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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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C). Des classes sociales populaires :


· Les difficultés d'apprentissage de la langue française et l'analphabétisme des parents d'élèves.

Chez tous les témoins, on remarque qu'à la question de leur provenance géographique, est aussitôt associée l'origine sociale. Issus de milieux populaires, ils font tous état des difficultés d'apprentissage de la langue française de la part de leurs parents. Par ailleurs, ayant généralement peu ou pas fréquenté l'école, les parents des élèves italiens sont fréquemment incapables d'aider leurs enfants à surmonter les difficultés intrinsèques de l'intégration dans un pays étranger. WM raconte ainsi :

138 G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en France, Paris, 2002 (p. 46, 47).

< Je suis issu de l'Emilie Romagne... Parme... [...] Mon père est né en 1882. Il est mort à 96 ans. Il avait rien mangé quand il était gosse, il s'appelait Primo. Il était le premier de la deuxième douzaine. Vous voyez, à l'époque c'était de très grandes familles. On est issus de régions rurales. A l'époque l'Italie, il y avait pas de petites propriétés, c'était des seigneurs qui avaient 40 fermes, donc ils avaient des métayers et des locataires. Il fallait commencer par métayer parce qu'un couple, quand il allait se marier, il avait rien. Donc ils gagnaient un peu d'argent, ils changeaient de ferme éventuellement, et ils devenaient locataires et ça jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale. C'était un peu comme il y a 100 ans ici, il y avait les serfs et les grands seigneurs "

< Mon père a été à l'école de 6 à 7 ans. Il a fait un an. Et à 7 ans, il est parti en apprentissage "

< Il lisait le journal mais il fallait du temps, manque d'école "

< Ma mère elle a été à l'école jusqu'en 1920. C'est elle qui écrivait les lettres. Elle savait lire et écrire " 139.

Il n'est pas rare, surtout dans la première partie de notre période, que les témoins aient des parents analphabètes (en 1931, l'Italie compte 21 % d'analphabètes, le chiffre tombe ensuite à 12,9 % en 1951 puis 8,3 % en 1961140). Par ailleurs, ils ont souvent des difficultés à parler le français141, surtout lorsqu'ils travaillent presque uniquement avec d'autres Italiens. Prenons ainsi l'exemple significatif de Paul qui a grandi dans la colonie italienne de Blanquefort, où on trouve environ 75 % d'Italiens des années vingt aux années soixante-dix :

< J'étais géné parce que mon père avait du mal à s'exprimer en français [...] Le proviseur, le censeur, c'étaient des personnages de la grande société [...] J'étais un peu géné... pour lui... pas pour moi "142.

La gêne parfois occasionnée par nos témoins devant les difficultés de langage de leurs parents s'explique par le fait que les enseignants en font un des critères décisifs de la francisation. L'enquête de 1951, déjà évoquée plus haut, offre des témoignages assez révélateurs sur cette

139 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

140 G. A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo noi, Milan, 2003 (p. 297).

141 Sur l'ignorance de la langue des Italiens récemment arrivés en France, un homme d'origine transalpine raconte que ses parents devaient se rendre à Saint-Nazaire pour travailler aux Chantiers de l'Atlantique. Lorsqu'ils arrivèrent à Paris, plus exactement à la gare Saint-Lazare, ils se crurent arrivés à bon port et demandèrent à un passant de leur indiquer les chantiers < de Saint-Lazare ". Cette anecdote est assez révélatrice des difficultés que connaît tout migrant à son arrivée dans un pays où la langue parlée est différente de celle de la terre d'origine.

(Lors de la conférence sur les Italiens de Saint-Nazaire, vendredi 30 avril 2010, Maison de quartier de Méan Penhoët).

142 Paul (de Blanquefort), dans < La vie rêvée des Italiens du Gers ", documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.

53 attente des professeurs : non seulement, il s'agit de manier correctement la langue, mais il ne faut pas avoir le moindre accent143 :

« « Il parle le français à peu près correctement avec une légère déformation de certains sons » constate l'instituteur de Monflanquin. [...] 144.

Son collègue de Monclar observe une bonne assimilation, il émet néanmoins un regret : « dommage qu'il garde l'allure et un léger accent italien »145.

Chez ce même instituteur, on remarque un sentiment xénophobe face aux défauts de langue d'un cultivateur transalpin :

« Peut-on, observe t'il à propos de l'un de ses locuteurs, l'assimiler à un vrai et loyal français ? Non : il a encore quelque chose d'Italien dans son allure et sa prononciation. Que feraient ses enfants si l'Italie était en guerre avec la France ? Les réactions seraient douteuses »146.

Des recherches ont été menées pour trouver dans les écoles de nos témoins des sources similaires mais il semble qu'elles n'aient jamais existées ou, en tout cas, n'aient pas été conservés. Peut-être faut-il chercher la raison de ce « manque d'intérêt » dans les pourcentages relativement faibles d'Italiens, voir d'immigrés en général, scolarisés dans les départements de l'Ouest du pays en 1935-1955. Nous avons donc cherché des informations dans les bulletins de notes et de comportements des témoins mais il n'y a aucune remarque quand à l'accent éventuel des élèves comme de leurs parents. Ici encore, précisons qu'aucune conclusion ne peut réellement être tirée de cette observation étant donné que beaucoup de nos témoins sont issus de couples mixtes et n'ont pas d'accent italien. Pour trouver des sources éclairantes sur ce thème, nous avons donc tenté de chercher dans le registre de matricule de l'école primaire élémentaire de garçons Raymond Poincaré de Villerupt, colonie italienne de Lorraine. Là encore, dans la colonne des observations de l'instituteur sur ses élèves scolarisés du 1er octobre 1946 au 5 février 1951, aucune remarque faite sur d'éventuelles difficultés à s'exprimer en français des écoliers transalpins 147 . Dès lors, on pourrait émettre l'hypothèse que, dans une région d'immigration constante et massive comme l'Est sidérurgique, les problèmes de langue ne se remarquent pas particulièrement. Nous savons, en effet, grâce aux témoignages que ces soucis

143 R. HUBSCHER, « 1951, une enquête sur les immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p. 191 à 204).

144 Dossier n° 17, Ibid. (p. 191 à 204).

145 Dossier n° 77, Ibid. (p. 191 à 204).

146 Dossier n° 74, Ibid. (p. 191 à 204).

147 Registre matricule de l'école primaire élémentaire de garçons Raymond Poincaré, inscrits du premier octobre 1946 au 5 février 1951, Villerupt, Lorraine.

54 dans la maîtrise de la langue française des parents existent. WM explique ainsi que, jusqu'à sa mort, sa mère appelait la salade « l'insalate »148.

La volonté d'aider l'enfant, tant dans son quotidien scolaire que dans son intégration à son environnement français en général est bien là, mais les parents n'ont donc pas toujours les compétences pour le faire correctement. Le père de WM, par exemple, l'encourage dans ses études (« j'ai pas été à l'école, c'est pour ça que je veux que tu ailles à l'école jusqu'en prépa »149) mais se voit dans l'incapacité à l'aider pour ses devoirs. La même volonté de pousser leurs enfants se retrouve dans le discours des parents de Jacqueline et Daniel, scolarisés à Nantes. Jacqueline, l'aînée des deux enfants, explique ainsi :

« J'ai été aidée dans ma scolarité par ma mère150. Mon père suivait ma scolarité. Pour perfectionner son français, il faisait des devoirs avec moi. Il lisait journaux, revues, livres... Il parlait le français avec un fort accent qu'il a toujours gardé ... un peu de difficultés à écrire le français. Il nous parlait uniquement en français parce qu'il voulait se perfectionner et s'intégrer, il parlait en italien quand il rencontrait des amis »151.

Son frère, Daniel retient, quant à lui, certaines difficultés liées au fait que son père soit italien :

« Ce n'est pas la joie tous les jours à la maison, enfant, il nous faut taire l'origine de notre père et, dans les sorties son exubérance italienne et son accent nous gênent »152.

Il n'est pas rare que les parents commencent à parler en français à leurs enfants à la demande des instituteurs, inquiets des difficultés de leurs élèves :

« Mes parents n'étaient pas en mesure de m'aider pour les devoirs, c'est ça le problème. On était vraiment embarrassés. Le frère qui nous faisait classe les avait appelé pour leur dire de nous parler mieux en français. Je ne l'ai pas mal pris du fait que j'étais dernier de la classe »153.

La « méthode » est courante : on ne parle ni en dialecte, ni en italien pour aider à l'intégration
des enfants mais le français parlé par les parents est souvent maladroit154, il arrive fréquemment

148 « L'insalata » signifiant la salade en italien TDLA.

Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

149 Entretien avec WM, Ibid.

150 Jacqueline FANTIN-CRAMPON est issu d'un couple mixte.

151 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

152 Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O. OSSAN pour l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête » à l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre 2009).

153 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

154 « Mon père voulait que sa famille s'intègre et ne parlait jamais italien ».

Dans les réponses au questionnaire de Carina CORBEAU-TRAVOSTINO, 2010.

55 que les témoins qualifient ce « parler véhiculaire » de « charabia »155, expliquant que cette langue approchant le français les a surtout desservis dans leur scolarité. Par ailleurs, le fait que seule la langue française ait sa place au sein de l'école républicaine est l'objet de nombreuses polémiques et de vives critiques dans les milieux intellectuels156.

En fait, l'aide aux devoirs de la part des parents est souvent impossible, l'apprentissage est même couramment inversé : nombreux sont les témoignages d'immigrés expliquant qu'ils ont eux-mêmes enseigné la langue du pays d'accueil à leurs géniteurs (« C'est nous qui avons appris le français à nos parents »157). En fait, les priorités premières des immigrés s'étendent avant tout à bien d'autres champs que la scolarité de leurs enfants. Elles sont plus « vitales » : il faut trouver du travail, le garder, nourrir sa famille, réussir à rester en France.

« Travail au jardin jusqu'à 10 heures donc le boulot à l'école ... je me faisais souvent tirer les oreilles ! Ma mère voulait que je m'instruise mais il n'y avait pas de journaux, pas de livres à la maison donc l'instruction... »158.

En 1935, la scolarisation comme l'interdiction du travail des enfants sont acquises, cependant, cette information sur la vie quotidienne du jeune WM nous permet de prendre conscience de l'importance des activités que certains jeunes d'origine italienne sont tenus de faire après la journée d'école, bien sûr, les devoirs en pâtissent souvent.

Par ailleurs, c'est la plupart du temps par le biais de l'école que l'enfant d'immigré italien prend conscience de sa différence, tant de culture que de catégorie sociale (ce dernier élément valant d'ailleurs aussi pour les familles endogènes « françaises ») :

« C'est au lycée que je me suis rendu compte que nous n'étions pas des privilégiés ». « C'est à l'école qu'on a vu les différences, on a compris qu'on était des immigrés ». « On finissait par avoir un drôle de regard sur notre propre famille » 159.

155 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

Entretien avec Maria C, (24 novembre 2009 -- Nantes).

156 « Légitimer d'une façon ou d'une autre l'existence de langues ou de cultures autres, c'est donner à
l'enfant la possibilité d'être lui-même, de faire l'économie de censures coûteuses traduisant la
culpabilisation forcée de ce qui lui est transmis par le milieu familial. Il faudrait aussi, sans doute, que

les parents eux-mêmes puissent ne pas avoir honte de leurs origines et s'en autoriser la transmission. Iifaudrait enfin que notre système éducatif à commencer par ses enseignants, se montre capable d'admettre

que le meilleur apprentissage de la langue française, pour les enfants de migrants passe par le détour d'une autre langue ».

Dans R. BERTHELIER, Enfants de migrants à l'école française, Paris, 2006 (p. 104).

157 Retranscription de l'interview de Damira TITONEL,

Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.

158 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King