Un travail de création soumis à certains impératifs.

Quels sont ces impératifs ? Il s'agit de la qualité de la norme, ce qui implique sa prévisibilité, et d'autre part sa non-rétroactivité dans le domaine pénal. Ces objectifs sont ceux imposés à tout créateur de normes. Avant même de préciser sa position en l'étendant clairement au « droit non-écrit », la Cour avait déjà eu l'occasion de donner de la loi une définition intéressante : « il faut d'abord que la loi soit suffisamment accessible ; le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné ; en second lieu, on ne peut considérer comme une loi qu'une norme énoncée avec suffisamment de précision pour permettre à un citoyen de régler sa conduite ; en s'entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable, dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé. »356(*)

Lorsqu'elle s'est préoccupée de l'insertion de la jurisprudence parmi les sources du droit, la Cour a ainsi transposé ces impératifs à la jurisprudence. Comme l'explique Patrick MORVAN, « Investissant d'une autorité normative le juge interne, le juge Européen lui enjoint en contrepartie de veiller à la qualité de la « législation » judiciaire, c'est-à-dire à sa clarté, sa prévisibilité, et son accessibilité. En France, le Conseil Constitutionnel adresse une mise en demeure similaire au législateur lorsqu'il affirme que les incriminations pénales doivent être rédigées en des « termes clairs et précis pour exclure l'arbitraire »357(*) et, plus largement, que « l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi » constituent « un objectif de valeur constitutionnelle »358(*). (...) Avec quelques reculs, la question de savoir si la jurisprudence est source de droit paraît (...) dépassée. Le débat s'est déplacé vers un autre thème autrement plus décisif : celui de la qualité de la norme jurisprudentielle et de son contrôle par le juge interne ou international. »359(*)

La norme jurisprudentielle doit répondre aux mêmes conditions de qualité que le droit écrit, tel que précisé par les affaires Sunday Times360(*) et MALONE361(*). C'est précisément l'intérêt de cette norme : préciser le droit écrit. Le principe résulte notamment des affaires KRUSLIN 362(*) et GEOUFFRE De La PRADELLE363(*). Comme l'explique Patrick MORVAN, « Les écoutes téléphoniques ordonnées par un juge d'instruction constituaient une pratique admise depuis 1980 par la Cour de Cassation sur le fragile fondement de l'article 81 du Code de procédure pénal. Leur validité était en réalité subordonnée à une série de conditions jurisprudentielles déduites des « principes généraux du droit ». Sûre de son fait, la chambre criminelle concluait que « ces dispositions répondent aux exigences résultant de l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits d l'Homme et des libertés fondamentales » consacrant le droit au respect de la vie privée. Mais la Cour de Strasbourg ruina cette belle certitude en déclarant que les écoutes téléphoniques constituaient une violation de ce même texte. Certes, concéda-t-elle, « l'ingérence litigieuse avait une base légale en droit Français » puisqu'il convient d'entendre « le terme « loi » dans son acception matérielle et non formelle » ; à ce titre, « on ne saurait faire abstraction d'une jurisprudence établie ». Mais cette base légale ne revêtait pas la « qualité » requise pour fonder valablement une restriction à un droit fondamental. Précisément, estime la Cour, « le droit Français, écrit et non écrit, n'indique pas avec assez de clarté l'étendue et les modalités du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine considéré. »364(*)

C'est sur un raisonnement similaire que la France fut condamnée dans l'affaire GEOUFFRE De La PRADELLE : « l'extrême complexité du droit positif, telle qu'elle résulte de la combinaison de la législation (...) avec la jurisprudence était propre à créer un état d'insécurité juridique » privant le requérant « d'une possibilité claire, concrète et effective » d'accéder à un tribunal.

La jurisprudence, en tant que norme doit donc présenter une certaine qualité, pour pouvoir être connue. Mais pour pouvoir être connue, elle doit aussi être prévisible. Les justiciables ne doivent se voir appliquer que des normes qu'ils peuvent connaître ou prévoir. Ils ne peuvent donc pas se voir appliquer des revirements de jurisprudence si ceux-ci ne sont pas prévisibles

Ainsi, dans les affaires BELLET c. France et F.E. c. France365(*), la Cour a condamné la France pour l'imprévisibilité de sa jurisprudence dans le contentieux relatif à l'indemnisation des victimes de transfusions sanguines contaminées par le virus du sida : « ni le texte de la loi du 31 décembre 1991 ni ses travaux préparatoires ne permettaient à l'intéressé de se douter des conséquences juridiques que la Cour de Cassation allait déduire de son acceptation de l'offre » du fonds de garantie institué par cette loi, si bien que le requérant n'avait « pas eu la possibilité claire et concrète de contester devant un tribunal le montant de l'indemnisation » et n'avait donc pas « bénéficié d'un droit d'accès concret et effectif devant un tribunal ».

Mais c'est en droit pénal que la Cour a pu veiller tout particulièrement à la prévisibilité de la norme jurisprudentielle. Le principe était déjà contenu dans les arrêts C.R. c. Royaume-Uni, S.W. c. Royaume-Uni, et CANTONI c. France, puis le raisonnement a été précisé quand la France a été condamnée dans l'affaire PESSINO c. France : « La Cour rappelle que l'article 7 de la Convention consacre, de manière générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et prohibe, en particulier, l'application rétroactive du droit pénal lorsqu'elle s'opère au détriment de l'accusé. (...) S'il interdit en particulier d'étendre le champ d'application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l'accusé, par exemple par analogie. Il s'ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale »

La norme doit donc être connue au moment où elle est appliquée : « La tâche qui incombe à la Cour est donc de s'assurer que, au moment où un accusé a commis l'acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l'acte punissable et que la peine imposée n'a pas excédé les limites fixées par cette disposition »366(*),et donc « rechercher si, en l'espèce, le texte de la disposition légale, lue à la lumière de la jurisprudence interprétative dont elle s'accompagne, remplissait cette condition à l'époque des faits »367(*).

Si un précédent existe, celui-ci doit remplir les conditions de qualité pour pouvoir être pleinement compris : « Si la Cour admet aisément que les juridictions internes sont mieux placées qu'elle-même pour interpréter et appliquer le droit national, elle rappelle également que le principe de la légalité des délits et des peines, contenu dans l'article 7 de la Convention, interdit que le droit pénal soit interprété extensivement au détriment de l'accusé, par exemple par analogie. Il en résulte que, faute au minimum d'une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible, les exigences de l'article 7 ne sauraient être regardées comme respectées à l'égard d'un accusé. ».

Cela n'empêche pas, bien sûr, l'évolution du droit. Mais si elle se fait de façon rétroactive, elle doit alors être prévisible : « On ne saurait interpréter l'article 7 (...) de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilitéì pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire aÌ l'autre, aÌ condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible. »368(*)

Il semble que la Cour accepte que la prévisibilité résulte exceptionnellement d'éléments a-juridiques. Comparant plusieurs affaires, elle a ainsi pu affirmer que l'affaire PESSINO, en matière de poursuite de travaux de constructions malgré l'annulation du permis de construire « se distingue clairement des arrêts S.W. et C.R. c. Royaume-Uni (...), dans lesquelles il s'agissait d' un viol et d'une tentative de viol de deux hommes sur leurs femmes. La Cour avait pris soin de noter dans ces arrêts (§§ 44 et 42, respectivement) le caractère par essence avilissant du viol, si manifeste que la qualification pénale de ces actes, commis par des maris sur leurs épouses, devait être regardée comme prévisible et non contraire à l'article 7 de la Convention, à la lumière des objectifs fondamentaux de celle-ci, "dont l'essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines". »

De même, et de façon plus systématique, « la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s'agit, du domaine qu'il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (...). La prévisibilité de la loi ne s'oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé (...). Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d'eux qu'ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu'il comporte »369(*).

Si la norme n'existe pas encore au moment où le justiciable agit, et si son apparition n'est pas prévisible, celle-ci ne peut pas être appliquée rétroactivement. Le principe a mené à trois condamnations, dans les affaires BELLET c. France, F.E. c. France, et PESSINO c. France.

Si la Cour Européenne des Droits de l'Homme impose donc aux Etats un objectif de prévisibilité de la norme jurisprudentielle, elle laisse toutefois les états libres des moyens à utiliser pour atteindre cet objectif. Toutefois, comme l'explique Damien ROETS, assez peu de solutions semblent à même de permettre de respecter les exigences Européennes : « seule l'instauration d'une interprétation pour l'avenir inspirée de la technique américaine du prospective overruling est de nature à intégrer, dans notre système juridique, l'exigence européenne de non-rétroactivité. Cette interprétation pour l'avenir serait effectuée par la Chambre criminelle (ou l'Assemblée plénière) sur pourvoi soit du ministère public contestant une décision de non-lieu ou de relaxe, soit du condamné s'estimant victime d'une interprétation judiciaire in malam partem. Dans le premier cas, la Haute formation rejetterait le pourvoi. Dans le second, en application de l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire, elle casserait sans renvoi la décision attaquée, les faits de la cause n'étant pas susceptibles d'une qualification pénale. 

Une forme moins solennelle d'interprétation in futurum pourrait consister en un avertissement préalable, un obiter dictum annonçant un changement imminent de jurisprudence. Pour satisfaire à la condition de prévisibilité, son usage nécessiterait une motivation d'une particulière clarté (la solution nouvelle dégagée ne pourrait bien évidemment être appliquée qu'à des faits commis postérieurement à son édiction).

D'autres voies sont envisageables, telles, par exemple, celle de la procédure de saisine pour avis ou encore celle du Rapport annuel de la Cour de cassation. »370(*)

Pour une partie de la doctrine, de plus en plus importante, certains disent même majoritaires, la constatation du pouvoir créateur du juge impose une réflexion sur la création d'un droit transitoire. Longtemps, cette conclusion logique n'a pas été suivie, ou assez peu, de propositions concrètes en ce sens. A l'époque, le problème, aussi fondamental soit-il, n'apparaissait avoir des conséquences concrètes dignes d'intérêt qu'à assez peu d'auteurs. Comme l'écrivait Olivier DUPEYROUX, la question de la jurisprudence source de droit était « une discussion théoriquement fondamentale, parce qu'est fondamentale, au niveau de la théorie générale du droit, la question de la nature et de la structure des règles juridiques. Heureusement, comme bien des discussions de théorie générale, c'est une discussion sans réelles conséquences sur le terrain de la pratique, ce qui autorise certains à la déclarer vaine »371(*).

Sur ce point, la discussion a commencé à changer de nature lorsque la doctrine a commencé à s'intéresser plus particulièrement aux effets des revirements de jurisprudence, et surtout de leur rétroactivité. La montée des préoccupations tenant à la sécurité juridique y a grandement contribué, et le point culminant a été atteint lorsque le problème a été explicitement posé devant la Cour de Cassation, qui y a répondu le 21 mars 2000372(*) en privilégiant la nécessaire évolutivité de la jurisprudence, puis en ménageant une exception au sein de sa position - les condamnations venant des juges de Strasbourg y incitaient fortement.

En changeant de nature, le débat s'est de plus en plus porté sur les solutions à apporter à ce problème, la contribution la plus fameuse restant celle de Christian MOULY373(*). C'est notamment cette contribution qui inspirera quelques années plus tard les propositions du rapport MOLFESSIS. Ces propositions, si elles ne furent pas les seules propositions de solutions, sont probablement les plus importantes, de par leur caractère officiel.

Les propositions de solutions n'ont pas, toutefois, toutes le même objet, l'approche étant parfois indirecte ; certaines d'entre elles sont déjà mises en oeuvre et sont en plein développement.

* 238  : Sur cette question, voir Sylvia CALMES, « Sécurité juridique et droits fondamentaux », étude présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de la Faculté des Affaires Internationales du Havre.

* 239  : Sylvia CALMES, « Sécurité juridique et droits fondamentaux », étude présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de la Faculté des Affaires Internationales du Havre.

* 240  : Voir par exemple Sylvia CALMES, « Sécurité juridique et droits fondamentaux » précité

* 241  : Sur cette question, voir notamment les études réunies et présentées par Bertrand MATHIEU : « Le principe de sécurité juridique », Les cahiers du Conseil Constitutionnel, n°11, 2001

* 242  : Bertrand MATHIEU, « La sécurité juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient », in Mélanges GELLARD. Sur cette question, voir également François LUCHAIRE, « La sécurité juridique en droit constitutionnel Français », Les cahiers du Conseil Constitutionnel, n°11, 2001, p.67

* 243  : Bertrand MATHIEU, « La sécurité juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient » précité

* 244  : « L'explication du silence opposé au grief [de sécurité juridique] est évidente : tout d'abord, le concept de sécurité juridique est absent de notre corpus constitutionnel ; ensuite, il pourrait faire croire que les situations juridiques résultant des lois sont définitivement établies et que le législateur ne pourrait les modifier » (François LUCHAIRE, « La sécurité juridique en droit constitutionnel Français » précité)

* 245  : Sur le rapport entre ces notions et le concept de sécurité juridique, voir par exemple François LUCHAIRE, « La sécurité juridique en droit constitutionnel Français » précité) ; Pierre MAZEAUD, « La loi ne doit pas être un rite incantatoire », JCP G 2005, n°6, p. 245 ; Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, « Les nouveaux commandements de la production législative », in Mélanges Michel TROPER

* 246  : Voir par exemple Sophie BOISSARD, « Comment garantir la stabilité des situations juridiques individuelles sans priver l'autorité administrative de tous moyens d'action et sans transiger sur le respect du principe de légalité ? Le difficile dilemme du juge administratif », Les cahiers du Conseil Constitutionnel, n°11, 2001, p. 70 ; Antoine CRISTEAU, « L'exigence de sécurité juridique », Dalloz 2002, n°37, p.2814 ; Manuel DELAMARRE, « La sécurité juridique et le juge administratif Français », AJDA 2004, p.186

* 247  : Conseil d'Etat, 24 mars 2006, K.P.M.G. ; Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, Sécurité juridique : la consécration, AJDA 2006 p. 1028

* 248  : Jean-Guy HUGLO, « La Cour de Cassation et le principe de la sécurité juridique »

* 249  : Voir notamment Ass. Pl. , 24 janvier 2003, Evelyne X. et autres c. Association Promotion des handicapés dans le Loiret, Bull, A.P. n°2

* 250  : cf supra 

* 251  : Pourvoi n°03-14717

* 252  : Pourvoi n°01-02073

* 253

_ : Pourvoi n°00-46476

* 254  : Pourvoi n°02-42615

* 255  : Soc. , 7 janvier 2003, précité

* 256  : cf infra 

* 257  : Sur cette question, voir Patrick MORVAN, « Le sacre du revirement prospectif sur l'autel de l'équitable », Dalloz 2007 p. 835

* 258 Yves CHARTIER, « Les revirements de jurisprudence » in L'image doctrinale de la Cour de Cassation, p.149

* 259  : Rapport MOLFESSIS, p. 14

* 260  : Rapport MOLFESSIS, p. 14

* 261  : Guy CANIVET, Nicolas MOLFESSIS, « Les revirements de jurisprudence ne vaudront-ils que pour l'avenir ? » , JCP G 2004, n°51, p.2295

* 262  : Suivant la conception de la norme jurisprudentielle, il s'agira de l'état du droit tel qu'il existait ou tel qu'il était conçu au moment des faits, mais l'essentiel est d'atteindre une certaine sécurité.

* 263  : l'accent est alors mis sur la différence avec la loi, qui, au contraire, n'agit par principe que pour l'avenir, l'exception étant la loi rétroactive, mais surtout cette exception est alors le fruit de la volonté du législateur, et n'est plus possible, étant donnée les condamnations de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, que pour « d'impérieux motifs d'intérêt général »

* 264  : Pierre VOIRIN, « Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP 1959, I, 1467

* 265  : Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27, p.325

* 266  : Pierre VOIRIN, Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité

* 267  : Christian MOULY, « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement ? », LPA, 04 mai 1994, n°53

* 268  : Pierre VOIRIN, Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité

* 269  : Civ. 1ère, 9 octobre 2001, pourvoi n°00-14564

* 270  : Denys de BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en matière de responsabilité », in Mélanges Franck MODERNE, p.5

* 271  : Christophe RADE, « De la rétroactivité des revirements de jurisprudence », Dalloz 2005, n°15, p.988

* 272  : Rapport MOLFESSIS, p.14

* 273  : Rapport MOLFESSIS, p.15

* 274  : Sur cette question, l'arrêt rendu par la chambre sociale le 26 janvier 2005 (Droit social mai 2005, n°5, p.567) donne une bonne illustration, même si le moyen fut rejeté en l'espèce : un revirement de jurisprudence avait requalifié contrat de travail la relation contractuelle entre un locataire de véhicule taxi et la société propriétaire. Le pourvoi invoquait, entre autre argument, le coût de ce revirement, qui remettait potentiellement en cause la qualification de tous les contrats conclus par cette société, alors même que ces contrats avaient été conclus au vu et au su des « administrations concernées », et que la qualification n'avait été remise en cause que devant la Cour de Cassation ; la Société affirmait donc ne pas être en mesure, raisonnablement, de prévoir cette remise en cause. La chambre sociale ne s'est pas directement préoccupé de cet argument, se contentant d'expliquer que le moyen, « en ce qu'il se contente d' invoquer une interprétation jurisprudentielle nouvelle, manque en fait ».

* 275  : Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir » précité

* 276  : Rapport MOLFESSIS, p.15

* 277  : Rapport MOLFESSIS, p.16

* 278  : Max WEBER, « Sociologie du droit », PUF, 1986, p.223

* 279  : Denys de BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en matière de responsabilité » précité

* 280  : Rapport MOLFESSIS, p.16

* 281  : Pierre SARGOS prend ici l'exemple du marché de l'emploi ; mais on aurait pu penser également au droit de la consommation ou au contrat d'adhésion, par exemple

* 282  : « aff. 397/01 à 403/01 PFEIFFER C ; Deutsches Rotes Kreuz Kreibverband Waldshut, n°82 »

* 283  : Pierre SARGOS, « L'horreur économique dans la relation de droit (libres propos sur le « rapport sur les revirements de jurisprudence », Droit social, février 2005, n°2, p.123

* 284  : Vincent HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 285  : On peut toutefois, sur ce point précis, rapprocher cette idée de la problématique des conflits de lois dans le temps telle que théorisée par Jean-Luc AUBERT (Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN, p.93) : l'auteur relève « trois perspectives d'appréciation du problème de l'étendue de la loi nouvelle » : celle de l'opportunité (« si le législateur a cru bon d'établir un régime juridique nouveau, c'est sans doute parce que le précédent était jugé déficient. En bref, la loi nouvelle est jugée meilleure que celle qu'elle doit remplacer. Il est donc raisonnable, et souhaitable, qu'elle s'y substitue le plus rapidement et le plus complètement possible. C'est une condition du progrès social ») , celle de l'égalité, qui incitent à donner à la loi nouvelle le plus grand champ d'application possible, et celle de la sécurité juridique, qui, au contraire, vient limiter cette tentation (« la règle de droit - et donc la loi - est destinée à organiser la vie sociale et à établir des rapports harmonieux et stables entre ceux qui l'animent. Il y a là une considération qui milite puissamment contre la tentation qui vient d'être évoquée, c'est-à-dire contre une remise en cause rétroactive situations acquises conformément à la loi antérieures. Quelle harmonie sociale pourrait-on attendre d'une loi dont la stricte observance ne mettrait pas à l'abri d'un remaniement des solutions qu'elle consacre ? Sans compter que la révision des situations antérieurement acquises peut susciter des difficultés pratiques malcommodément surmontables. »)

Quelle que soit sa valeur, l'argument n'est donc pas nécessairement disqualifié d'après ce point de vue, mais la conclusion qu'on peut tirer de cette comparaison est qu'il ne faut pas perdre de vue la nécessité de concilier plusieurs impératifs lors d'un changement de normes. Cependant, ce problème disparaît dans l'optique de la norme précaire telle que théorisée par Jean-Luc AUBERT (cf supra) : la norme jurisprudentielle est une norme différente de celle développée par le législateur, les solutions concernant l'étendue de son champ d'application ne sont pas nécessairement les mêmes.

* 286  : cf supra

* 287  : « La responsabilité civile », in Rapport Annuel de la Cour de cassation pour l'année 2001

* 288  : « Le droit du travail et de la sécurité sociale », in Rapport Annuel de la Cour de cassation pour l'année 2003

* 289  : Alain HERVIEU, « Observations sur l'insécurité de la règle jurisprudentielle » précité

* 290  : Pierre-Yves GAUTIER, « rétroactivité de la jurisprudence et arrêts de règlement : au sujet de la contrepartie à la clause de non concurrence » , RTD civ. , Janvier/mars 2005, p.159

* 291  : Pierre VOIRIN, Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité

* 292  : BICC, n°562, 15 septembre 2002 ; Dalloz 2002, jur. P.2491

* 293  : Ce thème peut d'ailleurs être rattaché aux « infirmités jurisprudentielles », et en particulier à l'idée que la jurisprudence bute sur des obstacles formalistes, comme l'impossibilité d'exiger ou d'autoriser de telles régularisations à l'occasion d'un revirement de jurisprudence ; on pourra également faire un parallèle avec l'évolution en cours devant le Conseil d'Etat, vers des efforts en matière de « pédagogie » : le Conseil d'Etat, depuis les arrêts TITRAN, VASSILIKIOTIS, et AC !, a en effet développé son pouvoir d'injonction de façon à pouvoir réformer les actes susceptibles d'annulation, voire de façon à pouvoir donner des instructions à l'administration pour la bonne exécution du jugement. Or, c'est justement devant ce type de difficultés que le Conseil d'Etat a entrepris de développer ce pouvoir. Sur cette question, voir notamment Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le temps d'une annulation pour excès de pouvoir », AJDA 14 juin 2004, p.1183

* 294  : Christophe RADE, « De la rétroactivité des revirements de jurisprudence » précité

* 295  : Pierre VOIRIN, Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité

* 296  : Christian MOULY, « Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ?, Les petites affiches, 18 mars 1994, n°33, p.15

* 297  : Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir » précité

* 298  : Pierre VOIRIN, Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité ; il admet toutefois que « dans les deux cas, la sécurité des justiciables est ébranlée. »

* 299  : Christian MOULY, « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement » précité

* 300  : Rapport MOLFESSIS, p.18

* 301  : Denys de BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en matière de responsabilité » précité

* 302  : Jean RIVERO, « Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle, AJDA 1968, p.15

* 303  : Civ., 1ère, 9 octobre 2001, pourvoi n° 00-14564

* 304  : Rapport MOLFESSIS, p.17

* 305  : Rapport MOLFESSIS, p.17

* 306  : Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89

Sur cette question, voir également Petr MUZNY, « Quelques considérations en faveur d'une meilleure prévisibilité de la loi », Dalloz 2006, n°32, p.2214

* 307 : Sur cette question, voir notamment Bertrand MATHIEU, « Les rôles du juge et du législateur dans la détermination de l'intérêt général », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89

* 308  : Dalloz 2000, n°28, p.593

* 309  : Christian ATIAS, « Nul ne peut prétendre au maintien d'une jurisprudence constante, même s'il a agi avant son abandon, Dalloz 2000, n°28, p.593 ; sur cette question, voir aussi Denys de BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en matière de responsabilité » précité

* 310  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale », in Rapport MOLFESSIS, p.95

* 311  : L'idée d'un revirement de jurisprudence rétroactif, comparable à la loi rétroactive, est nouvelle en droit pénal, matière où le rôle créateur du juge est jugé particulièrement dangereux. Les premières études en la matière sont récentes. Didier REBUT n'en cite que deux : G.X. BOURIN, « échec aux conséquences funestes des revirements en droit pénal ? », Gaz. Pal., 1995.1, p.599 ; M.-C. SORDINO, « La protection de la personne poursuivie en cas de modification de la législation pénale », in Droits et libertés fondamentaux, 9e éd. , Dalloz, 2003, p.489

* 312  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité, p. 97

* 313  : En paraphrasant Didier REBUT, on expliquera que les lois pénales de fond sont celles qui affectent les éléments constitutifs ou la répression d'une infraction, tandis que les lois pénales de forme sont celles qui concernent la procédure ou la prescription

* 314  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.96

* 315  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.98

* 316  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.98

* 317  : Crim, 14 novembre 2000, Bull. crim., n°338

* 318  : Voir notamment les affaires C.R. c. Royaume-Uni, S.W. c. Royaume-Uni, CANTONI ; cf supra

* 319  : Crim ;, 30 janvier 2002, Bull. crim., n°16 : « Attendu qu'en l'absence de modification de la loi pénale, et dès lors que le principe de non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle, le moyen est inopérant. »

* 320  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.100

* 321  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.102

* 322  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.103

* 323  : Crim., 5 mai 2004, pourvoi n°03-82801

* 324  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.103

* 325  : En ce sens, voir notamment Pierre SARGOS, « L'horreur économique dans la relation de droit (libres propos sur le « rapport sur les revirements de jurisprudence » précité

* 326  : En ce sens, voir notamment, Béatrice BOURDELOIS, « Lois rétroactives et droits fondamentaux » précité.et Vincent HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 327  : Civ. 2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n°01-10426

* 328  : Philippe THERY, « A propos d'un arrêt sur les revirements de jurisprudence ou comment faire un omelette sans casser les oeufs », RTD civ., Janvier/Mars 2005, p.176

* 329  : Civ. , 2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-14717

* 330  : Civ. 2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 01-10426

* 331  : Comme l'explique par exemple Christophe Bigot : « Atteinte à la présomption d'innocence : changement du régime de la prescription » précité

* 332  : Crim. 30 janvier 2002, Bull. crim.n°16 ; Crim., 5 mai 2004, pourvoi n°03-82801

* 333  : Patrick MORVAN, « Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon », Dalloz 2005, n°4, p.247

* 334  : Civ. 2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n°03-14717

* 335  : Ass. Pl. , 21 décembre 2006, pourvoi n°00-20493 : « si c'est à tort que la cour d'appel a écarté le moyen de prescription alors qu'elle constatait que Mme X... n'avait accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d'appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge »

* 336  : Voir par exemple les affaires Centéa (pourvoi n°05-11966) et La Briocherie (pourvoi n°05-17960) , que nous avons déjà évoqué dans la Section I, rendues le même jour.

* 337  : Crim. 5 mai 2004 précité

* 338  : Civ. 1ère, 9 mai 2001 précité

* 339  : Soc. 17 décembre 2004, pourvoi n°03-40008

* 340  : Crim. 30 janvier 2002, Bull. crim.n°16 ; Crim., 5 mai 2004, pourvoi n°03-82801

* 341 CEDH, MARCKX c/ Belgique, 13 juin 1979

* 342  : Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit » précité

* 343  : Damien Roets « La non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme » précité

* 344  : Sur cette question, voir notamment Damien Roets « La non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme » précité

* 345  : Le mot logique n'a pas pour but, ici de manifester notre attachement à cette thèse. Comme nous l'avons dit, nous tentons d'expliquer les différentes thèses, pas de la départager selon leurs mérites. Ici, nous estimons simplement que, pour la Cour, il s'agit plus d'un principe logique que d'un principe de droit

* 346  : CEDH,C.R.. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995

* 347  : CEDH, CANTONI c. France, 15 novembre 1996

* 348  : CEDH, PESSINO c. France, 10 octobre 2006

* 349  : CEDH,C.R.. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995

* 350  : CEDH, 24 Avril 1990, KRUSLIN c. France

* 351  : GEOUFFRE De La PRADELLE c. France

* 352  : CEDH,C.R.. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995

* 353  : CEDH, CANTONI c. France, 15 novembre 1996 ; CEDH, PESSINO c. France, 10 octobre 2006

* 354  : Damien Roets « La non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme » précité

* 355  : Voir par exemple CEDH, MARCKX c/ Belgique, 13 juin 1979

* 356  : CEDH, 2 août 1984, MALONE

* 357  : Cons. Const. 19-20 janvier 1981, Loi « Sécurité et liberté », décis. n°80-127 DC

* 358  : Cons. Const. 16 décembre 1999, décis. n°99-421 DC

* 359  : Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit » précité

* 360  : CEDH, Sunday Times, 26 avril 1979

* 361  : CEDH, MALONE, 2 août 1984

* 362  : CEDH, KRUSLIN c. France, 24 avril 1990

* 363  : CEDH, 16 décembre 1992, GEOUFFRE De La PRADELLE

* 364  : Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit » précité

* 365  : BELLET c. France, 4 décembre 1995 ; F.E. c. France, 30 octobre 1998, affaires citées par Patrick MORVAN dans son article « Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon » précité

* 366  : affaire PESSINO, paragraphe 30

* 367  : affaire PESSINO, paragraphe 32

* 368  : C.R. c. Royaume-Uni, paragraphe 34

* 369 Affaire PESSINO ; la condition était déjà présente dans l'affaire CANTONI

* 370  : Damien Roets « La non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme » précité

* 371  : Olivier DUPEYROUX, La doctrine Française et le problème de la jurisprudence source de droit », in Mélanges MARTY

* 372  : Civ., 1ère, 21 mars 2000, pourvoi n° 98-11982

* 373  : Christian MOULY: « Le revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27, p.325 ; « Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ? », Les petites affiches, 18 mars 1994, n°33, p.15 ; « comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement », Les petites affiches, Les petites affiches, 4 mai 1994, n°53

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