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Poétisation d'un univers chaotique

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par Assia Benzetta
Université Mentouri - Master 2 Analyse du discours 2014
  

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I.3- Une contamination par la violence

En parlant de violence, on est directement frappé par le terme post colonialisme. On est appelé donc à définir la littérature post coloniale aux Antilles. Ce courant littéraire et artistique est soupçonné d'être un refuge de l'idéalisation occidentale de différentes civilisations.

La violence, dans En attendant la montée des eaux, contamine tous les chapitres. Les itinéraires psychologiques et culturels des personnages de Maryse Condé, révèlent des déséquilibres. Leurs parcours inachevés dans la narration résultent des thèmes de l'absurdité subite qui n'a aucune explication. Prenons comme exemple la femme qui se jette par-dessus le bord du bateau, et du rejet  d'Anaïs par sa tante Estrella et sa soeur. Ainsi que le cas lamentable de Movar et ses deux soeurs, encore frêles, délaissés par leur père puis par leur mère : « ma maman est restée à se débattre comme elle pouvait avec ses trois enfants sur les bras et puis, elle a disparu, elle aussi ». p49.

En littéraire scrupuleuse, Maryse Condé aborde l'histoire du roman, mais les intrigues ramènent la plupart des personnages à l'échec, dû à leur obsession, à la hantise du passé. Ses personnages se caractérisent par l'obscurité, fuyants et agacés par le rituel du rhum ainsi que des jeux interdits citons ici comme exemple Roro-Meiji le trafiquant de drogue, qui plonge dans l'alcoolisme en prenant pour cause son amour inassouvie pour Estrella. Sa punition injuste se transforme en violence, non pas par méchanceté mais par démence. Son fantasme combatif, à présent, est la conséquence de son traumatisme. 

Sous une perspective optimiste, Babakar, qui est un médecin accoucheur traduit sa douleur d'une manière humaine, en donnant la vie sans avoir un objectif matériel au retour. Avec des mots très signifiants Thécla lui dit:

« Tu exercera un métier, un des plus beaux du monde. Comme d'habitude, tu ne te soucieras pas de gagner de l'argent, mais faire le bien (...) », p.165.

Babakar, bien qu'il soit médecin instruit, et donc un grade social remarquable, souffre aussi de la ségrégation.

Sur ce même propos, Glissant écrit :

«  L'intégration des catégories hiérarchiques d'une perspective coloniale entraine la division du monde en personnes dont certaines clairement en-dessous de la famille par rang, par revenus, par les manières, par le mode de vie et par la connaissance. Cela se réfère aussi à des principes ou à des tabous »47(*).

Ainsi le comportement des noirs entre eux dans En attendant la montée des eaux s'explique clairement.

Babakar dit :

« Je ne possédais aucun sentiment d'identité ethnique », p.98. Il ajoute : « c'est aussi là en France qu'on trouve le racisme (...) le racisme n'est pas une chose neuve, on le trouve partout », p.100.

Puis le narrateur confirme: « lui, n'avait jamais été que l'étranger », p.362.

Ce sentiment de détachement et de rejet habite et s'accroit dans le coeur des Antillais, et les faits souffrir dans un silence tumulte.

I.3.a. L'Histoire noire des Antilles

L'approche historique explique la violence dans la société créole et son émergence dans la littérature antillaise. La plantation de cannes à sucre48(*) fut le théâtre de la violence, celle du foin et des Maitres, mais aussi du poison des esclaves, leurs armes de vengeance : c'était pour échapper à l'oppression. La violence historique plane sur la société antillaise, même contemporaine, avec la brutalité quotidienne des hommes et de la nature : les noyades, les naufrages, les déluges, et les tremblements de terre49(*).

Babakar croyait oublier le passé qui ne cesse de le suivre, même dans ses sommeils, habités par l'apparition de sa mère morte: Thécla. Son métier humaniste, médecin accoucheur se présente comme la manière d'oublier le rêve de l'histoire, de libérer son imagination, et de fuir le chaos, la prison de l'esprit. Son métier serait la Relation chère à Edouard Glissant, pour retrouver l'harmonie avec soi et avec le monde : « débloquer l'imaginaire, elle nous projette hors de cette grotte en prison où nous étions enfermés, qui est la cale ou la caye de la soi-disant unicité. Nous sommes plus grands que toute la grandeur du monde !et de son incompréhensible absurdité où j'imagine pourtant »50(*).

Les blessures morales et les traumatismes des personnages révèlent la thématique de l'époque51(*). Babakar est marqué par une cicatrice sur son visage. Sa maitresse, Carmen la coiffeuse, en lui coupant les cheveux : « tout en manient ses ciseaux, elle l'avait entretenu sur sa cicatrice. (...) c'est un souvenir de guerre (...) les ennemis d'hier sont devenus les frères d'aujourd'hui », pp.72-73.

Dans En attendant la montée des eaux, un des réfugiés pendant le déluge explique cette souffrance comme un fait évident:

 Vous croyez que c'est un hasard si nous souffrons tout ce que nous souffrons ? Dictateurs qui nous tuent ou nous obligent à nous exiler, boat-people qui se noient par milliers. Écoles qui s'effondrent sur nos enfants. Cyclones, trois dans une seule saison. Inondation. (...) C'est parce que le Bon Dieu est fatigué avec nous. Haïti n'arrête pas de pécher. Oui, de pécher. D'abord le vodou. Puis la fornication. Puis la drogue. Puis toutes sortes de violences et de vols. p.316.

Le narrateur interpelle : « Il avait posé la véritable question, une question qui restait sans réponse ; La nation pathétique52(*) selon le qualificatif d'un de ses propres enfants était-elle coupable ? De quoi ? Il est vrai que les victimes sont toujours coupables », p.318.

Par rapport avec d'autres romans de la littérature antillaise, ce texte de Maryse Condé ne présentent pas de grandes différences parce qu'ils sont issus des mêmes contextes : Historique, géographique et culturel. Les thèmes se ressemblent, mais on peut souligner des caractéristiques dans En attendant la montée des eaux : il y a une construction des rapports entre les personnages et les histoires, et delà découlent les imaginations des personnages. Autre particularité que Maryse Condé utilise le ton ironique et distant qu'on peut noter dans En attendant la montée des eaux. La moquerie caractéristique dans les romans de Maryse Condé modère le goût des personnages : le narrateur commente le statut de la femme en écrivant : « bien heureuses celles qui mastiquent le triste pain de la vie sans chercher à analyser à tout prix les ingrédients qui entrent dans sa composition ».

Et encore les paroles de Cyprien qui s'adresse à Babakar: 

« nous ne somme pas ...au Darfour ici ! (...) nous sommes en Guadeloupe. (...) la Guadeloupe c'est comme qui dirait la France. Nous avons des lois. (...) », p.18, où le Cyprien Aristophane, le directeur de l'école communale Pier pont III, prenait l'air de se moquer, lorsque Babakar leur a annoncé qu'il va adopter le bébé Anaïs.

Cet air moqueur se manifeste aussi avec Babakar en parlant à l'employé de l'Etat Civil à qui il explique : « je ne suis pas un étranger. Je suis aussi français que vous. (...) », p.27. Quand à Movar, il évoque le problème du racisme en disant que Yassine : «  (...) me traitait comme si j'étais son domestique, tout ça parce que j'étais plus noir que lui, je le sais », p.55.

La question « raciale » est une problématique importante dans les littératures postcoloniales francophones du fait du regard porté sur les représentants d'une altérité. C'est une question épineuse puisqu'en parlant d'un système racial qui fonde le racisme, elle n'empêche pas d'essayer de le détrôner53(*). Constater que le racisme perdure, perpétuant des divisions et des hiérarchies abstraites issues de siècles d'esclavage et empires coloniaux

Il va sans dire que le projet esclavagiste, puis le projet colonialiste se sont basés sur une hiérarchie sociale et « raciale ». Ces deux hiérarchies ont été mises en place par les Européens pour leur propre bénéfice, mais malheureusement ils n'en ont eu ni l'exclusivité, ni le monopole. Maryse Condé le rappelle dans sa présentation O Brave New World54(*)

Le projet esclavagiste a mis l'homme blanc, l'Européen, en haut de la pyramide sociale en imposant la couleur de peau comme un élément fondateur pour définir « la pureté » d'une race et, à travers une simplification inouïe basée sur un Darwinisme social, a affiché une rhétorique raciste qui maintient l'homme noir au bas de la pyramide puisque « impur ». Dans cette hiérarchie qui justifie l'esclavage, la femme noire se trouve tout en bas.

Dans ce même cadre, l'essayiste René Ménil explique : « le phénomène de l'oppression culturelle inséparable du colonialisme va déterminer dans chaque pays colonisé un refoulement de l'âme nationale propre (histoire, religion et coutumes) pour introduire dans cette collectivité ce que nous appelons, l'âme de l'autre métropolitaine, d'où la dépersonnalisation et l'aliénation. Je me vois étranger, je me vois exotique »55(*).

Pour Babakar, le rapport avec l'histoire de la société antillaise, symbole de l'histoire coloniale est rompu. Il a perdu tous ses origines en Afrique et en Guadeloupe, s'exile volontairement à Haïti avec ses deux amis Fouad et Movar qui ont eux aussi délaissé leurs origines pour en tisser d'autres loin de chez eux, plus solides (selon Maryse Condé les origines n'ont pas d'importance)56(*).

L'anthropologue George Balandier analyse le rapport entre l'homme et l'histoire, en distinguant deux comportements qui traduisent la continuité et la rupture : «  Les sociétés disposent de deux possibilités d'esquiver le défi du temps, de produire l'illusion historique ; soit en éternisant le passé et la continuité (perspective conservatrice) soit en rendant imaginairement présent un avenir par laquelle l'histoire se trouve abolie (perspective eschatologique) »57(*).

Ces deux perspectives opposent les personnages de Maryse Condé. Elle a construit au fil de ses romans des personnages rebelles à l'exagération de l'histoire antillaise (Fouad, Babakar). Mais ces personnages sont en quête d'une identité à construire, ayant trouvé des similitudes dans un destin partagé que nous illustrons suivant le schéma actantiel58(*) du récit :

* 47 Les,usages,publics,de,la,mémoire,del'esclavagecolonial.classiques.uqac.ca/..bonniol.../usages_memoire_esclavage.rtf.Consulté le 30 janvier 2014 à 17h.

* 48 Plantation de cannes à sucre ; Titre du tableau de Catherine Théodose, couverture du corpus.

* 49Corzani, Jac. Culture savante et culture populaire (XVIIe Siècle) histoire des Antilles et de la Guyane, sous la direction de Pierre Pluchon. Toulouse : Privat, 1982. pp. 441-467. « La société créole est dominée par la violence : expropriation puis génocide des Caraïbes, des petites Antilles, des Arawak en Haïti, importation sous la contrainte de certains colons eux-mêmes, puis bien entendu et surtout des africains razziés et maintenues dans une dégradante servitudes. Le primat de la force sur le droit et la justice restera dans la mentalité collective sous le double aspect de la crainte et de l'audace, de la prudence et de l'intrépidité »

* 50 Edouard, Glissant, Tout Monde, livre II du traité de Mathieu Béluse. Paris : Gallimard, 1993. P.124.

* 51Pépin, Ernest. Littérature d'un écrivain guadeloupéen. Article pour La revue Autrement, série Mémoires, N°28. Janvier 1994, p.225 : les écrivains antillais eux-mêmes sont traumatisés, mais ils subissent le trouble psychologique de l'antillais, dans des formes narratives pour les uns et à travers des essais pour d'autres, comme Edouard Glissant et Aimé Césaire. Pour les écrivains antillais, il est indispensable d'explorer l'âme créole et le passé Caribéen telles que Maryse Condé, Simone Schwarz-Bart et Gisèle Pineau. « Il s'agit de faire parler son pays comme un être vivant, c'est-à-dire faire parler à la fois le paysage, faire parler la mémoire, faire parler la culture (...) »

* 52 Métellus, Jean. Haïti, une nation pathétique. Paris : Maisonneuve & Larose, 2003.

* 53Fulton, Dawn. Signs of Dissent, Maryse Condé and Postcolonial Criticism, Charlottesville & London, University of Virginia Press, 2008, p.97. Consulté le 04 Janvier 2014 à 19h.

* 54Condé, M aryse. « O Brave New World », Research in African Literatures, Fall 1998, Volume 29, Number 3, Indiana University Press, pp. 1-7.(Annexe 2): Brave New World : « The notion of Race is, in fact, a legacy of 18th - and 19th -century pseudoscientific theories. Buffon, de Raynal, and later the illustrious count of Gobineau divided mankind into its different subgroups, using color or race as the initial criterion for the classification. For colonial reasons, the Native American, the black man, the African were placed at the bottom of the human family. There was even some discussion as to whether the black man should be categorized as belonging to the species of the ape or the human race ». Consulté le 31 Janvier 2014 à 12h 34.

* 55 Ménil, René. Sur l'exotisme colonial, Revue La nouvelle critique, Mai 1959, repris dans Tracées..., op. cit, p.19.

* 56 Condé, Maryse - île en île. www.lehman.cuny.edu/île.en.île/paroles/conde.html. Consulté le 03 Février 2013à 13h.Pour René Ménil l'aliénation est subie grâce à la confusion des cultures, antillaise et occidentale, alors que Maryse Condé a construit le renoncement dans l'âme de ses personnages qui, en rejetant leur histoire, à l'image de Babakar et ses deux amis qui se sont exilés à Haïti. Maryse Condé a su traduire, d'une façon différente, cette rupture : les personnages qu'elle construit sont responsables de leur hantise, puisqu'ils ont délaissé leur tradition et leurs coutumes historiques.

* 57 Balandier, Georges. Anthropologie-Logique. Paris, P.U.F. 1974. p. 207.

* 58 Propp, Vladimir. Morphologie du conte (1928). Paris : Le seuil, 1970.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand