WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Média, support, temporalité : le cas des pure-players de presse.

( Télécharger le fichier original )
par Colin FAY
Université Rennes 2 - Master Information et Communication 2014
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.1.2. Trace

Ainsi l'effet longue traîne s'amplifie-t-il dans le statut particulier de la trace qu'acquiert l'écriture sur le numérique47.

Ricoeur écrivait « se souvenir (...) c'est avoir une image du passé. (...) Cette image est une empreinte laissée par les événements et qui reste fixée dans l'esprit. » (1983:31) La mémoire, c'est cette empreinte laissée par un événement dans le support qui la reçoit. Le souvenir, c'est l'empreinte dans l'esprit humain, s'imprimant et survivant au temps en fonction des aléas du support. La trace, dans l'écriture papier, est l'empreinte laissée sur le support physique, dans les temporalités d'écriture et de survie qui lui sont propres : écrire / imprimer, c'est actualiser un texte sur un support papier qui devient figé, et survit aussi longtemps que son support le lui permet, condamné à une potentielle disparition au travers du temps48. In fine, toute écriture est une trace , « une marque qui reste, qui ne

49

s'épuise pas dans le présent de son inscription et qui peut donner lieu à une itération en l'absence et au-delà de la présence du sujet empiriquement déterminé qui l'a, dans un contexte donné, émise ou produite. » (Derrida,1971) Toute écriture est une trace, en ce qu'elle est une marque du passé, « d'une part, visible ici et maintenant, comme vestige, comme marque. D'autre part, il y a trace parce que auparavant un homme, un animal est passé par là, une chose a agit. » (Ricoeur, 1985:218) La raison même de l'écriture, en tant qu'elle est production de symboles, est la trace (Serres,2002). Dans les médias, la trace est ce qui permet la queue de la longue traine temporelle, c'est l'ensemble des lectures qui se manifestent au delà du pic ponctuel de lectures, en d'autres termes, le statut de trace permet des lectures au delà du passage premier du texte : les jours suivants pour un quotidien, les semaines postérieures à un hebdomadaire, voire les années suivantes dans certains cas Ñ le support conservant la trace du récit actuel, fixé dans la matérialité d'un support qui sur le long terme fait disparaitre l'écrit en même temps que lui.

Avec internet, la temporalité de l'écriture est changée, ses caractéristiques ontologiques se sont déplacées. Le texte n'est plus actuel, mais virtuel, actualisable à l'infini au détour d'un clic, d'un signe passeur. Il est itération virtuelle, en ce sens qu'il n'est plus fixé à son support. Comme le souligne Souchier (1996:108) : « d'une trace inscrite sur un support, nous sommes passés à une trace électronique fugitive qui ne présente plus de matérialité tangible. Trace et support ne vieillissent plus ensemble, seul subsiste Ñ à travers le temps Ñ l'algorithme. » Un caractère lié au numérique : « l'écran fait de l'écrit un objet éminemment fragile qui disparait

47 La question de la trace est devenue centrale aux questions actuelles du numérique : « La question de la trace, de la tracabilité, et plus largement des différents types d'engrammation (mémorisation par écriture d'un flux informationnel) possibles et de leur objectif est au coeur même du développement de la toile et d'Internet, dans ses outils et dans ses usages. » (Ertzschied&al.,2013:2)

48 C'est d'autant plus vrai pour le média papier : en fonction des caractéristiques du support, mais aussi de ses temporalités, le texte, actualisé et figé dans le papier, possède une durée de survie liée à son support.

49 La trace n'est pas un phénomène nouvellement arrivé par le numérique. En effet, « toute civilisation repose sur une mémoire » (Ertzschied&al.,2013:2). Aussi : « tout processus communicationnel ou informationnel (...) produit et laisse des traces. » (Serres,2002:10)

Ce qui se transforme avec le numérique, ce sont les échelles de temporalité des traces.

Page 49 sur 99

Colin FAY

une fois le spectacle terminé : l'ordinateur éteint, l'écrit n'est plus. » (ibid:114) Ainsi, sur un pure-player, l'écrit n'est actuel que parce qu'il est lu, à l'inverse du média « physique » sur lequel l'écrit est actualisé avant d'être lu. Il n'y a pas de lecture sans support, mais dans le même temps avec le numérique qu'importe le support Ñ faire disparaitre le support ne fait pas disparaitre le texte tout comme faire disparaitre le texte n'impacte pas le support ; le texte n'a d'existence que virtuelle, devenant potentialité d'actualisation sur une multitude de supports, dans une temporalité potentiellement infinie. Qui plus est, la caractéristique moteur du texte virtuel numérique est qu'il n'échappe pas au lecteur qui le partage : un texte lu peut être envoyé à une pluralité d'autres lecteurs, sans que le premier lecteur soit dépossédé du texte premier. Le taux de reprise en main d'un média n'est plus calculable selon les mêmes schémas pour un pure player : le partage, la diffusion ne dépossède plus le lecteur du texte.

Pour caricaturer, à des fins schématiques, prenons l'exemple d'un journal papier dont seraient vendus 1 000 exemplaires50. Si le taux de reprise en main du média est de 3,5, on en vient à un nombre de lectures de 3 500, étalé sur le temps de conservation du support papier. Une fois le journal repris en main, les 1 000 premiers lecteurs ne sont plus en mesure de lire ni de partager le seul exemplaire dont ils sont possesseurs. Ë l'inverse, un seul texte virtuel partagé sur les RSN d'un lecteur est proposable à l'ensemble des contacts du lecteurs. En même temps, les interactions sur une publication se diffuse à l'ensemble du réseau : signaler que l'on apprécie un article, directement sur un pure-player ou sur le partage d'un ami diffuse l'information sur tout le réseau.

Ainsi le numérique transforme-t-il l'échelle du taux de reprise en main d'un média, à la fois sur leur nombre que sur leur temporalité. Toutes les écritures sont présentes sur le réseau en tant que traces, et quelle que soit la distension temporelle qui existe entre un moment d'écriture et un autre, toute écriture peut être convocable grâce à un signe passeur dans l'écriture présente, et devient donc structurellement postérieure à l'écriture présente : bien que temporellement précédente, elle sera lue après (et donc reprise en main une nouvelle fois). La structure même de la mise-en-intrigue se fait sur une base atemporelle, du moins inaccessible à un enchainement par structuration strictement temporelle : la lecture des différents articles d'une plateforme ne se fait plus par enchainement consécutif, mais par enchainement logique, d'autant plus mouvante que les noeuds structuraux que représentent les signes passeurs appartiennent au choix du lecteur, qui choisi ou non de suivre la logique proposée par les signes passeurs. En même temps, cette atemporalité rend la reprise en main difficilement bornable, temporellement parlant : un article ancien peut-être posté à un moment T sur un RSN, redonnant à l'article un nouveau cycle de lecture et de reprise en main. Pour reprendre l'article de rang 1 cité dans la partie précédente des quinze articles rédigés par un pigiste, qui est partie de 0 lectures le 09.09.13 pour arriver à 20438 le 13.05.14, un relevé du nombre de lectures le 06.08.14 révèle 23739 lectures. On voit qu'en trois mois, 3000 lectures ont été agrégées par cet article, sans intervention aucun de la part des

50 Selon une étude Audipresse de 2013, les quotidiens régionaux sont repris en main 2 fois, les nationaux 1,9 fois, la presse gratuite 3 fois. Quant aux magazines, les hebdomadaires le sont 2,9 fois (8,8 pour les hebdos télé), les mensuels 4,6 fois et les bimestriels 5,3.

Page 50 sur 99

Colin FAY

narrateurs et des acteurs du média51. L'article continue d'être repris en main, onze mois après son écriture, assurant par son statut de trace une réserve attentionnelle, continuant d'augmenter la valeur lecture de cet écrit, sans aucune intervention travaillée des acteurs du média. Il en va de même pour l'article de rang 15 (publié le 29.07.13), passé de 1223 à 1331 lectures entre mai et août. Augmentation de moindre mesure, mais augmentation tout de même, indiquant bel et bien que même les articles les moins populaires restent vecteurs de convergence dans le territoire, puisque continuant à engendrer des lectures (pour ce dernier exemple une quarantaine par mois) même plus d'un an après sa publication.

Le numérique change l'échelle de temporalité du texte : il se manifestant aux deux extrémités du prisme spontanéité / éternité, en ce sens que la proportion de son existence actuelle est spontanée, comparativement à l'éternité de sa survie virtuelle. Le temps de production d'un texte, de mise en virtualisation, est quasi-nul avec le numérique, au contraire des contraintes médiatiques traditionnelles d'écriture, de mise en page, de pressage, d'envoi et de distribution. Aussitôt écrit, le texte peut-être mis en ligne en quelques instants, qu'importe l'heure ou le moment de la journée. Même les temporalités d'un journal quotidien deviennent longues face aux temporalités empruntées par le pure-player : la distance temporelle entre la réception de l'information et sa mise à disponibilité du lecteur se contracte de manière extrême, la rendant presque spontanée. À l'inverse, la distance temporelle de survie de la disponibilité de l'information se dilate à l'autre opposé du prisme, rendant l'accès au texte potentiellement infini : la mort du support de lecture ne signifie pas la mort du texte Ñ l'écran sur lequel le texte est lu peut disparaitre, le texte est toujours virtuellement accessible Ñ, tout autant qu'il peut être lu par un nombre illimité de lecteurs, partageant à un nombre illimités d'autre lecteurs potentiels, ne limitant pas le nombre de lecture au nombre de supports produits.

Ainsi, l'écriture se veut spontanée, directe, sur le vif, et pourtant sa pérennité est devenue virtuellement éternelle : la mémoire n'est plus dans humain mais au sein de la technique, et toute écriture acquiert une permanence virtuelle, et chaque nouvelle écriture, bien que spontanée, se trouve prise dans une toile de rapports qu'elle entretient avec toutes les écritures qui l'ont précédées et qui devienne potentiellement accessibles. Le numérique arrive au point où « on ne peut pas ne pas laisser de trace. » (Merzeau,2009:69) En d'autres termes, « les machines forment aussi un temps dans lequel se conserve ce que nous y laissons de nous-même et qui surgit potentiellement intact, après une période de latence indéterminée et occulte. (...) Les réseaux n'accusent en effet pas seulement une dissémination indéfinie des espaces réticulaires mais également une superposition permanente des temps de la vie. » (Mathias,2009:64, nous soulignons)

51 Nous pouvons cependant constater une augmentation progressive du nombre de partages affichés en tête de l'article, prouvant que le partage ne se fait pas dans l'immédiaté de la publication. En mai 2014, soit sept mois après sa mise en ligne, l'article continuait d'être partagé sur Twitter.

Page 51 sur 99

Colin FAY

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld