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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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II). Un mode de vie traditionnel

Comment se confrontent les modèles familiaux traditionnels et ceux de la société d'accueil ? Est-il forcément pertinent de les placer en opposition ? Tradition et modernité constituent parfois deux ensembles au sein desquels les immigrés puisent des ressources dans un effort de « bricolage " constructif. Comment les élèves d'origine italienne gèrent-ils ces deux milieux, représentant l'un comme l'autre une bonne partie de leur quotidien ?

A). Une population fortement imprégnée par la religion, une éducation traditionnelle.

Si le début de notre période est un moment où l'émigration pour des raisons politiques existe dans des proportions non négligeables, les Italiens immigrent tout de même principalement pour des raisons financières. Cependant, comme d'ailleurs pour tous les phénomènes migratoires, ce ne sont, globalement pas les plus démunis qui prennent le chemin de l'exil. En effet, il est nécessaire d'avoir un capital de départ pour quitter la terre mère et quelques menues économies pour « tenir » si l'on arrive sans contrat de travail en France. L'immigré « type " des années 1935-1955 est tout de même généralement pauvre et, quand il y a été, il a reçu de l'école, en Italie, une instruction que l'on peut qualifier de « minime ". La plupart du temps, l'adulte reproduit l'éducation traditionnelle qu'il a lui-même reçue de ses parents. Bien sûr, des changements s'opèrent entre les deux générations mais ils sont infimes. Les valeurs liées à la religion catholique, en particulier, sont presque toujours transmises par les témoins116.

L'immigration familiale et le caractère catholique des Italiens sont d'ailleurs deux ferments d'assimilation vigoureusement défendus dans les milieux religieux autochtones. N'oublions pas qu'ils s'installent alors dans une nation qui a longtemps été appelée « fille aînée de l'Eglise "117. Cependant cette caractéristique, nous le verrons, a un rôle pour le moins ambivalent dans l'opinion française : tantôt lénifiante, tantôt repoussoir, elle n'est pas toujours un facteur évident d'intégration.

116 « Des deux côtés, c'était catholique : petit, j'allais à la messe et je suis toujours allé dans des écoles privées. »

Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

117 R. SCHOR, « Religion et intégration des étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres ", dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 248).

Dès lors, on peut s'interroger sur la part d'enfants d'origine italienne scolarisés dans l'enseignement privé, celui-ci étant nécessairement confessionnel à l'époque qui nous intéresse. Les Italiens sont majoritairement très catholiques comme on peut l'observer à la lumière de ce tableau réalisé grâce aux données d'Alain Girard et Jean Stoetzel. Cette analyse de leur pratique cultuelle montre ainsi que 96 % des Italiens de France se déclarent catholiques, même si seulement la moitié d'entre eux sont pratiquants.

 

Italiens

Catholiques pratiquants

49%

Catholiques non pratiquants

47%

Autres

4%

Tableau n°2 : La pratique religieuse, dans les années cinquante, des Italiens arrivés en France
avant la Seconde Guerre mondiale118.

Pourtant, les Italiens ne sont que peu nombreux à scolariser leurs enfants dans le secteur privé. Cette proportion est effectivement plus faible chez les élèves issus de l'immigration que chez les Français de naissance119, seule l'immigration polonaise constitue une exception à cette règle. Cette faible proportion d'étrangers s'explique d'abord par le coût des écoles privées mais pas seulement. En effet, pour les parents de sensibilité communiste, et donc la plupart du temps athées voire « anti-cléricaux », il n'est pas question de scolariser leurs enfants dans les établissements confessionnels. Walter Buffoni, issu de géniteurs ayant fuit le fascisme, explique ainsi le choix de son école et de celle de ses soeurs : « mes parents, de sensibilité communiste, tenaient à ce que nous allions dans le public »120.

Nous avons veillé à interroger des témoins issus de l'enseignement public comme de la sphère privée, nous pouvons identifier les raisons principales qui poussèrent les parents à choisir les écoles confessionnelles catholiques au moment de l'inscription des enfants. Les explications de ce choix s'expliquent souvent par la volonté de maintenir une tradition catholique. Globalement, les témoins en savent peu sur la foi de leurs parents. La question portant sur leur pratique religieuse les étonne souvent :

118 Sondage réalisé au cours des années cinquante sur des Italiens arrivés en France avant la Seconde Guerre mondiale.

Cité par R. SCHOR, « Religion et intégration des étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres » dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 250).

119 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004 (p. 251).

120 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

« on allait à l'église mais comme tout le monde, quoi !»121. Cette réflexion est surtout rapportée par les témoins de l'Ouest de la France. Il semblerait que, dans cette région, de 1935 à 1955, la pratique religieuse étant toujours globalement forte chez les Français, les Italiens aient été moins stigmatisés en tant que « papistes » et « curetons »122. Cependant le choix ne se fait pas toujours de façon aisée ou naturelle : Jacqueline et Daniel Fantin m'expliquent ainsi que la décision de les placer en école privée à Nantes était celle de leur mère et qu'elle a provoqué des disputes nombreuses à la maison123. En ce qui concerne les témoins avec qui nous sommes en contact pour cette étude, on remarque une quasi parité entre ceux scolarisés dans les établissements privés et les élèves issus des écoles publiques. Il ne faudrait pas étendre cette donnée à l'ensemble de la France de la période 1935-1955 puisque, en effet, il y a déjà, à l'époque une disparité de répartition des écoles confessionnelles en France. L'Ouest compte un grand nombre d'établissements privés par rapport au reste du pays. Nous touchons là une des limites de notre étude : ne disposant pas de chiffres précis quant à l'inscription des Italiens de France, nous ne pouvons qu'apporter des suppositions sur la disproportion observée entre l'Ouest et les autres régions du territoire français.

Il semble ici nécessaire de faire un rapide bilan de ce qu'était l'enseignement privé à la période qui nous intéresse. Le débat entre école publique et école privée est ancien, on trouve ses origines au XIXe siècle, le problème repose alors sur l'origine du financement des établissements. Rapidement, les débats se tournent vers la question de la laïcité. Dans le contexte tendu des rapports entre les gouvernements républicains français et l'Eglise, les lois Ferry (1881, 1882 et 1886) établissent un enseignement primaire publique gratuit, elles instaurent l'obligation de l'enseignement élémentaire et la laïcisation des programmes des écoles publiques. La loi Goblet de 1886 laïcise le personnel enseignant des écoles publiques. Au coeur de notre période, le régime de Vichy critique ces principes laïcs mais, à la Libération, les aides financières de l'Etat aux écoles privées sont à nouveau supprimées avant d'être restaurées en 1951 par les lois Marie et Barrangé.

Les valeurs catholiques sont donc revendiquées par les immigrés Italiens pour des raisons de conservation d'un certain nombre de caractéristiques propres au pays récemment quitté. Par

121 Entretien avec Maria C, (24 novembre 2009 -- Nantes).

122 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 39).

123 Jacqueline fréquente ainsi le pensionnat du Sacré-Coeur de mars 1945 au 14 juillet 1955 et l'école de la Châtelaine du 15 septembre 1955 jusqu'en septembre 1958. Daniel est scolarisé en 1947-1948 à l'école maternelle Saint Clair de la rue Ampère puis, jusqu'en juillet 1954, il étudie à l'école élémentaire Saint Clair de la rue Danton.

- Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

- Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 -- Vertou).

46 ailleurs, le caractère majoritairement catholique du phénomène migratoire de la population originaire de la péninsule italienne est souvent mis en avant par les Italiens comme une des caractéristiques communes avec les Français, en tout cas, il est rarement dénoncé comme un frein à l'intégration dans le creuset hexagonal. La scolarisation au sein des écoles confessionnelles serait dès lors un gage de sérieux auprès des Français et un moyen de valoriser les traits communs entre les deux pays. Le passage du public au privé, bien qu'exceptionnel, a pu se faire dans de rares cas, et ceci non sans difficultés. Citons ainsi Maria Cera-Branger, dont l'expérience est un bon révélateur des tensions entre les établissements confessionnels et ceux « appartenant » à l'Etat :

« Pendant la guerre, on a été « réfugié total », c'était du côté d'Héric, Blain. Là, j'ai eu des difficultés, non pas parce que j'étais italienne mais parce que j'arrivais d'une école laïque. J'ai dü aller à l'école chrétienne et là les instituteurs ne me mettaient jamais la première si j'avais bien travaillé et, pour la cantine, je ne mangeais pas à la méme non plus »124.

Nous pouvons tout de même observer quelques cas isolés, en général relevés lors de contacts avec des Français aux opinions ancrées à gauche. Les jeunes élèves français issus de familles « politisées », en relation avec des enfants élevés dans la tradition italienne catholique, feront parfois des remarques acerbes sur ce caractère de « christos » des Italiens : « probabilmente perché i nostri erano visti come dei gran bestammiatori » interprète le journaliste italien Gian Antonio Stella.125 Ce type d'insultes est aussi « investi » par les jeunes élevés dans la foi chrétienne mais qui, répétant là les discours de leurs parents, critiquent l'aspect plein de superstition, selon eux, du culte transalpin. D'ailleurs, les enfants issus d'un couple mixte et bénéficiant donc d'un « double appartenance » tiennent parfois sensiblement les mêmes discours, comme Maria Cera-Branger :

« Mon papa n'aimait pas l'Eglise, pourtant on était croyants, comme tous les Italiens : c'est-à-dire plus superstitieux que croyants ! Se prosterner dans les églises, embrasser les pieds des statues et tout ! »126.

Les instituteurs sont assez représentatifs de cette classe sociale de gauche souvent athée et assez
parfois anticléricale. Citons ainsi l'analyse de l'enquête de 1951 menée par des maîtres d'école

124 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

125 « Probablement parce que nous (les Italiens, NDLA) étions vus comme des grands blasphémateurs ». Dans G. A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo noi, Milan, 2003 (p.285)/

126 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

47 sur les cultivateurs italiens installés dans le Lot-et-Garonne. L'attitude de ces enseignants est assez représentative de ce que l'on peut entendre dans les témoignages des jeunes italiens de la période 1935-1955 :

« Un fond d'anticléricalisme qui fait partie de leur culture laïque se reflète parfois dans la manière dont les maîtres d'école évoquent la pratique religieuse des immigrants. Et son assiduité à aller à l'encontre de la norme dans un département non seulement déchristianisé, mais de tradition rouge »127.

En effet, on s'inquiète de la nouvelle poussée religieuse apportée en France par les Polonais ou par les Italiens. En 1936, en France, les religieuses italiennes gèrent encore une dizaine d'écoles128. Même dans les milieux catholiques, on craint l'attitude de ces étrangers qui, bien que pratiquant la même religion que la majorité des Français, ont des rites assez différents. Leur piété est jugée trop ostentatoire, ouvertement superstitieuse. Effectivement, « ces comportements faisaient craindre à la gauche et aux syndicats que le clergé étranger ne maintînt ses ouailles sous la coupe de traditions réactionnaires et sous le contrôle de gouvernements tyranniques »129. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, on observe une brèche dans le pouvoir hégémonique, restrictif et autoritaire du clergé italien130. La scolarisation dans les écoles de France entraîne l'élève d'origine italienne à vouloir fréquenter le catéchisme et le patronage des paroisses françaises afin d'y retrouver leurs camarades de classe. Le mouvement d'éducation populaire des patronages prend de l'ampleur en France mais sans réelle coordination nationale, il connaît son apogée entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années cinquante. Il existe des patronages de filles et de garçons, qui peuvent être laïcs, privés, municipaux, ou encore paroissiaux.

127 R. HUBSCHER « 1951, une enquête sur les immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p. 195, 196).

128 R. SCHOR, « Religion et intégration des étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres », L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 249).

129 R. SCHOR, Français et immigrés en temps de crise (1930 À 1980), Paris, 2004 (p. 67).

130 « Les prêtres étrangers, autoritaires, enclins à intervenir dans la vie privée des individus, interdisant aux enfants de fréquenter le catéchisme du pays d'accueil, mettant les parents en garde contre une imitation des moeurs immorales de la France et les intentions assimilationnistes prêtées à celle-ci. »

Dans l'article de R. SCHOR, « Religion et intégration des étrangers en France dans l'Entre-Deuxguerres », L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Op. Cit. (p. 250).

« J'y allais le jeudi et le dimanche. J'ai commencé, j'avais trois ans. Il y avait une petite garderie, avec des bénévoles. C'était très grand le patronage, mais c'était formidable ! On jouait aux échasses, à la balle au chasseur. Chaque étage correspondait à un age [...]. Il y avait une chorale, il avait du théâtre, il y avait du basket »131.

Par ailleurs, même dans les milieux de droite et dans les rangs des autorités catholiques, on s'inquiète de l'aspect « nationaliste » présenté par le catholicisme italien. Les prêtres étrangers sont nombreux dans l'Hexagone, ils diffusent l'idée que les processions doivent se faire en costumes nationaux et que les cantiques doivent être chantés dans la langue du pays. Laura Teuillères, historienne, et Yolande Magni, institutrice d'origine italienne, expliquent que des membres du clergé d'Outremont arrivent d'Italie en même temps que les immigrés issus d'un village près de Bergame, la colonie tout entière s'installe à Blanquefort, dans le Gers. Quatre bonnes soeurs italiennes s'occupent ainsi des jeunes filles. Une de leurs « élèves », Constance Gavazzi témoigne ainsi « ils [les Français] faisaient attention à ce qu'on reste catholiques. Ils voulaient qu'on se marie avec des Français »132. L'assimilation des immigrés voulue par les autorités ecclésiastiques françaises est donc en péril : on cherche dès lors à remplacer les prêtres étrangers par des Français polyglottes.

Cependant, si la doctrine « à l'italienne » se maintient parfois dans les colonies transalpines, au sein des écoles privées et confessionnelles, les élèves étrangers suivent totalement le « dogme à la française ».

B). L'espoir d'une immigration temporaire : une intégration moins forte dans l'Ecole française ?

« Tous les individus interviewés insistent sur le fait qu'ils n'auraient jamais cru, au moment du départ, que leur expérience migratoire durerait au point de les emmener à construire en France leur vie et celle de leurs enfants. [...] D'ailleurs, méme les récits de ceux qui se sont installés définitivement [...] font apparaître des trajectoires relativement hachées et marquées souvent par de longues périodes de crise et par des changements de direction soudains et pénibles. Toutes les expériences de vie, particulièrement intenses et difficiles qui s'y dessinent, semblent souvent le fruit d'une série d'évènements fortuits qui transforment progressivement en réalité définitive ce qui à l'origine n'était que provisoire et temporaire »133.

131 Louis PELLINGHELLI dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 434).

132 « La vie rêvée des Italiens du Gers », documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.

133 Lucia GRILLI, « Entre Naples et Paris : les migrants napolitains des années cinquante » dans Marie-Claude BLANC-CHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p.225 à 227).

Cette observation de l'historienne Lucia Grilli concernant les migrants napolitains des années cinquante installés à Paris s'applique en fait à la quasi-intégralité des Italiens arrivés en France entre 1935 et 1955. Dès lors, on peut s'interroger sur l'influence de ce caractère précaire des trajectoires de l'immigration des Italiens sur les enfants italiens et leur scolarisation en France. Leur intégration va-t-elle en souffrir ? Avant d'étudier cette question, nous nous devons de rappeler sur quels piliers fondamentaux est bâtie l'intégration. Jacqueline Costa-Lacoux en compte cinq : l'égalité des droits, la lutte contre les discriminations, les politiques compensatoires des inégalités, les modes de participation à la vie de la Cité et l'accession à la citoyenneté par l'entrée dans la communauté nationale 134 . Pour ces deux dernières caractéristiques, la volonté, de la part du migrant, de n'être que de passage ne va pas faciliter l'intégration. Cependant, l'immigration terrienne et catholique bénéficie déjà d'un regard assez bienveillant des milieux conservateurs qui considéraient que ces travailleurs étaient globalement dociles et fermement tenus par la main nationale. Ces milieux, pourtant traditionnellement relativement enclins à la xénophobie, voyaient d'un oeil peu inquiet une main d'oeuvre de travail qui, souvent, n'avait pas immigré avec l'objectif de s'implanter durablement sur le territoire français.


· Les « nomades » de l'immigration : différentes étapes en France avant l'installation définitive ?

L'image véhiculée en France est celle d'une immigration qui s'est stabilisée au sein du creuset français. Il est logique que l'on pense essentiellement, lorsque l'on parle d'immigration transalpine, à ceux qui sont toujours en France aujourd'hui et naturalisés la plupart du temps. Cependant, n'oublions pas qu'il existe des Italiens qui resteront toujours des migrants et ne passeront jamais de ce statut à celui d'immigré de France. La source qui permet de suivre les parcours des Italiens itinérants nous est donnée par les documents d'immatriculation qui devaient être tamponnés en mairie. Bien sûr, certains ne se déclareront jamais mais ceux là sont des hommes venus seuls, sans enfants. Presque toujours, les Italiens de la période 1935-1955 pensent n'aller en France que pour une courte période, pour des raisons de travail. Le seul vrai indice objectif d'une volonté de vivre en France de façon permanente est la naturalisation. Or, et c'est

134 J. COSTA-LACOUX, « De l'assimilation à l'intégration », dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 212, 213).

50 ce qui nous intéresse ici, cette décision est souvent liée à la présence d'enfants. Etre père de famille est d'ailleurs un des deux critères les plus efficaces pour obtenir la naturalisation135. En outre, les enfants qui naissent sur place consolident le lien avec le pays d'accueil et ce tant au niveau du ressenti de la famille qu'au plan légal. En effet, ces fils et filles d'Italiens nés en France acquièrent d'emblée la nationalité française. En somme, lorsque le souhait de la famille de rester en France existe, il est possible, la plupart du temps, d'obtenir la nationalité, ce, du moins, avant la Seconde Guerre Mondiale. Effectivement, la France est alors appauvrie en enfants et, donc, en soldats potentiels. En somme, ce mouvement de naturalisations massives et précipitées à partir de 1938 n'a en rien l'apparence de l'intégration. Nous avons vu que l'école est souvent le moteur principal qui pousse les parents à demander à être naturalisés, de même, les perspectives de carrière jouent un rôle important dans la naturalisation comme en témoigne d'ailleurs WM, se souvenant de sa motivation à enrayer la situation « nomade » de sa famille (il a d'ailleurs changé quatre fois d'école) :

« On est en France, on est des étrangers... On n'est pas chez nous, on n'est pas bien ! On ira mourir chez nous. Quand on aura gagné quelques sous, on ira chez nous... C'était ça jusqu'à la guerre. Mais arrivé à la guerre... moi j'avais seize ans, je me sentais géné de pas pouvoir faire ce que je voulais ! Parce que déjà à seize ans, je voulais être à mon compte. Je me disais, je ne suis pas français, je ne peux pas ou j'aurais des difficultés alors j'avais encouragé mes parents à demander la nationalité. »136.

Souvent le caractère précaire de l'installation en France de la famille n'est pas seulement lié à ses déplacements dans l'Hexagone mais aussi à ses allers-retours de chaque côté des Alpes. Que ce soit pour des raisons professionnelles ou de voyage, l'enfant « subit » les conséquences sur sa scolarité de ses voyages et des migrations pendulaires de sa famille137.

? Le problème de l'absentéisme.

En effet, la non fréquentation scolaire et l'absentéisme des étrangers, problèmes intimement liés aux déplacements de travail des familles de migrants, sont parfois abordés dans les études. Cependant, si une étude de 1927, citée par Gérard Noiriel dans son Atlas de

135 Le deuxième facteur aidant à la naturalisation est d'avoir fait la guerre.

M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000 (p. 401).

136 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

137 Par exemple, pour son élève, un natif de Bedonia, le maître d'école écrit :

« Interruption de scolarité pour un voyage en Italie. Turbulent, mais bon partout. Placé à la campagne par l'Assistance publique. »

l'immigration en France, montre que, sur 257 000 enfants d'immigrés de 6 à 13 ans (soit 8,4 % de la population scolaire), 22 000 ne vont pas ou très peu à l'école, ces chiffres diminuent ensuite. Les enfants étrangers ne suivant pas les cours dispensés (on ne parle ici que de personnes n'ayant pas la nationalité française) représentent donc 8 % en 1927. Globalement ce taux d'absentéisme diminuera doucement tout au long de la période de l'Entre-Deux-guerres138. Malheureusement, nous ne disposons pas ici nouveaux chiffres sur ce taux d'absentéisme à l'école des enfants issus de l'immigration italienne. Le fait que ces écoliers aient tous des statuts différents (Français, Italiens ou encore naturalisés au cours de leur scolarisation) ne rend, bien évidemment, pas aisé les calculs sur la fréquentation des écoles qu'il serait intéressant de pouvoir livrer ici.

Au moment du départ, la majorité des migrants ne possède que de rares informations sur leurs opportunités de travail et sur ce qui les attend en France : le projet des protagonistes est alors de gagner suffisamment pour retourner en Italie vivre une vie moins misérable. C'est souvent chez leurs enfants que naîtra l'espoir d'enracinement.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams