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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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D). L'apprentissage de l'italien comme besoin d'une reconnaissance identitaire.

La réussite de ces enfants est, parfois, particulièrement visible en cours d'italien dans l'enseignement supérieur, à condition, bien sür, qu'ils aient l'occasion et les capacités de continuer leurs études jusque là. Chez ceux qui n'ont jamais appris la langue maternelle de leurs parents, le désir d'étudier l'italien est fréquent. Effectivement, la « fidélité linguistique » ne va pas de soi chez les migrants qui nous intéressent ici : la faiblesse de la prégnance de la langue italienne est maintes fois soulignée a posteriori par leurs rejetons. Nombreux sont les enfants d'immigrés transalpins à éprouver cette nécessité de revenir aux racines par l'intermédiaire de l'apprentissage de la langue de Dante. S'ils ne la pratiquent pas dans les écoles et collèges de

417 Document annexe n° 11 (« Joyeux écoliers », journal mensuel de la classe de Jean Romac, école de garçons Poincaré de Villerupt, janvier-février 1954).

418 Robert LICITAR dans « Joyeux écoliers », Ibid.

(Voir en document annexe n°10 le texte complet).

France, ils l'apprendront plus tard : à Nantes, par exemple, de nombreux témoins iront aux cours du soir du Consulat de la rue Contrescarpe, à Saint-Nazaire, des leçons sont données à l'IUT419.

La langue d'origine a été remplacée dans les familles endogènes transalpines par un parler mixte bricolé avec de l'italien, du « dialetto » et du français, ajoutons que vient parfois s'ajouter à ce mélange des éléments de patois local français. Cet idiome particulier est étudié par Jean-Charles Vegliante qui emploie le terme de « lingua spacà », ce qui signifie à la fois double, brisée, et traduit, selon lui, « la dualité et le déchirement d'un parler mixte, en même temps que la fidélité à l'origine régionale de la langue maternelle »420. Même parmi les Italiens porteurs des différentes langues de la Péninsule, le français a fait fonction de parler véhiculaire commun puisque la langue italienne, peu parlée dans les milieux populaires, ne peut que rarement remplir cette fonction. L'historien spécialiste de l'Italie Pierre Milza évoque sa propre expérience lorsque, à la recherche de ses racines, il choisit d'étudier l'italien au lycée. Dans son quartier du Temple, à Paris, les immigrés sont bien présents mais viennent surtout de Roumanie, de Pologne ou encore de Russie421. Il exprime ainsi ce choix lui permettant un premier pas vers ses racines transalpines :

« Bon élève en anglais sans me donner beaucoup de mal, je décidai de présenter l'italien en première langue au bac, ce qui eut des effets catastrophiques sur ma prestation de juin et me contraignit à [...] préparer la session de septembre »422.

Scolairement, le choix de l'apprentissage de l'italien, pour qui n'a pas étudié au préalable la langue, est donc parfois une erreur, mais, cette décision permet la reconstruction, voire parfois même la construction, d'une identité italienne souvent dissimulée jusque là pour faciliter l'intégration dans la première partie de l'enfance. Plus rarement, certains parents semblent être à l'origine de la décision de transmettre à leur enfant l'usage correct de l'italien. Ainsi, Daniel Fantin, issu d'un couple mixte, prend des cours de langue jusqu'à ses douze ou treize ans les

419 « J'ai suivi deux ans des cours d'italien à l'IUT pour ne pas perdre ma langue natale ». Questionnaire de Giovanna, 2010.

420 J-C. VEGLIANTE « le problème de la langue : la « Lingua Spacà » », acte du colloque franco-italien sur « L'immigration italienne en France dans les années 20 », Paris, 1987, 385 p.

Voir aussi à ce sujet la thèse de psychologie clinique et pathologie de F. STORTONI, Clinique contemporaine des Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis Français... mais mon père était italien... » sous la direction des professeurs T. NATHAN et R. CHATTAH, Paris et Bologne, 2007.

421 « Ma famille habitait dans un quartier de Paris où les Italiens étaient peu nombreux et, à la maison, tout le monde parlait français. J'ai appris l'italien dans la méthode Assimil, à la fin des années 1940. » Dans Ouest France, « Ces immigrés Italiens qui ont bâti la France », entretien de A. GUYOT avec P. MILZA, mai 2008.

422 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 20).

jeudi après-midi au Consulat de Nantes, me précisant « qu'à l'oral, c'était une catastrophe »423. François Cavanna connaît sensiblement le même besoin de reconnaissance identitaire que celui narré plus haut par Pierre Milza : issu lui aussi d'une famille mixte, il parle uniquement français à la maison et dit l'avoir regretté dès son enfance424. A dix ans, il décide d'apprendre l'italien :

« Je me suis acheté un « Assimil » [...] mais c'est le vrai beau académique, quand je dis une phrase à papa, en mettant bien l'accent comme c'est dit dans le bouquin, il me regarde comme si je lui faisais peur »425.

Nous sommes là en plein coeur d'une problématique majeure en ce qui concerne les relations familiales et la recherche d'identité de la « seconde génération ». Le conflit intergénérationnel est, en effet, encore plus prégnant dans les familles d'immigrés que chez les Français. Le migrant italien se heurte à son enfant déjà très « francisé » et l'incompréhension apparaît, d'un côté comme de l'autre. Au décalage de génération s'ajoute de lourdes différences de culture entre les enfants et leurs géniteurs. Ces différences sont particulièrement bien analysées par Pierre Milza qui explique que « aussi complète qu'ait été la fusion, les fils d'immigrés portent en eux non seulement les traces d'une première socialisation effectuée au sein d'un milieu familial encore très fortement imprégné d'italianité, mais aussi les stigmates des conflits qui ont pu opposer les normes sociales en vigueur dans cette micro communauté et celles du pays d'accueil, imposés par les enfants français du même âge et par les représentants des institutions auxquelles ils ont été soumis, en premier lieu, l'institution scolaire »426. Si, bien souvent, l'adulte souhaite une bonne intégration de son enfant à la société française, il se trouve, en effet, démuni face à l'attitude de celui, qui, malgré leurs liens de sang, lui semble désormais un étranger427. Par ailleurs, cet exemple de l'enfant qui, ayant appris l'italien, se retrouve déçu de ne pas comprendre le patois de ses géniteurs est fréquent. De même, certains témoins regrettent qu'on leur ait parlé en patois à la maison mais jamais en italien. Citons ainsi, WM qui évoque les amis de ses parents :

423 Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 -- Vertou).

424 « A la maison, on parle français. Enfin, maman et moi. Papa fait ce qu'il peut. Dommage. J'aurai tant voulu parler le dialetto ! ».

Dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 52).

425 Ibid. (p. 53).

426 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 486).

427 La même observation est faite, en 1951, par les enquêteurs de l'INED :

« Le développement et l'intégration de ses enfants accroissent encore le sentiment qui domine dans sa conscience. Sentiment de différences par rapport au milieu récepteur, par rapport enfin, à ses enfants, qu'il pousse avec loyauté dans la voie qui les sépare de lui ».

Dans A. GIRARD et J. STOETZEL, Français et immigrés. L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des Polonais, Paris, 1953 (p. 114).

« A Moissac, ils étaient entre trente-cinq et quarante-cinq, toujours d'Emilie-Romagne. Quand il y en a qui venaient à la maison, ils parlaient toujours en patois. Du coup les enfants en italien : zéro ! J'en ai voulu à ma mère qu'elle ne m'ait pas parlé en italien mais bon ... »428.

L'idiome d'origine des pères est en effet, souvent d'ailleurs à la demande des instituteurs, utilisé uniquement lors des contacts extérieurs, festifs ou professionnels. Simone Iemmi a, elle aussi, été « contrainte » à parler français à l'école comme à la maison, mais il est intéressant de rapporter ici son témoignage puisqu'elle développe un discours critique quant à ce choix pédagogique. Elle déplore l'utilisation systématique de la langue de son pays d'accueil au sein du foyer familial, pourtant italien des deux côtés de ses géniteurs :

« Anche perché i genitori parlavano francese per volontà d'integrazione. Io mi ricordo che i miei genitori parlavano sempre in francese, soltanto la nonna parlava italiano, ma avevano questa voglia di essere come gli altri dunque facevano lo sforzo di parlare in francese. [...] è stato un sbaglio. Il francese uno lo impara sempre, lo vediamo adesso con gli altri immigrati, era meglio parlare in italiano, a casa, perché noi, l'italiano lo abbiamo perso ma i portoghesi non hanno perso il portoghese, gli arabi non hanno perso l'arabo, perché in casa parlano la lingua madre, e poi a scuola parlano il francese, dunque sono veramente bilingue. Noi no. »429.

Soulignons que, globalement, c'est à l'adolescence que naît la volonté d'apprendre la langue maternelle qui serait d'ailleurs bien souvent plus juste, pour nos témoins, de nommer « la langue paternelle ». Processus classique que celui de l'adolescent d'origine italienne qui, après avoir parfois renié ses origines étrangères, affirme et même improvise une « italianité » a posteriori.

Les associations d'Italiens pullulent en France aujourd'hui, créées par volonté culturelle ou communautaire, elles sont souvent le fruit des initiatives d'immigrés italiens de la « seconde

428 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

429 « Mes parents parlaient français dans un objectif d'intégration. Je me souviens que mes parents parlaient toujours en français, seule ma grand-mère parlait italien mais ils avaient cette volonté d'être comme tout le monde, donc ils faisaient l'effort de parler français. [...] ce fut une erreur. Le français, on peut toujours l'apprendre, on le voit de nos jours avec les autres immigrés, il aurait été préférable de parler en italien, à la maison, parce que nous, l'italien, nous l'avons perdu mais les Portugais n'ont pas perdu le portugais, les Arabes n'ont pas perdu l'arabe, parce que à la maison ils parlent la langue maternelle, et ensuite à l'école, ils parlent le français. Ainsi, ils sont vraiment bilingues. Nous, non ». TDLA.

Témoignage de Simone IEMMI, dans A. CANOVI, Cavriago ad Argenteuil, Migrazioni CommunitàMemorie, Cavriago, 1999.

génération », Walter Buffoni par exemple, est le fondateur de l'association « France -- Italia " qui regroupe les Italiens implantés à Saint-Nazaire.

Pour ce qui concerne l'apprentissage de l'idiome originaire de la famille, deux étapes se dégagent : la première, nous l'avons vu, se situe à la période du passage à la vie d'adulte ; la deuxième, au moment de la retraite. Effectivement, nombreux sont les témoins à s'être inscrits à ce moment là dans des associations italiennes et à avoir appris la langue de leurs aïeux une fois leur quotidien libéré des contraintes impondérables à la vie de tout travailleur. C'est aussi souvent à cette période que va se transmettre le relais historique intergénérationnel par le récit aux enfants ou aux petits enfants du « sang italien qui leur coule, à eux aussi, dans les veines "430.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault