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L'amour comme paradigme de la morale chez Vladimir Jankélévitch

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par Marios KENGNE
Grand séminaire Paul VI-Philosophat de Bafoussam - mémoire de fin de cycle 2002
  

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CHAPITRE II : L'AMOUR COMME PRINCIPE

ULTIME DE LA MORALE

Après avoir montré l'évidence de la morale dans la nature de l'homme (ce qui fait de lui un être ontologiquement moral) dans le chapitre précédent, nous voulons dans ce second chapitre, montrer que l'on ne saurait parler de la morale chez Jankélévitch en éludant le concept d'amour. Amour et morale sont liés dans sa philosophie. D'où cette remarque de Robert Maggiori : « L'amour est la morale elle-même dans la philosophie de Jankélévitch.»29(*) L'amour chez ce philosophe est un corollaire de la morale. Ceci fait que sa réflexion morale est toute orientée vers le concept de l'amour.

Dans une première articulation, nous allons présenter les paradoxes de l'amour sous forme d'un impératif catégorique. Pour aimer, il ne doit avoir aucune condition, et ce, jusqu'au plus haut degré du sacrifice. La deuxième articulation se situera quelque peu dans le sillage du premier chapitre pour montrer la causalité circulaire de l'être moral. Il sera question de mettre en lumière le fait que l'être moral préexiste à l'amour et réciproquement.

I. Paradoxes de l'amour

1. « Vivre pour l'autre, quel que soit cet autre »

Existe-t-il un amour sans condition ? Ou encore peut-on penser un amour sans motivation ? Aimer est un fait purement humain et lié à la nature même de l'homme. De même que l'homme ne peut vivre sans morale comme nous l'avons souligné dans le chapitre précédent, de même, nous pourrons dire qu'il ne peut vivre sans aimer. Mais qu'est-ce que l'amour ? Que veut dire aimer ?

Vladimir Jankélévitch présente deux paradoxes qui constituent un impératif indubitable pour aimer. Aimer c'est « vivre pour l'autre, quel que soit cet autre. »30(*) Tel est le premier paradoxe de l'amour. L'amour présuppose toujours la mise en mouvement d'au moins deux êtres. C'est le mouvement d'un Je qui est en quête d'un Tu, ou le mouvement d'un Ego à la recherche d'un Alter. Dans ce sens, André Lalande pense que l'amour est tout simplement « un nom commun à toutes les tendances attractives, surtout quand elles n'ont pas pour objet exclusif la satisfaction d'un besoin matériel. »31(*)

Mais nous voulons appréhender l'amour dans une perspective purement humaine ; il s'agit de l'amour entre les êtres humains. Ainsi, dans l'impératif moral de Jankélévitch qui est « vivre pour l'autre, quel que soit cet autre », il s'agit pour un individu de consacrer entièrement son vécu à un tiers, à un alter. La question qui se pose ici est celle de savoir à qui renvoie cet alter, à qui renvoie cet autre ? Nous avons donc à identifier cet autre. C'est à ce niveau que Jankélévitch parle d'amour philanthropique et d'amour altruiste.

La philanthropie désigne ordinairement un certain amour de l'humanité, humanité étant entendue simplement comme l'ensemble des êtres humains. Le philanthrope est, en effet, une personne qui aime tous les hommes ; c'est un ami du genre humain. En d'autres termes, le philanthrope est une «personne qui cherche à améliorer le sort de ses semblables par des dons en argent, la fondation et le soutien d'oeuvres.»32(*) En ce même sens, la philanthropie tend de nos jours à être considérée comme une sorte de bienveillance que l'on manifeste à l'égard du genre humain et s'apparente plus à l'humanisme qui, du point de vue philosophique, est la théorie qui place l'homme et les valeurs humaines au-dessus de tout. Peut-on aimer l'humanité ?

Signalons d'ores et déjà que la philanthropie apparaît chez Jankélévitch comme un paradoxe : « La philanthropie est paradoxologique parce qu'il est paradoxal d'aimer l'homme en général et pour la seule raison qu'il est un homme. Car cette raison, dans les concepts de la morale close, n'est pas une raison. »33(*) Cette idée paradoxale de Jankélévitch au sujet de l'amour philanthropique a un lien avec la conception aristotélicienne de l'amitié. Pour Aristote, l'ami est un autre moi-même, un alter ego. L'amitié a un langage paradoxalement altruiste. Il faut aimer l'autre, il faut être juste envers l'autre. Jankélévitch trouve ici le principe d'une ouverture infinie à l'autre dans le processus d'amour. C'est principalement l'amour de l'autre qui est une tendance à vouloir et à faire le bien à autrui. Tout compte fait, il faut dire que l'expression « vivre pour l'autre, quel que soit cet autre » pose surtout le problème de la raison de l'amour car comme le souligne Jankélévitch, « la préférabilité inconditionnelle de l'autre ne peut pas être rationnellement justifiée [...] Le fait de l'altérité n'est pas à proprement parler une raison abstraite qui explique l'amour. »34(*) Quelle est donc la nécessité de l'amour ?

Trouver une raison qui justifie le fait que l'on aime apparaît ordinairement comme une évidence en ce sens qu' « un impératif rationnel, justifiable et démontrable ne peut être moralement que conditionnel : j'aime délibérément après avoir soupesé le poids, évalué la valeur, apprécié le mérite de l'aimé. C'est la conclusion logique d'un raisonnement. »35(*) Tel est le raisonnement habituel et normal qui, le plus souvent, motive l'amour entre les individus. Mais est-ce là l'essence même de l'amour ? L'amour devrait-il être conditionné par un « parce que », un « selon que », un « en tant que » ?

Le premier axiome que formule Jankélévitch pour l'amour est de « vivre pour l'autre, quel que soit cet autre. » Voilà pourquoi nous avons remarqué que parler de l'amour altruiste ou de l'amour philanthropique n'a pas grande importance. Il faut en fait aimer au-delà de toutes les considérations humaines. Pour Jankélévitch, aimer c'est « vivre pour l'autre, quel que soit cet autre. Au-delà de tout ``quatenus'', de toute prosopolepsie. »36(*) Nous pouvons donc remarquer que l'amour exclut tout favoritisme, il transcende toute partialité. Dans ce sens, Jankélévitch fait référence à la Bible. Il part de l'Ancien Testament, notamment avec le livre du Deutéronome qui stipule que Dieu ne discrimine pas les étrangers, car d'étrangers, il n'y en a pas à ses yeux (Dt 10, 17). En outre, Jankélévitch cite saint Paul qui dans son épitre aux Romains exprime une idée similaire à celle de l'Ancien Testament : « Dieu ne fait pas acception des personnes » (Rm 2, 11). C'est à ce niveau que l'expression « quatenus » (c'est-à-dire en tant que, parce que) trouve tout son sens car il s'agit de vivre pour l'autre sans conditions aucunes ; vivre pour l'autre, quel que soit cet autre, c'est le considérer non pas en tant que ceci ou cela. C'est dans ce sens que la prosopolepsie, considérée par Jankélévitch comme « la duperie qui consiste à faire acception du masque, à prendre en considération le faciès et la couleur de la peau, autrement dit le personnage »37(*), est rejetée par les Saintes Ecritures. Pour Jankélévitch, il s'agit là des considérations purement superficielles qui vont contre le principe de l'amour. Dans ce sillage, il affirme :

« Ce qui est inessentiel et accidentel, ce qui est grimace ou apparence ``adjectivale'', Dieu n'en tient pas compte : Dieu ne tient compte que de l'essence, il ne tient compte que de l'humanité de l'homme, sans considérer la pigmentation de sa peau ni la forme de son nez. Parce qu'il est au-dessus de toute mesquinerie, de toute prosopolepsie, Dieu considère la substance et non l'épithète plus ou moins pittoresques ou folkloriques. »38(*)

Jankélévitch en déduit que ce refus de la prosopolepsie est une manifestation de la foncière indifférence à tous les distinguos sociaux, professionnels ou éthiques. Il apparaît donc que l'amour ne doit avoir aucune condition, et ceci par rapport à l'aimant comme par rapport à l'aimé. Il faut tout simplement aimer. A ce niveau peut se poser un problème de responsabilité car celui qui aime doit se sentir en quelque sorte responsable du sujet aimé. Cette responsabilité ne dépend ni des compétences ou limites de l'aimant ni de celles de l'aimé. C'est ce que Jankélévitch exprime en ces termes :

« L'assistance à un homme en danger me concerne non pas en tant que professeur, sapeur-pompier ou maître nageur, ou représentant d'une certaine catégorie sociale particulière, celle des sauveteurs : elle m'incombe parce que je suis un homme et le noyé est un homme comme moi. Tels sont les devoirs les plus urgents et les plus impératifs. »39(*)

Ne pouvons-nous pas faire un lien entre cette responsabilité morale qui, chez Jankélévitch se traduit par l'amour immotivé, mieux l'amour sans cause, avec la responsabilité éthique que prône Emmanuel Lévinas dans Ethique et infini? En effet, il faut dire que si je dois aimer mon prochain et seulement l'aimé sans toutefois viser quelque intérêt, cela est une sorte de responsabilité que j'ai à l'égard de mon prochain. Jankélévitch émet ici une idée similaire à celle de Lévinas pour qui, le rapport à autrui doit être une relation éthique dans laquelle l'ego est responsable d'autrui sans attendre aucune réciprocité. Il le dit dans cette formule :

« La relation intersubjective est une relation non symétrique. En ce sens, je suis responsable d'autrui sans attendre la réciproque, dût-il me coûter la vie. La réciproque c'est son affaire. C'est précisément dans la mesure où entre autrui et moi la relation n'est pas réciproque, que je suis sujétion à autrui ; et je suis sujet essentiellement en ce sens. C'est moi qui supporte tout. »40(*)

Pour Jankélévitch, il faut aimer sans poser aucune modalité préalable. En ce sens, « vivre pour l'autre, au-delà de tout quatenus ou au-delà de toute prosopolepsie » apparaît pour lui comme un paradoxe car cela est une contradiction par rapport à ce qui est habituellement constaté, on aime parce que ceci ou parce que cela. Ainsi, selon notre auteur, « il est doxal, c'est-à-dire conforme au sens commun, d'aimer son prochain en tant qu'il est ceci ou cela, et de l'aimer d'autant plus que ses mérites sont plus grands, que ses états de service pèsent plus lourd ; mais il est paradoxal de l'aimer sans faire acception de ses titres ni de ses mérites. Le paradoxe c'est d'aimer l'homme non pas en tant que tel ou tel, parce que ceci ou parce que cela, juif ou grec, mais en tant que rien du tout, ou sans nul en-tant-que ou, ce qui revient au même, d'aimer l'homme en tant qu'homme. »41(*) Ceci sous-entend que l'amour doit être d'un caractère ou d'une dimension universelle. L'amour doit être sans frontière. Aimer c'est aimer infiniment et universellement sans faire acception de personne. L'amour est sans cause : « Aimer l'homme sans quatenus, c'est aimer tout court et absolument, aimer un-point-c'est-tout. »42(*) Aimer dans cette condition implique chez Jankélévitch la notion du sacrifice qu'il expose dans le deuxième paradoxe de l'amour.

* 29 _ MAGGIORI R., http://philo_be-vladimir Jankélévitch à travers le pardon. htlm.

* 30 _ JANKELEVITCH V., Le paradoxe de la morale, op. cit., p. 49.

* 31 _ LALANDE A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1962, p. 46.

* 32 _ Nouveau Larousse Encyclopédique, vol. 2, Paris, Larousse, 1994, p. 1197.

* 33 _ JANKELEVITCH V., Le paradoxe de la morale, op. cit., p. 41.

* 34 _ Ibid., p. 40.

* 35 _ Ibid., pp. 40-41.

* 36 _ Ibid., p. 39.

* 37 _ Ibid., p. 42.

* 38 _ Ibid., p. 42.

* 39 _ Ibid., p. 43.

* 40 _ LEVINAS E., Ethique et infini. Dialogue avec Philippe Nemo, Paris, Fayard/Culture, 1982, pp. 94-95.

* 41 _ JANKELEVITCH V., Le paradoxe de la morale, op. cit., p. 49.

* 42 _ Ibid., p. 49.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault