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L'amour comme paradigme de la morale chez Vladimir Jankélévitch

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par Marios KENGNE
Grand séminaire Paul VI-Philosophat de Bafoussam - mémoire de fin de cycle 2002
  

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2. « Vivre pour l'autre, à en mourir »

L'amour chez Jankélévitch n'est authentique que lorsqu'il résulte d'un désintéressement total. C'est à cette condition qu'on peut parler d'amour pur. Ce deuxième paradoxe est un impératif catégorique de l'amour vrai. C'est évidemment dans le sillage du premier paradoxe qu'il est un impératif catégorique car dans le premier comme dans le second, la condition de l'acte d'amour est le dénuement total ; d'où leur présentation en un impératif catégorique : «  Ces deux paradoxes forment à eux deux un seul et même impératif [...] Parce que l'impératif d'amour est radicalement immotivé, il est catégorique ! »43(*)

Le premier paradoxe posait comme condition de l'amour, l'absence de tout quatenus, et de toute prosopolepsie. Voilà pourquoi l'amour prôné dans cette maxime, est un amour philanthropique, c'est-à-dire un amour qui embrasse tout humain ; l'homme de l'amour philanthropique est en effet un homme qui ne sait pas faire de différence entre les hommes. A ce sujet, Jankélévitch énonce :

« L'homme des droits de l'homme et des devoirs de l'homme, l'homme de l'amour philanthropique est un homme au-delà des quatenus ; sa dignité d'homme, il ne la possède pas comme un privilège spécialement conféré à son mérite ou comme une distinction accordée en récompense de service rendu ; les distinctions qui soulignent le distinguo, semblables en cela à toute discrimination, résulte de la prosopolepsie. »44(*)

Le second paradoxe est analogue au premier, car il s'agit dans les deux cas de l'amour, du don, du devoir ou tout simplement de vivre pour l'autre. Toutefois il se distingue du premier par sa spécificité qui réside dans le fait d'aimer à en mourir : « L'intention de l'altruisme n'est pas de faire mal à soi-même, mais de vivre pour l'autre ; et il lui arrive seulement de vivre pour l'autre jusqu'à en mourir. »45(*) Ici l'amour conduit à la mort, l'aimant meurt pour l'aimé : c'est le sacrifice. Ce sacrifice implique que l'aimant aime l'aimé sans poser de borne. Il l'aime à l'infini. Et pour reprendre l'expression de Jankélévitch, nous dirons que ce deuxième axiome de l'amour recommande un amour au-delà de tout hactenus c'est-à-dire un amour qui ignore le jusqu'ici ou le jusqu'à ce point, mieux encore un amour qui constitue lui-même sa propre mesure, car comme dit Saint Augustin, la mesure de l'amour c'est d'aimer sans mesure. Dans ce sens, l'amour doit donc être illimité, il doit être sans frontière ; c'est un don total et infini. Seulement, si l'homme doit aimer au point de mourir d'amour, la mort ne serait-elle pas une limite à l'amour ?

Remarquons déjà qu'il est question dans ce second paradoxe du degré de l'amour, ce degré d'amour devant être nécessairement un degré absolu. C'est le don total qui aboutit ou qui pourrait aboutir à la mort si les circonstances l'exigent. L'homme est un être qui a au moins une certitude, celle de sa finitude, il est mortel : « la mort est le mot ultime de notre destin. »46(*) Il faut donc reconnaître que l'homme est un être fini. Et pourtant le devoir moral qui lui incombe est un devoir infini. C'est ce que Jankélévitch énonce dans ce deuxième paradoxe : « L'homme est un être fini à qui incombe un devoir infini, et qui aime son prochain d'un amour infini. »47(*) On peut comprendre à ce niveau le sens même du paradoxe. Pour notre auteur, la finitude même de l'homme disproportionnée par rapport au caractère immense de son devoir est la clé de voûte du deuxième paradoxe :

« Vivre à en mourir n'aurait évidement pas de sens si le vivant était impérissable par sa constitution ontologique, s'il était incapable de mourir( ce qui est absurde) et, par suite, condamné à l'immortalité obligatoire : il vivrait alors pour ses frères sans efforts, sans mérite et sans risques, et il se dévouerait à eux corps et âme aussi aisément qu'il respire ; l'abnégation serait une fonction de la vie ni plus ni moins que la circulation du sang dans les artères ;le sacrifice serait un acte simple comme bonjour, bonsoir et bonne nuit ! Les mots sacrifice, héroïsme, courage, vertu, n'auraient plus de sens. »48(*)

Il en ressort que le caractère létal de l'homme est la condition de l'amour. C'est parce que l'homme est un être pour la mort comme dirait Heidegger, que ce paradoxe peut avoir un sens. Son trait d'authenticité réside dans la finitude de l'être humain. Il nous faut alors dire que le plus précieux don de l'amour est le sacrifice de la vie de l'être humain. Telle est le modèle que la religion chrétienne donne aux hommes, à travers Jésus-Christ, qui a posé comme condition essentielle de l'amour, le don de soi. De ce point de vu l'amour de Dieu pour les hommes n'est pas pure spéculation. Il s'incarne dans un vécu quotidien qui fera dire à Jésus Christ : « Il n'y a pas de plus grandes preuves d'amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime.» (Jn 15, 13). Ce qui est dans la droite ligne des propos de Jankélévitch ; l'amour est savoir vivre pour autrui à en mourir. Eu égard ce qui précède, ne pourrons-nous pas remarquer que la morale de Jankélévitch tend à rejoindre en quelque sorte la morale chrétienne ?

L'absoluité du don gratuit est ici présentée comme le trait de l'authenticité de l'amour. L'homme doit obéir à cet impératif de manière radicale car selon Jankélévitch, « l'impératif du sacrifice infini et du désintéressement absolu ne reconnaît en principe (c'est-à-dire théoriquement) aucune limite, n'admet aucune restriction [...] Le sacrifice n'est pas simple renoncement à ceci ou à cela, le sacrifice est l'arrachement total de tout l'être à la totalité de son être. »49(*) Il faut donc dire que le devoir moral ne doit souffrir d'aucune exception. Il est sous la gouverne d'un impératif radical qui se souscrit à la loi du tout-ou-rien c'est-à-dire celle de l'option morale.

* 43 _ Ibid., pp. 40-41.

* 44 _ Ibid., p. 48.

* 45 _ JANKELEVITCH V., L'austérité et la vie morale, op. cit., p. 244.

* 46 _ Ibid., p. 38.

* 47 _ JANKELEVITCH V., Le paradoxe de la morale, op. cit., p. 53.

* 48 _ Ibid., p. 50.

* 49 _ Ibid., p. 52.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon