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La construction des jugements d'anormalité autour des pratiques alimentaires (anorexie et boulimie)

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par Elodie Arroyo
EHESS - Master 2 2008
  

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Chapitre un

Appréciation rétroactive de l'apparition des troubles du comportement alimentaire 

Tous nos enquêtés n'estiment pas avoir eu un rapport normal à l'alimentation durant leur enfance. Certains considèrent avoir eu très tôt un rapport problématique à la nourriture, de manière épisodique généralement. En évoquant leur passé, les souvenirs relatifs à la question se bousculent, les lubies, les jeux, les habitudes, les anecdotes, les prescriptions parentales, les plaisirs, les déplaisirs. Certains au contraire, estiment avoir un rapport jugé « sain » à l'alimentation jusqu'à l'apparition des troubles. Et pourtant, vivre avec des troubles du comportement alimentaire peut s'avérer difficile à percevoir pour les uns comme pour les autres. Nous proposons ici de donner à voir le chemin qui mène à la perception du caractère anormal de sa propre conduite quand elle est induite par un changement progressif de subjectivité.

I) Vers un changement de subjectivité : installation de l'anorexie et aveuglement du sujet

L'anormalité niée : routinisation des pratiques anormales

Il y a d'abord la plupart du temps, chez les personnes commençant par une phase d'anorexie, une période souvent qualifiée de « déni »

Par elles-mêmes mais cela se retrouve dans le discours psy

 :

« En fait, ça a commencé vraiment quand mon père est tombé malade, a eu un cancer, donc j'avais 15 ans. Déjà, j'ai fait une période d'anorexie, où là, c'est vraiment, la maladie, elle s'est vraiment... Enfin j'étais dans le déni, je voyais pas que je devenais anorexique. » Melle YM.OA.

« Et moi j'ai eu un espèce de déni pendant toutes ces années parce que j'avais beaucoup de remarques, forcément l'année du bac quand on perd 10 kilos ça passe pas inaperçu dans une classe de trente nanas. Et j'étais dans un... Je savais que j'avais ça sans me le formaliser vraiment, sans l'accepter vraiment. » Melle VF.FB

Terme « déni » employé par les personnes familières du vocab psy

Mme E.RI. nous explique en entretien qu'elle inscrit son régime de départ dans la perspective d'un changement volontaire, conscient, pour « devenir plus cool » au lycée, plus évoluée précisera-t-elle quand nous la relançons, « pour être mieux ». On peut constater à la lecture de ses propos que ces changements sont orientés vers un ethos de classes sociales supérieures, comme l'a démontré Muriel Darmon dans son ouvrage Devenir anorexique28(*) : « le corps n'est alors pas une ressource qui sert à « tenir » mais comme un signe qui sert à représenter »29(*). En effet, Mme E.RI précise qu'elle entre au lycée dans une ville plus grande que la sienne, et qu'elle « s'aperçoit » qu'elle est moins bien habillée, moins bien coiffée, moins savante nous dira-t-elle plus loin dans l'entretien.

« A la base je voulais simplement maigrir.

Pour changer.

Ouais pour changer de vie quoi pour être, ouais pour être mieux. Je suppose aussi que le fait d'être au lycée avec des nouveaux gens, je me rappelle que comme j'étais sortie de mon petit collège et de mes copains que je connaissais depuis trois ans, donc là c'était des nouveaux gens et tout donc y avait des gens vachement plus évolués.

Plus évolués ?!

Ouais tu sais y a des ados plus évolués que d'autres, moi j'étais dans les moins évolués plutôt. J'étais habillée n'importe comment, j'étais coiffée n'importe comment, j'étais un peu enrobée et tout, et les autres étaient plus ...

Plus urbains entre guillemets ?

Ouais voilà qui sortaient le soir dans des supers grandes boîtes

Parce qu'en fait ton lycée était dans une grande ville ?

Il était à 2 km de chez moi, pas si loin que ça, mais du coup comme la ville c'est une petite ville moi j'habitais en plus dans la banlieue, c'était un peu entre la ville, la banlieue et la campagne, un truc comme ça, donc là effectivement y'avait d'autres gens qui venaient d'autres écoles des environs donc ça m'a permis de sortir un peu de mon petit cercle école paroisse.

Donc en fait tu l'inscris dans une volonté de changement ?

En fait je me suis concentrée, je me suis dit c'est ça qui me manque ... je suis pas contente de ma vie, j'aime pas ma vie, parce que je suis grosse, mais en réalité, après coup je me rends compte que c'est pas si simple. Ouais plus de changement, après bon l'été j'ai vu que oui effectivement je maigrissais ça marchait et ...

Et tu te sentais changer ?

Ben j'étais de plus en plus déprimée en vérité parce que du coup j'ai bien aimé manger, et du coup je mangeais plus, toutes les occasions les pizzas avec les copains ben c'était mort, ou j'y allais et je les regardais manger donc c'était pas très drôle. » E.RI

De même Melles MV.FB et AV.FB souhaitent changer quelque chose après une rupture avec un petit copain, et pensent à un régime :

« Alors euh je pense que, enfin j'ai commencé à être obsédée par mon poids en seconde, j'avais quinze ans, euh... Un garçon n'a pas voulu de moi et euh, bon c'était pas aussi clair que ça, c'était pas aussi schématique mais bon au fond ce que je me suis dit c'est je ne suis pas assez bien pour lui, qu'est-ce qui cloche et la première chose que j'ai trouvée c'est que peut-être je pourrais perdre un peu de poids. »

Là on voit bien pression sur la minceur féminine = marché sexuel/matrimonial/affectif

AV.FB.

« Donc, en fait, en prépa, première année de prépa, j'ai eu un copain. Bon, lui, après... Enfin, en deuxième année de prépa ou au moment de Noël, j'ai appris par quelqu'un d'autre qu'il était allé voir ailleurs et ça m'a fait un choc incroyable parce que c'était vraiment la première personne qui comptait énormément pour moi. J'avais déjà à ce moment-là un problème, un gros problème de confiance en moi parce que je suis quelqu'un d'hyper timide. Et le jour où j'ai appris ça, alors là, j'ai perdu vraiment le peu de confiance qui restait en moi. J'ai perdu cette confiance et je pense qu'il y a pas mal de trucs qui se sont effondrés en moi. A ce moment-là, on se sent inutile, on comprend pas, on comprend pas ce qui n'a pas marché. Enfin, je me suis pas mal remise en question. Et je l'ai quand même revu plusieurs semaines après, mais pour me donner du sens en quelque sorte ou je sais pas quoi, j'ai commencé à faire attention à ce que je mangeais. Je me suis intéressée à autre chose, je me suis intéressée à la bouffe. En plus, période de Noël, je me suis fixée comme objectif déjà... Je sais plus exactement, c'était en 2001, Noël 2001, début 2002, au moment de Noël, j'ai dit : bon, je vais faire attention à ce que je mange. Voilà, ça a commencé comme ça. Et puis après, j'ai fait de plus en plus attention. »

Idem !

MV.FB.

Les pratiques visent à changer la subjectivité, puisqu'on le voit : un changement global est souhaité, on veut aller mieux, être mieux ; ces pratiques visent entre autres à amincir le corps et se mettent en place, sans qu'on perçoive aucun problème à cela, même si l'amaigrissement se prolonge et s'amplifie quelque peu. Cette première phase d'évaluation de la présence d'un trouble est une appréciation rétroactive. Elle correspond à la phase que Muriel Darmon appelle l'entrée dans la carrière, qui est interprétée après-coup comme le début de l'anorexie. Il s'agit pour l'instant d'un régime « conforme » à la plupart des régimes, à la suite duquel, si on se rétracte, on n'entre pas dans l'anorexie. Ou plutôt : en étant entré dans l'anorexie, et en ayant un regard rétrospectif sur l'ensemble de la période, on va trouver dans ce moment de mise en place d'habitudes différentes, des « signes » avant-coureurs, ou des bizarreries, qu'on interprète comme un début de glissement, l'identité de la personne n'étant pas encore très affectée. Ce sont ces premiers signes qui font penser après-coup qu'un régime « normal » ne se passe pas comme ça.

Les autres encouragent, encadrent ou sont simplement au courant, comme le note Muriel Darmon : ce sont des accompagnateurs. De sorte que les premiers changements de comportement sont visibles, par les autres, et assumé, par la personne elle-même. Dans l'extrait précédent, Melle E.RI. note que les autres continuent à l'inviter au restaurant, même si elle ne mange plus beaucoup ; c'est elle qui refusera par la suite, ne trouvant « plus drôles » ces sorties. Melle VD.RI. change son comportement alimentaire, éliminant le gras et le sucré de son alimentation, l'adaptant à la cantine, lieu de socialisation des élèves, et le soir elle cesse de grignoter en rentrant de l'école et après le repas.

« Et donc, voilà, je me suis pesée une fois et j'ai décrété que je pesais trop, donc j'ai commencé à réduire. Et je crois que j'ai vraiment commencé à réduire tout ce qui était gras et sucré. J'ai commencé à manger vachement de féculents, c'est-à-dire que je me suis pas du tout limitée sur la quantité, mais plus sur des trucs à manger.

Pourquoi t'as choisi gras et sucre ?

Parce que j'avais dû identifier ça comme ce qui pouvait me faire grossir, comme ce qui était pas bon pour moi. Donc, je suis pas du tout tombée dans un truc où j'étais affamée. Je continuais à manger à ma faim mais avec que certains aliments. Je me rappelle qu'à la cantine, je pouvais manger vachement, vachement de pain. Par exemple s'il y avait frites steak, je mangeais pas de frites et steak, mais je mangeais vachement, vachement de pain. Et le soir, j'essayais d'éviter de grignoter. Je me rappelle que je buvais beaucoup pour caler la faim, je trouvais ça vachement efficace. »

Melle E.RI supprime également dans un premier temps les gâteaux, augmente sa consommation de légumes, se restreint sur l'alimentation sucrée qui est le propre des enfants30(*), conduite qu'elle estime relativement difficile à tenir dans une famille où l'on aime manger :

« C'est un régime tout bête, je mange plus de légumes, je supprime les gâteaux, c'était un peu dur vu la culture de la bouffe qu'il y a chez moi, dans la famille, tout le monde aime bien manger chez moi. »

Elle ne s'en cache pas, sans rendre sa conduite ostensible non plus. Elle adopte et adapte ses nouvelles prescriptions en société, tout comme le dit Melle VD.RI. Elles inscrivent leurs pratiques dans leur environnement social quotidien.

« Ah tu allais quand même au resto ?

Ben des fois tu sais y avait des occasions avec la classe ... Oui au début j'y allais, après on m'invitait j'y allais plus, c'était pas très drôle.

Et tu mangeais pas alors que eux ils mangeaient ? Enfin tu l'assumais quand même ?

Oui

En fait tu te cachais pas spécialement ?

Non je me cachais pas spécialement, enfin j'allais pas le montrer spécialement non plus. »

Melle LD.RI explique qu'elle a commencé par un régime encadré par un professionnel, de sorte qu'au départ, l'amincissement était légitime ; il était la conséquence d'un acte volontaire surveillé par sa mère et le nutritionniste :

« Fin seconde j'ai commencé une espèce de régime où j'étais pas censée maigrir mais j'étais censée perdre de la graisse, et après j'ai continué. [...] C'est moi qui ai voulu le faire, je suis allée voir ce médecin et ma mère m'a accompagnée parce qu'elle voulait que ça soit bien fait et tout, donc voilà. Et voilà, ça a marché, j'ai perdu un peu de graisse, tout ça. Sauf qu'après pendant la première, j'ai continué, j'ai pas arrêté, j'ai pas arrêté. Je me souviens même, on est allées voir mon médecin avec ma mère, enfin cette espèce de médecin qui donnait les régimes, et on l'a presque accusé : « ouais mais elle arrête pas, et comment on fait maintenant ? » Et lui il était là : « mais c'est pas ma faute, c'est vous ! » Et puis à ce moment-là j'étais pas prête à l'accepter ça, c'est vrai, je remettais la faute sur ce médecin. Toujours est-il que j'ai continué à faire ce régime en première et à perdre du poids, à perdre du poids, à perdre du poids. J'ai jamais pensé que j'étais anorexique, j'ai jamais dit que j'étais anorexique, j'ai jamais pu croire que j'étais anorexique à cette époque-là, et ma mère non plus. »

Melle LD.RI présume en creux qu'on peut arrêter un régime « normal » quand on le souhaite. Une autre enquêtée dira qu'elle était étonnée d'être, parmi ses copines, la seule à pouvoir tenir plus de quinze jours son régime, alors que les autres ne pouvaient pas, signe d'une trop grande volonté, une capacité trop importante à pouvoir s'abstenir de manger, suspectées par la suite d'avoir été un terrain préparatoire à l'anorexie. Ces interprétations viennent avec le recul sur les pratiques routinisées, parce que sur le moment, l' « entêtement » nous dira Melle E.RI, ou une logique de mimétisme ou de compétition entre copines peut empêcher une mise à distance des conduites. Melle DM.RI en fait état en nous racontant le début de ses troubles, après avoir précisé qu'il y avait un terrain propice, lié à une période de son enfance où elle mangeait très peu, ce qui avait inquiété sa mère :

« Donc déjà y avait un terrain, et j'ai toujours été euh très euh, enfin jusqu'à 16 ans je dirais j'ai toujours été très maigre, enfin... y a des gens même qui pensaient que j'étais anorexique alors que je l'étais pas encore. (ça nous fait rire) Et donc 16 ans euh... gros clash dans l'équilibre familial. Et euh, ça a commencé, y a eu une première étape, donc 17 ans début de ma terminale, premier trimestre entre septembre et décembre, j'ai perdu 3 kilos, et euh comme j'étais déjà toute maigre, de 42 kilos je suis passée à 39, du coup enfin c'est déjà très important quand on n'est pas très gros de perdre 3 kilos, et .. j'étais toute faible et tout, et je pense, enfin j'avais une copine euh... cette année-là, qui clairement était.. tombée dans l'anorexie euh, enfin, donc euh enfin... et comme c'était un peu la seule fille avec qui je restais dans cette classe, c'est euh... y a une espèce de... je me rappelle plus trop mais je pense qu'il y a une espèce de... compétition qui s'est mise entre nous par rapport à la perte de poids... »

Melle PF.RI fait état d'une compétition entre soeurs également, sa grande soeur étant anorexique, et sa petite soeur commençant, avec elle, à restreindre son alimentation, de sorte que les trois soeurs se provoquant mutuellement, une compétition de courte durée s'installe entre les trois :

« Et donc ça a commencé, je mangeais de moins en moins, je finissais par avoir les mêmes attitudes et comportements que ma soeur. Au départ, même parfois, on avait l'impression que c'était pas comme une revanche mais presque pour la provoquer, elle. En fait, au même moment, ma soeur juste en dessous de moi a commencé à faire pareil et du coup, c'est devenu presque comme une

En même temps que toi ?

Oui, en même temps que moi, c'est la même période. Et du coup, c'était à celle qui arriverait à en prendre un petit peu moins que l'autre par rapport à la fois précédente, pour arriver à presque plus manger grand-chose. »

Dans une étude de l'INRA publiée en décembre 2005, Anne Lhuissier et Faustine Régnier31(*) montrent que malgré une certaine « uniformité de la volonté de maigrir chez les femmes dans tous les milieux sociaux », les écarts de poids moyen sont très variables selon la CSP considérée. Ainsi, plus on s'élève dans l'échelle des revenus, plus le poids moyen réel et le poids moyen idéal diminuent par rapport à ceux des classes populaires. Les seules exceptions à la règle sont les femmes de CSP moyennes, employées par exemple, qui sont amenées au quotidien à côtoyer des personnes de classe plus élevée, leurs supérieures, de sorte qu'il ressort un phénomène de forte influence : l'insertion dans un milieu professionnel socialement mixte en terme de CSP favorise une pression par le haut. La plupart de nos enquêtées ayant commencé par une période d'anorexie au collège ou au lycée, lieu de socialisation relativement mixte en termes de milieu social, le jeu d'influences réciproques peut s'exercer comme on le voit dans les cas précités, et ainsi, prises dans une logique de comparaison et de compétition, la « tête dans le guidon », les personnes peuvent en venir à nier les excès de leur comportement.

Parfois, ce qui est a porteriori qualifié de déni provient d'une méconnaissance totale de l'existence de la qualification psychiatrique du comportement.

Melle L.OA. va expliquer qu'après une remarque faite à la plage par une amie concernant la taille de ses cuisses, elle va le soir même commencer à réduire son alimentation, perdre trois kilos en tout pendant les vacances, et « ça a été un tout petit peu mieux en rentrant ». Mais elle s'installe durant deux ans dans une routine d'amaigrissement : « je descendais petit à petit », et comme « à seize, dix-sept ans, on perd vite en se restreignant », elle devient maigre et essuie de nombreuses remarques quasi quotidiennement, des remarques qui par ailleurs lui font plaisir.

« Et j'étais complètement, complètement inconsciente de ce qui se passait. Je sais que je n'avais qu'une envie : manger le moins possible, mais sans aucune volonté particulière de maigrir ou de ressembler à quelque chose. Le seul but, c'était de manger le moins possible, et de m'opposer à mes parents. [...] Elle [sa mère] a son mari qui lui dit : c'est une maladie, ça s'appelle l'anorexie. Moi je ne connaissais même pas l'existence de ce mot, je ne connaissais même pas le mot, donc encore moins la réalité qui a eu derrière. Ça a pas mal changé depuis quelques années, on en parle pas mal mais à l'époque... » Melle L.OA.

Melle VF.FB nous explique qu'on lui faisait des remarques et qu'elle ne voulait pas admettre. Connaissant l'existence de l'anorexie, elle ne s'applique cependant pas l'étiquette, ayant sa conception propre de l'anorexie en tant que profane.

« Tu mettais le mot d'anorexie ?

Non, voilà, je mettais pas le mot. Je me disais : j'ai un problème avec la nourriture. Mais pour moi une anorexique, dans ma représentation à moi, c'était une nana qui faisait 30 kilos.

A ce moment-là ?

A ce moment-là et tant que je ne faisais pas 30 kilos, je n'étais pas anorexique, je n'avais pas droit au titre ! Bon, il y a quelque chose qui m'avait échappée à l'époque, c'est que si tu fais 30 kilos et que tu mesures 1,50 m c'est pas pareil que si tu fais 1,80 m ou je sais pas. Ça, ce rapport-là, ce ratio-là, je le faisais pas du tout à l'époque. Je l'ai fait à partir de 25 ans parce qu'on m'a montré des courbes, on m'a... Et je suis rentrée dans la médicalisation de la chose quoi. » Melle VF.FB

Melle MH.RI. connaît l'existence des troubles anorexique et boulimique, mais ne les applique pas à son comportement dans un premier temps. Elle nous raconte comment elle en est venue à presque totalement cesser de manger, après plusieurs années d'alternance entre régimes et reprises de poids en se faisant à nouveau « plaisir » avec la nourriture. Malgré l'excentricité de ses nouveaux goûts alimentaires - quelques miettes de thon dans un bain de vinaigre, un champignon et une demie carotte râpée composent désormais ses repas, elle met un certain temps avant de trouver son comportement problématique.

« Et voilà comment mon anorexie a commencé. Mais dès le premier mois où ça a commencé... Non, c'est pas vrai, quand ça a commencé, enfin je veux dire, au début j'ai passé deux mois sans, sans vraiment voir ce qui m'arrivait. Et au troisième mois, je crois que c'était en avril, je me rappelle pas exactement ce qui s'est passé, je crois que je me suis... Je me rappelle pas, mais j'ai vraiment réalisé, je me suis rendue compte que je pouvais pas continuer, que j'avais vraiment quelque chose de mal. » Melle MH.RI.

Mme DB.FB explique qu'elle a commencé en 1982.

« À 15 ans ça a commencé, j'étais en pension, j'y avais été mis pour des raisons religieuses et que j'y reçoive un enseignement niveau études adéquat. J'ai commencé tout de suite après mes premières règles, donc je les ai pas eues depuis. [...] C'était pas ça le déclic, le déclic ça a été une amie qui a fait un régime là-bas, elle était en surpoids elle a fait un régime, je sais pas pourquoi je l'ai copiée. [...] C'était 82. J'ai commencé un régime, et ma mère m'avait que je serais bien que j'aie mes règles pour que je maigrisse. Donc ça m'avait choquée, je comprenais pas pourquoi, je me trouvais pas grosse. Et j'ai perdu très rapidement du poids. En 3 mois, j'ai dû perdre 7 kilos, peut-être plus que ça. Donc ça a commencé comme ça. C'était le dernier trimestre, et aux grandes vacances, mes parents m'ont récupérée, j'étais très maigre. Ils m'ont pas fait soigner, ils ont nié complètement la maladie, et puis moi aussi, hein ! D'abord moi je savais pas trop ce qui m'arrivait. Une seule chose dont je suis sûre c'est que je parlais pas du tout, je disais pas mes sentiments. »

« Pour revenir à quand j'étais anorexique, moi je pense que j'étais dans le déni de la maladie. Pour ma mère, il était pas question que j'aille voir un psy. » Mme DB.FB.

Mme DB.FB ne savait pas ce qui lui arrivait, ses parents non plus, par conséquence, dans un premier temps, personne n'agit. A porteriori elle le déplore, mais il faut garder à l'esprit que dans le contexte de l'installation des routines, elle ne s'inquiétait pas vraiment des pratiques. Elle se souvient qu'elle n'allait pas très bien et pensait ou savait que le fait d'être en pension pesait, de sorte qu'elle ne songeait pas à une prise en charge et, comme elle n'en parlait pas et qu'elle se livrait à tout un ensemble de pratiques dissimulatoires (on le verra par la suite), personne autour d'elle n'y pouvait non plus songer. D'autant que sa mère et sa famille en général valorisent la minceur et une alimentation frugale. Ce caractère particulier du comportement des membres de la famille rend moins visible le côté excessif de l'anorexie puisqu'il augmente le seuil de tolérance, chez les parents autant que chez la personne elle-même :

« Chose qui est curieuse, c'est que ma famille m'a toujours aimée anorexique. Et sur les photos où - même encore maintenant, y a des photos où je suis anorexique et j'ai pas beaucoup de poids, on me dit : t'es bien là. Donc on m'aime bien avec pas beaucoup de poids, maigre, et ça plaît. Et Mais alors prendre du poids, c'est horrible, ça se fait pas. [Quand j'ai grossi avec des crises de boulimie] ma mère m'a emmenée voir un nutritionniste pour perdre du poids, c'est l'horreur. Quand j'ai pris du poids, là tout de suite c'était régime. De toute façon, quand j'étais petite, j'avais deux ans, ma mère m'avait mise au régime parec qu'elle me trouvait trop grosse, elle me surveillait, donc ma mère a toujours été obsédée par le poids. Pour elle c'était une hantise, fallait pas que je ressemble à une tante qui avait du poids, trop. Ma mère elle a un poids normal mais elle m'a pas reproché mais elle m'a dit un jour que c'était à la suite de ma naissance que j'ai grossi, en m'attendant. Je suis la deuxième, en attendant mon frère elle a rien dit, mais quand elle m'attendait, paraît-il les gens croyaient qu'elle attendait des jumeaux, et moi, ça lui a relâché les muscles de son ventre, j'étais un gros bébé. [...] Donc moi, si elle m'avait pas fait faire le régime à deux ans, j'aurais été un (inaudible), donc c'est grâce à ce médecin que je suis mince maintenant. Qui m'a fait grandir etc. Donc tout ça c'est vrai que ça peut avoir un impact. Mais bon dans la famille on est assez obsédé par le poids. »

Melle EC.FB dit situer le début de ses troubles vers ses onze ans :

« Ben au départ, c'était pas vraiment par rapport à ça mais bon, j'avais l'impression que ma mère elle préférait ma soeur donc j'ai arrêté de manger en fait. Et en fait, après j'ai continué et puis voilà quoi. Ben c'était un élément déclencheur, après je dis pas qu'y avait pas d'autres raisons mais ça a commencé comme ça. [...]

Et du coup t'as arrêté de manger ?

Ben disons que je mangeais déjà pas beaucoup, quoi, euh...

Petit on ne mange pas forcément beaucoup...

Ouais, voilà. Donc après ça a continué au collège et au lycée, tous les repas à la cantine je les sautais. [...] Mais bon à la base, c'était pas pour faire un régime. C'était parce que j'avais l'impression qu'elle préférait mes soeurs, donc voilà.

Tu voulais qu'elle réagisse ?

Non, non, je me suis dit... Pas forcément, c'était juste une impression que j'avais eue et j'ai fait ça.

Donc en fait là, t'as fait de l'anorexie ?

Ouais, un peu, mais...

Mais on t'a dit que c'était de l'anorexie ?

Ben, en fait, disons, que... Non, pas vraiment. Mais si tu veux, vu que j'étais assez mince normalement et que je mangeais pas beaucoup non plus, c'était pas catastrophique non plus, c'était juste que je mangeais moins, quoi. »

Melle EC.FB donne une possible explication à la non remarquabilité de son comportement pour les autres. Elle, sait très bien qu'elle a arrêté de manger à la cantine, ce que sa famille ne sait pas, et comme elle était déjà menue et qu'elle ne mangeait pas beaucoup étant enfant, son nouveau comportement face à la nourriture est imperceptible, il restait singulier, son entourage s'étant habituée à voir en elle une enfant peu attirée par la nourriture. Elle dit elle-même ne pas avoir souhaité que sa mère le remarque alors qu'elle la met en cause dans sa volonté de départ d'arrêter de manger.

Des opérations de singularisation des conceptions familiales autour de l'alimentation comme dans le cas de Mme DB.FB, ou de singularisation du comportement et de la morphologie de la personne qui entre dans une période de trouble du comportement alimentaire comme pour Melle EC.FB, peuvent ainsi temporairement mettre un voile sur l'anormalité des pratiques et de l'état d'esprit qui se mettent progressivement en place.

A l'inverse, un véritable bousculement des habitudes et changement de morphologie peut tout de suite mettre la puce à l'oreille, de la personne elle-même ou de ses proches, parents ou autres, sur le mode du « il se passe quelque chose d'anormal ».

Si la quantité de nourriture absorbée s'amenuise peu à peu, sa place symbolique s'accroît concomitament, avec le souci grandissant du corps. Melle L.OA. va avoir ces propos : la nourriture remplit l'esprit, « moins j'en mangeais plus j'en avais dans la tête. » « Je te disais que, sur le moment, je me rendais pas compte que ça avait vraiment changé quelque chose. Mais a posteriori, c'est clair que je pensais qu'à la bouffe, qu'aux calories, que je me fermais complètement, sur tout en fait ...», nous dira Melle CC.FB. « Les choses m'atteignaient plus parce que j'étais ailleurs, j'étais dans mon monde de calories, de délire avec la balance, genre : ouais, super, j'ai perdu 200 grammes, euphorie totale », nous dira Melle VF.FB.

Melle VB.FB. se voit frustrée d'avoir à manger avec ses parents, de devoir suivre les repas et ne pas pouvoir « faire ce qu'elle voulait » :

« Très vite, j'ai commencé à regarder les recettes de cuisine. Alors c'est très bizarre, moi je sais pas exactement pourquoi. Ma mère elle avait des gros cartons, elle collectionnait les recettes de cuisine, pour les faire, elle, hein voilà. Moi j'ai pris tous les cartons, j'ai tout regardé, je me suis fait des bouquins, des classeurs avec les recettes et tout. Je fantasmais à mort sur la bouffe en fait. Sachant qu'en plus, toutes ces recettes là, me mère elle les faisait pas du tout, quoi. Et je sais pas après, j'ai eu aussi la période où j'ai lu les livres d'(inaudible) justement, et y en avait un c'était « Maigrir c'est dans la tête ». Je m'en suis fait un petit catalogue en marquant comment ça se passait et tout, les clés, machin, un petit catalogue fait à la main avec, collée, une photo de mannequin dessus. (Rires) Donc le truc, quand tu le regardes, tu comprends pas très bien, mais bon. »

Ce qu'elle estime « bizarre », « incompréhensible », réside en cette fascination exercée par la nourriture, l'univers fantasmatique qu'elle matérialise dans ses petits catalogues de recettes et de conseils pour maigrir qu'elle recouvre d'une photo de mannequin. Ces pratiques sont jugées étranges car elles ne sont pas toujours fondamentalement comprises par les acteurs qui les ont pourtant eux-mêmes mises en place.

Autre bizarrerie, la faim sans envie de manger dont nous parle Melle CC.FB. :

« J'ai retrouvé des trucs que j'avais écrits, parce que l'été d'avant, l'été entre la troisième et la seconde, je suis partie un mois aux Etats-Unis dans une famille d'accueil. Et j'ai détesté la bouffe là-bas, quoi. C'était dégueulasse, et je mangeais pas, et en fait au début, ben rien de spécial, j'avais faim et normal. Mais sur la fin du séjour, d'avoir tout le temps faim, je me suis euh, enfin j'ai retrouvé des trucs que j'avais écrits, parce que je devais tenir un journal entre guillemets, tant que j'étais là-bas, pour me souvenir de ce voyage, et j'ai retrouvé des trucs vachement bizarres où je racontais que je ressentais la faim, que j'avais faim physiquement parlant mais que j'avais pas du tout envie de manger quoi. Je m'étais totalement déshabituée de manger, en gros. »

Si ce n'est pas une phase marquée systématiquement par la volonté expresse de maigrir, c'est en tout cas une phase marquée par la volonté de changer quelque chose, soi-même ou ses habitudes, de sorte que l'amaigrissement, même s'il n'est pas, encore une fois, linéairement désiré tout au long de son processus, devient un témoignage de ce changement. Se met ainsi en place, pendant cette phase de préparation de terrain à la déviance, tout un ensemble de comportements rétroactivement jugés « bizarres », étranges ou déjà anormaux, par la personne elle-même, et c'est ce qui fait qu'elle va commencer à situer l'apparition des troubles à ce moment-là.

La constitution d'un savoir scientifique, médical, diététique autour de l'alimentation et des techniques d'amaigrissement est à ce titre remarquable.

Les relais du sain : inspirateurs de pratiques

Le champ médical, en tant qu'il définit son objet, a une conception de l'alimentation dans son discours comme tournée vers l'objectif de la santé, la bonne santé. La diffusion du savoir médical en matière nutritionnelle conduit les individus à intégrer et à mettre en pratique un ensemble de connaissances « savantes » accumulées au fil des relations, par des profanes renseignés, par des professionnels du champ médical, par informations diffusées dans la presse ou la publicité. Ceci va leur permettre de rationaliser le plus possible leur mode d'alimentation.

Plusieurs enquêtés disent commencer à appendre à calculer le nombre de calories contenues dans les aliments : il y a une phase de renseignement, d'apprentissage des valeurs nutritionnelles des aliments, on rationalise son alimentation, le plaisir dans l'insouciance disparaît brutalement. On mange « consciemment » :

« Je sais plus exactement, c'était en 2001, Noël 2001, début 2002, au moment de Noël, j'ai dit : bon, je vais faire attention à ce que je mange. Voilà, ça a commencé comme ça. Et puis après, j'ai fait de plus en plus attention. Je prenais vraiment conscience, enfin manger devenait un élément, une action consciente pour moi alors que j'avais jamais fait attention à ça avant. J'étais toujours la petite machine qui mangeait ce qu'elle veut et qui reste comme une brindille, pour le plus grand bonheur des grands-parents. » MV.FB.

La prise de conscience s'oppose à l'insouciance de manger ce que l'on veut, et l'on fait de plus en plus attention à ce que l'on mange.

Melle LD.RI. commence à apprendre à rationaliser son alimentation, réduire les graisses pour perdre de la graisse corporelle, avec un diététicien. Mr FB.FB. fait du sport de haut niveau et apprend très tôt, vers douze ans, à faire des régimes avant les pesées pour les compétitions : son entraîneur lui transmet un ensemble de savoirs autour des techniques d'amaigrissement : réduire l'alimentation, privilégier les salades, se faire transpirer.

On l'a vu plus haut en terme d'influence par la négative, l'entourage amical peut aussi jouer un rôle d'informateur. Ainsi Melle CC.FB. prend exemple sur une amie qu'elle considère « saine » dans son rapport à la nourriture, et écoute les conseils de cette amie qui fait attention à son alimentation à la cantine :

« Et encore après, je me suis souvenue que, dès la troisième même, j'avais commencé à avoir des comportements bizarres, donc vers la moitié de l'année j'avais décidé qu'il fallait que j'arrête de prendre les entrées à la cantine, qui étaient genre : feuilleté au fromage, des trucs comme ça, qu'il fallait que j'arrête de prendre les desserts, que je prenne que des fruits en desserts. Enfin déjà des comportements un peu restrictifs comme ça, de pas prendre de pizzas, des trucs comme ça.

C'est toi qui avais commencé à décider ça ?

Oui, mais sans m'en rendre compte parce que, sur le coup, je trouvais pas ça plus bizarre que ça et ça fait pas très longtemps que je m'en suis souvenue. Mais je dirais que c'est par rapport à une copine, Valentina, qui était vachement plus mince que moi, mais enfin, moi j'étais pas grosse. Dans la famille, on est plutôt dans le genre mince, mais je sais pas, pour moi, c'était le modèle de..., le mot c'est pas sainteté, mais être « sain » quoi. Je sais pas, elle, une fois, elle a dû me faire une remarque, genre par exemple à propos des desserts, et c'est à partir de là que, complètement arbitrairement, je me suis dit que c'était mal pour moi, que je pouvais pas prendre de beignets, que c'était pas sain. »

De même, c'est une amie de Melle DD.FB. qui lui transmet ses savoirs en matière nutrionnelle, savoirs qu'elle mettra en pratique au fur et à mesure.

« Je sais que je suis partie en Grèce avec la classe. Il y avait une de mes meilleures amies qui était partie avec moi, qui avait fait une anorexie et qui s'en sortait, enfin qui en est sortie maintenant, mais qui s'en sortait toute seule. Elle n'a jamais été très grave, son anorexie. Et en fait, elle m'a appris à trier les aliments, enfin tout bêtement : « c'est con, tu devrais pas manger un fruit à tel moment, après tous les sucres se transforment en graisse » ou je sais pas quoi. Et bon, moi, je l'écoutais, enfin bêtement, parce que je voulais pas grossir quoi. Mais c'était pas un désir de maigrir. Et après, l'été suivant Hypokhâgne, je suis partie en randonnée avec des copains, donc j'ai appliqué toutes les règles. J'avais perdu 2 kilos en une semaine, donc j'étais contente ! Et puis j'ai continué. Et puis après, j'ai accompagné un camp VTT itinérant et c'était super dur parce qu'il fallait faire six heures de VTT par jour, planter les tentes, animer et tout. Donc physiquement, c'était très dur. Et en fait, je pense que c'est là que j'ai un peu enclenché le processus parce que je voulais absolument continuer à respecter les règles données par ma copine alors que, évidemment, c'était de la nourriture de collectivité pour des randonneurs, donc il y avait pas exactement les aliments proposés. Et là, je me souviens très bien avoir eu faim et de m'être dit : non, faut pas que je mange, c'est interdit. C'est là que j'ai mis en place la notion d'interdit je pense, enfin vraiment. » Melle DD.FB.

Progressivement, la mise en place d'interdits, d'aliments interdits notamment, se développe et s'étend. Melle E.RI. nous dit être entrée dans une spirale, parfaite métaphore du rétrécissement du champ des aliments autorisés :

« J'ai toujours été très gourmande, et du coup à 14 ans je me suis trouvée assez enrobée, et puis je suis passée en première année de lycée et j'ai décidé de faire un régime, et puis voilà régime de plus en plus strict, et au final j'ai perdu 20 kilos en peu de temps. Et à partir de là j'étais squelettique. Au plus bas je pesais 38 kilos.

Ah t'étais pas très ronde à la base.

Ben je faisais genre 65 quelque chose comme ça, j'ai perdu 20 kilos, après j'ai vite repris je me suis stabilisée autour de 45 quelque chose comme ça.

A partir du lycée donc t'avais quel age ?

14 ans, 14, 15.

Au niveau du régime, tu

C'est un régime tout bête, je mange plus de légumes, je supprime les gâteaux, c'était un peu dur vu la culture de la bouffe qu'il y a chez moi, dans la famille, tout le monde aime bien manger chez moi. Et au fur et a mesure, plus je m'entêtais plus je suivais le truc jusqu'à arriver à supprimer des aliments, je me disais tiens ca marche bien en supprimant ça et ça je vais supprimer ça et ça aussi et ca marchera encore mieux, donc après ca devient une spirale, t'es contente de voir la balance baisser, t'es encore plus motivée, y a des jours où tu bouffes rien ... » Mme E.RI.

« Et donc, voilà, je me suis pesée une fois et j'ai décrété que je pesais trop, donc j'ai commencé à réduire. Et je crois que j'ai vraiment commencé à réduire tout ce qui était gras et sucré. J'ai commencé à manger vachement de féculents, c'est-à-dire que je me suis pas du tout limitée sur la quantité, mais plus sur des trucs à manger.

Pourquoi t'as choisi gras et sucre ?

Parce que j'avais dû identifier ça comme ce qui pouvait me faire grossir, comme ce qui était pas bon pour moi. Donc, je suis pas du tout tombée dans un truc où j'étais affamée. Je continuais à manger à ma faim mais avec que certains aliments. [...] Et, ouais, j'ai bien dû perdre 6-7 kilos à ce moment-là. Du coup, je crois que c'est vraiment à partir de là où j'ai plus du tout mangé de gras, etc. Même une fois que j'avais perdu les kilos que je pensais nécessaires, j'ai gardé cette façon de manger. J'ai pas réintégré le gras et les gâteaux, en tout cas au quotidien. Déjà, j'ai commencé à sélectionner vachement. Donc, ça, je devais avoir 14-15 ans, je pense. Donc après, je suis restée comme ça. Et après, c'est vraiment l'été 98 où j'ai eu mon bac, où je devais partir en Bretagne, et là, je me rappelle m'être regardée avant de partir, en me disant que ça allait pas, que j'étais énorme, machin.

Le poids que t'avais perdu à l'époque où tu as commencé le régime, tu l'avais repris ?

Non, je restais toujours entre 56-57, alors que quand j'avais commencé le régime, je faisais 63-64, ce qui me paraissait énorme. Moi je me disais qu'il fallait au moins que je fasse 10 kilos de moins, donc je suis restée autour de 57-58. C'est là où j'ai commencé aussi à me peser régulièrement et tout. Donc, 57-58 et c'était encore trop. Je me rappelle que c'était avant de partir en vacances chez Gaston, où je me disais : c'est pas possible, je peux pas être comme ça, machin. Et là, j'ai commencé vraiment à réduire ce que je mangeais, toujours sur le même système, toujours en gardant les féculents, c'était vraiment la base. Je limitais vachement tout ce qui était viande parce que c'était gras ou gâteaux, mais toujours des féculents. J'ai toujours conservé les féculents. J'ai jamais essayé de faire des trucs avec que des légumes, des trucs comme ça, parce que j'avais un appétit qui était important, donc je pouvais pas me permettre de manger que des haricots verts, sinon j'étais affamée toute la journée. Et je me rappelle que j'étais partie au camping chez ma mère avant, je me rappelle que, là, j'ai commencé vraiment à réduire jusqu'au point d'avoir faim. Je finissais par me nourrir que de pain, en fait. Au début, je me disais qu'il fallait que je mange qu'une baguette et demie, qu'une baguette de pain. Et tout ça, c'était avant de partir chez Gaston, donc je maigrissais bien, je le voyais dans mes fringues, j'étais contente. Et chez Gaston, je suis restée sur ce modèle-là, je mangeais avec eux quand c'était genre des pommes de terre à l'eau, des trucs que je pouvais manger, mais sinon je compensais en mangeant du pain. En plus, l'intérêt du pain, c'est que je pouvais en trouver partout, que ça me coûtait pas cher, que c'était facile à trouver. C'était pas contraignant pour moi, ni financièrement, ni socialement, je pouvais, toujours à table, manger que du pain. Ça, ça a été tout l'été. Donc je pouvais pas me peser, mais je voyais dans les vêtements que je maigrissais. » Melle VD.RI.

Melle VD.RI. finit par resserrer l'étau des aliments autorisés pour aboutir à ne plus se nourrir que de pain, aliment nourrissant sans graisse. En pouvant le manger à table avec tout le monde, elle ne se désocialise pas tout de suite. Elle rationalise également le côté pratique du pain : il se trouve partout, elle peut donc garder ses pratiques où qu'elle aille, et ne coûte pas cher, ce qui satisfait son côté économe.

Melle CC.FB. commence à s'intéresser de près à la diététique, elle nous dit collecter les publicités pour produits alimentaires qu'elle reçoit dans sa boîte aux lettres quand ces publicités donnent des informations sur les apports nutritionnels des produits et des conseils en diététique.

« J'étais très à fond dans tout ce qui est diététique, nutritionnisme, machin, parce que je voulais absolument reperdre. Enfin ouais, j'étais à fond dans ça. Je lisais tous les articles que je pouvais trouver sur quoi manger, à quelle heure parce que ce serait le moins qui ferait grossir et tout. Et après en première, en février, je suis partie une semaine à la montagne, je suis revenue et j'ai sauté un repas, parce qu'on est rentrés, par exemple on est partis à 11h et on est revenu à 2h, donc du coup j'ai pas mangé, et là je suis passée... Enfin déjà je commençais à compter les calories, à noter depuis un ou deux mois qu'est-ce que je mangeais, en quelle quantité et combien ça faisait de calories dans la journée. Et là je suis passée donc des 1800 à 2200, je suis tombée à 1300 donc ce jour-là et après je suis restée à 900. Et après j'ai baissé, 500 et tout jusqu'à 400 après, et là, ça a été une grosse rechute, mais enfin je sais pas, ça s'est passé super vite, j'ai tout diminué, enfin de sauter un repas ça m'a fait tout dégringoler. Et de la deuxième semaine des vacances de février aux vacances de Pâques, ça faisait deux mois, j'ai dû perdre quinze kilos, un truc comme ça. Ca a été vraiment fulgurant. Et là je faisais plus du tout de crises. Mais par contre je mangeais trois fois par jour. C'est-à-dire le matin je mangeais une biscotte, enfin je mesurais tout et tout, donc avec une poignée de müsli, après le midi à la cantine y avait toujours poisson allégé et légumes allégés et pomme, donc je finissais pas mon assiette, et puis après le soir, enfin j'essayais de manger les trois repas mais le moins possible pour les deux, pour laisser une marge suffisante de 200 calories - quelle marge ! (elle rit) - pour le dîner. Et je sais toujours pas comment j'ai réussi à faire, à me débrouiller pour ne manger que 200 calories le soir, parce que nous c'était vraiment les repas de famille, et ce serait vachement mal vu que quelqu'un ne mange pas ce qu'il y avait sur la table mais je devais y arriver. Je sais plus comment je me débrouillais. Mais je suis très vite tombée à 500, 400 et ça, pendant deux mois avec du sport et tout. Et c'était radical. Je suis descendue à 40 kilos. »

La vivacité des souvenirs de Melle CC.FB. témoigne de son attention toute entière tournée vers le calcul permanent des apports de son alimentation à la calorie près. Les exemples de prises alimentaires hyper réglées et tournées vers la frugalité se multiplient dans les parties d'entretiens ayant trait à l'anorexie :

«Et t'avais arrêté de manger complètement ?

Non mais euh, je mangeais euh... franchement, je devais manger cinq céréales le matin...

Cinq céréales ?

Ouais, deux fourchettes de viande ou de poisson et trois fourchettes de légumes à midi plus un abricot, et euh... le soir, ça m'arrivait de manger quatre asperges (rires), voilà donc c'était pas rien, mais ça faisait jamais... à cette période-là je crois que j'ai jamais rien mangé. » Melle DM.RI.

Des pratiques hyper rationalisées, des motivations mystérieuses

Les enquêtés signalent une immense volonté, la sentiment d'une grande force, comme le dit très clairement Melle ML.FB :

« c'est que j'étais pas faible contrairement à ce qu'on voulait croire, mais qu'au contraire c'était une velléité d'être forte et de monter que j'étais forte, et que j'avais beau avoir l'air d'être quelqu'un de faible, enfin c'était pas du tout mon intention finalement, même si c'était démesuré. En fait, il y a... Tu sais dans la mythologie, ils parlent vachement de, je sais pas comment ça se dit sans l'accent grec, mais l'hybris, et moi j'ai vachement vu ça aussi. Le fait d'essayer d'être toute-puissance, qui est complètement vain à la base, mais d'essayer de nier tous les besoins naturels et de montrer une force surhumaine et qui a pas été punie. » ML.FB.

« Je ressentais pas du tout l'état de fatigue puisque c'était l'époque où j'étais capable de faire tout, puisque j'allais à tous les cours de fac. Tous les matins, je me réveillais à 7 heures, j'allais à mes cours, je faisais mon sport, je gardais la gamine à qui je donnais des cours en CP, qui était dyslexique. Tous les soirs, je rentrais, je re-soulignais mes cours et le lendemain, nécessairement, tous les cours devaient être fichés sur fiches. Et ça, j'ai jamais pu me séparer de ça parce que, si je le faisais pas, j'avais l'impression que c'était la porte ouverte à : je pourrai plus suivre. Et ça, la première année, je m'y suis toujours, toujours tenue. Tous les cours devaient être fichés de la veille au lendemain. Le lendemain, les cours de la veille devaient être fichés. Et tous les matins, je lisais toutes mes fiches, le week-end je lisais toutes mes fiches, je faisais tous mes TD. Donc, finalement... Et j'ai jamais vraiment ressenti la fatigue comme je la ressens maintenant où je me dis : je suis fatiguée ou je peux pas. J'avais pas du tout la notion de fatigue, surtout que quand je mangeais plus, en général, la première nuit de jeûne, je pouvais dormir et la deuxième nuit de jeûne, je ne dormais plus, c'est-à-dire que j'attendais le lendemain avec impatience pour pouvoir recommencer à manger n'importe quoi. Et ça, ça a duré jusqu'à Noël, janvier. Et après, ça a été vraiment la descente parce que je n'arrivais plus à manger qu'un jour sur deux, qu'un jour sur trois. Je suis arrivée à tenir jusqu'aux examens, mais j'arrivais de moins en moins à tenir, etc. J'ai tenu jusqu'aux exams. » Melle VD.RI.

Melle VD.RI donne ci-dessus un exemple de cette force qui pousse jusqu'à l'hyperactivité intellectuelle et physique. Le travail devient un point central de l'existence. Melle CC.FB se désocialise du lieu de la cantine et passe ses pauses déjeuner à la bibliothèque du lycée ; Melle YM.OA passe plus de temps à la bibliothèque le soir pour ne pas rentrer faire un goûter :

« Voilà, je continuais à manger certains aliments, mais j'essayais de manger plus des pommes, des choses comme ça, j'essayais de passer des heures, comme j'avais beaucoup de boulot en plus, j'essayais de passer plus d'heures après les cours à la bibliothèque, je rentrais plus tard. Comme je savais en plus que je rentrerais toute seule, j'essayais de rentrer que vers 19h chez moi, je faisais qu'un repas... » YM.OA.

« Voilà, une impression de maîtrise, je suis un peu obsessionnel en plus. J'aimais bien tout ce qui était ordonné, ce que je pouvais contrôler, avoir euh, pouvoir manipuler les gens, pouvoir être dedans, donc quand j'ai pu le faire sur moi-même, j'avais un sentiment peut-être un peu pervers mais... D'être bien. » NR.RI.

Mr NR.RI évoque l'idée de contrôle : l'impression de maîtriser son corps, de le faire aller où l'on veut le mener, donne un sentiment de puissance. La personne devient alors un véritable homo oeconomicus, un être tout entier rationnel, plusieurs enquêtés mentionnant notamment le fait de ne plus rien ressentir, de perdre ses sentiments avec l'anorexie et de se concentrer sur la maîtrise de soi.

« J'étais dans un tel malaise que... Je ressentais rien du tout, enfin je savais pas trop ce que je ressentais. » Mme DB.FB.

« ... Voilà donc en fait je lisais, ça je lisais avant de toute façon, mais je m'étais isolée du coup...

C'est le seul truc qui te faisait plaisir ?

C'était toujours dans une optique, j'apprends pour après quand je pourrais vivre ma vie quoi. En fait je pensais déjà à me casser quoi. Parce que je trouvais insupportable la manière la famille, je trouvais qu'ils avaient été insupportables sur ce coup la. C'était toujours dans un but ... C'était le seul truc qui me remplissait un peu à part les études ... Amis j'en avais pas, oui je voyais des gens, mais je ressentais rien, c'est bizarre à dire aujourd'hui mais je n'avais pas d'émotions quoi. 

Et du coup tu n'avais pas par exemple un amoureux ?

Ah non ! tu penses bien ! Je faisais pas envie non plus, parce que j'avais maigri mais c'est pas pour autant que j'étais mieux... Je m'habillais sans intérêt des trucs qu'on m'avait acheté, toujours les trois mêmes trucs... Je ressentais rien quoi, j'avais pas d'émotion je sais pas ... Ca c'était toute l'année, toute la deuxième année de lycée comme ça. » Mme E.RI

Mme E.RI ajoute à l'absence de ressenti l'impossibilité d'avoir une relation amoureuse, du fait de l'émoussement des sentiments et du fait qu'elle n'attire plus les garçons de son âge. Elle se désocialise de cette sphère des relations adolescentes. Melle MH.RI évoque sur ce terrain son impossibilité de faire attention à elle et « se faire jolie » pour sortir. Elle dit se désexualiser pour ne pas attirer les regards.

« Si on regarde mes photos, on dirait un ange.

Les photos que tu m'as envoyées ?

Oui, je suis ni femme, ni homme, je suis une fille en fait.

Ça fait jeune fille ?

Oui, voilà, jeune fille innocente avant sa sexualité, très tout, tout joli, mais c'est tout, sans plus. Et c'est marrant parce que quand j'ai recommencé à prendre du poids, on me draguait plus. Maintenant, on me parle et on m'approche beaucoup, beaucoup, beaucoup plus que quand j'étais anorexique. Et je sais pas nécessairement si c'est parce que je suis ouverte, mais je pense aussi que c'est parce que je suis plus femme. J'ai maintenant une sexualité. Et ça, je suis pas totalement ok avec encore parce que je sais que c'est à cause de ça, mais parce qu'aussi je vais mieux, je suis mieux dans mon corps, je suis mieux dans ma tête, que je l'accepte plus maintenant. Mais j'arrive pas à être totalement juste sexualisée, tu vois. Genre, coucher avec un mec juste parce qu'on se trouve attirante, je pourrais pas parce que j'ai du mal à accepter qu'on me sexualise uniquement, j'ai du mal, je peux pas. Enfin à mon avis, ça ira mieux. Et avec mes copains avant, ben

Petits copains ?

Oui, ils étaient fous amoureux quoi, mais c'était sexuel aussi, mais c'était pas que ça. C'était genre, je les charmais, je les séduisais mais avec ma tête et pas mon corps. Mais j'étais jamais attirée par mes petits copains, pas vraiment quoi, du tout presque, tu vois ? Et même si on faisait l'amour, etc., c'était pas : je voulais, mais bon, je devrais, je suppose, je suis dans une relation et bon. Et j'ai jamais vraiment... pris du plaisir, pas de plaisir réel, un plaisir à utiliser mon corps, à sentir un autre corps. Prendre du plaisir dans mon corps, c'était une notion qui n'était pas réelle pour moi, jusqu'à récemment, jusqu'à maintenant en fait. Dans les deux mois après avoir commencé à manger, les deux mois ici, tout a beaucoup changé. Je fais beaucoup de progrès. »

L'émotion est évincée du paysage relationnel, et c'est à une véritable ascèse que l'on a affaire, comme le note Muriel Darmon. Seule est ressentie comme une jouissance l'extase de la faim :

« J'adorais crever de faim. » Melle M.FB

« Quand t'es dans une période d'anorexie, t'as une euphorie qui vient des endorphines, c'est purement physique. » Melle VF.FB

« Je lisais énormément, je faisais que ça, je me souviens une fois, j'écoutais de la musique, j'étais sur le canapé avec ma petite pomme et mes deux biscuits, c'était mon plus gros repas de la journée quasiment (elle rit) et je lisais, et en plus dans un état de transe quasiment. D'ailleurs je sais que quand j'avais faim, ça me procurait une espèce d'extase quasiment - et c'est pour ça que je te dis que ça rejoint le spirituel - où je planais et où c'était génial. » Melle MD.RI

La recherche de pureté est explicite chez certaines personnes, et passe par l'abstinence alimentaire comme par l'abstinence sexuelle.

« C'est marrant parce que tout, cette période... du début d'anorexie c'est aussi associé à des paysages fabuleux, enfin, des choses très pures, en fait, je pense que voilà, c'est un peu une recherche de pureté. » DM.RI

« Donc, oui, je lisais beaucoup quand j'étais dans cet état-là et des trucs plus philo, sur les religions, la philo, pas mal de littérature aussi, des trucs sur : pourquoi ? C'était toujours : pourquoi ? pourquoi ? pourquoi ? pourquoi le monde ? pourquoi comme ci ? pourquoi comme ça ? Je me calme, mais je suis quand même encore dans ce truc-là !

Il y a d'autres pratiques que tu rapproches de ça ?

Le truc de la propreté, le truc de toujours être pure. Physiquement, je sais pas, d'être toujours... Le plaisir de prendre un bain pour être vraiment pure. Le mot d'ordre, ce serait vraiment la pureté, je pense, dans ce que, moi, j'ai connu de l'anorexie.

En fait, ça revient pas mal, en général.

Ah bon ?

Ouais

Ouais, ça m'étonne pas. Il y a un livre d'ailleurs de (inaudible) « La faim de l'âme », qui dit, justement, qu'il y a quelque chose de l'ordre spirituel là-dedans. » MD.RI

Nous y reviendrons en conclusion, la notion de recherche de pureté est source d'interrogation chez certains enquêtés, plus explicitement chez les femmes que chez les jeunes hommes que nous avons interrogés. Elle fait partie de la conception d'ensemble de ces actes dont le but recherché est de se sentir mieux.

L'instrumentalisation des éléments de l'environnement, témoins des changements

Une certaine confiance en soi est trouvée à l'aide de ces pratiques et des résultats sur la balance affichant un poids toujours plus faible. Melle VF.FB signalait plus haut son euphorie en montant sur la balance qui affichait 200g de moins que la fois précédente. La balance est également un instrument récurrent de cette rationalisation du changement, et quand elle n'est pas là, les vêtements devenant de plus en plus amples ou le ressenti corporel, tel que les maux provoqués par les os plus saillants ou la fatigue et le froid, se font témoin du travail en cours : « c'est bon signe ».

« Alors donc y a eu un déclic, j'ai découvert qu'il y avait une balance chez moi, j'étais presque jamais montée sur une balance dans ma vie. Enfin chez le médecin quoi. Donc je me suis... C'était pas vraiment pour qu'on fasse attention à moi, au contraire, j'aurais voulu que ça reste le plus discret possible, c'était vraiment un jeu assez morbide avec moi-même. Je me disais bon ben aujourd'hui tu fais 50, ben je te parie que dans deux semaines tu feras 48 et tu vas te débrouiller pour ça. Et ouais je me suis vraiment prise au jeu parce que c'était plus du tout un jeu, et voilà, j'étais de bonne humeur quand la balance avait annoncé un bon chiffre, et encore parce que j'avais tout le temps faim donc j'étais pas de si bonne humeur que ça mais... Donc ça a commencé, moi je peux vraiment, enfin je me souviens très bien de comment j'étais habillée, etc. Voilà je suis montée sur la balance et j'ai fait ah ben d'accord, 53, ben ce sera plus 53 la prochaine fois. » Melle AV.FB.

« Ne pas avoir de forces pour moi c'était un bon signe. De perte de poids, je sais pas, mais de contrôle, je me disais ça marche, je suis en train d'accomplir quelque chose . » Melle MH.RI.

« Au début, tu vois, la représentation du corps parfait, c'était 61 kilos, sauf que je suis arrivée à 61 et j'étais pas parfaite. Mais il y a un moment où pendant que je faisais 44 kilos, je me trouvais plus grosse, je savais que j'étais super mince. Le gros a arrêté parce que je voyais bien que... Et je voyais et je le voyais pas, tu vois ce que je veux dire ? Je sentais mes os, là, là, là et j'ai toujours des rituels. J'avais des rituels ou je faisais comme ça pour mon estomac ou comme ça pour voir comment j'étais ou comme ça pour sentir mes os. Je me râpais sur des choses dures, juste pour me rassurer que j'étais toujours mince. Mais pour moi, faire ça, c'est : oui, je suis toujours mince, je suis toujours bien. C'était quelque chose de concret pour me dire que je faisais quelque chose de bien, j'étais bien.

Mais ça faisait mal ?

Oui, ça faisait mal. Mais j'aimais pas me faire mal, mais...

Mais c'était rassurant.

Oui, voilà, c'est exactement ça, c'était rassurant. Et bon, ces rituels-là, je les fais toujours, même si maintenant, même si je me râpe la colonne vertébrale quelque part, ça fait rien maintenant. C'est par habitude aussi. Mais tous les matins, je fais les mêmes rituels encore, genre, moins maintenant, mais chaque matin quand je vais aux toilettes, je regarde mon estomac. Mais maintenant que j'ai un petit estomac, ça va. Je fais toujours le même rituel, mais je me dis : tant pis, c'est pas grave. » Melle MH.RI.

« ... Je crois que tout le monde a ses trucs, ses manières de s'évaluer. Pour moi, c'était comme ça, je me regardais dans la glace comme ça, c'était pas nécessairement si j'étais comme ça, mais plutôt du côté. » Melle MH.RI.

« Donc c'est surtout après la deuxième année, donc la Fac la stabilisation donc j'étais, je perdais plus mais c'était stable je me pesais trois fois par jour, donc avec le rituel et tout. » Mme E.RI

Ainsi, de ce que l'on a vu plus haut, les remarques de l'entourage qui font plaisir, ou au contraire l'absence de remarque qui blesse32(*), le miroir, la balance, les vêtements, le corps lui-même, tout est instrumentalisé comme indice du changement opéré, l'environnement devient progressivement fonctionnel. La vision des choses change donc progressivement et se recentre sur soi et l'image de son propre corps. Le calcul rationnel des conduites alimentaires domine le comportement à l'égard de la nourriture, et pousse la personne à se retrancher dans sa subjectivité, à gagner plus d'autonomie et accroître l'amplitude de ses pratiques dès lors qu'elle se retrouve marginalisée, comme par exemple Mme E.RI nous dit finir par ne plus participer aux repas de classe quand on l'invite pourtant toujours car « c'était plus drôle ». A partir d'un certain degré d'autonomie d'action et affective gagné, les conduites se routinisent, une remise en cause est difficilement négociable, mais le changement qui était voulu « en mieux » se fait difficile à vivre :

« Euh, non à la fin de la prépa, enfin tout ça s'est vraiment emballé en prépa, c'est-à-dire qu'en prépa c'est là que j'ai été le plus maigre que j'ai jamais été et puis le plus mal aussi. C'était vraiment, ça c'est sûr quoi, tout m'échappait en prépa, je me suis mise à plus maîtriser mes études et tout, et là, voilà du coup je me suis vengée sur ce que je pouvais encore maîtriser. »

Parmi les personnes enquêtées, la plupart ont connu les deux types de troubles du comportement alimentaire et, quand cela est le cas, l'anorexie fait place à la boulimie, précisément au moment où l'anorexie n'apporte plus satisfaction. Les schémas s'inversent.

II) Prise de conscience par le regard réflexif sur ses actes : l'exemple de la boulimie

Pour le début des troubles boulimiques, la distinction est plus nette que pour l'anorexie : on s'aperçoit directement qu'il y a un « problème » parce qu'il y a des faits et gestes remarquables comme la faim insatiable ou « compulsion boulimique », les vomissements et tout autre phénomène compensatoire comme par exemple la prise de laxatifs. Sans mettre premièrement le mot de boulimie sur ce « problème », on distingue un glissement vers un comportement anormal par le repérage d'actes positifs. Ces actes ne sont pas tout de suite perçus comme problématiques, ils sont avant tout vécus comme volontaires. Mais leur caractère anormal n'échappe pas à l'entendement, contrairement à la phase d'installation des nouvelles pratiques et d'entrée dans l'anorexie décrite précédemment.

Des actes positifs remarquables : l'anormalité faite quantité, substance et impuissance

Melle VB.FB. dit ne pas pouvoir faire ce qu'elle voulait devant ses parents. Elle était obligée de participer avec eux aux repas structurés, cadre dont elle ne peut se départir mais dans lequel elle ne peut pas inscrire ses propres pratiques alimentaires :

« A partir de ce moment-là, j'ai vraiment commencé à plus manger, d'abord, plus beaucoup manger, pour maigrir, pour être sûre de pas être enceinte, mais je peux même pas confirmer encore une fois. Donc voilà, je devais faire 52 kilos, pour ma taille, avec un physique super linéaire, enfin une petite brindille, enfin j'étais pas encore vraiment formée. Et donc je suis descendue à 48, 47 grand minimum. Et tout ça parce que j'avais arrêté de bouffer. Mais très vite, comme déjà il fallait bouffer avec les parents, que j'étais obligée de suivre les repas, j'arrivais pas à faire ce que je voulais (elle rit), et très vite j'ai commencé à regarder les recettes de cuisine [et à fantasmer sur la nourriture...] Et chronologiquement, c'est après que j'ai commencé à vomir. [...]

Le truc aussi, c'est que j'étais toute seule chez moi, et mes parents me donnaient des thunes, j'avais 500F par semaine, ce qui était largement suffisant pour faire mes courses et m'acheter plein de trucs quoi. Et mes courses, c'était, enfin y a des soirs, j'allais euh... Je rentrais chez moi, putain, j'ai rien pour criser, j'ai trop envie, mais dès que j'avais un stress et tout, enfin moi c'était toujours ça les crises, quoi : le stress, la contrariété, enfin tout ça. Et des fois, j'allais au Casino, enfin le truc qui ferme le plus tard possible, j'allais m'acheter tout ce que je pouvais, et quand tu voyais mon caddie t'hallucinais parce que y avait des Magnum, des cacahuètes, des trucs euh... « Tu manges que ça ? » (rires) Et puis je bouffais, mes crises elles étaient assez hallucinantes, quoi. Je bouffais tout ce que je pouvais me bouffer, des cornets de glace, un kilo de je sais pas quoi, des trucs euh... Une crise que j'ai faite qui me marquera à vie et qui m'a un peu fait prendre conscience du truc, quoi, c'était j'avais fait du riz au miel. C'est dégueulasse. J'ai mangé le truc, j'ai vomi, mais y'avait rien du vomi parce que c'était juste le truc est trop dégueulasse, quoi. Et ça, ça fait aussi prendre conscience quand tu te rends compte de ce que tu bouffes quoi. »

Melle VB.FB. ne peut inscrire ses pratiques restrictives ou au contraire orgiaques dans le cadre des repas imposé par ses parents ; elle s'y soumet dans un premier temps et c'est quand elle commence à habiter seule qu'elle « fait ce qu'elle voulait » : alterner restrictions et « crises ». La prise de conscience du caractère anormal de son rapport à l'alimentation arrive quand elle juge qu'elle mange quelque chose de « dégueulasse ». Sans vouloir pousser l'interprétation trop loin au risque de s'éloigner du sens donné à cette anecdote par celle qui l'a vécue, c'est précisément l'association brute du riz cuit et du miel qui est jugé « dégueulasse », mêlant deux éléments qu'on n'associe pas dans la tradition culinaire française et qu'elle n'a probablement jamais mangé chez ses parents. Elle établit auparavant une liste d'aliments privilégiés pour « criser », préparations industrielles de glaces, gâteaux, cacahuètes salées, des « gourmandises », et quand elle nous parle de son alimentation hors « crise », elle évoque des plats légers, omelette à la tomate, légumes, des « trucs un peu bons ». Le plat constituant cette « crise » marquante associe le sucré du miel à la lourdeur du riz, des aliments qu'elle s'interdit pour ses prises alimentaires « normales », celles qui ne seront pas régurgitées. La prise de conscience est relative à une souillure de l'organisme par l'absorption d'éléments non assortis traditionnellement dans une préparation non gastronomique, visant à remplir une fonction de remplissage de l'estomac dans un cadre qualifié de crise. Cette impression de souillure se manifeste d'autant plus rapidement chez les personnes ayant connu une période d'anorexie et de quête de pureté auparavant. Elle ne prend pas de prime abord la forme d'un jugement moral, elle est suscité par le dégoût ressenti : car ici, il n'est plus question de sucré et de gourmandise, notion éminemment morale. Elle prend conscience du besoin du corps de se remplir lourdement, quoique la préparation avalée est infâme. Dans le cas de Melle V.FB. il y aura ensuite vomissement de cette préparation lourde, pour ne pas prendre de poids, car elle souhaite rester très mince.

L'anormalité du cadre d'absorption de nourriture

Se met ainsi progressivement en place une conception différenciée de ce qui est normal et de ce qui ne l'est pas, dans le cas de la boulimie.

Melle AR.FB. a rapidement conscience de cette distinction :

« C'est quoi une crise pour toi ?

Pour moi c'est pas un repas, un repas c'est normal : tu manges et puis voilà. C'est vraiment manger en dehors de tout cadre, pas dans un repas, et vomir ce qu'on a mangé, et manger en sachant qu'on va vomir. Euh.. Voilà, c'est une prise alimentaire qui... Y a pas forcément une notion de quantité quoi, à l'époque j'avais pas la notion de quantité. Enfin à l'époque, je parlais pas de crise de boulimie non plus quoi. Ouais, ouais, pour moi c'est ça une prise alimentaire en-dehors d'un cadre et suivie d'un vomissement, parce que je vomis après, tout le monde ne vomit pas mais ça, c'est mon cas. »

Ce qui n'est pas normal c'est d'ingurgiter de la nourriture hors du cadre social du repas, dont l'horaire est un étalon, et à d'autres fins que celles de rassasier une faim, puisqu'il n'est pas normal de « manger en sachant qu'on va vomir ». Melle AR.FB ajoutera la notion de quantité par la suite : elle va voir augmenter les portions de nourriture prise pour ses crises au fur et à mesure des années.

On remarque un rapport de proportionnalité inversée avec l'anorexie :

« Je ressentais la faim physiquement parlant mais j'avais pas du tout envie de manger, je m'étais déshabituée de manger. » Melle CC.FB.

La notion de quantité est primordiale dans la conception du problème, la quantité est constitutive de la normalité ou l'anormalité d'une conduite alimentaire.

« Mes parents habitaient aux Etats-Unis à cette époque-là. Tous les soirs, à 3 heures du matin, quand il dormait, j'allais, avec mon téléphone, appeler ma mère, en disant : « ça va pas ». Et je crois que c'est la période où j'ai commencé à dire à ma mère : « je crois qu'il y a un problème, je crois que j'ai un problème avec la bouffe ».

Tu disais « je crois » pour atténuer ?

En fait, je me souviens pas comment je lui ai dit. Il me semble que je lui ai dit plusieurs fois, que je parlais de quantité... Je sais plus comment je lui ai dit. Ce que je sais, c'est qu'elle m'a répondu : « mais non, c'est normal, quand on a des soucis, on mange un peu plus, une tablette de chocolat c'est bon, c'est pas dramatique, ça m'arrive aussi ». Et moi j'essayais de lui dire : « non, non, mais c'est pas deux tablettes de chocolat, c'est pas seulement une fois de temps en temps ». Moi je sentais qu'il y avait un truc, je crois que j'étais pas trop sûre moi-même de ce qui se passait, même si, pourtant, je connaissais très bien le problème avec ma soeur. »

La notion de quantité est ici couplée à celle de la fréquence des « crises ». Quand sa mère dédramatise l'aveu de Melle PF.RI, celle-ci insiste : elle ne mange pas seulement « un peu plus », ni « de temps en temps », donc ce n'est pas normal. Elle définit l'anormalité de son comportement par la négative. Par ailleurs, elle mentionne le fait de ne pas savoir elle-même ce qui se passait alors qu'elle a vécu avec sa soeur qui était confrontée au problème durant plusieurs années avant d'être hospitalisée. On voit ici qu'il n'est pas évident pour elle de qualifier son comportement.

Melle ML.FB introduit la notion de violence, en plus de celle de quantité et de fréquence, violence qui dénote d'avec l'émoussement des émotions dans l'anorexie :

« Tu dis que l'anorexie, tu avais mis un moment à mettre un mot dessus.

Ouais

A voir ce que c'était. La boulimie, tu as su tout de suite ?

Ouais, ouais, j'ai su tout de suite. Ouais, je le savais direct.

A la première crise ?

Déjà, quand j'étais anorexique, à la fin quand j'ai compris ce que c'était, que j'ai recommencé à manger, j'ai lu un milliard de bouquins et donc, je savais très bien ce que c'était la boulimie. Et je savais très, très bien ce que c'était. J'ai immédiatement mis un mot dessus, enfin j'ai pas eu de problèmes avec ça. Ouais, enfin..., vraiment tout de suite. Et d'ailleurs, c'est même... La première crise de boulimie que j'ai fait, je m'en souviens.

Ah oui ?

Ouais et j'ai tout de suite su que non seulement j'avais fait une crise de boulimie et qu'en plus j'avais signé, je le savais quoi.

Que tu avais signé ?

Enfin que ça allait pas être la dernière fois ! je le savais ! Je le sentais venir gros comme une maison. En fait, c'était l'époque où j'étais encore super maigre, mais stabilisée et je suis allée à une fête de famille et je me suis fait : tiens, je vais bouffer tout. Et j'ai bouffé tout, en me disant... Enfin au début, c'était un jeu. En fait, je suis allée voir ma mère, je lui fais : « eh maman, je vais prendre 2 kilos aujourd'hui, tu vas voir et tout ». Parce que c'était la période où je m'étais dit que j'allais grossir, que j'allais retrouver un poids normal. Et puis j'ai bouffé tout et puis après avoir bouffé tout, je me suis sentie super mal et, là, j'ai fait : ça y est, c'est une crise de boulimie, et j'ai dit : ça y est, t'as pas fini ! Et puis une semaine après, j'en ai refait une et puis deux semaines après, et puis après, petit à petit, je suis tombée dedans bien profond. Mais c'est vraiment un truc que j'ai identifié tout de suite.

T'étais spectatrice d'un truc, tu le vis et tu le subis, et tu le regardes ?

Ouais, mais c'était complètement ça. Bon, là, après la première crise de boulimie, si tu veux, c'est que je l'ai vécu comme ça parce que c'était la première et que j'en ai fait qu'une. C'est pas devenu tout de suite super violent. Mais la première effectivement, elle était extrêmement particulière, enfin cette espèce de vision que j'ai eue de... Mais ensuite, c'est clair que j'ai essayé de résister quand même, j'ai vachement essayé de résister. Je comprenais pas pourquoi, machin et tout. Mais il y a un peu de ça, c'est un truc que non seulement j'ai subi, mais que j'observais et que..., et dont j'avais vachement besoin, en fait. Et j'avais beau détesté ça, enfin vraiment, mais comme tout le monde je pense, détester ça et le vivre super mal, j'en avais vachement besoin en fait, je crois. Et vraiment, c'est un truc dont j'ai pris conscience il y a pas longtemps et j'aurais pas pu vivre sans. Sans mes crises de boulimie, voilà, c'était comme si on m'arrachait les yeux ou un bras, enfin je veux dire, c'est vraiment... Donc, ouais, c'était à côté, à l'intérieur, au-dessus, derrière. C'était super... Ouais, c'était une espèce de cocon, mais dont j'ai eu conscience très vite en termes de troubles. Après, évidemment, il y a plein de trucs dont j'ai pas eu conscience au début, sinon j'aurais pas eu besoin d'être boulimique. Mais j'ai tout de suite compris que c'était un trouble, que c'était une dépendance et que... Même si j'ai commencé comme tout le monde au début par me dire : mais tu vas très bien pouvoir t'en sortir en luttant, dans la volonté. Ben, j'étais quand même consciente que c'était une maladie. Consciente.

Ça, ça se retrouve en général. La boulimie, on sait tout de suite qu'il y a un problème, l'anorexie, il faut un moment.

Ben, il y a des nanas, d'ailleurs je trouve ça assez marrant, il y a des nanas sur le forum qui disent qu'elles comprenaient pas qu'elles étaient boulimiques. Bon après, en plus, moi je me faisais pas vomir. Donc après, quand on se fait vomir, là, je pense que tu peux pas la rater, c'est de la boulimie, c'est clair. »

Melle ML.FB. relève le caractère remarquable de la boulimie, par son côté outrancier : on mange trop, on ne se contrôle plus, on le vit en le regardant, on agit en subissant. Cela s'impose à nous. Ayant eu connaissance de ses symptômes par la littérature psychologique qu'elle a consultée pour se renseigner sur l'anorexie à l'époque où elle est diagnostiquée comme telle par un médecin, elle ne peut manquer de savoir ce qui lui arrive cette première fois où elle adopte un comportement outrancier avec la nourriture et pose déjà les mots dessus, contrairement à sa période d'anorexie qui a été plus longue à qualifier, Melle ML.RI. était passée elle-même par une longue phase de déni.

La première crise de boulimie est marquante, et les paliers successifs sont identifiables, même on ne se considère pas nécessairement atteint de boulimie tout de suite :

« Donc en 4ème la première fois ça devait être chez ma grand-mère, j'ai trop mangé, hop j'ai trouvé cette technique, j'ai vomi le repas, et y en avait trop voilà. Et donc au début c'était que ça quoi, je vomissais que des gros repas de temps en temps. Et puis j'ai commencé à vomir des repas un peu moins gros, et puis j'ai commencé à vomir des goûters, et puis après j'ai commencé à manger pour vomir on peut dire. Alors au début euh, je peux même dire avec du recul que tout... Enfin je peux pas te dire si j'ai fait des crises à part au collège et au lycée, enfin si au lycée c'est sûr, mais au collège je peux pas te dire si j'ai fait des crises pour vomir après.

C'est quoi une crise pour toi ?

Pour moi c'est pas un repas, un repas c'est normal : tu manges et puis voilà. C'est vraiment manger en dehors de tout cadre, pas dans un repas, et vomir ce qu'on a mangé, et manger en sachant qu'on va vomir. Euh.. Voilà, c'est une prise alimentaire qui... Y a pas forcément une notion de quantité quoi, à l'époque j'avais pas la notion de quantité. Enfin à l'époque, je parlais pas de crise de boulimie non plus quoi. Ouais, ouais, pour moi c'est ça une prise alimentaire en-dehors d'un cadre et suivie d'un vomissement, parce que je vomis après, tout le monde ne vomit pas mais ça, c'est mon cas. » Melle AR.FB.

L'entrée dans la boulimie, même si on ne qualifie pas immédiatement le trouble ainsi, est tout de suite remarquable : la quantité de nourriture absorbée paraît démesurée, l'absorption se fait hors cadre social, à n'importe quelle heure et dans la solitude, et les éventuels vomissements ou prises de laxatifs compensatoires sont autant d'actes positifs qui sont aussi des « ne pas, ne plus ». Ne plus pouvoir se contrôler, ne pas pouvoir s'empêcher de manger donne une image de soi différente, l'on devient un animal (J.OA) ou c'est la nourriture qui devient une substance animée, tant son anthropomorphisation dépasse le simple exercice de style linguistique pour inspirer un sentiment, voire incarner une personne : on éprouve de l'affection pour la nourriture, une affection négative, la peur, ou positive, le « cocon » dont parle Melle ML.FB.

« Du coup, je me suis retrouvée toute seule dans l'appart et incapable de manger, mais incapable. La nourriture me terrorisait tellement que le seul moyen de m'alimenter c'était de faire des crises de boulimie et voilà.

La nourriture te terrorisait ?

Ben, elle me terrorise encore un petit peu, mais un petit peu moins. Non, vraiment, elle me

C'était quoi qui te terrorisait ?

Ben, le fait de se faire un truc à manger, enfin je sais pas... Je peux pas expliquer. Pour moi, terrorisant, c'est le même type de terreur que je peux avoir quand je pense à ma mère. Je sais très bien que c'est très lié. Oui, quelque chose, je sais pas, qui va grossir, qui va grossir, enfin la nourriture elle-même, j'ai l'impression que c'est quelque chose qui va grossir, grossir, grossir et je sais pas, qui fait un tourbillon.

Qui va grossir quand elle va rentrer dans toi ?

Non, non, indépendamment de moi, quelque chose d'hyper menaçant. Je sais pas, imagine la nourriture là... Je me souviens que j'étais comme ça, je pouvais passer des heures, enfin des heures peut-être pas, mais je pouvais très bien regarder, dévisager un bout de pain pendant 25 minutes, en étant terrorisée par le bout de pain. Du coup, je mangeais rien de toute la journée, mais vraiment rien. » Melle DD.FB.

« J'ai un gâteau en face de moi, je suis impuissante. Je suis un animal. » Melle J.OA.

« J'étais pleine de ressentiment envers mon frère, quand je faisais mes crises je le vomissais, quoi. Je vomissais son argent, je jetais son argent, je croyais me venger de lui et le vomir, et j'étais dans une haine, vraiment. Mais à l'extérieur, ça me permettait avec ces crises... Quand je voyais les gens, j'essayais de donner de l'amour que j'avais pas pour moi mais je la donnais aux autres. »

« Je voyais que j'étais esclave de la nourriture et que je faisais que ça. » Melle Y.OA.

La boulimie s'installant, l'image de soi se dégrade par rapport à l'anorexie, car au sentiment de puissance succède l'impuissance et une impression de déchéance qui ressort notamment de la pratique du vomissement telle qu'elle est ressentie et verbalisée, comparée à une drogue :

« Mes crises en fait très rapidement elles étaient disproportionnées, y avait plus de notion de plaisir, je vois par rapport à d'autres amies rencontrées à Outremangeurs Anonymes qui ont commencé plus en se faisant plaisir avec la bouffe. Moi je ressentais un vide énorme en moi et je ressentais un besoin de le remplir par tous les moyens. Enfin j'aurais pu sûrement utiliser autre chose, mais j'ai utilisé la nourriture et j'ai vu dès le début que je pouvais me défoncer avec ça, enfin l'ivresse de l'après-crise, où voilà j'ai trop mangé. J'ai du sucre dans le sang, je titube, j'ai du mal à arriver aux toilettes, je me faisais vomir comme un alcoolo qui vient de s'être tapé une cuite, et voilà. »

« Je vomissais parce que ça faisait partie du truc, c'était le shoot. » Melle YM.OA.

« Je me suis dit : il faut que j'arrête, sauf que ça marchait pas du tout parce que j'étais droguée. Franchement, j'étais droguée des vomissements. Parce que tu te vides, t'es bien, tu sens tes os un petit peu, tu sens que t'as la peau sur les os qui tire. Même si j'étais pas maigre, 46 kilos, c'est pas maigre, mais j'étais bien mince, quoi. »

« Moi c'était la signification que j'étais mais au fond du gouffre quoi, quand je faisais des crises, quand j'allais vomir. Parce qu'avant quand je prenais des kilos, c'était pas sous forme de crises, ou des mini crises peut-être, en terme de quantité. » M. FB.FB.

« Et puis un jour, c'est devenu automatique, à l'hôpital d'ailleurs, parce qu'à l'hôpital, je fouillais dans les poubelles quand j'avais des crises. D'ailleurs, je me suis piquée avec des seringues à une époque où il y avait le sida qui commençait, j'en avais rien à faire. Je crois que dans ces moments-là, on est complètement déconnecté. » Mme CB.FB.

Muriel Darmon remarque, lors d'une conversation entre une jeune fille anorexique et une jeune fille boulimique, que la première adopte un ton condescendant avec la seconde et une forme de mépris des personnes atteintes d'anorexie à l'égard des personnes exubérantes, qui se laissent aller de manière générale, et notamment les personnes boulimiques qui ont pour elles cette image d'impuissance, de laisser-aller et de mauvais goût. Si la conduite anorexique est orientée vers un ethos de classes supérieures, la conduite proprement boulimique serait plus proche d'une culture populaire. Cette image ressort des pratiques boulimiques : la nourriture riche, lourde, industrielle, qui coûte cher en quantité mais dont on se moque de la qualité, est associée aux classes populaires. La kleptomanie, encore synonyme d'échec de la volonté puisqu'on ne peut s'empêcher de voler, est souvent associée à la boulimie dans la littérature psychologique ; le larcin est une pratique connotée socialement, surtout s'il est fréquent, et fait penser aux classes populaires obligées de voler pour survivre. La pratique du vomissement comparée à la prise de drogue ou d'alcool renforce le côté « populaire » et déchéant de la boulimie qui est alors vécue comme un appauvrissement de soi : être « au fond du gouffre », se mettre à faire les poubelles pour trouver de quoi se remplir...

Melle VD.RI commence son entrée dans l'anorexie quand sa grande soeur est boulimique. En ce qui concerne les crises de boulimie de sa soeur, elle n'a jamais été complaisante. Elle se sent supérieure dans le rapport de force et la compétition qui s'instaure entre elles à propos de la nourriture, car elle-même ne « triche pas » pour maigrir :

« Mais je me rappelle que, ouais, il y a toujours quand même de sentiment de rivalité avec ma soeur, sur ce qu'on mangeait. C'est-à-dire qu'on mangeait la même chose et quand, elle, elle a commencé à avoir des problèmes de bouffe, à se faire vomir et tout, je supportais plus de la voir ensuite aller manger des haricots verts. Moi, c'était : tu triches. C'était vraiment ça. Parce qu'il y a toujours eu ce rapport avec ma soeur à : qui est la plus grosse des deux ? Il y a toujours eu ce rapport-là, de compétition, où j'essayais ses fringues juste pour voir si je rentrais dedans. Et là, moi j'ai pas essayé de la suivre sur ce truc-là parce que ça... Mais je me demande si c'est pas à partir de ce moment-là que j'ai fait un régime quand même. Elle, elle devait avoir 18 ans, moi j'en avais 13, je devais essayer de surveiller mon poids, mais en sachant que je tomberais pas comme elle et que j'étais super agressive avec elle à ce moment-là. Donc, moi, c'était de la triche qu'elle se fasse vomir, qu'elle soit malade, c'était : tu maigris mais tu triches. J'étais imbuvable avec ma soeur, c'est-à-dire qu'on n'en parlait pas, mais quand elle sortait de s'être fait vomir pour la cinquième fois de la journée, elle sortait, donc elle arrivait dans le salon, je la regardais mais avec un regard de tueuse. Donc, pour elle, ça devait être affreux. Quand elle se faisait des bouillies infâmes, enfin j'ai jamais été complaisante avec ma soeur, j'ai toujours été super, super dure. » VD.RI

Tout oppose ces deux types de comportement, et quand une personne passe de l'anorexie à la boulimie, elle en vient à adopter subitement une conduite inverse au moment du changement. On relevait plus haut le caractère économe de Melle VD.RI, ici Melle ML.RI évoque les dépenses liées à la boulimie, car il faut acheter beaucoup de nourriture, et fait état de la différence d'avec son caractère économe à la base, celui-là même qui l'a conduite à devenir anorexique nous dit-elle.

« Donc, moi je faisais quoi ? J'avais un Casino en bas de chez moi, je mangeais 10 à 12 fois par jour. Donc je vomissais 10 à 12 fois par jour. Donc, imagine ce que tu peux manger à chaque fois en une fois. Tu manges pour 20 euros à chaque fois. Tu te prends des brioches, tu te prends le pot de confiture. Le pot de Nutella, il te fait une crise, voilà. Du coup, les litres de lait, les machins, ça passe super vite. Et si j'avais pas dépensé tout ça, je serais super riche aujourd'hui. En même temps, l'argent, j'ai l'impression que quand t'es boulimique comme ça, t'es boulimique avec autre chose. Dès que j'ai arrêté de faire des crises, j'ai dépensé ma tune dans les fringues, j'ai acheté que des fringues, que des fringues. Je dépensais, je claquais. Dès mes premières sorties de contrat 3, j'allais au centre commercial et je dépensais. Ouais, d'un côté ou d'un autre, je dépensais. J'étais pas très économique ces quatre dernières années.

Et avant la bouffe ?

Avant la bouffe, j'étais quelqu'un de très, très, très économe. Alors pas égoïste mais très économe, c'est-à-dire que, pour moi, je dépensais rien, rien du tout. Moi, il y avait le strict minimum dans le frigo mais pour manger, les fringues, c'était les fringues de ma cousine qu'elle me filait, les fringues de ma copine. Je m'achetais un jean de temps en temps. J'étais économe, moi je voulais mettre de côté. Moi, ma passion c'était les voyages. Pour moi, c'est bien mettre de côté pendant un an et partir un mois en voyage et voilà. Donc c'est vrai que j'étais super économe. C'est comme ça que je suis devenue anorexique, t'es économe et après tu dérapes et tu bouffes. » ML RI.

Quand on ouvre une vanne sur le lâcher-prise, c'est tout le comportement rationalisé à outrance qui change pour devenir proportionnellement inverse. Le « dérapage » dont parle Melle ML.RI est celui du passage de l'anorexie à la boulimie, il y a donc bien une notion d'accidentel, de malencontreux, une mise en danger, un glissement qui peut faire tomber et qui, en l'occurrence, fait « bouffer », mal manger.

Des comportements sociaux rendus impossible avec l'anorexie, comme le fait d'avoir une sexualité, reviennent avec la boulimie :

« En fait ton copain avec qui t'es restée quatre ans et demi tu en as très peu parlé...

Oui, c'est exactement la réflexion que j'étais en train de me faire en fait, alors que... (elle rit)

Alors qu'il y a des personnes qui sont incapables d'avoir une relation sentimentale à côté quand elles ont des troubles...

Oui, alors que là, aussi c'est parce que pendant le un an où j'étais vraiment à fond dans mon truc [l'anorexie], j'étais incapable d'avoir quelqu'un dans ma vie, et à partir du moment où j'ai voulu m'en sortir là [mais elle a basculé dans la boulimie], y a eu moyen et ça correspond pile. » Melle DM.RI

« En fait, je le vois vachement comme une renaissance, moi, la boulimie. Enfin pour faire ultra schématique, c'est un peu crier en étant anorexique, et me rendre compte que ça va pas, et découvrir petit à petit avec la boulimie qui je suis, qu'est-ce qui me fait souffrir, pourquoi, qu'est-ce que je pense, qu'est-ce que j'ai envie dans ma vie, qu'est-ce qui me fait du bien, qu'est-ce que je ressens face à telle chose, machin. C'est vraiment ça, quoi. Avec la boulimie, je me suis vachement ouverte à des trucs un peu émotionnels, du genre je me suis mise à aimer la musique, enfin plein de trucs comme ça qui sont un peu du ressenti sur lequel on met pas forcément de mots et c'est vraiment ça quoi, enfin c'est renaître, et découvrir qui on est, quoi. Enfin qui je suis, pour parler avec un je. Voilà, pour faire super court, c'est ça. » Melle ML.FB

Melle ML.FB qui a connu successivement un an d'anorexie et quelques années de boulimie, note que le passage d'un état à l'autre est aussi celui du retour des émotions. Dans les périodes de boulimie, on voit se déployer tout l'affect de la personne, où le corps domine l'esprit qui se sent alors prisonnier de la nourriture, dépendant, tandis que l'anorexie est une période de totale négation du charnel et de l'émotionnel, et d'hyper rationalisation, où donc l'esprit domine largement le corps. Que Melle ML.FB le vive comme une renaissance peut justement s'interpréter au regard de ce qu'elle dit : s'ouvrir à des choses émotionnelles, au ressenti, une renaissance du corps, et de ses goûts, du plaisir qu'elle apprend ou réapprend à connaître.

La prise de conscience de l'anormalité du comportement chez les personnes qui ont connu anorexie et boulimie se fait à ce moment-là.

« C'est surtout au début de mon année de première où j'ai vu dès le début de l'année que j'avais beaucoup plus de boulot. Beaucoup de stress. Et je voyais que je contrôlais pas ces crises, y avait des soirs où je voyais que j'avais pas envie d'en faire. J'aurais envie d'aller me coucher. Et que non moi c'était, je voyais que je pouvais pas m'alimenter normalement. De plus en plus, même à la cantine j'étais pas très ok avec ce que je mangeais, j'ai commencé du coup à avoir envie vraiment de contrôler ces crises , je savais que si je rentrais à l'heure du goûter chez moi, c'était goûter, c'était crise, ça irait pas. J'ai commencé à identifier que j'étais boulimique alors qu'avant c'était non, tu penses pas, enfin tu manges pas du matin au soir donc t'es pas boulimique. Etre boulimique c'est manger du matin au soir (rires). Et comme moi je menais quand même ma vie de lycéenne, voilà je mangeais pas constamment, même je grignotais sûrement beaucoup moins que d'autres, peut-être je savais que moi je pouvais pas m'arrêter sûrement... C'était pour ça que, voilà... Et en première j'ai commencé à emprunter des livres sur la boulimie, donc je me suis un peu moins menti, j'ai commencé à voir que peut-être j'étais malade de ça, j'ai lu des choses là-dessus, euh j'ai pas... Disons que je sortais du déni, c'était violent, ouais je me reconnaissais clairement, je sortais du déni, je commençais à pleurer, à voir que j'étais dépendante de quelque chose. Pas forcément dépendante, disons que je me disais pas ça mais à voir que j'avais un problème. Avant mon seul problème, c'était d'avoir perdu mes parents. Et mon père, entre autres. Je me disais que c'était pour ça que je mangeais, que c'était totalement justifié, et que voilà j'avais le droit. Et que c'était pas grave. Voilà, je me disais ça et j'étais totalement dans le déni du mal que je me faisais à l'intérieur, à l'extérieur... Et là pendant cette année il y a eu un passage vraiment assez décisif où j'ai arrêté de me mentir, je voyais que j'avais de plus en plus de mal à faire semblant de sourire en cours, au lycée avec les autres, il m'arrivait de pleurer au lycée. Je voyais que j'étais euh... Ouais je commençais à sortir du déni. »

A partir de là, il faut tenter de qualifier ses propres conduites. Le chemin ne va pas de soi, à partir de la prise de conscience jusqu'à l'acceptation de la qualification psychiatrique du trouble. C'est toute l'image sociale de la personne qui est en jeu, et la question de son identité sociale est rendue problématique par les tensions internes entre différentes valeurs : une volonté de rester intégré au monde social et de ne pas dévoiler son « anormalité », et une continuation des pratiques déviantes que l'on tente de dissimuler sous un masque de « normalité ».

* 28 Muriel Darmon, Devenir anorexique, op.cit., Partie III « L'espace social de la carrière anorexique », p. 247-297.

* 29 Op.cit. p.296.

On peut voir cette conception du corps comme signe et non plus comme ressource a contrario dans l'idée suggérée pas Melle MH.RI. à propos d'un psychothérapeute qu'elle a vu quelque temps : « Je parlais de ce que je voulais, tu vois, mais en fait, c'était pas ce qui était mieux parce qu'il faut vraiment nourriture et psychologie, tu vois ce que je veux dire ? Parce que tu peux faire toute la psychologie que tu veux, mais si tu penses pas, tu restes toujours plus ou moins au même niveau. Ma mentalité, ça allait mieux, mais bon, mon poids, il chutait aussi. Ecoute, si je suis morte, ma mentalité, elle va... Tu vois ce que je veux dire ? Ouais, je trouve que ça m'aurait aidée beaucoup. » Il faut retrouver le souci du corps, de sa vitalité, avec une « mentalité » plus  ?

* 30 Claude Grignon, « Les enquêtes sur la consommation et la sociologie des goûts », Revue Economique, vol.39, n°1, p. 15-32.

* 31 Anne Lhuissier, Faustine Régnier, INRA, Obésité et alimentation dans les catégories populaires : une approche du corps féminin, in INRA Sciences Sociales, Recherches en Economie et Sociologie Rurales, n°3-4, décembre 2005.

* 32 À ce titre, Mr NR. dira :

« C'est simple. Mon année de 3ème, j'étais assez fort, très, très corpulent, et au départ de mon frère dans sa prépa assez loin, mes parents travaillaient beaucoup, j'avais plus personne à communiquer et je suis retrouvé tout seul et le fait de me dire je peux me contrôler, faire tout ce que j'ai envie de faire et pouvoir vivre un peu en cachette entre guillemets, j'ai commencé un régime, parce que le regard des autres j'en avais marre. [...] Donc de là, ce qui a été très dur aussi, c'est que personne n'a remarqué que j'ai perdu du poids dans un premier temps, alors que j'ai perdu 35 kilos en six mois.[...] Ca, ça a été vraiment très, très douloureux, donc comme personne remarquait que je perdais... [...] Personne ne le disait. Et comme moi je m'enfermais de plus en plus, parce que mes parents travaillaient donc n'avaient pas le temps de me voir, mon frère était parti donc j'avais plus personne avec qui échanger, ben j'ai continué, continué, à vouloir toujours plus perdre de poids pour... Pour essayer de faire plus confiance aux gens, et c'est comme ça que les premiers troubles d'anorexie ont démarré. »

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille