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La protection du délégué du personnel en droit du travail camerounais

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par Paulin KAMENI WENDJI
Université de Douala - Master 2 Recherche en Droit Privé Fondamental 2008
  

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Paragraphe 1 : Les sanctions civiles du licenciement irrégulier

Sur le plan civil, tout licenciement du délégué du personnel effectué sans que l'autorisation de l'inspecteur ait été demandée et accordée est nul et de nul effet. Ainsi, il y a survie du mandat et du contrat du délégué irrégulièrement licencié et son droit à la réintégration (A). De même, le délégué du personnel a droit à une indemnité (B) correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration.

A- La question de la réintégration du délégué du personnel irrégulièrement congédié

Le délégué du personnel est protégé judiciairement en cas de licenciement prononcé en violation de la procédure protectrice. D'après l'article 130 alinéa 3 du Code du travail, l'inobservation de cette procédure protectrice rend nul et de nul effet son licenciement. Ce texte a fait l'objet d'une interprétation jurisprudentielle différente. Nous distinguerons la position de la jurisprudence avant (A) et après (B) 1990.

1- La position de la jurisprudence avant 1990

La jurisprudence a connu un grand flottement au sujet des conséquences du licenciement du délégué du personnel intervenu sans autorisation préalable de l'inspecteur du travail compétent. Au départ, elle déclarait abusif le licenciement du délégué du personnel intervenu sans l'autorisation de l'inspecteur du travail76(*). La sanction à cette époque était l'octroi des dommages intérêts77(*).

En décidant ainsi, les juges allaient à l'encontre de la loi et faisaient une confusion grave entre le licenciement abusif78(*) et le licenciement irrégulier79(*). Cependant, certains juges du fond avaient bien perçu le problème en annulant le licenciement du délégué du personnel prononcé sans autorisation de l'inspecteur du travail mais en décidant que les salaires doivent être versés intégralement au délégué jusqu'à son licenciement régulier80(*).

De part les travaux de la doctrine, on a assisté à un revirement jurisprudentiel depuis les décennies 1990.

2- Le revirement jurisprudentiel depuis 1990

Depuis 1990, nous remarquons que la jurisprudence camerounaise s'accorde de plus en plus sur la nécessité d'appliquer la loi au lieu d'interpréter seulement. En effet, les juges décident que le délégué du personnel licencié sans autorisation de l'inspecteur du travail doit être réintégré dans son emploi. En le réintégrant, on remet les choses en état puisque le licenciement nul est non advenu et ne saurait produire des effets de droit. Ce revirement jurisprudentiel remarquable est l'oeuvre de deux importants arrêts de la cour suprême du Cameroun.

Le premier arrêt, baptisé arrêt TIEMPA, a été rendu en date du 28 Juin 199081(*), affaire TIEMPA Jean Calvin c/CAMAIR. Les juges dans cet arrêt82(*) ont décidé pour la première fois nul et de nul effet le licenciement d'un délégué du personnel intervenu sans autorisation de l'inspecteur du travail du ressort. En se limitant sur la nullité d'un tel licenciement, ils n'avaient pas appliqué totalement les textes. C'est cette lacune que l'arrêt KAMLA François c/la BCD rendu par la cour suprême en date du 18 Octobre 1990 aura le mérite de corriger.

Dans ce second arrêt, la cour suprême décide qu'un licenciement nul et de nul effet ne peut produire aucun effet juridique et qu'en conséquence, le délégué du personnel licencié sans autorisation doit être réintégré dans son emploi83(*). Mais qu'adviendra-t-il si l'employeur ou même le délégué du personnel s'oppose à la réintégration prononcée par les juges ?

Dans un arrêt du 02 Août 199484(*), la Cour d'appel de Yaoundé décide qu'en cas de refus de réintégrer le délégué licencié sans autorisation, le paiement des salaires peut se faire sur simple commande d'huissier à la fin de chaque mois ouvrant droit au salaire. Il reste que si le travailleur, délégué du personnel n'entend pas poursuivre les relations de travail, on ne peut pas l'y contraindre car tout contrat de travail est appelé à prendre fin85(*). Dans ce cas, le législateur devrait prévoir une indemnité compensatrice.

B- L'indemnisation du délégué du personnel irrégulièrement licencié

Le salarié protégé dont le contrat a été irrégulièrement rompu a droit à une indemnité forfaitaire86(*) et au cumul des indemnités de préavis en raison de son licenciement intervenu sans cause réelle et sérieuse. Cette indemnité qui devra être versée (2) doit être déterminée sur une base solide (1).

1- La consistance de l'indemnité

De manière générale en droit civil, l'indemnité est une compensation financière destinée à réparer un préjudice87(*). « La Cour de cassation a mis fin à une longue pratique selon laquelle l'indemnisation du représentant obéissait aux mêmes règles que celle de n'importe quel licenciement abusif et ne pouvait donner lieu au paiement de salaire »88(*).

Elle se scinde en plusieurs parties. Il s'agit tout d'abord de l'indemnité compensatrice correspondant au montant des salaires échus depuis le départ du délégué de l'entreprise et aussi des salaires à échoir89(*). Il s'agit ensuite de l'indemnité de rupture. Celle-ci se calcule en fonction de la catégorie professionnelle et de l'ancienneté du délégué au sein de l'entreprise90(*). Il peut également s'agir de l'indemnité du préjudice subi par le délégué du personnel en raison de son licenciement irrégulier. « La base de calcul du préjudice subi doit être le montant des avantages directs et indirects »91(*). Mais, pour percevoir une pareille indemnité, le délégué du personnel dont le contrat de travail a été irrégulièrement rompu doit prouver qu'il a effectivement subi un tort de la part de son employeur. Cette exigence a pour avantage d'éviter la diminution de la surface financière des entreprises. Si ces dernières disparaissent, on assistera sans doute à une hausse spectaculaire du taux de chômage si rien n'est fait dans un système juridique comme celui du Cameroun.

Qu'il s'agisse de l'une ou de l'autre forme d'indemnité, elle doit être minutieusement déduite pour être versée au délégué irrégulièrement congédié.

2 - Le versement le l'indemnité calculée

Le versement de l'indemnité déduite doit se faire en monnaie ayant cour légal. Cette monnaie peut être différente de celle que le délégué du personnel percevait dans le cadre de son contrat. Ainsi, quelles sont les modalités de paiement de cette indemnité ? Doit-elle être protégée comme le salaire ? S'agira-t-il du paiement en espèce ou par virement bancaire ?

Le paiement de cette indemnité doit être constaté par un document émargé par les parties. À notre sens, il convient de retenir le moyen de paiement auquel les parties contractantes faisaient recours dans le cadre de leurs relations de travail. Cette solution permet d'éviter les difficultés liées à l'ouverture d'un compte bancaire pour des travailleurs n'en disposant pas. Cette indemnité a le caractère de salaire et doit de ce fait être protégé92(*) comme celui-ci en raison de leur caractère alimentaire.

Au-delà des sanctions civiles, le législateur camerounais a prévu une sanction répressive frappant les employeurs « récalcitrants » et « véreux » qui ne respectent pas la procédure spéciale de licenciement des représentants du personnel notamment des délégués du personnel.

Paragraphe 2 : La sanction pénale du licenciement irrégulier du délégué . du personnel : le délit d'entrave aux fonctions du délégué personnel

Malgré l'existence des sanctions civiles du licenciement irrégulier93(*), les sanctions pénales conservent une grande importance. Pour mieux appréhender les sanctions susceptibles d'être applicables (B), il parait judicieux d'examiner au préalable les éléments constitutifs de l'infraction (A).

A- Les éléments constitutifs de l'infraction du délit d'entrave

Nous distinguerons les éléments matériels (2) des éléments légal et intentionnel (1).

1- Les éléments légal et intentionnel de l'infraction

L'élément légal de toute infraction n'est jamais requis expressément par les textes. Il est néanmoins certainement nécessaire, eu égard à la force des pénalités. En effet, c'est l'article 168 alinéa 4 du Code du travail camerounais du 14 Août 1992 qui constitue l'élément légal de l'infraction du délit d'entrave. Cette disposition prévoit exclusivement une peine d'amende de 200 000 francs à 1500 000francs pour réprimer l'atteinte portée à l'exercice régulier des fonctions de délégué du personnel. La peine d'amende n'est applicable qu'en cas de récidive.

Quant à l'élément intentionnel, le délit est commis dès qu'il y a eu volonté d'enfreindre la loi. Pour certains auteurs94(*), l'intention délictueuse se déduit nécessairement du caractère volontaire des agissements constatés.

2- Les éléments matériels de l'infraction

Les cas de délit d'entrave sont très nombreux. L'employeur peut alors d'une manière ou d'une autre porter atteinte aux fonctions des délégués du personnel95(*). Sans prétendre à un examen exhaustif des cas d'entrave aux fonctions des délégués du personnel, on peut retenir les situations suivantes : le licenciement irrégulier du délégué du personnel, le refus de réintégrer ce dernier ou même sa mutation irrégulière. L'employeur qui refuse de recevoir les délégués du personnel, de requérir l'avis de ces derniers dans une procédure de licenciement collectif ou sur le règlement intérieur se rend coupable du délit d'entrave. En droit comparé notamment en France, la demande de résiliation du contrat du délégué du personnel constitue le délit d'entrave.

Le principe de liberté des déplacements du délégué du personnel est d'ordre public. C'est pourquoi ce dernier lui-même ne peut y renoncer effectivement. L'employeur qui tente cette renonciation se rend coupable du délit d'entrave96(*). Le chef d'établissement est tenu de mettre à la disposition des délégués du personnel le local nécessaire pour leur permettre de se réunir. Le choix du local incombe au chef de l'entreprise. La direction peut continuer à utiliser ce local pourvu qu'il n'en résulte pas d'entrave à l'usage légitime par les délégués du personnel. Ainsi, le chef d'entreprise se rendrait coupable du délit d'entrave si, à plusieurs reprises, il faisait sortir les délégués du local qui leur était affecté pour y tenir des réunions qui, prévues à l'avance, ne leur avait pourtant pas été annoncées97(*). Les cas de délits sus mentionnés ne sont pas limitatifs. Toute discrimination ou mesure abusive prise contre un délégué en raison de sa fonction constitue le délit d'entrave98(*).

Une fois le délit d'entrave constitué sur tous ces éléments, il ne reste qu'à poursuivre et à sanctionner son auteur.

B- Poursuites et sanctions de l'infraction

La sanction pénale ne peut être infligée (2) que si l'action a été normalement déclenchée (1).

1- Le déclenchement de la poursuite

La poursuite du délit d'entrave est précédée d'une constatation. Ainsi, quelle est l'autorité habilitée à le faire ? Cette interrogation trouve une réponse dans l'article 109 du Code du travail. D'après ce texte, la constatation des infractions révèlent de la compétence des inspecteurs du travail. Mais, il ne s'agit pas d'une compétence exclusive dans la mesure où ces inspecteurs partagent leurs prérogatives avec les agents et officiers de police judiciaire99(*). Ces autorités qui sont tenues de dresser des procès verbaux 100(*) sont en outre habilitées à saisir directement les autorités judiciaires compétentes et à déclencher l'action publique.

La poursuite pénale peut également être déclenchée à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile. Cette dernière peut être la victime elle-même ou son syndicat légalement constitué.

Il convient de noter que le délit d'entrave est une infraction répétée et peut de ce fait être poursuivi plusieurs fois sans que l'on puisse invoquer la règle « non bis in idem »101(*). C'était d'ailleurs la position retenue par Paul Gérard POUGOUE et Venant TCHOKOMAKOUA quand ils affirmaient102(*) : « La règle non bis in idem n'a pas à jouer... on ne sanctionne pas deux fois la même faute ; on sanctionne plusieurs fois des fautes répétées de même nature ».

2- Les sanctions encourues par l'auteur de l'infraction

L'auteur de l'infraction est en principe le chef d'établissement103(*). Si ce dernier s'est fait représenté ou a délégué ses pouvoirs à un collaborateur, celui-ci peut être104(*) éventuellement l'auteur du délit d'entrave. Toutefois, une telle délégation n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de toute responsabilité pénale. Il sera d'ailleurs coupable du délit d'entrave notamment s'il n'ignorait pas le caractère chronique des infractions commises105(*).

Aux termes de l'article 168 alinéa 4 du Code du travail, « toute personne qui porte atteinte à l'exercice régulier des fonctions du délégué du personnel est punie d'une amende de 200 000 à 1500 000 francs. A la lecture de cette disposition, nous nous rendons compte que le législateur camerounais du 14 Août 1992 a prévu seulement une peine d'amende ; certainement c'est en raison de la fiction de la personne morale106(*). Son arme pour protéger les délégués du personnel est là, mais elle serait plus dissuasive s'il existait également des peines d'emprisonnement depuis la première commission de l'infraction comme avait fait son homologue de 1974107(*).

Le licenciement constitue la pierre angulaire du contentieux de la protection des représentants du personnel notamment les délégués du personnel en droit du travail camerounais. C'est dire que dans la plupart des cas, les délégués du personnel ne sont protégés que contre les licenciements ; pourtant, ils font l'objet de plusieurs autres mesures déguisées et voisines des licenciements et doivent pour cela être également protégés.

* 76 _ Cf.CA de Yaoundé, 25juiellet 1968, T.P.O.M. 236 p. 5235.

* 77 _ Cf. CS arrêt n°11/5 du 20 Novembre1980, CS arrêt n° 41/S du 09 Décembre1982.

* 78 _ Sur la notion du licenciement abusif, cf. DIBANGUE KOUMBADONG (T.H), « Le licenciement abusif dans le ressort de la cour d'Appel du littoral », Mémoire de DEA, FSJP Douala 2003/2004, pp.1-110.

* 79 _ Celui intervenu au mépris de la procédure protectrice.

* 80 _ CA de Yaoundé, arrêt n°172 du 20 Février1971.

* 81 _ Cf. CS, arrêt n°36/S du 28 Juin 1990.

* 82 _ Cet arrêt a été rendu par cinq conseillers de la cour suprême siégeant, en collégialité, cf. Venant TCHOKOMAKOUA et Pierre Etienne KENFACK : Droit du travail camerounais, PUA, Yaoundé 2000, p.194.

* 83 _ L'arrêt KAMLA François constitue un revirement spectaculaire de la jurisprudence Camerounaise. Mais malheureusement sa portée est réduite parce qu'il n'a pas été rendu par trois conseillers de la cour siégeant ensemble, condition sine qua non pour qu'elle s'impose aux juges inférieurs.

* 84 _Arrêt n°163/S du 02 Août 1994.

* 85 _ Voir art. 1780 du Code civil. D'après ce texte, on ne peut engager ses services à vie.

* 86 _ Le bénéfice de cette indemnité forfaitaire est conditionné par l'existence d'un préjudice réellement subi par le salarié protégé.

* 87 _ Voir Professeur Agrégé Jean GATSI, Dictionnaire Juridique 2010, 2e éd. P.U.L., p.172.

* 88 _ Voir G.H. Camerlynck et Lyon Caen (G), Droit du travail 11e éd., précis Dalloz 1982, p707.

* 89 _ Il s'agit du montant des rémunérations de la période du mandat restant à courir, majorée de six mois.

* 90 _ Cf. Arrêté n°15/MTPS/SG/CJ du 26 mai 1993 op. cit.

* 91 _ Cf. G.H. Camerlynck et Lyon Caen (G), droit du travail 11e éd. op. cit p. 708.

* 92 _ Voir Convention no 95 concernant la protection du salaire. Cette protection s'analyse à la fois contre les créanciers du travailleur et ceux de l'employeur.

* 93 _ Voir Supra paragraphe 1, p. 23.

* 94 _ Cf. Jean Maurice Verdier, Droit du travail ; Syndicats et droit syndical, Tome 5, 10e éd., Dalloz 1984 p. 428.

* 95 _ Dès lors que l'employeur s'oppose de quelque manière que ce soit, à la constitution ou au fonctionnement d'une institution représentative du personnel, il s'expose à une sanction pénale ; en ce sens voir art 168 al 4 CT.

* 96 _ Voir Rennes, 04 Novembre 1968.

* 97 _ Voir crim. 17 Novembre 1966.

* 98 _ Cf. Paul Gérard POUGOUE et Venant TCHOKOMAKOUA : « Entrave à l'exercice des fonctions du délégué du personnel », Jurisprudence Sociale Annotée, Tome 2, 1989, p.41.

* 99 _ Cf. Paul Gérard POUGOUE, (sous la direction de...), code du travail camerounais annoté, p239.

* 100 _ Ces procès verbaux doivent mentionner l'identification complète du contrevenant, la nature de l'infraction relevée.

* 101 _ Ce principe interdit des poursuites répétées pour une même infraction.

* 102 _ Voir leur article « Entrave à l'exercice des fonctions du délégué du personnel », p.

* 103 _ Sur la responsabilité du chef d'entreprise et ses limites, lire Jean Pradel, Manuel de droit pénal général, éd. Cujas 2002 pp. 368 et s.

* 104 _ Cette solution trouve son fondement dans la mesure où la responsabilité pénale est individuelle.

* 105 _ Voir crim, 15 avril 1982.

* 106 _ Pour plus de détail sur la responsabilité de la personne morale, voir Jean PRADEL, Manuel de droit pénal général, éd. Cujas 2002 pp. 368 et s.

* 107 _ Voir article 170 al. 1 du CT pour la peine d'emprisonnement en cas de récidive.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand