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L'amour comme paradigme de la morale chez Vladimir Jankélévitch

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par Marios KENGNE
Grand séminaire Paul VI-Philosophat de Bafoussam - mémoire de fin de cycle 2002
  

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II. La Morale de la volonté agissante

1. Caractère asymétrique du devoir moral

Tout au long des chapitres précédents, nous avons constaté que la morale et l'amour sont concomitamment liés. L'être moral c'est celui qui aime inéluctablement d'un amour désintéressé, et qui peut de ce fait le conduire à la mort si la nécessité l'oblige. En considérant qu'aimer quelqu'un c'est faire son devoir à son égard, il faut dire que dans la perspective d'un tel amour, le devoir moral ne peut être autrement qu'un devoir asymétrique parce que « le devoir est essentiellement impair. »85(*)

Le devoir moral chez Jankélévitch est un devoir qui ne souffre d'aucun délai. Il faut agir. Toute l'exigence morale doit tendre vers cet agir. Ainsi, je dois agir sans attendre la réciproque. Mon devoir est irréversible. Tout le monde a des droits et des devoirs, cela est une évidence. Mais il faut reconnaître que pour notre auteur, l'agir moral méconnaît la notion de symétrie. Ceci voudrait dire que le devoir moral doit s'accomplir dans la stricte innocence du sujet. Le sujet moral doit prendre conscience du fait que l'accomplissement de ses devoirs est la condition pour lui d'être vertueux car « faire son devoir est une vertu. »86(*) La préservation de l'innocence concerne ici celle des droits de l'être moral. Bien que l'agent moral ait naturellement des droits, l'observance de ceux-ci ne le concerne pas. En tant que sujet moral, ce qui importe pour lui ce sont ses devoirs. Dans l'accomplissement de ses devoirs, l'être moral est responsable d'autrui. Cette responsabilité vise essentiellement les droits d'autrui. Autrui n'a rien à faire avec les devoirs de son vis-à-vis. Son devoir sera de garder les droits de son prochain. Il n'a donc aucun droit à l'égard de son prochain :

« A la limite et en principe, je n'ai par rapport à mon prochain que des devoirs sans avoir moralement sur lui le moindre droit, et notamment sans avoir droit à la moindre récompense : telle est la vérité désintéressée, l'austère et ingrate vérité du devoir ! »87(*)

Il faut alors dire que les devoirs de l'être moral auront pour vocation de préserver les droits de son prochain. Tout l'agir moral doit s'évertuer à cette tâche.

Si dans l'accomplissement de mon devoir je dois être le défenseur des droits de mon prochain, il aura à mon égard seulement des droits. Ce qui est bien paradoxal, c'est que pour Jankélévitch, mon prochain n'aura par rapport à moi aucun devoir dont je puisse lui exiger moralement le respect :

« A toi tous les droits, à moi tous les devoirs et toutes les charges ! et, comme si cela ne suffisait pas : mon devoir, plus qu'à toute autre chose, s'applique à la préservation de tes droits, il englobe et commande cette préservation comme une de ses exigences les plus impératives. Ce qui est sacré pour moi et qui est l'objet de mon souci quotidien et ma constante sollicitude, ce ne sont pas tellement les droits de l'être humain en général, au nombre desquels figurent les miens, ce sont avant tout les droits de l'autre, et ce sont plus particulièrement les tiens - car je travaille pour tes droits, et non pour les miens : le premier de mes devoirs est le respect d'autrui, de sa dignité, de ses droits, de son honneur.»88(*)

Il ressort de cette idée la responsabilité éthique lévinacienne dont nous avons fait allusion antérieurement. Je suis responsable de mon prochain sans attendre de réciproque ni antécédente ni subséquente. Mon devoir moral à ce titre exige que je me sente responsable de mon prochain sans chercher à savoir s'il assume son devoir. C'est dans cette orientation que pour Jankélévitch, mon prochain n'a même pas envers moi des devoirs comme j'ai les miens à son égard. L'on pourrait admettre que ce caractère asymétrique du devoir moral tend à faire acception des droits ou à les nihiliser. Tel n'est pas le cas. Il n'y a pas de droit sans devoir et réciproquement. Seulement dans l'agir moral, dès que l'on cherche à s'approprier ses droits, l'acte n'est plus un acte moral : « La conscience de mon propre droit, considéré réflexivement et en première personne, n'est jamais morale ; elle reste prisonnière de l'intéressement et de la sordidité. »89(*) Nous pouvons donc comprendre qu'une action, si elle n'est pas désintéressée, elle n'est pas morale. L'oubli de mon droit sera à ce titre la condition de la validité de mon action. Toutefois, il faut reconnaître que, « de même qu'une vertu isolées des autres vertus est un vice, de même la vérité de mon droit, exilée du devoir, n'est plus qu'une abstraction, c'est-à-dire un mensonge. » 90(*) L'agir moral dans cette optique est le propre de l'amour pur c'est-à-dire de l'amour désintéressé.

Il faut alors dire que l'innocence de mon droit ne compromet ni les droits de mon prochain, ni ses devoirs. Si ses droits doivent constituer mes devoirs, la réciproque est loin d'être possible parce que le devoir moral se veut asymétrique :

« Tout est pour moi devoir. Et par conséquent tes droits sont perçus, vécus par moi comme étant les premiers de mes devoirs, les plus urgents et les plus impératifs : ils doivent être mon souci, mon intention, mon angoisse de chaque jour, l'objet de ma constante sollicitude. Les droits de l'autre sont eux-mêmes pour moi autant de devoirs qu'il me faut assumer et jalousement préserver, comme on veille sur un trésor infiniment précieux. »91(*)

Précisons que le devoir moral chez Jankélévitch est fonction non seulement de l'intention de l'agent moral, mais aussi de la concrétude de ses actes.

* 85 _ Ibid., p. 163.

* 86 _ JANKELEVITCH V., Les vertus et l'amour, op. cit., p. 7.

* 87 _ JANKELEVITCH V., Le paradoxe de la morale, op. cit., p. 167.

* 88 _ Ibid., p. 168.

* 89 _ Ibid., p. 169.

* 90 _ Ibid., pp. 168-169.

* 91 _ Ibid., p. 177.

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