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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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E). La relation entre l'équipe pédagogique et les parents

Une caractéristique suffisamment présente dans les témoignages pour que nous nous fassions un devoir de l'évoquer ici concerne la volonté des migrants d'offrir à leur descendance, non seulement, un futur correct mais aussi des perspectives d'ascension sociale. Rien d'étonnant à cela d'ailleurs puisque les migrants sont fréquemment parmi les plus entreprenants de leur village, en tout cas, ceux de la première vague partant de leur localité. Leurs pairs les ont, effectivement, souvent « envoyés » en France afin de subvenir à la cellule familiale élargie, en témoigne l'importance des sommes envoyés au pays, souvent, durant toute la vie du migrant de la première génération. Malgré leurs discours encourageant l'enfant à travailler correctement à l'école, rappelons que la majorité des classes populaires n'attend toujours pas grand-chose de l'Institution scolaire avant la Seconde Guerre mondiale178. Si on la voit comme un moyen de bien s'intégrer à la société d'accueil, les parents de nos témoins, comme d'ailleurs le reste de la population, ne comptent pas vraiment sur l'école en ce qui concerne la promotion professionnelle de leurs enfants. Souvent, c'est leur décision d'immigrer qui est mise en avant par les parents pour expliquer leur volonté d'une ascension sociale dans la famille plus que leur attitude

177 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

178 « Dans l'Entre-Deux-guerres la majorité des classes populaires n'attendait pas grand-chose de l'école, si ce n'est le Certificat d'études conduisant à un apprentissage des métiers d'ouvriers qualifiés et d'employés de bureau ».

Dans G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Paris, 1988 (p. 292).

61 consistant à encourager au maximum l'enfant dans ses études. En effet, et nous aurons l'occasion d'y revenir, les carrières de nos témoins ne sont pas vraiment en corrélation avec leur réussite scolaire. De même, leurs diplômes, pourtant « professionnalisants », ne définissent pas souvent quelles seront réellement leurs professions futures. Cependant l'attention portée à l'Ecole augmente sensiblement, surtout chez les populations d'origine étrangère pendant et après le second conflit mondial179.

Par ailleurs, on observe que plus le niveau scolaire est élevé, plus la délégation parentsmaître est contrôlée par les géniteurs, observation qui vaut pour les immigrés comme pour les Français. On constate cependant quelques variations à cette constatation : ce lien est particulièrement fort au sein des classes les plus populaires et dans les familles ou au moins un des deux parents est d'origine étrangère. En fait, « La relation pédagogique [...] implique aussi les parents de l'élève, qui, déléguant au maître ou à la maîtresse d'école une part plus ou moins grande de leur autorité parentale, attendent de lui autre chose que la simple prestation d'un service »180.

En outre, il n'est pas rare que les témoins évoquent le souvenir de leurs parents, allant raconter les incartades de leurs enfants au maître. En effet, « les familles populaires ont été souvent complices du système scolaire, cherchant même, le cas échéant, la caution de son autorité pour renforcer la leur auprès de leurs enfants »181. Régulièrement, dans les témoignages, on remarque l'approbation des parents pour une discipline scolaire qui, jusqu'au milieu des années 1960 selon François Grezes-Rueff et Jean Leduc, pratiquera encore régulièrement les châtiments corporels182. Le quitus donné aux enseignants constitue presque toujours, pour eux, l'assurance que leur enfant, cadré et encadré au sein de l'école, ne deviendra pas un voyou.

« A huit, neuf ans [...] je suis allé à l'école du Centre. [...] Une fois, la maîtresse m'a donné une claque, je ne sais plus ce que j'avais fait. Je suis rentré à la maison. Je l'ai dit. Mon père m'en a retourné une deuxième et il m'a accompagné à l'école. Quand elle l'a vu ma maîtresse lui a dit : « je lui ai donné une claque mais vous savez monsieur B., il l'avait mérité » Mon père lui a répondu : « vous avez bien fait, et la prochaine fois vous lui en donnerez deux, ça m'évitera de lui en donner quand il rentrera à la maison »183.

179 G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Paris, 1988 (p. 292, 293).

180 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 91 à 92).

181 Y. DELSAUT, Ibid. (p. 97).

182 F. GREZES-RUEFF et J. LEDUC, Histoire des élèves en France, de l'Ancien Régime à nos jours, Paris, 2007 (Introduction).

183 César B. Interrogé par I. VENDRAMINI-WILLEMS, L'immigration italienne à Noisy-le-Grand, Paris, 1992 (p. 121).

62 Les méthodes disciplinaires des enseignants sont presque toujours acceptées, voire même encouragées par les parents. Fessée, mise au coin, relégation sous le bureau du maître sont légion, plus rarement l'instituteur utilise aussi la férule. Ces punitions sont plus souvent évoquées dans les écoles de garçons que dans les établissements pour filles. Pour l'Ouest, les témoignages reçus pousseraient plutôt vers une situation où les élèves étaient relativement préservés de ces représailles physiques. Pour autant, on ne remarque pas cette « quiétude " dans des proportions suffisantes pour en tirer de vraies conclusions. Les témoignages ne sont pas assez nombreux pour avancer un bilan géographique sérieux de ces « sanctions physiques ".

L'influence de l'école et des instituteurs ne s'exerce pas uniquement sur les enfants mais aussi sur toute la cellule familiale. La relation entre l'équipe pédagogique et les parents est essentiellement indirecte, en tant qu'elle s'effectue surtout par le biais des devoirs et des leçons apprises en famille (plus souvent, avec la mère ou avec les aînés). Les témoignages rapportent effectivement que les rencontres entre les enseignants et les parents d'élèves étaient peu courantes et presque toujours à l'initiative des maîtres ou des maîtresses d'école. En général, ces visites sont motivées par le comportement ou les mauvaises notes des écoliers. Cependant l'amusante anecdote de WM montre que, dans son cas, ses parents se sentaient concernés par sa scolarité puisqu'il explique :

« Ma mère voulait que je passe le certificat d'études, elle est venu trouver l'instituteur, elle lui a dit « il faut présenter mon fils ". Lui, il a dit « il n'est pas prêt ", « si, si, si ! ". Ma mère elle voulait que je sois instruit mais il fallait que je fasse les travaux paysans ! Elle est venu une deuxième fois avec une paire de poulets et ça a fonctionné ... mais le certificat d'études je ne l'ai pas eu "184.

L'enquête dont l'analyse est fort intéressante, menée en 1951 sur les immigrés retient particulièrement notre attention ici, parce qu'elle a été réalisée par des instituteurs. Ce sont le démographe Alain Girard et le psychosociologue Alain Stoetzel qui en sont à l'origine. Cent treize familles du Lot-et-Garonne ont été interrogées par les maîtres d'école dans un entretien semi directif. Etudiée par Ronald Hubscher, professeur d'histoire contemporaine à Paris X Nanterre, cette enquête nous livre des résultats intéressants sur le rapport de l'enseignant avec le parent d'élève, il analyse ainsi de façon très fine le rapport de domination de l'instituteur sur les cultivateurs italiens du Lot-et-Garonne : « L'enquêteur est l'instituteur du village, celui qui fait classe à vos enfants ! Autorité reconnue, incarnation de l'administration, le maître d'école introduit peut-être à son corps défendant, un rapport de dominant/dominé entre son interlocuteur

184 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

et lui-même » 185. Nous nous servirons aussi de ce travail pour analyser les présupposés de ces instituteurs qui font surface dans cette enquête.

Nous avons ainsi pu observer que les raisons de l'arrivée en France ainsi que le contexte d'accueil ont un retentissement non négligeable sur la scolarité des élèves d'origine italienne, sur leur intégration et aussi sur leurs résultats scolaires. De même, le caractère sédentaire de la plus grande partie de l'immigration transalpine est, maintes fois, lié à la scolarisation dans l'Hexagone des enfants de migrants. Face à une population globalement fortement imprégnée par la religion, l'éducation traditionnelle italienne domine, bien que des cas, non négligeables, d'immigration politique impliquent une éducation différente des exemples précédemment évoqués. Nous avons ainsi pu observer que, si les attentes des parents face à l'école sont souvent fortes, contraints à un quotidien fait de travail acharné et à un manque de capacité pour aider l'enfant dans sa scolarité, l'élève « italien » se trouve souvent un peu démuni face aux demandes qui lui sont faites de la part de ses instituteurs.

185 Ronald Hubscher s'interroge alors sur la tentation du parent d'élève à tenir le langage qu'il croit que l'instituteur attend de lui.

Dans R. HUBSCHER, « 1951, une enquête sur les immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C. BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p. 195).

CHAPITRE 2
LE QUOTIDIEN DE L'ENFANT D'ORIGINE ITALIENNE A L'ECOLE

L'Ecole est, sans nul doute, l'instrument privilégié de la communication et de l'intégration des enfants de migrants. Cependant, l'établissement scolaire est aussi un microcosme où se reflètent comme à travers une lentille grossissante, les tensions de la société française par le biais des attitudes adoptées par les élèves. Faire partie intégrante d'un groupe constitue un besoin bien connu chez l'enfant. Aux questions portant sur leur vécu à l'école, les témoins interrogés évoquent, en premier lieu, des souvenirs d'ordre social ou relationnel. Aucun ne se rappelait des contenus précis des programmes scolaires, mis à part quelques leçons particulièrement marquantes, ou des exercices où ils s'étaient trouvés en difficulté.

Dès lors, travailler sur le quotidien de l'enfant à l'école n'est pas l'exacte traduction d'une étude des enseignements fournis par des professeurs, ou, du moins, pas seulement. L'élève connaît effectivement là son premier espace de socialisation, et en cela, au sein de l'école, dans la classe ou sur la cour de récréation marque profondément sa vie d'adulte et sa sensation, ou non, d'intégration dans un milieu social. Ajoutons à cela, pour ce qui concerne les enfants d'origine italienne, que ce lieu est souvent le premier espace officiel français et le fief de l'idéologie républicaine.

Figure n° 5 : La vie en classe186
(École Poincaré, Villerupt, début des années cinquante)

Figure n° 6 : Daniel Fantin187 Figure n° 7 : Jacqueline Fantin - Crampon188

186 Collection privée de Jean BURINI.

187 Collection privée de Daniel FANTIN.

188 Collection privée de Jacqueline FANTIN-CRAMPON.

I. L'élève dans son école

Pénétrons désormais dans les écoles de l'Hexagone afin de comprendre de quelle façon l'enfant d'origine italienne s'intègre dans ce milieu « français » : comment est-il accueilli ? Quelles sont ses activités dans la cour de récréation ? Quels autres écoliers fréquente-t-il ? Si elles existent, quelles différences entre son quotidien à l'école et celui des élèves issus d'un milieu endogène français ?

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci