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Mise en place des structures et problématique fonctionnelle de l'école haà¯tienne

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par Kathia RIDORà‰
Université adventiste d'Haà¯ti -  Licence en science de l'éducation 2009
  

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B- Problématique de l'Ecole coloniale française.

La colonisation française de la partie ouest de l'île est la résultante d'une longue guerre entre l'Espagne et la France. Cette dernière contestait la séparation du monde établi par le traité de Tordesillas entre les deux puissances Ibériques. La guerre allait aboutir à l'accord du traité de Ryswick en 1697 donnant définitivement un tiers de l'île à la France et l'autre partie à l'Espagne. Mais, déjà depuis 1625, la France s'est établie en maître sur les ruines de la destruction de l'Hispaniola. La France parvint à réaliser, dans un contexte de rivalité avec l'Espagne, au coeur de la Caraïbe, cette cynique prouesse que fut la mise en place de la plus célèbre colonie d'exploitation des Temps Modernes : Saint-Domingue.

Pour asseoir la problématique du système éducatif colonial français, il est de mise de faire un coup d'oeil d'ensemble sur la structure socioéconomique de la société saint-dominguoise.

Deux maîtres mots constituaient la structure économique de la société coloniale française : la race et la propriété. Selon l'historien Moreau de Saint Méry, cité par Lesly François Manigat dans le tome I du livre << Eventail d'histoire vivante d'Haïti >>1, << la race est la ligne de clivages prépondérante. Elle détermine le statut des personnes >>. A Saint-Domingue la couleur de la peau détermine à elle seule la position sociale figée de tout individu vivant dans la colonie.

<< La propriété, elle, détermine la condition des personnes. La colonie reconnaît les maîtres et les esclaves, c'est alors une société de classe : le capital d'un côté et le travail de l'autre. Mais ici, le travail est l'esclavage, l'esclave étant à peine un être humain. Au contraire de l'esclavage antique, il est la chose possédée et est traité comme meuble. La centralisation de ces dichotomies fondamentales maîtres blancs- esclaves noirs dans l'état social de Saint-Domingue autorise à parler d'une civilisation de l'esclavage >>2.

En effet, l'économie dominguoise avait pour fondement essentiel les bras des esclaves, cargaisons de nègres et négresses entassés dans des vaisseaux appelées négrier sur le bord de l'Afrique de l'ouest et embarqués vers St Domingue pour faire le travail de fluctuation de l'île, au sein d'une économie basée sur une agriculture en grande partie sucrière, tournée vers l'exportation au profit de la métropole. Déjà se dessinent comme

1 L. F. Manigat. Éventail d'histoire vivante d'Haïti, tome. Collection du CHUDAC. Port-au-prince, 2001. Page 18

2 Ibid. Page 18.

toile de fond sur la scène coloniale, les deux grandes classes antagoniques : Les blancs et les esclaves. Les premiers sont les détenteurs des moyens de production et les seconds, les forces productives de la colonie.

Entre les blancs au sommet de la société pyramidale de St Domingue et les esclaves à la dernière cale, les affranchis formaient la classe intermédiaire. Cette classe se formait de sang mêlé, rejetons des unions d'hommes blanc et de femmes esclaves, et de quelques noirs libres. Comme le statut social à St Domingue était dominé par la couleur de la peau, alors les affranchis, pour la majorité mulâtre, furent considérés comme à michemin entre << l'humain », son père blanc, et la << chose meuble » sa mère esclave. Être contradictoire dès sa conception, sa vie dans la colonie et même dans la futur Etat-nation allait refléter à travers l'histoire cette position suspendue entre l'être et le non-être, résultante de cette crise identitaire aiguë. Toutefois, cette condition déterminante de sa position, dès sa naissance, le rapprochait de la classe de son père blanc, propriétaire et des moyens de production et de la force de travail nécessaire à sa productivité. Déjà en 1685 le Code noir, selon Edner Brutus, octroya à cette catégorie d'individus << les mêmes prérogatives qu'à leurs pères. Leurs garçons et filles épouseront bientôt des blanches et des blancs. En 1703, ils n'étaient que cinq cent, ils étaient propriétaire, commandaient eux aussi à des esclaves. Ils exerçaient le commerce et des métiers. Ils servaient dans la maréchaussée. Ils pouvaient prendre des précepteurs, fréquenter les écoles des paroisses. Ils se rendaient en France,

s'éparpillaient dans les collèges. La vie ne leur était pas inclémente »1. Jusqu'à la première moitié du 18ème siècle leur nombre, leur puissance économique, leur instruction, en résumé leurs poids dans la colonie, commençaient à

alerter les blancs, qui furent contraints pour la sauvegarde de leur statut quo de freiner la percée socio- économique de cette classe.

Au plus bas niveau de la pyramide sociale St- Dominguoise, végétait la grande masse des esclaves. Déshumanisée, chosifiée, marginalisée, elle constituait pourtant l'assise, le moteur économique de la société. L'éclatement du système esclavagiste aurait comme résultat irrémédiable, l'ébranlement et l'explosion de toute la société. De là le cynisme avec lequel on conservait le système. Tous les moyens furent bons pour assurer sa perduration : violence inouïe, mensonge péremptoire, perversion honteuse, etc.

1 E. Brutus. Op. cit,page 38. Page 11.

1.-L'organisation et la répartition de l'instruction dans la société Saint-dominguoise.

A l'époque coloniale l'instruction, même en France, avait une organisation un peu boiteuse. Dans la colonie, elle accusait d'un désintéressement général. La course à la richesse facile, le commerce, la spéculation, dominait la vie des gens. Edner Brutus dans son livre << Instruction publique en Haïti », constate avec ironie : <<Leurs rapports n'étaient que production, pour gaver le colon, n'exigeaient point les enseignements de l'école, et la terre pour être fécondée, ceux des sciences agronomiques. Les choses allaient bien sans cela et avec cela n'iraient pas mieux »1. Les esclaves employés comme animal de labour suffisaient à faire fructifier la colonie. Néanmoins, Edner Brutus2 rapporte qu'il y avait certaine institution qui, tant bien que mal, assurait l'enseignement à St Domingue.

Un certain révérend Boutin fonda au cap un modeste établissement, l'incitant à transformer son hôpital en un pensionnat, dont il confia la direction en 1733 à des religieuses de Notre-Dame de la Rochelle. Ce pensionnat, rapportent Dorsainvil et les Frères, cité par E. Brutus, <<en 1780, comprenait sept classes dont quatre pour 45 pensionnaires et trois pour les cent externes de la ville. En outre, de trois à quatre cent jeunes filles de couleurs, libres ou esclaves, se présentaient à l'école trois fois par semaine »3, une école qui a rapidement périclité, attaqué du cancer de racisme. L'auteur explique que conjecturalement, auraient pu se développer dans d'autres villes de la colonie des types d'établissement du genre.

Selon le point de vue de Jean Fouchard dans le livre << Les marrons du syllabaire »4, la situation de l'enseignement dans la colonie était tout à fait lamentable, il avance :

<< qu'il n'existe même pas d'école sérieuse et que l'on peut compter sur les doigts de la main celles existant, mais dans les grandes villes de St Domingue il y a des maisons où l'on offre des leçons particulières : Le sieur Lalquier enseigne au Cap les Belles-lettres et la Géométrie, Bridan à la rue Royale de Port-au-Prince enseigne le dessin, Simon Rieux, chimiste de Paris, ancien apothicaire, major des hôpitaux de Rochefort, offre à St Marc un cours de chimie théorique, la dame Vergnes enseigne à lire << par règle et par principe de grammaire », l'orthographe, la grammaire et l'histoire sainte, les Abbés du Mesnil et Chevilley ouvrent une école au Cap en 1678 pour l'enseignement des mathématiques, de la mécanique, du pilotage, du dessin et de la géographie. Le sieur Palais donne des leçons de géométrie, de trigonométrie et d'algèbre chez M. Dupré à Port-au-Prince...l'Abbé Peletier enseigne au Cap, la langue espagnole. Tel autre enseigne la physique ou la peinture. Mais ces professeurs en chambre ou ambulants ne semblent pas avoir prospéré. Ce sont des tentatives passagères, l'occasion de sortir d'une mauvaise situation et parfois de louables enthousiasmes vite découragés. Les colons semblent eux-mêmes se désespérer de l'absence de

1 Ibid. Page 18.

2 Ibid. Page 8

3 Ibid. Page 8.

4 J. Fouchard. Les Marrons du syllabaire. Editions Henri Deschamps, Port- au- prince, Haïti (1953) Page 64

moyens d'éducation dans la colonie, à un point tel qu'ils gardent leurs enfants à domicile en attendant le premier voyage de congé qui leur permettra de les conduire à une pension de Paris ou de leur province d'origine. Quant à encourager la fondation d'écoles, la plupart ne s'en soucient guère ».

Morreau de St Méry ajoute qu' << au Trou, un colon de cette paroisse, Monsieur Larat ne parvint pas à recueillir une seule souscription pour fonder une maison d'éducation au profit de cinquante orphelins »1.

Nous pouvons, au premier abord, remarquer que dans la colonie l'éducation ne faisait pas partie de la grande ligne des préoccupations de la classe dominante. Néanmoins, le livre y circulait. Il existait une forme d'institutionnalisation de l'éducation. Mais dans cette société basée exclusivement sur le rapport de classes et ayant pour assise économique une masse humaine violentée, discriminée, réduite à l'état de chose, l'éducation, instance de socialisation par excellence, n'aurait pu être autre que la reproduction du schéma social, et outil oeuvrant à la sauvegarde du système social global.

Un autre aspect important de l'organisation du système éducatif colonial est l'analyse des assises morales de son fondement, vu qu'il était contrôlé exclusivement par le clergé de la société dominguoise, également propriétaire de terres et d'esclaves. Dans la colonie << il était absolument interdit d'ouvrir une école sans l'avis favorable du curé de la paroisse, conformément à une ordonnance de M.M de Larnage et Maillard en date du 7 mai 1745, faisant suite à un arrêt du conseil du Cap en date du 4 octobre 1717, portant défense aux instituteurs publics d'avoir école sans approbation des curés, écrit Jean Fouchard2 ». L'organisation de l'éducation livrée ainsi totalement au pouvoir des religieux ne pouvait avoir une assise morale sérieuse, car ces derniers étaient également propriétaires de terres et d'esclaves, alors ils devaient veiller á faire fructifier leurs domaines et accroître leurs revenus. Et en plus de cela, l'austérité, l'autorité et les qualités morales nécessaires pour assurer cette mission leur faisaient cruellement défaut. Le même auteur rapporte que :

<< Le 11 février 1781, le propre Archevêque de Paris, alarmé par les rapports incessants qui lui parviennent de St Domingue au sujet de la conduite des religieux, croit de son devoir de transmettre au général des Dominicains un mémoire reçu d'un dominicain, stipulant que les Dominicains n'envoient dans les colonies que le rebut de leur province. Ils prennent des ecclésiastiques sans moeurs et sans aveu pour remplir les cures vacantes... Les blancs n'ont aucune confiance en la plupart des curés.(...) »3. Quelque

1 J. Fouchard. Op.cit. Page 71.

2 Ibid. Page 74.

3 Ibid. Page 74.

temps après, un autre prêtre s'alarme en s'écriant : « Cette colonie est l'asile de l'impureté, du libertinage, du scélératisme (...) »1.

Aussi est-il que l'instruction, sous la surveillance d'un tel clergé, dans une colonie où seulement le lucre et la richesse facile dominaient les passions, n'aurait pu être autre qu'une institution d'abêtissement profonde, de reproduction du statu quo, constituant un blocage systématiquement à tout désir de dépassement des conditions sociales aliénantes existant.

2.- Violences, idéologie pigmentocratique et discrimination fondamentales de
l'enseignement.-

Quelles sont les valeurs qui ont servi de fondement au système éducatif de la période coloniale

française ?

La discrimination, la violence, la mystification, le racisme, la manipulation, devaient, entre autres vices, pour la sauvegarde de cet inique modèle social, constituer le pivot du système éducatif colonial.

Dans la colonie, l'école fut l'apanage d'un petit nombre sélectionné seulement selon la loi de la grande rigueur du pigment ou de la quantité de mélanine dont la nature dans son innocence a doté les humains. Si l'éducation, selon le dictionnaire Petit Robert, est la mise en oeuvre des moyens propres à assurer la formation et le développement d'un être humain, alors on comprend pourquoi dans la colonie l'instruction fut le propre des blancs, organisée par les blancs et pour les blancs. Car seulement ces derniers avaient le droit de se considérer entièrement comme Homo Sapiens. Les affranchis, être hybride, à cheval entre la chose et l'humain, pouvaient tant bien que mal bénéficier des miettes d'une éducation distribuée au compte gouttes dans la colonie. L'esclave, reconnu judiciairement comme chose, avait l'interdiction formelle d'avoir accès à l'enseignement. Paradoxalement cette même législation qui taxait l'esclave de non-être faisait exigence au propriétaire d'esclaves de les catéchiser.

A partir de là, l'affirmation préalable que le racisme, l'idéologie pigmentocratique, l'élitisme constituaient, entre autres, la base de l'éducation coloniale. Mais qu'est ce qui explique cette peur qu'avait le colon

1 Ibid. Page 74.

de voir la propagation de l'instruction dans les couches << inférieures >> de la colonie ? Cette hantise répond à un réflexe de conservation tout naturel d'une classe, face à toute chose éventuellement capable, à la longue, de lui faire perdre ses avantages socio économiques. L'économie fut donc le maître mot de toutes les tergiversations des blancs pour cacher les bienfaits de l'instruction aux habitants de St Domingue et plus particulièrement à la masse noire esclave. Au-delà de la question raciale qui, au premier abord, semble motiver les rigueurs de la stratification sociale de la société, le contrôle des richesses et le rang social semblent ravaler la race à un facteur épi phénoménal, loin de pouvoir servir de matière causale aux luttes fondamentales de la société St Dominguoise. N'est-ce pas dans ce même fil d'idées que, Engels, dans une lettre à A. H. Starkenburg, écrit : << nous considérons les conditions économiques comme le facteur qui, en dernière analyse, détermine le développement historique. Mais la race elle-même est un facteur économique >>1. Pierre Naville dans << Les Jacobins noirs >>, se veut plus clair en expliquant qu'à St Domingue on doit se garder de réduire l'importance de la race par rapport à la classe, que << la lutte des classes prit l'allure d'une lutte de races >>2. La stratification raciale et la lutte de classes féroce dominant la colonie se joignent dans un rapport dialectique ayant pour base définitive, comme nous l'avons dit tantôt, l'affrontement social pour le statut, et la condition économique des acteurs sociaux de l'époque.

La manière dont Edner Brutus rapporte les soubresauts de la querelle affranchis/blancs pour l'accès à l'instruction montre bien qu'au-delà des facteurs raciaux, la recherche de la domination économique absolue des propriétaires blancs constituait le moteur de cette interdiction. L'auteur explique qu' <<en s'établissant dans la partie ouest de l'île en 1625, avant que Bertrand d'Ogeron ne fit venir des prostituées blanches dans la colonie, les blancs s'accommodèrent des négresses >>3. Citant Louis E. Elie, il continue : <<Les blancs eurent naturellement des enfants avec les négresses, et parfois ils arrivaient à s'unir légitimement avec elles >>4, et << souvent aussi, ils laissèrent en mourant à leurs enfants mulâtres, les biens qu'ils avaient amassés à St Domingue >>. En 1685, le Code noir concéda aux affranchis quasiment les mêmes privilèges que leurs géniteurs masculins. A cette époque, ils étaient cinq cent et étaient propriétaires et commandaient aussi à des esclaves, << ils se rendaient en France, s'éparpillaient dans les collèges >>5. Mais, déjà en 1771, les blancs commençaient à ressentir le poids économique et social de cette classe et tentent de leur imposer certaines restrictions, que Edner Brutus considère comme << insultantes pour les personnes,

1 Cité par L.F. Manigat. Op.cit, page 39. Page 56.

2 Ibid. Page 56.

3 E. Brutus.Op.cit, page 38. Page 10

4 Ibid. Page 10.

5 Ibid. Page 14

mais pourtant ne s'attaquaient pas directement à leur économie ni encore à leur possibilité d'instruction. A ses membres, on demanda par exemple de porter des vêtements autrement taillés ou ornés que ceux des blancs et des blanches. Il leur fut enjoint de ne plus passer le seuil des magasins où des représentants de la race servaient la clientèle >>1.

En 1745, ils sont trois mille, rapporte Louis E. Elie2. Et « beaucoup d'entre eux reviennent de France. Leur ascension sociale se fait de plus en plus évidente. Nombre d'hommes de couleur sont non seulement riches, mais avocats, médecins, chirurgiens, habiles dans les arts d'agrément. La tension monte du coté des blancs. En 1755, même les administrateurs de la colonie se sentirent touchés par la menace que représentaient les affranchis. Ils accusent les affranchis de rêver aux hautes positions civiles et militaires, d'acheter les plus magnifiques domaines, de songer à des mariages avec les gens distingués du royaume >>. Un autre document leur reproche « d'avoir des blancs à leurs gages et que dès lors, ils n'en honorent pas assez l'espèce >>3. Les blancs devaient, face à cette montée ascendante, donner une réponse adéquate à cette situation. Une réponse qui n'allait pas tarder à exploser brutalement au milieu des affranchis. Dans une note officielle déjà on peut lire qu'il est « essentiel de maintenir dans une grande distance l'espèce qui commande et l'espèce qui obéit>>4. A côté de cela une ordonnance royale rétablit que « Tout mulâtre esclave qui voudrait s'instruire sera puni de cent coups de fouet, tout mulâtre affranchi redeviendrait esclave >>5. L'exercice des professions libérales lui est désormais prohibé et sont déchirés les brevets de capitaine ou de lieutenant dans la milice, les sages femmes, diplômées de Paris, voient annuler leurs parchemins.

Toutefois, ces mesures n'atteignirent pas leurs objectifs. L'importance qu'avaient prise les affranchis dans la colonie comme classe intermédiaire était trop prononcée pour ne pas s'amplifier. Non seulement, ils croissaient en nombre, mais ils avaient de plus en plus de richesse et contrôlaient certaine branche importante dans les professions libérales. Nemours, dans l'ouvrage pré cité, rapporte que : « vers 1789 les affranchis étaient 28.000 >>, et, trois ans plus tard en 1792 « ils avaient au moins le tiers de toutes les propriétés et de la fortune publique >>6. Alors, en ce sens les blancs devaient tant bien que mal accepter la classe des affranchis à la lisière de

1 Ibid. Page 13

2 Cité par Edner Brutus. Op.cit page 38. Page 12.

3 Ibid. Page 13

4 Ibid.Page 13.

5 Ibid. Page 13.

6 Ibid. Page 14

leur position socio-économique, car leur poids social avait une épaisseur considérable, et toute considération faite, pour la grande majorité des affranchis, la couleur dorée de la peau pouvait les disposer à partager plus ou moins le statut d'homme, accaparé jalousement par leur père.

3.- Profondeurs et problématique de « l'Académie marron ».

L'esclave devant l'enfer de l'existence St Dominguoise avait développé différentes formes de résistance. Le marronnage constituait la plus importante expression de la répulsion de l'esclave face à ce système. Si pour certains auteurs comme par exemple Yvan Debbash1 le marronnage est une sorte de << désertion >> sans aucune valeur révolutionnaire, pour d'autres, comme Jean Fouchard, Edner Brutus, Aimé Césaire, il est présenté comme la base fondamentale de la révolution, un mouvement de résistance, de protestation et de combat pour et vers le chemin de la liberté. Que l'approche soit réductionniste ou excessivement explicative de la révolution, le marronnage constituait objectivement une véritable académie de formation, et de fermentation à différents niveaux de la lutte révolutionnaire jusqu'à l'aboutissement de l'Etat-Nation d'Haïti. Edner Brutus, dans le livre << Révolution dans Saint-Domingue >> présente le marronnage comme << une vaste école révolutionnaire en plein air, avec ses innombrables succursales et d'où sortiront des bataillons de nègres vaillants, des escouades de techniciens de la lutte des classes, de la guerre de partisans, du sabotage, de l'empoisonnement, des enlèvements et des meurtres >>2. Plus loin il poursuit qu' << ils avaient leurs propres professeurs, leurs propres doctrinaires et théoriciens, leurs propagandistes, leurs tacticiens et leurs stratèges, leurs prêtres et leurs médecins. En grand nombre. (...) De leurs rapports écrasants avec la nature et avec les hommes, partait, pour insinuer dans leur coeur gonflé de haine et dans leur tête taraudée par le besoin d'une existence plus clémente, la nécessité de leur liberté perdue >>3. Alors c'est là dans ces grands ateliers où fourmillent ces idées de lutte, que l'esclave, pour certains, allait partir à la conquête du livre, séquestré historiquement par la classe dominante.

Il est à souligner que pour la maintenance de l'ordre social érigé dans la colonie, et la sûreté des blancs, l'esclave devait demeurer dans une ignorance totale des connaissances livresques. Certains nègres à talent ou domestiques, pour les besoins de la colonie à accumuler de considérables savoir faire dans des domaines

1 Cité par L. F. Manigat. Op.cit, page 39. Page 100.

2 E. Brutus. La revolution dans Saint-Domingue. Tome I. Les Editions du Panthéon, Belgique, 1969.Page 24

3 Ibid. Page 24.

particuliers, comme la fabrication des tuiles, des briques, des vases en terre cuite, constituaient une catégorie consentie à laquelle pourtant le syllabaire, jalousement protégé par les blancs, était refusé. Girod-Chantrans venu à St Domingue, nota cette tentative de tenir l'esclave au dehors du monde du livre. L'on porte attention, remarque t-il, jusqu'à empêcher que les esclaves n'apprennent à lire (...) quel danger n'y aurait-il pas en effet, à éclairer des hommes vexés aussi injustement qu'ils le sont ! Ce serait les aigrir et les porter à la révolte (...) >>1.

A bien analyser le mode de vie des esclaves dans la colonie, les conditions objectives nécessaires à l'apprentissage n'étaient nullement réunies. Travaillant à longueur de journée sous le fouet cinglant d'un commandeur, vivant dans une telle misère, que les bêtes de la colonie n'avaient rien à leur envier, vu le régime de sentences, de punitions et de tortures, imposé aux esclaves, l'instruction n'aurait pas dû avoir un attrait particulier pour cette catégorie de personnes. Pourtant, l'engouement avec lequel l'esclave cherchait à s'alphabétiser, les sacrifices énormes qu'il consentait, et les murs restrictifs qu'il enjambait au risque de terribles représailles, expliquent une soif intellectuelle énorme. Motivé par le besoin d'atteindre le fruit défendu, attraction pour l'un des facteurs qui justifient la qualité d'homme, désir de s'approprier une des armes de domination de la classe dominante... Complexe question, mais fait flagrant selon Jean Fouchard, expliquant une volonté énorme pour percer les mystères du syllabaire.

Effectuant l'analyse de certaines correspondances de l'époque coloniale, Jean Fouchard rapporte une observation de M. Parhe stipulant que << sur cent trente esclaves qui composaient la cargaison du bâtiment à bord duquel il fit le passage de Gambie aux indes occidentales il y en avait vingt-cinq qui savaient écrire l'Arabe >>2. Toutefois jusqu'aujourd'hui, à part l'étude remarquable de Jean Fouchard << Les marrons du syllabaire >> qui a abordé cette question avec réserve, aucune autre étude scientifique n'a encore éclairé ce sujet combien important. Mais vu l'enfer qui happait l'esclave dès la traversée de l'Atlantique pour le transplanter brutalement dans le cauchemar de la vie coloniale, les acquis intellectuels de l'Afrique n'auraient pu tenir sur plusieurs générations.

La lutte qu'ont menée les esclaves dans la colonie de St Domingue pour s'approprier le syllabaire, était troublante. A côté du marronnage classique, arme de résistance face à un système déshumanisant, il se développait

1 Cité J. M. Richard dans le texte du cours << Sociologie du système éducatif haïtien >>.

2 J. Fouchard. Op.cit page 41. Page 18.

clandestinement une véritable école alternative, s'appuyant sur la culture politico-religieuse vodou. Cette école a formé la majeure partie des premières élites politiques auteurs de 1804.

Louis E. Elie dans << Histoire d'Haïti >> raconte au sujet des esclaves que, après une dure journée de labeur exténuant << des groupes de noirs se réunissaient en secret, souvent dans un endroit perdu de la campagne, pour recevoir d'un bon vieux prêtre, des notions de lecture et de calcul (...) La gendarmerie coloniale, avertie un jour de ces transgressions de lois, décida que les esclaves surpris dans ces réunions illégales, seraient vendus à l'encan au profit du trésor >>1. Ceci nous montre l'ampleur des barbelés érigés contre l'esclave pour l'empêcher de s'instruire, mais, c'était mal évaluer la capacité de résistance extraordinaire de ce dernier. << Il s'est servi de tous les moyens pour atteindre ses objectifs, que ce soit le déchiffrage de l'alphabet dans les initiales du colon étampé au fer rouge sur sa poitrine, ou se servant du sang de leur chair lacérée comme encre pour transmettre les mots de profond douleur >>2.

Après la proclamation de la liberté générale, le 29 aout 1793, le désir de s'instruire fit place à une véritable course à l'instruction. Les commissaires civils Sonthonax et Polvérel3 développèrent un vaste programme d'instruction, ils allaient jusqu'à annoncer qu'ils ne délivreraient aucun brevet d'officier aux citoyens qui ne pourraient signer une pièce quelconque. Dans l'article 65 de la proclamation de Polvérel relative à la liberté générale, en date du 31 octobre 1793, il est stipulé qu' <<il y aura pour chaque section un nombre suffisant d'instituteurs qui seront chargés d'enseigner aux enfants la lecture, l'écriture et le calcul, et de leur expliquer les droits et les devoirs de l'homme et du citoyen. Le nombre sera aussi déterminé par un règlement particulier. Des écoles sous leurs impulsions furent créées dans diverses régions de la colonie.

Sonthonax et Polvérel, embarqués en doux vers la métropole par le fameux Toussaint Louverture, ce dernier allait poursuivre le programme de l'instruction publique en l'amplifiant. Sous son bras puissant la colonie a connu un essor particulier que ce soit au niveau de l'économie, de l'organisation spatiale et politique. L'instruction dans la colonie n'était plus la propriété exclusive d'une race-classe, mais toute la population, rurale ou urbaine

1 Cité par J. M. Richard dans le texte du cours: « Sociologie du système éducatif haïtien >>.

2 Ibid

3 J. Fouchard.Op.cit page 41. Page 93

pourrait y avoir accès. Jean Fouchard1 illustre ce fait quand il indique que l'instruction publique était organisée suivant un système. Le système Louverture. Le syllabaire est porté dans les campagnes. Toussaint interdit d'exposer les enfants des cultivateurs aux dangers et à la corruption des villes. Il recommande de créer des écoles dans les ateliers mêmes et d'y éduquer les enfants, sans les arracher au milieu dont l'évolution dépendra de leurs bras et de leur cerveau. Il crée un lycée et des écoles dans les principales villes. « Instruisez-vous les uns les autres »2 fut le principal mot d'ordre de l'ingénieux précurseur.

Il faut à ce niveau de notre analyse, louer les sacrifices de nos ancêtres, qui ont effectué de réels sacrifices pour abreuver un peu leur soif d'instruction, malgré les vicissitudes du pervers modèle colonial esclavagiste. Des informations fournies par l'un des opprimés du régime colonial esclavagiste, devenu secrétaire du Roi Christophe et précepteur du prince royal, le baron Pompée Valentin de Vastey3, indiquent que la plupart de nos ancêtres témoignaient d'une telle ardeur intellectuelle, qu'ils marchaient avec leurs livres à la main, interrogeant les passants, requérant de ceux qui savent lire la signification de tel mot ou de tel signe. C'est ainsi que beaucoup d'individus avancés en âge parvinrent à se délivrer du poids de l'ignorance de la culture livresque.

Toutefois, notre éducation, née dans le brouillard du complexe et inique système colonial esclavagiste français, lui-même héritier du lourd poids de la destruction brutale du peuple autochtone, ne saurait facilement se défaire des troubles socio psychologiques ataviques, attachés à un système basé sur des oppressions de toutes sortes et l'aliénation. La formidable révolution fermentée dans les écoles clandestines sous la toile de fond mysticopolitique du vodou, religion populaire, et le créole outil de synchronisation des différentes ethnies africaines, allaient être refoulés par une élite accapareuse des pouvoirs politiques et économiques, intériorisant la culture religieuse et linguistique de l'ancienne métropole, niant totalement la dimension africaine de la personnalité collective haïtienne. C'est au coeur de ce lacis de contradictions génératrices de l'ambivalence socio-culturelle que se forma le complexe système éducatif national.

1 Ibid. Page 95-96.

2 Ibid. Page 96.

3 Cité par Dr Richard dans le texte précité.

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"Ceux qui rĂªvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rĂªvent de nuit"   Edgar Allan Poe