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Du contentieux constitutionnel en RDC. Contribution à  l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle

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par Dieudonné KALUBA DIBWA
Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2031
  

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CHAPITRE III :
PROCEDURE DEVANT LE JUGE CONSTITUTIONNEL

La procédure est comme tout juriste le sait la clef de voute d'un système juridictionnel. En effet, sans procédure expressément prévue dans la loi, les velléités dictatoriales qui sommeillent dans chaque juge pourraient bien lui dicter des énormités. Aussi, le législateur a-t-il arrêté dans le cadre de ce système une procédure à suivre tant pour saisir le juge que pour exécuter les décisions qu'il aura au départ rendues.

Il s'agira donc ici d'étudier dans un premier moment les recours organisés devant le juge constitutionnel en ce qui est de la procédure juridictionnelle et dans un second mouvement, les conditions de recevabilité et de mise en état de la cause devant ce juge.

Voyons dès lors en détail comment s'organise la saisine du juge constitutionnel dans les différentes matières dont il doit connaitre en tant qu'il exerce sa fonction juridictionnelle.

Section 1 : LES RECOURS DEVANT LE JUGE CONSTITUTIONNEL

Le constituant congolais a prévu dans les dispositions pertinentes982(*) de la Constitution du 18 février 2006 un certain nombre des compétences qui nécessitent pour leur exercice par la haute Cour une saisine particulière. C'est cette saisine que la doctrine qualifie d'ensemble d'actes de procédure pour porter un litige devant le juge qui fera l'objet des paragraphes qui suivent. Par ailleurs, chacun de paragraphes traitera un mode de saisine relatif à une matière de la compétence de la haute Cour précédemment étudiée.

Commençons par le noeud gordien du contentieux constitutionnel qui est le contrôle de constitutionnalité des lois.

§1. En matière de contrôle de constitutionnalité des lois

Deux hypothèses sont susceptibles de survenir en cette matière, soit qu'il s'agit d'une action directe en inconstitutionnalité, soit qu'il s'agit alors d'un incident d'inconstitutionnalité soulevé à l'occasion d'une instance ordinaire devant un juge non constitutionnel. Nous envisageons ici les deux hypothèses et nous y consacrons deux points suivants.

A. Cas de l'action en inconstitutionnalité

L'hypothèse de l'action en inconstitutionnalité est couverte par les dispositions de l'article 162, alinéa 2 de la Constitution. En outre, elle recouvre deux occurrences, celle du contrôle a priori et celle du contrôle à posteriori.

1. Hypothèse du contrôle à priori

Le contrôle de constitutionnalité étant ouvert contre les lois et les règlements dont nous avons parlé au chapitre précédent, le constituant a réservé l'initiative du contrôle a priori aux seules autorités publiques, écartant ainsi les particuliers du cercle des personnes qualifiées pour saisir le juge constitutionnel. En effet, s'agit des actes juridiques en chantier, il est plus logique que ce soient les autorités politiques elles-mêmes au courant de ces textes en chantier qui soient habilitées à en empêcher la naissance juridique.

Il en est ainsi des lois organiques qui sont obligatoirement soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle avant leur promulgation, sur pied de l'article 160 ; alinéa 2 de la Constitution. La saisine dans cette occurrence est l'oeuvre du Président de la République auquel le tertio de l'article 124 de la Constitution confère cette compétence. Lorsqu'il s'agit du règlement intérieur des chambres parlementaires ou du Congrès, la saisine revient au Président de la chambre concernée ou, en ce qui est du congrès, à son Président. Il en est de même des règlements des autorités administratives indépendantes que nous avons analysées au chapitre précédent.

Il est également possible au regard de notre ordonnancement juridique que les lois ordinaires puissent également faire l'objet d'un contrôle a priori. En effet, aux termes de l'article 160, alinéa 3 de la Constitution, les lois peuvent être déférées avant leur promulgation par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou le dixième des députés ou des sénateurs.

Dans toutes ces occurrences, la saisine appartient aux autorités politiques qualifiées qui doivent agir par voie de requête en inconstitutionnalité. Il n'est pas indifférent de remarquer que cette possibilité d'empêcher la loi de naitre juridiquement est une arme politique dont la minorité dans les chambres ne peut s'interdire l'usage. Le droit public congolais connait déjà un cas qui a malheureusement abouti à une décision d'irrecevabilité. C'est le RConst 06/TSR du 24 mars 2004.

En date du 11 mars 2004, les honorables députés Kazadi Nanshabolowa, Jean Mubanga Kabobela, Alphonse Lupumba Kamanda, Bruno Mukadi et Flory Sekelay ont sollicité l'examen de la conformité à la Constitution de la Transition de la loi portant organisation et fonctionnement des partis politiques.

Enrôlée sous R.Const.06/TSR, la requête du 23 décembre 2003 émanant d'une poignée des parlementaires a donné lieu à un arrêt de principe de la Cour Suprême de Justice, qu'il convient de commenter avant de donner notre position.

Le mode de saisine pratiqué par les parlementaires n'appelle nullement de commentaires particuliers dans la mesure où ils ont agi par voie de requête prévue à l'article 131 de la Constitution de la transition.

L'étude de cet arrêt présente néanmoins un intérêt majeur car il s'agit du premier antécédent jurisprudentiel du recours formé par les députés contre une loi dont ils n'ont pu empêcher l'adoption au niveau de l'Assemblée Nationale.

De ce point de vue, l'on peut apprécier l'efficacité de ce moyen de contrôle exercé par une minorité politique pendant la période de transition. La logique caporaliste des composantes semble émasculer l'efficacité d'une telle procédure.

Il reste à voir si cette requête a répondu aux exigences de forme et de fond portées par l'Ordonnance-loi relative à la procédure devant la Cour suprême de justice.

Dans son arrêt R.CONST. 06/TSR du 24 mars 2004, la Cour Suprême de Justice relève que « s'agissant de la recevabilité du recours en appréciation de la conformité d'une loi à la constitution, l'article 131 de cette loi fondamentale pose deux conditions aux députés désireux d'engager cette procédure, à savoir :

a. Le recours doit être formé par un nombre de députés au moins égal au dixième des membres de l'Assemblée Nationale

b. Le recours doit être introduit dans le délai de six jours francs qui suivent son adoption définitive.

Elle constate en outre que dans l'espèce examinée, « aucune de ces deux conditions n'a été respectée » en ce que d'une part, « le recours du 11 mars a été introduit au-delà de six jours francs fixés par l'article 131 de la Constitution, et qu'il a été signé d'autre part par cinq députés sur les cinq cent que comprend l'Assemblée Nationale ».

Aussi, la Haute Cour, toutes sections réunies et siégeant en matière d'appréciation de la conformité des lois à la constitution, a-t-elle déclaré irrecevable le recours introduit par les requérants pour non respect des conditions fixées par l'article 131 de la Constitution du 4 avril 2003.

L'article 131 de la Constitution du 4 avril 2003 dispose que « la Cour Suprême de Justice peut être saisie d'un recours visant à faire déclarer une loi non conforme à la Constitution de la Transition notamment par un nombre de députés au moins égal au dixième des membres de l'Assemblée Nationale, dans les six jours francs qui suivent son adoption définitive ».

De cette disposition, il découle que tout recours soumis à l'appréciation de la Cour en cette matière, doit répondre aux trois conditions non alternatives suivantes, à savoir : la signature du recours par un dixième au moins des membres de l'Assemblée Nationale ; l'adoption définitive d'une loi par l'Assemblée Nationale et le respect du délai de six jours francs courant à partir de l'adoption de loi.

Dans l'espèce examinée, il ressort qu'aucune de ces conditions n'a été respectée par les représentants, et que c'est à bon droit que la Cour Suprême de Justice a décrété l'irrecevabilité de la susdite requête. 983(*)

L'examen de ce cas nous a permis de relever que dans l'arrêt R.Const 06/TSR, la Cour Suprême de Justice a été autant rigoureuse qu'impartiale. Il faut préciser d'emblée que les notions de courage et de vertu ressortissent du langage moral. Mais la justice n'est-elle pas finalement une question éthique ? La symbolique de la justice n'est-elle pas deux plateaux soutenus au milieu par un glaive, c'est-à-dire le fait et le droit soutenus par la puissance publique (l'imperium) ? Lorsqu'au mépris de cette logique de justice le droit est dit, il n'est pas rare de constater qu'il est contesté et méprisé, à son tour, perdant ainsi son caractère normatif au seul profit de son apparat autoritaire.984(*)

Nous ne pouvons pas perdre de vue aussi un aspect pratique susceptible de constituer une tentative d'explication rationnelle de cet état de choses.

En effet, il n'est pas inutile de constater que la quasi-totalité de nos hauts magistrats sont des juristes de haut niveau oeuvrant depuis vingt-cinq ans, en moyenne, dans le domaine de droit privé et judiciaire sans avoir eu à trancher des matières de droit public du reste rares devant les juridictions inférieures dont ils proviennent.

Nous avons ailleurs dit que ce cas est symptomatique de la situation politique qui prévalait lors de la transition politique d'après Sun City. Et c'est le paradoxe de base du contentieux constitutionnel : les horreurs engendrent le développement de la justice constitutionnelle. 985(*)

2. Occurrence du contrôle à posteriori

La survenance de cette occurrence postule que la loi a été votée et promulguée par le Chef de l'Etat alors qu'elle est infectée des vices d'inconstitutionnalité. Dans ce cas, toute personne a le droit de saisine vis-à-vis des lois déjà étudiées qu'elles soient organiques ou ordinaires, dans la mesure où elles renferment un vice d'inconstitutionnalité. 986(*)

Ainsi, il est permis à toute personne de droit public ou de droit privé, physique ou morale, de saisir le juge par voie de requête. Signalons que le contrôle a priori qu'une autorité publique aurait initié devant la haute Cour ne la rend pas inapte à saisir de nouveau la même juridiction car en effet, la déclaration de conformité d'une loi organique ne joue pas au titre d'autorité de la chose jugée. L'explication rationnelle est qu'agissant sans litige, la Cour constitutionnelle ne fait pas oeuvre de juge, elle agit en revanche au titre d'autorité constituée dans un processus législatif prévu par la Constitution.

B. Cas de l'exception d'inconstitutionnalité

Cette hypothèse est celle prévue par les dispositions de l'alinéa 3 de l'article 162 de la Constitution. Elle n'appelle guère de commentaire particulier sauf à remarquer que la juridiction par devant laquelle est soulevée une exception d'inconstitutionnalité n'a d'autre ressources juridiques que la surséance à statuer, toutes affaires cessantes. La question d'exception concerne une personne qui est partie à un procès et qui se voit appliquer une loi qu'elle juge inconstitutionnelle.987(*)

C'est ici le lieu de mentionner la problématique juridique que soulève l'énoncé constitutionnel sur l'exception d'inconstitutionnalité. En effet, en limitant l'exception d'inconstitutionnalité à la personne concernée par une affaire, le constituant semble donc écarter toute intervention volontaire des tiers.

En d'autres termes, une personne non partie à l'instance n'a aucune qualité pour soulever cette exception. Or, en matière civile et administrative, par exemple, l'intervention volontaire comme la tierce-opposition sont permises de sorte que des tiers plus ou moins intéressés ont le droit aussi de soulever cette exception. 988(*)

Il ne pourrait en aller autrement dans la mesure où il n'est pas inutile d'observer que l'exception d'inconstitutionnalité engendre un contentieux objectif contre la loi ou l'acte réglementaire dont la nullité est ainsi sollicitée.

Le régime congolais de l'exception d'inconstitutionnalité qui fonctionne par renvoi préjudiciel porte une spécificité : non seulement que le texte trouvé et déclaré inconstitutionnel ne peut être comme partout ailleurs appliqué à la partie exceptionnelle mais aussi et surtout le texte constitutionnel postule que la Cour constitutionnelle statue et rend un arrêt définitif sur cet incident.989(*)

L'on peut de même observer que par la longueur des délais de prononcé et la chicane parfois non justifiée des plaideurs, l'on serait amené à considérer l'exception d'inconstitutionnalité comme une sorte d'arme fatale désorientant les plaideurs sur le sort de la question principale. Le destin de cette mécanique procédurale tient sans conteste au respect strict du délai de trente jours990(*) fixé par le projet de loi organique.991(*)

Pour résumer, par voie d'exception, la haute Cour est saisie non d'une requête mais plutôt d'un jugement ou arrêt avant dire droit ordonnant à la fois la surséance de l'examen de la question principale et renvoyant la question de constitutionnalité à la connaissance de la Cour constitutionnelle. 992(*)

§2. En matière d'interprétation de la Constitution

En cette matière, il a été déjà dit que seules les autorités politiques qualifiées par le constituant pouvaient saisir la haute Cour pour obtenir son interprétation. Sont ainsi seuls qualifiés le Président de la République, le gouvernement, le Président du Sénat, le Président de l'Assemblée nationale, un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, des Gouverneurs de province et des Présidents des assemblées provinciales. L'on note donc une saisine limitée par rapport à celle qui est largement ouverte en matière de constitutionnalité des actes législatifs et réglementaires.

L'on peut raisonnablement ajouter à cette liste, les cours et tribunaux qui peuvent en prenant des décisions avant-dire droit de renvoi solliciter par là même l'interprétation de la Constitution comme oeuvre naturelle du juge appelé à appliquer une norme juridique qui doit échapper à l'ambigüité et à l'obscurité. Par cette voie incidente, une certitude s'évince : les juridictions peuvent saisir la Cour constitutionnelle en interprétation de la Constitution.

L'intérêt de l'interprétation réside dans le fait évident que les autorités politiques étant chargées d'appliquer la Constitution sont amenées à en solliciter l'interprétation en cas d'obscurité ou de divergence d'opinions. C'est le lieu d'observer que c'est à travers cette technique d'interprétation que les politiques ont vite fait de proposer leurs débats à la censure du juge constitutionnel le transformant du coup en une pièce maîtresse du jeu politique.

Cette situation est à la fois délicate et resplendissante pour le juge constitutionnel car en effet il prend des couleurs politiques avec le risque évident de discrédit mais en même temps sa parole, son obiter dictum revêt la force d'une parole d'évangile qu'aucun homme politique ne négligerait dans ses joutes oratoires considérées comme arme du combat politique. Pendant la transition, de telles divergences ont conduit une de ces autorités suprêmes à saisir la Cour suprême de justice faisant alors office de Cour constitutionnelle notamment en matière d'organisation du pouvoir politique.

A. L'organisation du pouvoir politique

La jurisprudence congolaise indique que de tels cas ont eu lieu.993(*) Soulignons déjà avec Jean-Louis Esambo Kangashe, que « dans un Etat de droit, la suprématie constitutionnelle suppose l'élaboration d'un arsenal législatif de contrôle de la constitutionnalité des actes juridiques des gouvernants. Le principe de constitutionnelle est contraire à la pratique de duplication institutionnelle et à d'empiétement des pouvoirs. Elle s'appuie sur le contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes ayant valeur de lois mais également sur la conformité à la Constitution des actes législatifs, administratifs ou juridictionnels994(*). Le respect des règles établies par la Constitution y joue le rôle de premier plan.

Le principe de constitutionnalité implique qu'en vertu du principe de parallélisme de forme et de procédure, seule une loi constitutionnelle peut modifier la Constitution995(*). L'existence d'une justice constitutionnelle dont les décisions obligent les gouvernants et les gouvernés a fait dire à Louis Favoreu, que « sans la justice constitutionnelle, la Constitution risque d'apparaître comme un recueil ou un simple programme politique, à la rigueur moralement obligatoire »996(*) 

L'existence constitutionnelle d'une Cour constitutionnelle n'est pas à notre avis une condition nécessaire et suffisante pour que s'impose le principe de constitutionnalité. Ce qui importe, c'est que la garantie que la suprématie constitutionnelle ne se limite pas aux seules incantations, aux prières et louanges pour se situer dans le terrain du concret.

Conçu depuis la fin du XVIIIème siècle, le principe de constitutionnalité ne s'est développé que tardivement. En Europe, son affirmation peut être située à partir de la seconde moitié du XXème siècle. En Afrique, il ne date pas d'avant les indépendances et particulièrement avant les années 1990. Ce retard pourrait se justifier par le caractère quasi permanent du débat entre défenseurs et adversaires de la légalité et de la constitutionnalité. En France, on relève que bien que proclamé dans la Constitution, la suprématie constitutionnelle a pris du retard pour être ancrée dans les moeurs politiques997(*). Il y subsistait encore une attache au légicentrisme qui consacre le règne de la loi placée au centre de l'ordonnancement juridique.

Cette position a été largement véhiculée dans beaucoup de pays africains. La République Démocratique du Congo ne fait pas exception. Dans ce pays, on peut affirmer qu'avec la concentration des pouvoirs entre les mains du président de la République, la violation de la Constitution est devenue la règle et sa protection l'exception. Comme la probabilité de sanctionner toute violation de la Constitution a été fortement réduite, la suprématie constitutionnelle semble avoir emprunté la voie des hypothèses sinon des hypothèques.

Il s'en suit qu'après une longue période d'atermoiements, l'idée de renforcer la légalité constitutionnelle dans la gestion des affaires publiques est apparue avec les travaux de la conférence nationale souveraine. Celle-ci a levé l'option de confier à trois juridictions distinctes, les attributions jusque là exercées par la Cour suprême de justice.

L'option levée par le constituant congolais se justifie lors de la sortie du peuple d'un moment historique marqué par une confiscation des libertés individuelles. Le mouvement constitutionnaliste se caractérise notamment par la limitation du pouvoir que l'on décèle à l'énumération plus qu'exhaustive des libertés fondamentales.

La démarche n'a pas abouti immédiatement. La raison est que les prescriptions constitutionnelles n'ont pas toujours été respectées. Instituée par la Constitution, la Cour constitutionnelle doit être en mesure d'assurer et de rassurer la fonctionnalité d'un Etat soumis au droit. De même, par une interprétation correcte de la Constitution, la protection des droits de l'Homme et des libertés publiques ou la résolution de tout litige né de sa saisine, cette juridiction favorisera l'encadrement du pouvoir ».998(*)

B. Les droits et libertés fondamentaux

L'interprétation dont il s'agit à ce point de l'étude est celle qui consiste en la saisine principale du juge constitutionnel. Il reste cependant que le juge constitutionnel, du fait que sa norme de référence essentielle se trouve être la Constitution ne peut statuer sur les matières de sa compétence sans procéder ne fut-ce qu'implicitement à l'interprétation voire à la réinterprétation de la norme constitutionnelle. Il faut préciser qu'interpréter la norme, c'est l'appliquer à un cas d'espèce, c'est subsumer le fait sous une catégorie juridique.

L'on devine en effet l'intérêt sans cesse croissant que l'interprétation de la norme fondamentale en matière des libertés publiques peut avoir sur le développement des libertés fondamentales.

L'on voit du reste de ce point de vue un tâtonnement jurisprudentiel qui fait dire à certains auteurs que la Cour suprême de justice fait une valse à plusieurs temps.999(*)

Pou éviter cette valse de mauvais aloi entre une affirmation des droits du citoyen1000(*) et leur négation sous les formes d'évitement1001(*) les plus horribles, il importe que le juge recoure davantage à une interprétation qui prenne en charge les libertés publiques comme la partie essentielle du droit constitutionnel qu'il est chargé d'appliquer. Il s'en suit que la technique d'interprétation se trouve même au centre de la fonction du juge constitutionnel.

Aussi, pour déclarer qu'une loi est ou non-conforme à la Constitution, le juge doit-il déterminer avec exactitude le sens de la loi contestée et la signification correcte du principe constitutionnel qui aura été violé.

Dans le contentieux constitutionnel, « s'affrontent trois types d'interprétations de la loi : celle faite par le législateur, celle donnée par le requérant et l'interprétation du juge. Pour ce dernier, l'interprétation consiste en une opération intellectuelle inhérente à sa fonction et un instrument nécessaire à l'exercice de ses charges »1002(*).

Il faut se garder de considérer que le juge dispose de toutes les recettes pour découvrir le mystère caché dans le texte. Ce mystère est, à vrai dire, loin d'être complètement levé ou vidé par le juge. Le texte reste à jamais inépuisable par l'interprétation du juge.

Pour tout dire, l'interprétation du juge constitutionnel ne peut être « qu'un moment de l'histoire du texte qui continue à vivre et donc à pouvoir être le support, plus tard, d'autres interprétations »1003(*).

Le recours à des méthodes spécifiques, telle celle de l'interprétation neutralisante, voire la prosopopée, est révélatrice de la sollicitude, et pour tout dire de pleine réussite du juge constitutionnel.1004(*)

L'interprétation peut ainsi se rapporter aux principes à valeur constitutionnelle.

C. La place des principes généraux à valeur constitutionnelle

La problématique s'est posée en droit français et a donné lieu à une forte littérature : la place des principes généraux à valeur constitutionnelle. Cette question est d'intérêt théorique car elle postule que le juge constitutionnel peut être amené à établir une hiérarchie entre principes constitutionnels.

En d'autres termes, existerait-il des principes généraux à valeur constitutionnelle qui s'imposeraient au juge même en cas d'autres principes constitutionnels écrits ? La question est loin d'être théorique parce que finalement elle a déjà donné lieu à la théorie de la supraconstitutionnalité.1005(*) Elle se rattache idéologiquement à la doctrine du droit naturel.

Cette théorie postule en effet que le droit positif quelle que soit son autorité doit se soumettre au droit naturel saisi comme un ensemble des valeurs transcendantales et supérieures donc à la volonté constituante. Ainsi la vie serait supérieure à tout prescrit constitutionnel dans la mesure où le constituant ne fait que l'organiser sans jamais la créer.

Dès lors, en cas de conflit entre deux normes à valeur axiologique différente, il faut trancher en faveur de la norme qui ressortit de la valeur supérieure. Du point de vue du droit positif, telle formulation est de nature à poser problème car le juge ne saurait impunément s'ériger en censeur moral alors qu'aucun catalogue desdites valeurs transcendantales ne lui est guère présenté. Il pourrait le créer lui-même avec le risque que l'étendue et la qualité desdites valeurs dépendraient largement de la subjectivité du juge lui-même.

L'on ne peut manquer de constater avec amertume que le risque est immense de quitter l'arbitraire de la majorité politique pour celui d'une minorité judiciaire.

Aussi, est-il utile que le juge reste soumis aux seules valeurs consignées dans le texte fondamental avec l'interprétation que le constituant leur accorde dans les travaux préparatoires mais sous les lumières bienveillantes d'une « idée de droit » progressiste.

Disons tout de suite ou rappelons qu'il s'agit là du vrai rôle de la Haute juridiction. Il serait complètement aberrant qu'un juge constitutionnel donne l'impression d'inventer un droit au mépris de toute rationalité, en faisant fi de la Constitution et de son contenu.

Juge constitutionnel, il porte bien son nom ; il doit veiller à ce que le législateur tout en exprimant la volonté générale de la nation, ne le fasse que dans le respect de la Constitution. Pas plus, d'ailleurs, qu'il ne doit donner l'impression de régler des litiges à visage juridique sur fond politique, des litiges voisins de ceux qui opposent des particuliers où une solution du juste milieu peut les satisfaire pour éviter celle où apparaissent un vainqueur et un vaincu.

Dans le contentieux constitutionnel ou, si l'on préfère la justice constitutionnelle, ce ne sont jamais deux parties en litige, mais il y a toujours, d'un côté, le législateur et, de l'autre, la Constitution. Le rôle du juge constitutionnel, c'est de vérifier si le législateur n'a pas outrepassé les limites tracées par le constituant.

Quelle utilité aurait la constitution si ses principes n'étaient que des voeux pieux à l'adresse d'un législateur fort de sa légitimité souveraine ? Là est toute la philosophie dont se nourrit la loi organique de cette haute instance. Parce qu'elle intervient pour mettre en application un article de la Constitution, elle doit, avant sa promulgation, impérativement passer sous l'oeil vigilant du juge constitutionnel auquel il revient de dire si certaines de ses dispositions sont ou ne sont pas contraires aux règles, principes et préceptes contenus dans le texte le plus élevé dans la hiérarchie juridique, la Charte fondamentale.

En paraphrasant Kelsen, on dira que si la loi est une création du droit vis-à-vis du règlement, elle se présente comme une application du droit vis-à-vis de la Constitution ; de ce fait, la vérification de sa régularité doit se fonder sur le rapport d'un degré inférieur à un degré supérieur de l'ordre juridique.

A la suite du même grand juriste, père fondateur du contrôle de la constitutionnalité des lois en Europe, on ajoutera que cette correspondance constitue le fondement de l'existence des garanties de la Constitution qui sont considérées comme garanties de la régularité des règles immédiatement subordonnées à la Constitution, c'est-à-dire, essentiellement, des garanties de la constitutionnalité des lois.

Constitutionalité ! Voilà le terme magique auquel il faut restituer l'importance qui est la sienne et reconnaître l'étendue qui le caractérise ! Signifie-t-il uniquement le contenu purement formel de la Constitution ou doit-il intégrer tout ce qui s'y rattache comme principes et règles auxquels le texte constitutionnel fait référence ?

Notre Constitution, comme du reste la plupart des constitutions du monde pour ne pas dire toutes, contient un ensemble de référentiels qui complètent tout ce qu'elle proclame expressément. Naturellement, ces référentiels varient d'un pays à un autre.

Ici, cela peut être l'attachement aux droits de l'homme tels qu'ils sont universellement reconnus, ailleurs, cela peut être l'attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789 etc. Ici, l'Etat peut être laïc, ailleurs, il peut être musulman ou chrétien. Ici, cela peut être la souscription aux principes, droits et obligations découlant des chartes des organismes internationaux dont l'Etat est membre, ailleurs, cela peut être la proclamation comme particulièrement nécessaires à notre temps de principes politiques, économiques et sociaux.

Bref, et pour ne pas déborder l'objet de la présente analyse, dans sa mission, le juge constitutionnel est un créateur de droits, de normes juridiques et, plus simplement, du droit à partir de la Constitution et surtout de son esprit et des principes ainsi que les valeurs dont elle est tissée ou qui coulent des textes auxquels elle fait référence. La constitutionalité d'un texte de loi organique ou autre, ne réside pas seulement dans sa conformité à ce qui est expressément énoncé dans les seuls articles de la Constitution, mais à ce qui transparaît au travers de ses dispositions et se manifeste dans la trame de ses lignes.

Elle s'apprécie au regard de ce qui constitue le bloc de constitutionnalité.

En droit congolais cependant, il importe de souligner qu'il n'existe pas de principes généraux à valeur constitutionnelle, catégorie juridique créée par le Conseil constitutionnel français pour régler la question du bloc de constitutionnalité qui se posait en France du fait de l'absence d'une proclamation des libertés publiques dans le texte même de la constitution.

Telle n'est pas la situation du droit congolais qui proclame invariablement le caractère constitutionnel des libertés fondamentales dans ses textes constitutionnels. La même constance est observée en matière des traités internationaux.

* 982 Lire spécialement les articles 160 à 167 de la Constitution du 18 février 2006.

* 983 Arrêt inédit.

* 984 L'autorité est en effet une des caractéristiques de la loi mais l'adhésion est une constante dans l'histoire qui fait de la loi une oeuvre commune des gouvernants et des gouvernés.

* 985 Lire KALUBA DIBWA (D.), La saisine du juge constitutionnel et du juge administratif suprême en droit public congolais, op.cit, Kinshasa, éditions Eucalyptus, 2007.

* 986 Le terme « actes législatifs » utilisé à l'article 162 de la Constitution du 18 février 2006 n'est pas de nature à introduire des distinctions entre les diverses formes de loi. Il importe seulement au regard du critère formel qu'il s'agisse d'un acte législatif, c'est-à-dire d'une manifestation de volonté législative émanant du législateur, ordinaire ou d'exception, exprimée dans la forme et dans les conditions prévues par la Constitution.

* 987 Lire AVRIL (P.) et GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, 7ème édition corrigée, Paris, PUF, 1998, p.57, v° Exception d'inconstitutionnalité.

* 988 Voir articles 80 du code de procédure civile et 84 de la procédure devant la Cour suprême de justice.

* 989 Saisie par avant dire droit, la Cour constitutionnelle rend en effet un arrêt qui sera définitif sur incident vis-à-vis des parties à l'instance principale qui aura entretemps été suspendue.

* 990 Lire article 160, alinéa 4, de la Constitution.

* 991 Lire 50 du projet de loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, inédit.

* 992 Lire article 162, alinéa 4, de la Constitution.

* 993 C.S.J., R. Const. 28/TSR, Requête en interprétation des articles 99, 102, 105 et 108 de la Constitution de la transition, 24 février 2006 (inédit), six feuillets. Pour le texte soumis au contrôle, lire la Loi n° 05/023 du 19 décembre 2005 portant amnistie pour faits de guerre, infractions politiques et d'opinion, in JORDC., n° spécial, 28 décembre 2005, pp. 1-3.

* 994 KAMUKUNY MUKINAY NGAL (A.), De l'effectivité du contrôle, ...op. cit, p. 9.

* 995 Tel n'a pas été le cas en République Démocratique du Congo où le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à l'organisation et à l'exercice pouvoir en République Démocratique du Congo a été modifié par un texte qui portait initialement l'intitulé de décret-loi avant d'être publié au Journal Officiel sous la dénomination du Décret-loi constitutionnel n°074 du 28 mai 1998.Lire dans ce sens, ESAMBO KANGASHE (J.-L.), Le texte de la Constitution de transition,...op.cit. p. 355.

* 996 FAVOREU (L.) et Alii, Droit constitutionnel, ...op.cit. p. 142.

* 997 FAVOREU (L.) et Alii, Droit constitutionnel, ...op.cit. p. 143.

* 998 ESAMBO KANGASHE (J.-L.), La constitution congolaise du 18 février 2006 à l'épreuve du constitutionnalisme. Contraintes pratiques et perspectives, Thèse de droit public, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 17 juin 2009, pp.232-233.

* 999 CSJ, arrêt Kapuku, R.Const 051 du 31 juillet 2007 ; CSJ, arrêt Cibalonza, R.Const 062 du 27 décembre 2007, CSJ, arrêt Makila, mai 2009, inédits.

* 1000 Les deux premiers arrêts marquent le droit congolais des libertés publiques en protégeant le droit de la défense tandis que le dernier arrêt rentre dans la catégorie de ceux que NGONDANKOY ea LOONGHYA appelle avec raison des arrêts sur commande tant leur qualité intellectuelle n'inspire guère le respect.

* 1001 La stratégie d'évitement est celle qui consiste entre autres à déclarer un recours irrecevable pour ne plus voir le problème juridique qu'il pose ou plutôt de déclarer tout recours non fondé sans trouver une base de raisonnement qui soit logique et juridiquement cohérent.

* 1002 ROUSSEAU (D.), Droit du contentieux constitutionnel, ...op.cit., p. 145.

* 1003 Idem., p. 147.

* 1004 GICQUEL (J.), Droit constitutionnel et institutions politiques, op.cit, p.720.

* 1005 Ibidem.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote