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Léon Harmel et l'usine chrétienne,ancêtre des comités d'entreprises

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par YVES LAURENT KOUAME
Université de Poitiers - MASTER II HISTOIRE DU DROIT 2016
  

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§ 2. Les méfaits de l'industrialisation, fruit des idées libérales

L'industriel du Val déclare dans Manuel d'une corporation chrétienne, que l'industrialisme « a produit le paupérisme, cette maladie incurable des sociétés modernes, qui est l'union de la misère matérielle avec l'abjection moral »21(*). Tout est dit pour le « bon père », comme il se fait familièrement appelé, l'industrialisme a eu pour conséquence d'affecter à la fois la vie matérielle (A) et la vie morale (B) des populations ouvrières.

A. L'industrialisation cause principale du prolétariat industriel

Analysant la doctrine économique libérale, Harmel déclare qu'elle se résume en deux phrases « le travail humain est une marchandise, dès lors, il est désirable qu'il soit à vil prix »22(*). Cette analyse, loin d'être exhaustive, de la doctrine économique libérale fut un des éléments de la critique des économistes sociaux tels Sismondi contre l'économie politique qui prône le libéralisme classique. Michel Chevalier ironise par ailleurs sur la gloire dont font preuve les libéraux en déclarant que le libéralisme a contribué au progrès de la société. Notre auteur rappelle que ce progrès se fait en abandonnant « une classe d'hommes dans l'abjection »23(*) et chose grave, cette classe parait se propager. C'est pourquoi Sismundi et plusieurs économistes sociaux multiplient les avertissements contre les perturbations possibles de ce nouveau système socio-économique qu'ils appellent « l'industrialisme »24(*). Les inégalités tant décrié par les Révolutionnaires devenaient plus fortes.

En effet, l'une des dérives du libéralisme est le capitalisme industriel. Par capitalisme industriel, il faut entendre le mode de production antérieur au capitalisme proprement dit ou encore le système économique et social dominé en premier lieu par les usuriers puis par les propriétaires d'argent de mieux en mieux organisés25(*). C'est ce capitalisme industriel qui est dénigré par Léon Harmel quand il parle d'industrialisme « sans foi ni religion » qui donne une valeur supérieure au capital par rapport à l'homme. Car, comme le souligne l'industriel du Val, « la question sociale » a commencé en France avec « le règne du libéralisme ». Son point de vue sur le lien entre l'industrialisme et l'avènement de la question sociale est partagé par plusieurs auteurs. Déjà, en 1865, l'économiste libéral Émile Laurent confesse : « L'ère industrielle commence, le paupérisme est né. »26(*) Ces propos venant d'un économiste libéral, donc fervent défenseur du libéralisme classique montrent qu'il n'est plus difficile de faire le lien entre l'industrialisation de la société et le paupérisme. L'avènement du paupérisme à la suite de l'industrialisation de la société est lié à plusieurs facteurs.

D' une part nous avons les facteurs d'ordre démographique dont l'urbanisation accélérée en cette moitié de siècle. Après la Révolution, on constate une augmentation de la taille de la population active qui passe de 10 à 16,5 millions entre 1789 et 1880. Toute cette population est avide de travail, elle quitte massivement les campagnes pour venir s'installer en ville dans l'optique de trouver du travail. Adeline Daumard constate même qu'en 1866 les ouvriers représentaient 57 % de la population à Paris. Les trois quarts des gens étaient dans la misère et la pauvreté. La France qui, sous l'Ancien Régime était profondément rural avec seulement 12-14 % de taux d'urbanisation dans les années 1660-168027(*), va peu à peu s'urbaniser. L'urbanisation qui est lente en France au début du XIXe siècle va s'amorcer en 1830 puis s'amplifier sous le Second Empire (1851-1870) et au début de la IIIe République. On compte en moyenne 160 000 départs par an entre 1876 et 1881. Cet exode rural est dû à la révolution industrielle. Celle-ci a mécanisé l'agriculture et réduit la main d'oeuvre nécessaire. Désormais, dans les villages plusieurs bras valides sont sans travail, ils n'ont qu'une solution : aller chercher du travail en ville. Celle-ci étant réputée pourvoyeuse d'emploi grâce notamment à la grande industrie qui est grande consommatrice de main d'oeuvre non qualifiée.

D' autre part, l'ère industrielle voit se développer le libéralisme à outrance. Après avoir détruit la corporation au nom de la libre concurrence, le libéralisme économique va promouvoir le libre-échange. Cela se manifeste dans le traité de libre-échange appelé traité Cobden-Chevalier, signé le 23 janvier 1860, entre la France et L'Angleterre. Ce traité a pour effet de mettre à mal l'agriculture française très peu mécanisée face à sa rivale britannique. Cette autre manifestation du libéralisme économique entraine la baisse des produits agricoles liés à la concurrence des produits étrangers et une misère chez les agriculteurs dans les campagnes. Aux effets pervers de ce traité libéral sur l'agriculture et le monde rural s'ajouteront les crises à répétition entre 1870 et 1890. Parmi ces crises, on peut citer la crise du phylloxera en France qui stoppent la culture de la vigne en de nombreux endroits28(*). Tous ces facteurs participèrent à alimenter l'exode rural. Le capitalisme industriel qui se met en place en ce siècle va en profiter pour exploiter la misère des travailleurs.

Avec la révolution industrielle, un nouveau type d'ouvrier émerge, c'est le « prolétaire »29(*). Le prolétaire vit dans une misère effroyable. Son salaire est fixé selon la loi du marché, plus l'offre de travail est importante, plus le salaire est bas. À contrario plus l'offre de travail est basse, plus les salaires sont élevés. C'est ce système que décrie Léon Harmel. De ce fait le salaire de l'ouvrier est très souvent dérisoire du fait de la masse énorme des personnes en quête d'emploi dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les 2 francs de salaire par jour perçu par l'ouvrier en 1848 sont insuffisants face aux 75 francs mensuels que nécessite l'entretien d'une famille de quatre personnes. Par ailleurs, il faut ajouter que l'ouvrier ne travaille pas tous les jours. Ce manque d'argent a des conséquences terribles sur sa famille.

De prime abord les deux postes budgétaires fondamentaux de la famille ouvrière qui sont l'alimentation et le logement sont touchés. Les femmes et les enfants sont obligés de contribuer aux charges de la maison, ils s'enrôlent donc dans les usines. En 1847 dans les établissements de plus de 10 salariés, outre 670 000 ouvriers, on compte 254 000 emmes et 130 000 enfants30(*). Les femmes et les enfants sont employés dans les usines pour un salaire de misère. Villermé dans un de ses rapports établit pour la période de juillet 1848 une moyenne de 2 francs par jour pour les hommes, ce salaire sera de 1 francs pour les femmes et 0,45 francs pour les enfants de 8 à 12 ans et 0,75 pour ceux de 13 à 16 ans31(*). Ce salaire pouvait être réduit brutalement en cas de crise économique. Sachant que le XIVe siècle a connu une grande période de crise économique durant la période 1860-1890, on peut s'interroger sur l'état de pauvreté de ces ouvriers durant cette période.

De plus l'on constate des cas de malnutrition de façon fréquente. Quant aux conditions de logement, elles sont lamentables du fait de l'urbanisation rapide32(*). Une étude à Nantes souligne les conditions déplorables dans lesquelles vivent les ouvriers urbains. Dans un style assez vivant, l'auteur raconte qu'il « faut être descendu dans ces allées où l'air est humide et froid comme dans une cave ; il faut avoir senti son pied glissé le sol malpropre et avoir craint de tomber dans cette fange pour se faire une idée du sentiment pénible qu'on éprouve en rentrant chez ces misérables ouvriers »33(*). Mais au delà de ces aspects pratiques, les véritables malheurs de la classe ouvrière se situent dans la peur du lendemain. C'est la grande différence entre l'ouvrier du XIXe siècle et le compagnon de l'Ancien Régime. Le compagnon de l'Ancien Régime pouvait compter sur des entraides qui lui garantissaient les risques de la vie, l'ouvrier du XIXe n'a pas cette chance. Les variations de salaire, la menace d'un licenciement, le risque d'un accident ou de maladie en l'absence de protection sociale peuvent à tout moment le plonger dans l'indigence34(*).

À tous ces maux, s'ajoutent l'incapacité pour l'ouvrier d'acquérir des moyens de productions pour briser le cycle infernal dans lequel il est englué. Une dissociation est faite entre la propriété et le travail et cette dissociation introduit dans la classe ouvrière un traumatisme35(*). L'ouvrier industriel ne peut plus devenir, comme l'apprenti de l'Ancien Régime, propriétaire des moyens de production. Soumis au diktat de son patron il est exploité par ce dernier qui veut par ailleurs le voir fournir toujours plus d'effort. La machine, merveilleux instrument inventé par l'homme pour soulager le travailleur va contribuer à alourdir son sort parfois d'une manière effroyable. Les heures et les journées de travail s'enchainent même pour des enfants de 7 ans. Ils débutent à 6 h du matin pour prendre fin à 9 h 15 du soir36(*).

À ces heures de travail infernales, s'ajoutent l'insalubrité des ateliers. Tous ces facteurs dégradent la santé des travailleurs. Comment dans ces conditions s'étonner de la fréquence des épidémies de choléra et autres maladies durant tout le XIXe siècle ? Selon le rapport Villermé, à Rouen, trois-quarts des maladies graves sont des affections pulmonaires. À l'hôpital Saint Sauveur de Lille, dès les années 1860, tous les ans, une centaine d'ouvriers y est admis pour saturnisme37(*). Toutes ces conditions de vie difficiles de l'ouvrier ont un impact sur le plan social. En plus de la misère matérielle, le prolétaire industriel va être sujet à la misère morale.

* 21 HARMEL (L.), ibid., p. 36.

* 22 HARMEL (L.), ibid., p. 191.

* 23 Cité in Manuel de corporation chrétienne.

* 24 HORNE (J.), op. cit., p. 39

* 25 Définition tirée du dictionnaire du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales.

* 26 Cité in Le Musée social : aux origines de l'État Providence, p. 77.

* 27 AIDELF, Croissance démographique et urbanisation : Politiques de peuplement et aménagement du territoire, Paris, PUF, 1993, p. 8.

* 28 BURIDAN (J.), FIGLIUZZI (A.), MONTOUSSÉ (M.), Histoire des faits économiques, Paris, Bréal, 2007, p. 73.

* 29 CLAIRE (F.), Histoire sociale du XIXe siècle, Paris, Hachette supérieur, 2001, p. 19.

* 30 NOIRIEL (G.), Les ouvriers dans la société française : XIX-XXe siècle, Paris, Points, 2002, p. 14.

* 31 Ibid.

* 32 BOURILLON (F.), Les villes en France au XIXe, Paris, Synthèse Histoire, 1992, p. 7.

* 33 GUÉRIN ET BONAMY, Nantes au XIXe siècle, p. 292-296.

* 34 CASTEL (R.), L'insécurité sociale : qu'est ce qu'être protégé, Paris, Éditions du Seuil, 2003, p. 29.

* 35 NOIRIEL (G.), op. cit., p. 7.

* 36 Ibid.

* 37 NOIRIEL (G.), op. cit., p. 25.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo