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à‰volution du débat sur la rétroactivité de la norme prétorienne en droit privé : vers un droit transitoire pour la jurisprudence ?

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par Julien MOAL
Facultés des affaires internationales, Le Havre - Master de recherche en théorie générale du droit 2006
  

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Conclusion :

I/ Il y a plus de deux siècles, les révolutionnaires ont eu l'ambition de créer un droit parfait, ou du moins le plus parfait possible. Le droit devait être non plus l'expression de la volonté du souverain, et sa légitimité celle du droit divin, mais bien l'oeuvre de la raison avec comme critère de légitimité la volonté générale, source première du droit. Ce droit enfin rationnel, et créé par les élus de la nation, ne devait pas pouvoir être modifié par une autre autorité, même une autorité aussi légitime que le troisième pouvoir.

Cette ambition louable a permis de consacrer et de concrétiser la séparation des pouvoirs. Mais n'avait-elle pas des limites naturelles que l'expérience ne pouvait qu'éprouver ? Le droit peut-il être parfait au point de ne reléguer le juge qu'à un simple rôle de vox legis neutre dans son application du droit, un simple automate qui n'aurait besoin pour son action que de ses yeux et de sa bouche ? La justice peut-elle toujours être rendue si le juge ne dispose d'aucun pouvoir créateur ?

Le pouvoir du juge n'est pas celui du législateur. Celui-ci intervient a priori ; le juge a pour mission d'appliquer la loi, et doit donc confronter celle-ci à des faits que le législateur n'a pas toujours pu prévoir. Le juge doit alors interpréter, adapter, voire suppléer la loi. Son pouvoir créateur ne vient pas des institutions mais de nécessités pratiques qu'il est le premier à constater, et, partant, souvent le mieux placé pour traiter. C'est cette nécessité que constate l'article 4 du code civil, même s'il ne place le juge que dans ne perspective individuelle.

La question préoccupe et fascine les acteurs du droit depuis la révolution, autant qu'elle les divise. Mais peu à peu, une autre question vint s'imposer : n'y a-t-il pas un danger à laisser le juge hors de l'ordonnancement juridique ? Plus concrètement, si le juge ajoute à la loi, doit-il le faire rétroactivement ?

La réponse à cette question, classiquement, doit dépendre de la réponse à la question de la légitimité de la création jurisprudentielle. Et la réponse donnée par la Cour de cassation s'inscrit profondément dans cette perspective. La jurisprudence n'est pas source de droit, ne doit pas être source de droit, et ne peut pas être source de droit. Dès lors, elle ne peut être rétroactive. Tout au plus la Cour admet-elle que l'interprétation peut ne pas être tout à fait neutre, mais tout en rappelant qu'il ne peut ni ne doit y avoir de droit acquis à une jurisprudence figée, tant pour l'avenir que pour le passé. Et quand elle a jugé autrement, elle n'a accepté de poser qu'un mécanisme d'exception.

Mais la question a agité la doctrine, au point d'avoir provoqué non-seulement l'intervention d'un rapport officiel, mais d'avoir aussi poussé la Cour de cassation, même dans l'optique d'une exception, à reconnaître le caractère normatif de la jurisprudence, pour pouvoir en limiter la portée. Le débat est lancé, et en termes particulièrement violents : là où certains dénoncent, indignés et incrédules, « une conception condescendante et très pernicieuse de la démocratie représentative »579(*), affirmant que « ce qui est en cause, ce n'est rien d'autre que la forme démocratique de notre mode de gouvernement »580(*), ou encore dénoncent des procédés de nature « totalitaires »581(*), d'autres répondent que cette « scotomisation de la réalité »582(*) permet au juge d'agir hors de toute contrainte. Bref, le débat est lancé, il est acharné, et il ne sera probablement plus possible de parvenir à l'unanimité sur la position classique.

Mais les impératifs ont eux aussi changé de visage : de la limitation de la portée de la jurisprudence découlant logiquement de son caractère normatif, on est passé à la limitation de la portée de la jurisprudence découlant des effets négatifs de cette rétroactivité. Le changement n'est pas à négliger, car comme l'explique Marie-Anne FRISON-ROCHE583(*), la qualité de la norme ne s'apprécie plus alors à ses seules qualités intrinsèques, mais aussi - et même également - à ses effets concrets. Le changement est à la fois source de simplification et de complications s'agissant du travail du juge, puisque là n'est pas son rôle principal.

Le changement pousse en tout cas à dissocier la question du fondement de l'intervention du juge de la question des effets produits concrètement par cette intervention. Cela oblige alors à prendre en compte des problèmes liés notamment à des considérations - dont l'importance est de plus en plus grande - de sécurité juridique.

Le débat, dès lors qu'il se déplace vers la question de la création d'un droit transitoire, amène des difficultés nouvelles, auxquelles des réponses nouvelles sont trouvées. La première difficulté est bien sûr de rationaliser l'intervention du juge, et plus particulièrement le revirement de jurisprudence, pour en tirer une définition qui puisse servir de base à une limitation de sa portée. Mais arrive aussi une autre difficulté : celle de systématiser les solutions à la rétroactivité de la jurisprudence, justement parce qu'il est difficile de dire et de reconnaître concrètement ce que sont la jurisprudence et son revirement.

La solution semble alors être de se tourner, là encore, vers les effets de la jurisprudence plutôt que vers sa nature. Mais le danger est alors de déprécier l'intervention du juge, en concevant la limitation de la portée de la norme jurisprudentielle comme devant être une solution à un problème plutôt que comme une façon de comprendre quand la norme a vocation à s'appliquer et quand elle doit être évincée parce qu'une autre norme a vocation à s'appliquer. Bref, l'intervention du juge devient alors un méfait - certes par exception- , alors que le rôle du juge est, rappelons-le, d'être la vox legis dans sa fonction juridictionnelle, et un constructeur de normes dans sa fonction jurisprudentielle.

La solution présente aussi un deuxième danger : faire passer le mode d'intervention du juge du syllogisme au conséquentialisme systématique, alors qu'il ne tient son pouvoir que d'une compétence technique, et qu'il n'est pas le créateur de normes légitime.

Si la jurisprudence est rétroactive, alors elle a des effets d'autant plus graves qu'elle est souvent imprévisible du fait des « infirmités jurisprudentielles », mais aussi des spécificités de la jurisprudence Française. Le juge doit alors s'interroger : comment améliorer la qualité, la clarté, et donc la prévisibilité de la norme ?

On peut enfin retenir deux choses de l'évolution du débat sur la rétroactivité de la jurisprudence. La première est qu'il est regrettable que ce débat, en dehors de problèmes particuliers résolus de façon ponctuelle par des lois de validation, soit resté un débat techniques auquel seuls les juges, les professionnels, et la doctrine s'intéressent, alors qu'il s'agit au contraire d'un débat fondamental qui devrait être réglé par les élus de la nation plutôt que par des juges, même au sein de la formation la plus solennelle de la plus prestigieuse des juridictions de l'ordre judiciaire Français.

Et aussi, incitant cette fois à l'optimisme, que dans la violence du débat, dans les échecs, et dans les paradoxes, on peut toutefois trouver un débat, certes acharné, non pas pour imposer une vision entre deux visions antagonistes, mais pour choisir les meilleurs moyens de parvenir à un résultat pareillement recherché : cantonner l'intervention du juge à ce qui est acceptable dans une démocratie et dans un état de droit.

II/ Mais au fond, quel est exactement le risque de l'élaboration d'un système de droit transitoire pour la jurisprudence en droit privé français ? Le risque est peut-être moins grave qu'on ne le pense parfois.

Le droit transitoire offre un pouvoir énorme au juge. Il lui permet de refuser à un justiciable de bénéficier d'une norme jurisprudentielle à laquelle il avait droit, et, souvent, il avait lui-même provoquée l'intervention. Mais il ne lui offre pas la possibilité de maîtriser sa norme : le juge peut limiter la portée de sa norme, et non pas l'étendre. De plus, comme le rappelle le rapport MOLFESSIS : « que la Cour de cassation crée des règles impose l'aménagement dans le temps de certaines de ses décisions ; ce n'est pas cet aménagement qui lui confère la capacité de créer du droit. L'ordre des causalités ne saurait être inversé. »584(*)

Mais indirectement, il y aussi d'autres dangers : le risque existe de voir légitimer l'idée de création du droit par le juge, non plus comme un phénomène inévitable, mais bien comme un phénomène positif ; non seulement le phénomène deviendrait alors légitime, mais il devrait même se développer. Les constructions jurisprudentielles sont souvent bonnes, étant l'oeuvre de magistrats expérimentés et hautement qualifiés, et le principe même de la construction jurisprudentielle est, sinon légitime, du moins difficilement évitable. Mais le juge doit rester juge, et ne pas devenir le rival du législateur.

Paradoxalement, le plus dangereux de ce point de vue n'est pas le droit transitoire pour les revirements de jurisprudence que propose le rapport MOLFESSIS, mais plutôt le mouvement de développement d'instruments et de techniques destinées à maîtriser la jurisprudence pour la rendre plus prévisible. Maîtriser la jurisprudence, c'est la rendre plus prévisible ; mais maîtriser la jurisprudence, c'est favoriser l'élaboration de la norme par ce créateur de normes si controversé, et ce en avouant clairement l'objectif. Mais le risque est peut-être difficilement évitable si l'on veut lutter contre ce mal au moins aussi grave que la rétroactivité qu'est l'imprévisibilité.

Il y a donc bien un risque à créer un droit transitoire pour les revirements de jurisprudence. Mais il y a aussi un risque à laisser la jurisprudence hors de l'ordonnancement juridique. Ce risque est individuel : c'est l'atteinte à la sécurité juridique ; il est également collectif : c'est l'impact socio-économique du revirement rétroactif ; et il est idéologique : c'est l'atteinte au principe de légalité - du moins si l'on accepte l'impact du produit de l'action du juge comme équivalent à la loi.

Et enfin, il y a un risque juridique, plus grave encore car il a déjà été concrétisé sans contestation possible plusieurs fois en une quinzaine d'années : c'est celui pour la France d'être considéré comme un pays ne se préoccupant pas des droits de l'Homme. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a déjà condamné la France en 1990585(*) et en 1992586(*) pour le manque de clarté de sa jurisprudence ; la France a échappé à une condamnation en 1996587(*), mais la Cour a posé un principe qui constituait bien un avertissement ; elle a condamné la France, d'abord dans un domaine sensible588(*), puis en 2006589(*) dans un domaine sinon anodin, du moins où il n'y avait pas d'enjeu idéologique majeur. La Cour de Strasbourg a parlé, la France ne peut plus que s'incliner.

Finalement, jusqu'à quel point les juges de la Cour de cassation peuvent-ils être un sujet d'inquiétude ? Au delà de leurs erreurs possibles, car l'erreur, comme chacun sait, est humaine, y'a-t-il lieu outre mesure de s'inquiéter pour le danger qu'il feraient courir à la démocratie ? Les juges, depuis deux siècles, ne semblent jamais avoir usé de leur pouvoir jurisprudentiel pour s'arroger un pouvoir qui n'est pas le leur - l'auraient-ils voulu qu'ils ne l'auraient pas pu. Toutefois, Il n'est, bien sûr, rien qui ne puisse changer, même le meilleur.

Pour conclure, peut-être pouvons nous indiquer deux directions dans lesquelles devrait évoluer ce débat pour pouvoir évoluer sereinement et de façon pertinente. Nous pouvons d'abord citer Aharon BARAK : « Le juge doit être conscient de son pouvoir ainsi que de ses limites. Dans une démocratie, les pouvoirs conférés au juge sont très importants. Le pouvoir judiciaire comme n'importe quelle autre forme de pouvoir peut faire l'objet d'abus. Il faut que le juge comprenne que son pouvoir se limite à son rôle judiciaire proprement dit. » et encore : « Une autre condition que je considère essentielle par rapport au magistrat, c'est la confiance du public, c'est à dire ... la confiance dans le respect de la déontologie judiciaire ; la confiance accordée aux juges quant au fait qu'ils n'ont pas d'intérêt dans le contentieux et qu'ils ne luttent pas pour leur propre pouvoir mais pour la protection de la Constitution et de la démocratie... »590(*)

La deuxième piste nous est rappelé par Catherine PUIGELIER et Jerry SAINTE-ROSE : « Rappelons-nous que l'on a la justice que l'on mérite, et que comme l'ont souligné MM. BURGELIN et LOMBARD, celle-ci n'est que l'expression du système politique qui l'a organisé. « Dès lors, sa remise en cause procède de la critique du système socio-politique lui-même. En d'autres termes, la critique de l'institution judiciaire est un signe déterminant d'une crise plus profonde du fonctionnement de l'Etat »591(*) »592(*)

* 579  : Vincent HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité », JCP G, n°14, 6 avril 2005, p.671

* 580  : Vincent HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 581  : Pierre SARGOS, « L'horreur économique dans la relation de droit (libres propos sur le « rapport sur les revirements de jurisprudence ») , Droit social, février 2005, n°2, p.123

* 582  : Denys de BECHILLON, « Comment traiter le pouvoir normatif du juge, in Mélanges Philippe JESTAZ, p.29

* 583  : Marie-Anne FRISON-ROCHE, « Le juge et son objet », in Mélanges Christian MOULY, p.21

* 584  : Rapport MOLFESSIS, p.

* 585  : CEDH, KRUSLIN c. France, 24 avril 1990

* 586 : CEDH, 16 décembre 1992, GEOUFFRE De La PRADELLE

* 587  : CEDH, CANTONI c. France, 15 novembre 1996 

* 588  : BELLET c. France, 4 décembre 1995 ; F.E. c. France, 30 octobre 1998, affaires citées par Patrick MORVAN dans son article « Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon » précité

* 589  : CEDH, PESSINO c. France, 10 octobre 2006

* 590  : Aharon BARAK, «A Judge on Judging : The Role of a Supreme Court in a Democracy», The Harvard Law Review, novembre 2002, vol. 116, n°1 (pour la version résumée et traduite en français de cet article : RFDC, 2006, n°66) cité dans

* 591  : j-F BURGELIN et P. LOMBARD, « Le procès de la justice, Plon, 2003, p.134

* 592  : Catherine PUIGELIER et Jerry SAINTE-ROSE, « Critique et justice », in La liberté de critique, sous la direction de Danielle CORRIGNAN-CARSIN, Litec, 2007, p.157

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery