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Dadaab, un refuge

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par Alexander BEE
Université Paris 8 - Master I 2013
  

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III/ Conséquences de l'endiguement

4- pérennisation du camp et création d'une ville informelle

5- l'ennui dans les camps

6- la dépendance au budget

1. Pérennisation du camp et création d'une ville informelle

Les camps de réfugiés sont généralement créés dans l'urgence pour répondre à des besoins immédiats. Seulement, il arrive très souvent que le temps de l'urgence passe mais que le camp reste. Les mois s'étalent et se changent en années. Depuis plus de deux décennies que les réfugiés sont installés à Dadaab on peut constater que le camp s'est transformé en une chose hybride, quelque part entre le camp et la ville. Il n'est plus tout-à-fait l'un et ne sera jamais l'autre, il reste le symbole d'une urgence qui n'en finie pas.

Cela fait plus de 20 ans déjà que le camp a ouvert ses portes. En 1991, il était sensé accueillir 90 000 réfugiés... Il en compte aujourd'hui pratiquement un demi million. Plus de 20 ans déjà que l'UNHCR a déployé des efforts considérables pour l'éducation des enfants, de ceux qui arrivaient, mais aussi de ceux qui sont nés à l'intérieur des camps et qui n'ont jamais connu d'''ailleurs'' de leur vie.

Michel Agier évoque, à la suite d'une enquête de terrain qu'il a réalisé à Dadaab dans les années 2000, trois ébauches de ce qu'il appelle ``une forme probable de vie urbaine74(*)'', c'est à dire l'ébauche d'une symbolique des espaces, d'une différenciation sociale et d'un changement identitaire.

Le camp est un espace fermé. Il est entouré des clôtures du HCR. À l'intérieur l'espace se divise en blocs de deux à trois hectares. On y regroupe en moyenne 100 à 150 abris où logent 300 à 600 réfugiés. Ils sont dispatchés en fonction de leurs origines claniques ou nationales. Ils reçoivent à leur arrivée une toile en plastique bleu du HCR dont ils vont se servir pour construire un abri à l'aide de bout de bois qu'ils trouverons autour du camp ou qui leur sera distribué par le HCR. Au bout d'un certain temps, les maisons traditionnelles somali peuvent changer de forme en utilisant la brique pour la construction des murs.

En fonction des blocs, un chef de section peut être désigné pour servir d'intermédiaire entre les réfugiés et les instances humanitaires. Il est recruté par l'ensemble du groupe sur sa maitrise de l'anglais. Il pourra fournir de l'aide aux nouveaux arrivants (par exemple faire une collecte de nourriture parmi ceux déjà implantés) ou coordonner la distribution de bois entre les réfugiés et les ONG.

Le camp est parsemé de petits magasins. Ils ont plusieurs formes, ça peut être des petits restaurants, des vidéos clubs, des salons de coiffure ou même des hôtels.

Tous ces petits marchés, ces petites boutiques participent à leur façon à une économie embryonnaire. Ils existent malgré le fait qu'il n'y a pas de réel marché de l'emploi et malgré que le travail en-dehors des camps soit interdit.

Sur les marchés, on peut trouver différentes denrées, que ce soit des légumes, des parts de rations délivrées par les ONG, des produits d'artisanat ou encore le fruit de petits élevages en bordure des camps.

Pour financer et faire marcher ces petits commerces, les réfugiés vont avoir recours à différends moyens. Les Somali, qui partagent d'étroits liens avec les populations locales, vont bénéficier d'une aide qui leur permettra d'ouvrir un commerce. D'autres vont se servir de contacts qu'ils ont encore avec le pays dont ils sont originaires. Certains vont faire appel à d'anciens réfugiés relocalisés dans des pays tiers75(*) (USA, Australie, Canada etc.) pour leur envoyer de l'argent via les banques parallèles du camp et ce que Agier appelle les ``relais de confiance dans les lieux d'origine des fonds''77(*).

Tout cela participe à la construction économique du camp, ça le fait vivre. Certaines ONG soutiennent grandement ces initiatives, au risque même d'acheter des stocks invendables de paniers d'osier fait par des habitantes car ça permet de lutter contre l'ennui et l'inactivité dans les camps. Nous reviendrons sur ce sujet et ses implications un peu plus bas.

Omar Digale Abdi78(*), habitant de la première heure de Dadaab, nous dit que l'on peut catégoriser les habitants du camp en trois classes. Les plus pauvres, qui dépendent totalement des rations de nourriture distribuées par les ONG. Vient ensuite la ``middle-class'', qui comprend les personnes travaillant pour les agences humanitaires ou qui ont un petit business (type échoppe à thé/restaurant). Ceux-là arrivent en moyenne à gagner 50$ par mois. Une personne considérée comme riche sera celle qui possède un petit véhicule ou qui est propriétaire d'un hôtel. Ils feront parti de la classe la plus haute. Michel Agier parle, quant à lui de quatre classes en soutenant l'idée que les habitants travaillants pour les ONG font parti d'une classe supérieure à ceux qui sont propriétaires de petits magasins.

À une mesure toute différente, on peut voir que se reproduisent ici des schémas de construction identitaire similaires à ceux que l'on retrouve dans les villes.

La construction identitaire dans les camps est quelque chose de complexe. Elle est en mouvement. Des membres de différentes ethnies en provenance d'un même pays vont être rassemblées sous une appellation nationale. Et cela va se faire malgré que les différentes ethnies aient pu être en guerre les unes contre les autres dans leur pays et que le terme même de nation auquel on fait référence en parlant d'eux, peut être perçu comme quelque chose d'extrêmement dégradant pour certaines minorités opprimées. C'est ce que Agier appelle le ``bricolage identitaire''. Ici, on est somalien, éthiopiens, sud-soudanais etc.

La construction identitaire peut prendre d'autres formes mais elle reste en quelque sorte propre au camp. Agier nous parle des somali bantou. Ils sont ce que l'on pourrait appeler la basse caste Somali (en opposition aux somali Darod Ogaden, qui serait la haute). À leur arrivée dans les camps, ils ont dans un premier temps perpétués ces différences hiérarchiques. Cependant, vis-à-vis de leur situation égale de réfugié, ils ont pu accéder à un statut de minorité au sein du camp (ils sont maintenant appelés Somali Bantou Refugees (SBF)) ce qui leur confère une égalité de droit par rapport aux autres groupes ethniques et ainsi l'accès aux prêts pour l'artisanat ou à l'emploi dans les ONG. Ainsi, c'est le camp, et la situation particulière qu'il offre, qui a transformé la position de ces réfugiés au sein de leur ethnie.

D'autre part, la proximité de toutes ces ethnies, de toutes ces nationalités, qui se croisent en allant chercher de l'eau ou en allant prendre le thé dans une échoppe participe à une construction identitaire nouvelle. Tout se mélange, s'ajoute, s'efface, se construit, se reconstruit. Les frontières symboliques qui pouvaient exister avant tombent, ou se renforcent, mais ne restent pas indifférentes.

Le camp participe à la socialisation et dans un certain sens on peut ramener cette socialisation à l'emprunte qu'aurait laissé une ville sur ses habitants.

« L'exemple de Dadaab montre que le processus du camp est bien celui d'une ville à sa fondation : une économie en germe puisque des gens sont disposés à travailler (et, pour beaucoup, à rester où ils sont), plutôt qu'à se conformer à un statut d'assistés ; une division sociale qui s'adapte à la pluralité des contraintes et des ressources (clans somali + ONG du camp + diaspora somalienne dans le monde) ; une occupation de l'espace qui, toute précaire soit-elle, donne sens à un lieu qui était à l'origine désertique et ne l'est déjà plus. Parler de ville, dans ce cadre descriptif, n'est pas métaphorique, et l'impression d'inachèvement provoquée par le mode analogique que j'emploie -en quelque sorte, par défaut (« tout se passe comme si... ») - reproduit, me semble-t-il assez fidèlement, la situation paradoxale vécue dans les camps... Tout se passe comme si... comme si c'était une ville. (...)Le camp, même stabilisé, reste une ville amputée, nue par définition. »79(*)

* 74 Michel Agier, Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008, p.203

* 75 76 Dadaab, the documentary, Oriol Andrés, Carlos Castro, Gemma Garcia, édition Maria Romero Garcia, produit par Contrast, Barcelone 2012. Lien de la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=BVoaiQfOheY

* 77 Michel Agier, Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008, p.208

* 78 Dadaab, the documentary, Oriol Andrés, Carlos Castro, Gemma Garcia, édition Maria Romero Garcia, produit par Contrast, Barcelone 2012. Lien de la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=BVoaiQfOheY

* 79 Michel Agier, Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008, p.218-219

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe