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Média, support, temporalité : le cas des pure-players de presse.

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par Colin FAY
Université Rennes 2 - Master Information et Communication 2014
  

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2.1.3. Trace, écriture, lecture

Ainsi la trace est-elle la marque qualitative territoriale, ce qu'il reste des actions d'écriture passées, acquérant son étendue d'omniprésence dans toute sa capacité : l'écriture numérique ne souffre pas des assauts du temps comme pouvait en souffrir un journal papier, un livre ou tout autre support différemment éphémère Ñ encore plus important pour les programmes télévisuels ou radiophoniques52. Virtuel, le texte n'est plus dépendant de son support. Encore plus, il « a une existence fugace, car la mémoire de la page-écran peut être actualisée ou modifiée en permanence, (É) il peut être indéfiniment corrigeable. » (Souchier,1996:115) Le texte est potentiellement toujours nouveau, en ce sens qu'il peut être différent à chacun de ses actualisations. C'est d'autant plus le cas de par le fait que l'architexte qui l'entoure est des plus altérables, indépendamment de l'action d'un narrateur : parmi d'autres changements, la construction des suggestions d'articles autour du texte, mises en page automatiquement, rend le texte dans son ensemble est toujours différent. Ainsi, on voit que chaque lecture est unique, de par le support qui se peut être toujours différent, mais aussi par l'architexte en constant mouvement.

La trace change également les dynamiques d'écriture, en ce sens que la distance temporelle entre plusieurs textes voit sa différenciation disparaître. Le support, de par les affects du temps qu'il subit, entraine des différences temporelles, mais aussi spatiales, qui peuvent être un frein à l'appel à d'autres textes. Un quotidien papier faisant référence à un article d'un de ses quotidiens distants de quelques années rend difficile à ses lecteurs l'accès à ce texte qui servirait de contexte53.

À l'inverse, sur internet, toute écriture antérieure est potentiellement convocable dans l'écriture présente, indépendamment de la distance temporelle et spatiale qui sépare les deux textes. Le narrateur peut de lui même convoquer des écrits qui pourraient être perçus comme temporellement déconnectés. Il peut dans son écrit rapprocher temporellement des écrits qui sont pourtant distanciés de plusieurs années : expliquer un événement en renvoyant à l'écrit sur un événement distancié, et ce en rapprochant dans l'espace numérique les deux écritures qui sont temporellement éloignées. Sans même y faire référence directement et donc sans stratégie particulière d'écriture, le rapprochement se fait par le dispositif lui-même : encourageant à laisser des mots-clés cliquables, le dispositif technique crée des liens entre divers écrits qui peuvent être temporellement distanciés mais qui deviennent proches. On constate sur PP le recours de tels procédés : du rappel d'une actualité rappelée « annoncé il y a quelques mois » avec un lien vers un article de trois mois son prédécesseurs, aux délais plus longs (couvrant quasiment toute la période d'existence de PP) « On n'a jamais eu l'habitude d'entendre un tel morceau de G » posté le 7 octobre 2013, avec en première ligne un lien vers un article datant du 2 Mars 2010 (pour rappel le tout premier article de la plateforme date du 3 février 2010). On voit donc dans cette exemple comme la temporalité est

52 Si l'on exclut, bien sûr, leur actuel archivage web.

53 Une pratique courante dans les journaux papiers, faisant référence à un numéro précédent. Cependant, les contraintes du support rendent l'accès à des articles antérieurs complexe.

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reconfigurée par la trace : le mouvement de clic d'une page à l'autre annihile des distances temporelles en les réduisant au temps d'un même mouvement, que celui-ci couvre 3 mois ou 3 ans, abolissant un quelconque ordre d'archivage. Ainsi la trace reconfigure le rapport au récit de l'article : l'appel à des informations cadrant l'explication peut se faire sans considérations directes de temporalité entre les moments d'écriture, abolissant un quelconque ordre d'archivage54. Le numérique bouleverse « la presse, dont les produits sont jetables par destination » (Sarino, 2007:12). En effet, bien que dans une dynamique de recherche de la vitesse, les médias journalistiques numériques ne sont plus périssables, jetables comme l'étaient les journaux papiers. Les nouveaux médias journalistiques numériques vivent du paradoxe de l'éphémérisation grandissante en même temps qu'une éternisation du contenu ; l'information, le contenu s'oublie très rapidement sous le flot continu de nouveauté, pourtant il ne fait que se dérober et ne disparait pas : tout est toujours potentiellement convocable.

En dehors de cet effet sur l'écriture du narrateur, la trace a également un effet sur le lecteur. Par les dynamiques des moteurs de recherche, tout écrit est potentiellement lisible et convocable dans le récit du lecteur qui recherche. Un écrit datant de plusieurs années peut réapparaitre à la lecture parce qu'un utilisateur effectue une recherche spécifique. En même temps cette lecture peut être source d'une nouvelle actualisation territoriale, avec un lecteur pouvant laisser de nouveaux commentaires, voir le partager sur son ou ses profil(s) sur les RSN : l'écrit temporellement éloigné, presque oublié, redevient partie l'intégrante de la dynamique de création territoriale, comme le montre l'augmentation du nombre de lectures et de partage, même un an après l'écriture d'un article, exemple cité dans la partie directement précédente. C'est-à-dire que « virtualisante, l'écriture désynchronise et délocalise. Elle a fait surgir un dispositif de communication dans lequel les messages sont bien souvent séparés dans le temps et dans l'espace de leur source d'émission, et donc reçus hors contexte. » (Lévy,2007:12)

Ainsi l'écrit est-il potentiellement toujours là, toujours présent, toujours convocable du fait du dispositif technique venu suspendre, laisser ouverte l'activité d'écriture : les nouveaux écrits sont toujours inscrits dans l'histoire des anciens, le lien est toujours susceptible d'être fait, le texte est toujours potentiellement transformable par un narrateur, et toujours transformé par les actes de lectures qui en font des actualisations nouvelles. En même temps la lecture se retrouve à n'être circonscrite dans aucune barrière temporelle, c'est-à-dire « continue à «agir» et être lisible même si ce qu'on appelle (le narrateur) de l'écrit ne répond plus de ce qu'il a écrit, de ce qu'il semble avoir signé, qu'il soit provisoirement absent, qu'il soit mort ou qu'en général il n'ait pas soutenu de son intention ou attention absolument actuelle et présente, de la plénitude de son vouloir-dire, cela même qui semble s'être écrit «en son nom». » (Derrida, 1971) Ainsi, alors que « la communication orale maintient son récepteur dans le temps et l'espace de l'émetteur, avec l'écriture, en revanche, le récepteur traite le message à son propre rythme. » (Bougnoux,2007:30) La possibilité d'interaction du lecteur avec le texte, en écrivant dans le texte, vient participer à ce texte toujours ouvert. En

54 Imaginez la différence de pratique qui s'opère par rapport à une même démarche hors-numérique : faire référence à une édition d'un journal d'il y a quelques années demanderait au lecteur qui souhaiterait lire cette édition soit un véritable travail de recherche, dans ses cartons s'il les conserve, soit causerait tout simplement l'abandon de la volonté de lecture de cette ancienne édition.

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commentant, en partageant, mais d'abord en actualisant le texte, créant un nouveau chiffre de lecture mais aussi un nouveau architexte physique et textuelle Ñ nouvelle actualisation dans un support d'une nouvelle actualisation d'éléments textuels Ñ, la lecture devient fondamentalement un nouvel acte d'écriture55.

La question de la trace pose différentes questions au niveau des pratiques professionnelles. D'abord, en tant que trace, un écrit n'est potentiellement jamais terminé, toujours modifiable, toujours convocable. Ainsi, si par exemple une remarque sur un RSN vient pointer du doigt une erreur dans un article, qui doit faire la modification dans l'article ? Il faut pour le média être le plus rapide possible dans la réponse, et donc si ce n'est pas le narrateur, quelle valeur a l'action de modification ? La question de la mise à jour continue se pose, cette mise à jour a un coût, en même temps qu'elle crée un besoin de synchronisation urgente : un article envoyé à l'impression ne peut plus être corrigé, une erreur reste gravée dans le support éphémère. À l'inverse, une erreur sur une page numérique, dans un texte virtuel, est corrigible. Si elle est remarquée elle doit être changée dans un délai des plus brefs. Cependant, comment appréhender ce délai bref ; faut-il que le rédacteur en chef s'en charge, au risque de manier le texte et de le détourner, ou doit-il attendre de pouvoir être en contact avec le narrateur qui a écrit ? En même temps, dans quelle mesure un pigiste doit-il revenir sur son texte ? Une fois l'acte d'écriture terminé, l'article virtualisé en backoffice, doit-il revenir sur son texte si une erreur est remarquée ? Doit-il travailler au delà de ce à quoi son acte premier le confinait ? Ainsi, en laissant un texte toujours ouvert, le travail sur ce texte est lui aussi toujours ouvert : les modifications peuvent toujours se faire, en même temps que ces modifications sont du travail. Le travail sur un texte en devient non terminé, toujours ouvert, susceptible de continuer à être fait.

En même temps, il devient complexe pour le pure-player de cibler son public : un texte peut-être actualisé à tout moment, sur une multiplicité de supports, et dans une pluralité de contextes, pour certains pas encore existant, et parfois pas encore imaginés. Tout comme l'est l'architexte, les supports d'affichage sont multiples (bien que dans des proportions moindre). Écrire, en tant que narrateur, c'est devoir faire face à cette multiplicité imprédictible de situations de lecture, c'est avoir à faire face à une audience diffuse, qu'on ne peut pas cerner, qui est en constant mouvement. Ainsi, la virtualisation du texte et son support numérique, combinés à tous les phénomènes qu'ils transportent, créent une incertitude fondamentale quant aux lectures, incertitude se répercutant en amont du texte : un narrateur, dans un média, écrit pour être lu par un public ; mais que faut-il écrire quand le caractère de ce public s'estompe ?

55 « le support numérique apporte une différence considérable par rapport aux hypertextes d'avant l'informatique : la recherche dans les index, l'usage des instruments d'orientation, le passage d'un noeud à l'autre s'y fait avec une grande rapidité, de l'ordre de la seconde. Par ailleurs, la numérisation permet d'associer sur le même médium et de mixer finement les sons, les images animées et les textes. Selon cette première approche, l'hypertexte numérique se définirait donc comme une collection d'informations multimodales disposée en réseau à navigation rapide et "intuitive". (...) Depuis l'hypertexte, toute lecture est un acte d'écriture. » (Lévy,2007:15-16)

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