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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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D). Les parents d'élèves : des travailleurs acharnés ?

Nous avons vu que l'immigration italienne des années 1935-1955 est constituée essentiellement de Transalpins issus de milieux populaires et prolétaires. Il nous faut maintenant nous essayer à une rapide typologie des professions exercées par les parents de nos témoins. Dans l'Ouest de la France, outre de nombreux ouvriers exerçant aux Batignolles et aux chantiers de l'Atlantique à Nantes et à Saint-Nazaire, on remarque des particularismes locaux dans les emplois des immigrés italiens. On constate ainsi que l'Ouest connaît des arrivées assez conséquentes d'artisans spécialisés, ainsi, maîtrisant mieux et depuis plus longtemps que leurs homologues français la fabrication du ciment. Les villes de Saumur, de Brest et de Rennes voient se former des équipes de cimentiers presque uniquement composées de Piémontais, Carina Travostino explique aussi, en parlant de la Sarthe que « chaque village, ou presque, avait un maçon italien »160. Quant au reste de la France, on retrouve là encore des ouvriers en usine (particulièrement dans l'Est), et toujours un nombre important de maçons. A Nantes, par exemple, les deux tiers des Italiens sont maçons (pourcentage que l'on retrouve à peu près dans les professions des parents de nos témoins161), leur savoir faire est reconnu et valorisé : en 1937, le consul d'Italie explique d'ailleurs avec un brin de fierté non dissimulée : « sono ricercati dalla picola borghesia che si vuol costruire la casetta » 162 . On trouve aussi des mosaïstes, principalement frioulans, dans les villes de l'Ouest163. A Nantes, le percement du tunnel sous les cours destiné au passage de l'Erdre a, lui aussi, donné du travail à un grand nombre d'Italiens,

159 Témoignages d'enfants d'immigrés italiens dans « La vie rêvée des Italiens du Gers », documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.

160 Questionnaire complété par Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010).

161 - « L'Italien del Norde, il vient en Franche fare le machon » (dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 50)). Le père de Georges Leclair, né le 15 Décembre 1934 à Nantes, Antonio OPPO, exerce cette profession de maçon dans le quartier de Chantenay (entretien d'O. OSSAN avec LECLAIR (Georges), le 24 avril 2008 (en vue de l'exposition au restaurant « Interlude »)). De même, que celui d'Odette Garino, originaire du Piémont, est maçon à Saumur. Son frère exerce quant à lui la profession de plâtrier (questionnaire complété par Odette GARINO - POIRIER (2010)). Le père de Carina Travostino a créé son entreprise de bâtiment (Questionnaire complété par Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010)). Celui de Lucien Zandotti, après une première formation de serrurerie en Haute-Savoie est ensuite maçon à Saumur (questionnaire complété par Lucien ZANDOTTI (2010)), celui de Mario Merlo exerce la même profession à Nantes (Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine)). Le père de Maggiorina Cattirolo est cimentier à Rennes (Questionnaire complété par Maggiorina CATTIROLOBOZZUFFI (2010)).

162 « Ils sont particulièrement recherchés par la petite bourgeoisie qui veut se faire construire une maison » TDLA.

163 A Rennes, Isidore ODORICO et ses successeurs connaîtront des succès importants. A Nantes, les
décors en mosaïque les plus connus réalisés par des Italiens se trouvent rue de la Marne (la devanture de
la confiserie Charles BOHU) ou encore à l'accès nord de la gare (cette façade est réalisée par CORTINA).

57 comme le père de Maria Cera-Branger164 par exemple. La plupart d'entre eux ne font pas le même travail que celui qu'ils exerçaient auparavant en Italie. Les femmes restent au foyer, sont parfois nourrices, bonnes, ou ont des emplois précaires : « Ma mère faisait la cantinière : elle achetait une barrique de vin et elle vendait litre par litre à tous les travailleurs qui étaient là »165. A la campagne, s'ajoutent parfois à l'emploi principal, des travaux aux champs qui permettent de vivre un peu mieux. Ainsi, WM, originaire d'Emilie-Romagne et scolarisé à Moissac dans le Tarn-et-Garonne, explique ainsi :

« Ma mère faisait le jardin, mon père faisait les travaux, les grands chantiers. Le soir, il venait arroser, on faisait pousser des légumes, il y en avait trop donc ma mère les vendait au marché. [...] Il y avait deux fermes où mes parents avaient leur maisonnette. Les propriétaires étaient maraîchers. On avait la dépendance que mon père a améliorée ensuite pour en faire une habitation acceptable. Mon père faisait toujours son métier et ma mère donnait des coups de main à la propriétaire, elle ne se faisait pas payer. Elle ne lui donnait pas de légumes parce qu'on avait un grand jardin mais elle faisait des confits d'oie, de canard, de cochon. [...] On mangeait mais on ne dépensait pas, et encore on ne mangeait que ce qu'on récoltait. Si on ne plantait pas d'arbres, on ne mangeait pas de fruits »166.

Tous les témoins interrogés pour cette étude « valorisent » leurs familles en expliquant que leurs parents travaillaient beaucoup. C'était à la fois une réalité et une nécessité167 puisque souvent, il faut envoyer de l'argent en Italie en plus des sommes allouées pour faire vivre la famille en France168. C'est aussi une sorte de défi : l'immigré cherchant ainsi à compenser sa situation humiliante d'exploité. Cet « acharnement » au travail s'accompagne souvent par la transmission de valeurs laborieuses à leurs enfants, comme l'explique Mario Merlo qui parle ainsi de ses camarades d'école :

164 Le père de Maria fut de ceux qui creusèrent le tunnel Saint-Félix.

Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

165 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

166 Entretien avec WM, Ibid.

167Le témoin parle ici de ses parents : « Ils vivaient parce qu'ils travaillaient : il n'y avait pas d'assistance. Ils n'avaient rien... ».

Entretien avec WM, Ibid.

168 « Il continue à envoyer pendant longtemps de l'argent (ses deux frères arrêtent une fois mariés) ce quifait que la situation financière de notre famille n'a pas toujours été brillante ».

Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O. OSSAN pour l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête » à l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre 2009).

« Je ne les voyaient pas en dehors de l'école parce que mon père voulait que son garçon apprenne à travailler avec lui tous les jeudis. Mes copains allaient jouer et moi j'étais en train de travailler, c'était la méthode italienne : je ne l'ai jamais vu prendre de vacances ! "169.

WM fait sensiblement le même constat :

« Ma mère me sollicitait pour arroser, il fallait pomper l'eau : je pompais, je pompais... jusqu'à mille coups, j'ai compté [...] Pour la lessive, il fallait chauffer de l'eau : « mets du bois, W ! Mets du bois ! " « Oui maman ". Je mets du bois, deux fois, trois fois ! J'avais envie de m'amuser [...] J'ai eu le malheur de lui dire « non, j'en veux plus ! ". Elle a été fourrer du feu puis elle a pris une büche longue comme ça, elle me l'a mise dessus parce que j'ai dit non ! [...] Elle me poursuivait avec le balais, c'était des manches en bois "170.

Les tracts syndicaux dénoncent parfois ces Italiens prêt à accepter n'importe quel emploi, on condamne le caractère de « main d'oeuvre servile " de ces travailleurs étrangers qui sont considérés parfois comme représentant un frein aux avancées sociales en France. L'arrivant est vu comme celui qui accepte des conditions de travail très difficiles, voire illégales, des emplois sans contrats, des horaires stakhanovistes. Pour nombre d'ouvriers de l'Hexagone, l'Italien est le « briseur de grève ". On retrouvera ces accusations dans les insultes proférées dans la cour de récréation. En Lorraine, cependant, la situation semble quelque peu différente : le très grand nombre de travailleurs italiens dans les usines et les habitudes de revendications politiques 171entraînent une syndicalisation assez importante des Transalpins comme l'illustre d'ailleurs le témoignage de Jean Burini de Villerupt. Soulignons tout de même que ce témoignage est plus représentatif des enfants, Français ou non, grandissant dans un milieu très ouvrier qu'il ne l'est de « l'immigré italien type ".

« Mon père, il était à la CGT. Les meneurs de syndicats ça n'était que des Italiens, des durs... [...] On a grandi dans les cités ouvrières avec les grèves. On a été bercé par la révolte ouvrière donc vous preniez parti pour votre père, vous n'alliez pas prendre parti pour le CRS qui lui tapait dessus [...] automatiquement, on devenait pro socialocommunistes "172.

L'archétype de l'argumentaire des Français se concentre sur l'idée que l'immigré viendrait en France pour « prendre le travail aux locaux ". Des considérations des parents à la

169 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

170 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

171 On remarque une mobilisation non négligeable des ouvriers étrangers durant l'occupation des Batignolles en 1936.

Voir à ce sujet l'ouvrage de C. PATILLON, Batignolles. Mémoires d'usine, mémoires des cités..., Nantes, 1991 (p. 40 à 42).

172 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

59 maison aux insultes de l'école il n'y a qu'un pas, souvent franchi allégrement, surtout dans la première partie de notre période. Les réponses des Italiens à ces attaques porteront sur les qualités ouvrières non seulement de leurs parents mais aussi de toute la communauté transalpine, nous aurons l'occasion de revenir sur ces conversations « musclées » de cours de récréation plus loin dans notre étude.

«Entre 1920 et 1938, les Français disaient qu'on venait prendre leur boulot. On ne leur prenait rien du tout parce qu'il n'y avait méme pas de chômeurs. A Villerupt, il y avait un chômeur. Celui qui était au chômage, c'était celui qui n'avait pas envie de bosser »173.

Ce lourd emploi du temps des parents de nos témoins n'est donc pas toujours en corrélation avec une intégration réussie. Par ailleurs, il est aussi synonyme d'une absence quasi constante des parents, du moins du père, qui entraîne parfois une rareté des rapports inter générationnels. Nombre de témoins affirment avoir finalement peu connu leurs parents.

« Le matin, il partait avant qu'on s'éveille, le soir, ma mère me disait, il est fatigué, il ne faut pas l'embêter »174.

« Mon père était ajusteur mécanicien à Sidelor, il ne pensait qu'à travailler pour gagner un salaire pour faire manger tout le monde. Notre père c'était le top du top, le gars qui bossait comme un dingue »175.

Malgré cette apparente volonté, qui relève d'ailleurs avant tout de la nécessité, des immigrés d'Outremont, de travailler, il n'est pas rare que les insultes autochtones se basent sur l'idée que les Italiens seraient un peuple de flâneurs indolents au caractère léger ou paresseux. Nombreux sont les témoins qui rapportent ces injures et racontent le sentiment de colère qu'ils avaient alors ressenti. Citons ainsi le témoignage de Carina Travostino, née en 1930 d'un mariage mixte entre un Piémontais et une Sarthoise. A la question des insultes qu'elle a pu subir, elle répond qu'elle a été injuriée une ou deux fois :

« J'ai « bondi » lorsqu'on m'a dit que les Italiens étaient fainéants alors que je voyais mon père et ses compagnons travailler dix ou douze heures ! »176.

173 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

174 Madame AVRIL, née MUTTI dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 411).

175 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

176 Questionnaire complété par Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010).

Si les vertus de travailleurs de leurs parents sont la plupart du temps vues par les témoins comme un élément positif, valorisant, ce n'est pas toujours le cas. Effectivement, à cet acharnement au travail, sont associés assez fréquemment des comportements difficiles à gérer pour la famille. Plusieurs témoins justifieront ainsi l'alcoolisme du père par la nécessité de travailler de façon acharnée : « il lui fallait ça pour tenir ! ».

Souvent, malgré les heures de travail accumulées, les conditions de vie sont difficiles, surtout quand la famille est nombreuse, comme c'est le cas dans le foyer recomposé de Jean Burini :

« Ces années, je ne les aient pas senties difficiles mais, quand j'y repense, mon père n'avait pas d'argent, on était six enfants à la maison. On allait à l'école avec le minimum de trucs. Je me rappelle qu'en hiver, on avait juste un short. [...] C'est mon père qui faisait les sacs pour l'école : il prenait deux bouts de bois, il cousait de la toile américaine tout autour »177.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams