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L'amour comme paradigme de la morale chez Vladimir Jankélévitch

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par Marios KENGNE
Grand séminaire Paul VI-Philosophat de Bafoussam - mémoire de fin de cycle 2002
  

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CHAPITRE III : IMBRICATION DES PARADOXES DE LA MORALE DANS LA NOTION DU DROIT ET DU DEVOIR MORAL

Le droit s'entend souvent comme un ensemble de principes qui régissent les rapports des hommes entre eux et qui servent à établir des règles, des normes auxquelles les hommes doivent se conformer pour la bonne marche de la société. Le devoir quant à lui, peut être appréhendé comme « l'obligation morale considérée en elle-même et, en général, indépendamment de telle règle d'action particulière. »78(*) C'est ainsi que l'on parle souvent du devoir moral. Si Jankélévitch fait de l'amour un corollaire de la morale, il n'élude pas cependant la question du droit ni celle du devoir. Ainsi, les paradoxes de la morale qu'il présente ont un lien étroit avec la notion du droit et celle du devoir. On pourrait en fait dire qu'aimer autrui c'est faire son devoir envers autrui, c'est avoir de l'estime à l'égard des droits d'autrui.

Dans ce chapitre, nous voulons présenter le caractère paradoxal du droit moral et du devoir moral. Aimer autrui, quel qu'il soit, de manière désintéressée, implique que l'obligation qu'on aurait envers ce dernier, serait la fidélité dans l'accomplissement du devoir moral. Il s'agit de comprendre que l'exigence de la morale fait du sujet moral, un être qui n'aurait que des devoirs et dont la responsabilité consisterait non à revendiquer ses droits, mais à défendre ceux de l'autrui qui est en face. A ce titre, il n'a donc envers autrui que des devoirs. N'est-ce pas là un paradoxe ? On sait en effet, que tout homme a non seulement des droits, mais également des devoirs. Comment comprendre donc que le sujet moral ait exclusivement des devoirs envers son prochain ?

I. L'universalité des droits et devoirs

1. Objectivité et subjectivité des droits

D'entrée de jeu, il faut dire que tout homme a des droits et des devoirs. Il est pourtant vrai que l'on parle de droits de l'homme en général. D'où par exemple la déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen (proclamée en 1789). En ce sens, tout individu pris isolément a des droits déduits de l'ensemble des droits de l'homme. Ainsi, Jankélévitch peut affirmer : « Tout le monde a des droits, donc moi aussi. »79(*) De là se révèle donc le caractère à la fois objectif et subjectif du droit. Et c'est en ce sens que nous parlons de l'objectivité et de la subjectivité des droits. Il est, en effet, évident qu'un droit qui serait valable de manière universelle pour des sujets pensants, ne saurait ne pas l'être pour un individu singulier étant donné que tous les hommes ont une dignité d'égale valeur. En prenant l'exemple des besoins vitaux de l'homme à savoir, la passion de la liberté, le droit de vivre, le besoin d'aimer, nous pouvons bien comprendre qu'un droit qui est valable pour l'ensemble des humains l'est aussi pour un être singulier. D'où la formule de Jankélévitch :

« Tout le monde a des droits, donc moi aussi [...] Car je suis à tout le moins un sujet moral, un sujet moral entre autre et comme les autres, un de ces sujets en faveur desquels on réclame la justice et le droit [...] Ce qui vaut pour le tout vaut également pour la partie ; ce qui vaut pour l'ensemble des êtres doués de raison, première personne incluse, vaut ipso facto (à plus forte raison ? à plus faible raison ? selon le point de vue) pour cette première personne elle-même. »80(*)

Il faut donc retenir que les droits de l'homme en général s'appliquent également à des êtres particuliers, chacun à son niveau. Seulement, dans la morale que prône Jankélévitch, nos droits ne sont pas à revendiquer. Je n'ai pas à revendiquer mes droits. Si j'ai des droits, j'ai également des devoirs. Ce qui importe pour moi, ce sont mes devoirs. A ce niveau, on se situe dans la logique du premier paradoxe de la morale que nous avons présenté au chapitre précédent : vivre pour l'autre, quel que soit cet autre. Ceci nous emmène à dire que si le droit a un caractère objectif et subjectif, le devoir quant à lui s'applique à la subjectivité. Ce qui importe pour l'être moral ce sont ses devoirs. Cependant, même si l'être moral ne doit s'attarder qu'à ces devoirs, il faut reconnaître qu'il a des droits et qui lui sont dus :

« Mes droits sont à la fois un peu et peu de chose : un peu c'est-à-dire plus que rien, c'est-à-dire une humble assurance contre la bestialité, la rapine et la violence ; peu c'est-à-dire presque rien, ou à peine quelque chose ou, en tout cas, le moins possible, tout juste ce qu'il faut pour ne pas s'annihiler. »81(*)

En parlant de la circularité de l'être moral, nous avons dit que pour aimer, il faut être. Ainsi, pour que l'être moral accomplisse son devoir, il faudrait qu'il soit, et donc, il doit déjà avoir un ensemble de droits propres que notre auteur appelle « minimum juridique.» Il faut donc dire qu'il n'y a pas de droit sans devoir.

2. Objectivité des droits, subjectivité des devoirs

A priori, remarquons que parler de la subjectivité des devoirs ne veut pas dire que celui qui a des devoirs ignore ceux des autres. Il s'agit pour Jankélévitch de montrer que les droits ne sont pas à revendiquer comme nous l'avons souligné. Je dois également connaître que autrui à des devoirs. Cependant mon devoir ne consiste pas à m'ériger en agent de police pour obliger l'autre à accomplir ses devoirs. Mon devoir consistera donc à défendre les droits d'autrui. Je dois faire mon devoir et rien que mon devoir, sans tenir compte de l'agir de mon vis-à-vis. Nous comprenons donc que c'est encore dans le sillage du premier paradoxe, mieux du premier axiome de l'amour que nous avons souligné au chapitre précédent : aimer l'autre, quel que soit l'autre. De même, je dois faire mon devoir à l'égard de tous les êtres humains sans faire de distinction aucune, ou encore vivre pour l'autre au-delà de tout quatenus ou de toute prosopolepsie.

Il faut donc dire que le devoir moral est aussi exigent que le principe du tout-ou-rien. Il faut faire son devoir. C'est un impératif catégorique. Dans cette perspective, au lieu de dire tout le monde a des droits, donc moi aussi, on dira plutôt « tout le monde a des droits, sauf moi. Je n'ai que des devoirs. A toi tous les droits, à moi toutes les charges. »82(*) L'on se demanderait s'il y a un seul homme sans droit ? Une telle pensée serait sans doute une absurdité. Avec Jankélévitch, l'homme qui renonce au droit renonce à tout dans l'optique d'assurer la sûreté du dénuement absolu. Nous avons dit que pour aimer, il fallait être, et que pour être, il fallait aimer. Ainsi, nous pouvons dire que l'homme qui renonce au droit obtient le même droit en accomplissant son devoir moral. Ceci voudrait dire que celui qui accomplit pleinement son devoir moral acquiert par ce fait même, tous ses droits, en dépit du fait qu'il ne les revendique pas. Il faut toutefois se demander si ce n'est pas une conception quelque peu idéaliste ? Que faire en effet de ceux qui, par mauvaise foi ou délibérément refusent de reconnaître les droits des autres ?

Selon Jankélévitch, l'homme de devoir doit supporter les injustices en défendant les droits de son prochain jusqu'à en mourir : « Le juste, victime d'une injustice extrême, tel Job en ses épreuves scandaleusement imméritées, se confond à la limite avec l'amant désintéressé, qui aime sans contrepartie. »83(*) Nous sommes là dans le second paradoxe : vivre pour l'autre, à en mourir. Nous pouvons donc constater le caractère asymétrique du devoir moral. Ce devoir moral, avons-nous déjà dit est infini. L'on pourrait dire que ce devoir dicte en effet à l'homme une tâche épuisante autant qu'inépuisable. A ce titre, il faut dire que le devoir moral exige une volonté infatigable à la mesure d'un effort qui est toujours à recommencer. Il nous faut donc conclure en disant que la question du droit est universelle ; chaque individu a des droits ainsi que des devoirs. Cependant, avec notre auteur il faut relever cette ambiguïté :

« A priori et théoriquement, j'ai des droits, mais à proprement parler et à la limite, je n'ai aucun droit. Et d'abord : j'ai des droits. Mes droits - ceux du moins auxquels j'ai droit - existent ou, plutôt, consistant dans l'objectivité juridique et dans la réciprocité sociale : ils se recoupent l'un l'autre, s'agglutinent l'un à l'autre, forment un système d'intelligibles, une pièce montée qui est en quelque sorte notre savoir éthique. »84(*)

La morale apparaît chez ce philosophe comme une morale qui incite à agir, et à agir maintenant ou jamais. La vertu est à ce prix pour l'être qui se veut moral.

* 78 _ LALANDE A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, op. cit., p. 225.

* 79 _ JANKELEVITCH V., Le paradoxe de la morale, op. cit., pp. 155-156.

* 80 _ Ibid., p. 157.

* 81 _ Ibid., pp. 159-160.

* 82 _ Ibid., p. 161.

* 83 _ Ibid., p. 162.

* 84 _ Ibid., p. 163.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry