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Léon Harmel et l'usine chrétienne,ancêtre des comités d'entreprises

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par YVES LAURENT KOUAME
Université de Poitiers - MASTER II HISTOIRE DU DROIT 2016
  

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B. Le prolétariat industriel, cause principale de la décadence morale des ouvriers industriels

Le spectacle de la misère morale des ouvriers industriels conduit certains intellectuels à critiquer un régime qui engendre pareils effets. Qu'ils aient applaudis la Révolution où qu'ils l'aient abhorrée, il existe un large assentiment entre les intellectuels du fait que la société française se noie dans les eaux turbulentes de l'individualisme et du chaos social montant. Des penseurs catholiques sociaux tels Lamennais ou Albert de Mun aux socialistes utopiques comme Proudhon et Fourrier, tous perçoivent la désintégration sociale et le déclin moral de la société industrielle38(*). Ce déclin moral qui est en grande parti dû à la destruction de la famille ouvrière à la suite des bouleversements industriels, va entrainer un affaiblissement de la vie religieuse si douloureusement ressentie par Harmel.

L'environnement industriel délétère affecte la famille traditionnelle. Critiquant le capitalisme industriel et ses effets néfastes sur la famille, Le Play affirmait déjà que « la famille instable domine chez les populations ouvrières soumises au régime manufacturier ». Ce point de vue est confirmé par Léon Harmel qui observe avec tristesse cette désagrégation de la famille ouvrière déjà à l'époque où l'usine du Val est gérée par son paternel. Il dénonce la décadence morale des familles ouvrières qui « sont troublées par des altercations ou des désordres et ne présentent qu'une déplorable anarchie »39(*). Cette anarchie fait que « l'ivresse est commune chez les ouvriers et entraine une imprévoyance et une dissipation » qui maintient ces familles ouvrières dans la misère. Car comment économiser et sortir de la misère quand l'ouvrier dilapide son salaire dérisoire dans les cabarets ?

Sa famille en subit les conséquences, les mères de famille pour tenir les charges du ménage délaissé par un mari ivre est obligée de se prostituer. C'est à Reims que Villermé prend exemple de la prostitution ouvrière quand il parle du « cinquième quart de la journée »40(*). Quand elles ne cèdent pas au plus vieux métier du monde, les mères sont plus occupées à l'usine qu'au foyer, délaissant par conséquent l'éducation des enfants qui reposait sur elle auparavant. Or Harmel reconnait en la protection accordée en la femme « l'une des clefs de voûte de l'édifice social ». Protéger la femme revenait ainsi à protéger la société toute entière de dérives sociales. C'est la raison pour laquelle le combat pour une protection plus grande de la femme dépassait tous les clivages.

Jules Michelet, homme d'État républicain s'inquiète lui aussi, dans son fameux ouvrage L'Ouvrière, du danger de cet abandon du foyer domestique par les femmes. Il affirme que « les femmes sont faites pour vivre dans le ménage » car selon l'homme d'État c'est seulement quand la femme mariée quitte l'usine pour rentrer chez elle et retrouver sa famille qu'elle se trouve restaurée dans « sa condition normale ». Il poursuit pour dire qu'un état social qui les arrache à leur mari, à leurs enfants est un « un état social mal organisé [...] qui ne permet pas aux femmes d'être des femmes ». Ainsi voyait il dans la « prolétarisation » des femmes un grand danger pour la condition féminine, quoique son analyse laissait transparaitre aussi une référence indirecte à la destruction de l'autorité paternelle.

Toute la famille parait ainsi subir les affres de l'évolution industrielle de la société. Cette famille traditionnelle catholique qu'idéalisait Léon Harmel n'existe plus. La famille actuelle est disloquée.

En plus des mères de famille qui abandonnaient le foyer domestique pour l'atelier ou l'usine, dans les campagnes du fait de l'exode rural, l'on constate le bouleversement de familles, privées du père de famille parti chercher du travail en ville. Comme le constate Gérard Noiriel : « Les enquêtes du temps parlent aussi de la misère morale, le déracinement, la désarticulation de la famille traditionnelle consécutif à l'afflux d'hommes seuls dans les grandes villes. » Or Le Play avertissait déjà ses contemporains des conséquences de la perte de l'autorité paternelle. Celle-ci pourrait provoquer selon lui, « l'effondrement de la famille, et par la suite celui de la société en général ». Cet effondrement de la famille était palpable. Léon Harmel le savait pertinemment. C'est pourquoi il n'hésitait pas à encourager tous les industriels à s'atteler à reconstituer la famille ouvrière, il en fît d'ailleurs le premier but de tout patron chrétien41(*). Car l'impact, il en avait lui aussi conscience, d'une destruction de la famille traditionnelle serait très grave pour la société en général. Ce danger qu'il craignait était malheureusement perceptible au sein de la société.

Ce déclin moral se traduit par l'affaiblissement de la vie religieuse chez les ouvriers. Affaiblissement de la vie religieuse consécutif aux bouleversements industriels de l'époque. Les structures religieuses traditionnelles qui se sont épanouis dans le monde rural sont profondément remises en cause par l'exode rural, la révolution industrielle et le mode de vie nouveau qu'elle introduit chez les populations ouvrières. La distance sociale introduite par la généralisation de la rémunération monétaire banalise ce qui apparaissait auparavant comme des preuves de l'action bienfaitrice de l'Église. La société Saint Vincent de Paul travaillait avec acharnement pour s'implanter dans le milieu ouvrier et ainsi christianiser ce monde mais ces succès sont demeurés minimes. Elle comptait 913 000 membres en 186942(*) sur une population ouvrière estimée déjà à 1,2 millions en 185043(*). Les populations ouvrières françaises de cette seconde moitié du XIXe siècle sont comme en Angleterre, moins pénétrées de l'esprit chrétien.

L'Église est démunie face à tous ces bouleversements sociaux et n'arrive pas à faire sa mue. Et cette population ouvrière qui abandonne la religion chrétienne se plonge corps et âme dans les vices.

En 1856, le conservateur Fréderic le Play, dans ses études sociales donne une image particulièrement noire de la Champagne, région dans laquelle se situe l'usine du Val. Il parle de « main d'oeuvre faite de déracinés », d'ouvriers chassés de leurs contrées natales par le « chômage industriel » et qui viennent s'agglomérer à Reims en « pourrissant » l'atmosphère locale. Ces individus sont craints des populations rurales pour leurs comportements immoraux. La plupart du temps il s'agit de célibataires ou d'individus vivants en concubinage, ils séduisent les jeunes filles, « troublent les ménages »44(*). Et ce phénomène de démoralisation de la classe ouvrière est loin de se limiter à cette seule région. Il est aussi dénoncé par Chevalier dans son ouvrage intitulé Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle qui traite de ce phénomène à Paris. C'est cette même classe dangereuse dont Thiers obtient l'exclusion dans son discours du 24 mai 1850. Avec l'industrialisation, la famille ouvrière instable se développe. Celle-ci est un terreau fertile pour les socialistes de même que la famille traditionnelle était un terreau fertile pour les catholiques.

* 38 HORNE (J.), op. cit., p. 36.

* 39 HARMEL (L.), Manuel d'une corporation chrétienne, p. 7.

* 40 TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 30.

* 41 HARMEL (L.), Catéchisme du patron, Paris, Bureau du journal La Corporation, 1889, p. 57.

* 42 NOIRIEL (G.), op. cit., p. 101.

* 43 CARROUÉ (L.), COLLET (D.) et RUIZ(R.), Les mutations de l'économie mondiale du début du XXe siècle aux années 1970, Rosny-Sous-Bois, Bréal, 2005, p. 69.

* 44 Fréderic LE PLAY cité in TRIMOUILLE (P.), Léon Harmel et l'usine chrétienne du Val-des-Bois, Lyon, Centre d'histoire du Catholicisme de Lyon, 1974, p. 20.

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