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La destructuration du récit dans tropismes et le planétarium de Nathalie Sarraute

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par Doudou CAMARA
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2005
  

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III-2 : POUVOIRS DE LA DESCRIPTION

On sait depuis l'Ere du soupçon de Nathalie Sarraute que le moteur de la production littéraire est à la fois la création et la recherche de la nouveauté dans le paysage littéraire. Ce qui oriente les écrivains appartenant à cette sphère de la production vers une remise en cause constante des normes d'écriture antérieurement composées. Ainsi dans cet élan de déconstruction du récit traditionnel, la description n'est pas en reste.

Procédure représentative et cardinale, tout comme la narration, la description consiste à théâtraliser ce qui se situe dans l'espace : les objets, les personnages, etc,. Tel est le constat de Gérard genette dans Figures II qui énonce :

« Tout récit comporte en effet, quoique intimement mêlées et en proportions très variables, d'une part des représentations d'actions, et d'événements, qui constituent la narration proprement dite, et d'autre part des représentations d'objets ou de personnages qui sont le fait de ce que l'on nomme aujourd'hui la description »113(*).

En fait, dans le récit traditionnel, la description se veut une représentation réaliste c'est-à-dire que le narrateur s'emploie non seulement à montrer le monde tel qu'il est mais aussi et surtout à faire valoir la fonction didactique de tout passage descriptif.

Inversement, dans le récit moderne plus particulièrement dans Tropismes et Le Planétarium la description réaliste est profondément subvertie. Cette remise en question de ce procédé narratif exprime de l'aveu de Sarraute et les autres néo-romanciers, l'idée que la description objective est moins crédible que celle communément appelée subjective.

Cette nouvelle trouvaille néo-romanesque débouche bien entendu dans la pratique récurrente de la description focalisée gouvernée par le regard d'un ou des personnages. Dans Tropismes par exemple, le récit et la description du texte liminaire passant par les regards des « ils » qui autorisent le lecteur à partager leurs perceptions, leurs émotions et leurs pensées :

« Ils regardaient longtemps, sans bouger, ils restaient là, offerts, devant les vitrines, ils reportaient toujours à l'intervalle suivant le moment de s'éloigner. Et les petits enfants tranquilles qui leur donnaient la main, fatigués de regarder, distraits, patiemment auprès d'eux, attendaient » ( T.12).

C'est dire que l'auteur du Portrait d'un Inconnu décrit les drames intérieurs plus que des situations ou des actes. Tel semble être le credo sarrautien.

Dans le Planétarium, le regard ou plutôt la perception semble être le lieu privilégié de la description. On remarque qu'à chaque fois qu'un personnage regarde l'autre, il essaye de décrire intérieurement son état d'esprit. Cette intériorité des personnages est signalée par la marque des guillemets (« ... »). Convoquons, à titre d'exemples, ces passages constitutifs de la description focalisée :

« ... La femme aux grosses joues coupe-rosées la regarde de ses yeux très brillants, un peu exorbités... « Ah, ma petite enfant, mon mari préparait son internat quand nous nous sommes mariés, et maintenant, vous voyez... » » (P.57).

Le récit réitère dans cette veine :

« Il s'était écarté d'elle pour mieux la regarder, sa lèvre s'était incurvée en cette moue méprisante qu'il a ...  « a quoi rêvent les jeunes filles ? c'est à que tu penses ... Quelle perspective réjouissante de me voir un jour, chauve et vent ripostent (... ) » » (P.65 ).

Cette conception d'Alain à l'égard de Gisèle laisse pressentir des caractéristiques représentatives de la description corporelle (« lèvre... incurée », « chauve et ventripotents »).

Aussi, dans la volonté manifeste de consumer l'intrigue traditionnelle, l'écriture sarrautienne se voit-elle contrainte de mettre en pratique l'hypertrophie descriptive. Cette prolifération des descriptions ouvre un nouveau champ de recherche dans le récit néo-romanesque. Ce qui explique peut-être l'autonomie du récit à l'encontre de la narration.

En fait, si, dans le roman traditionnel, la description est « le simple auxiliaire du récit », dans Tropismes et Le Planétarium elle s'émancipe de telle sorte que la distinction entre description / narration tend à s'éclipser. Ce pouvoir de la description n'a pas échappé à Gérard Genette qui soutient :

« Certaines formes du roman contemporain (...) sont apparues tout d'abord comme des tentatives pour libérer le mode descriptif de la Tyrannie du récit (...) »114(*)

Autrement dit, les descriptions sarrautiennes apparaissent comme arbitraires, longues, prenant la place du récit et de personnages sans attache extérieure avec eux lorsqu'ils voient le jour. Ainsi les trois premiers textes de Tropismes inscrivent le récit dans une dynamique descriptive qui déploie telle une pieuvre des éléments constitutifs de la description moderne. Ceux-ci se manifestent par le foisonnement des objets essaimant tout le champ narratif. C'est le cas par exemple du « mur » (T. 11,18,33,35,47... )», des « thés » (T.63,64,...) de la « porte » (T. 23,34,39... ).

Dans Le Planétarium, Sarraute amorce le récit sur une description devenue fameuse d'une poignée de porte « dans l'épaisseur du mur au fond du cloître » (P.9). Cette longue description qui rend compte de la bêtise de Tante Berthe, occupe presque les trente premières pages. Car la narratrice souligne : « Elle est là, le nez sur les objets ... pourquoi ne pas changer les poignées, boucler les trous ? » (P. 31-32 ).

Ainsi le récit n'est plus armature autour de laquelle se dresse une histoire ou des personnages mais un univers chosiste s'imbriquant dans des passages descriptifs. En d'autres termes Sarraute opère un lieu essentiel de rupture avec les procédures descriptives traditionnelles en rendant compte de l' « être-là » des choses sans feindre qu'elles nouent avec les personnages une quelconque relation. Ce qui homologue l'absence des effets de métaphores et de l'hypallage en particulier qui tissent une relation anthropomorphique, anthropocentrique avec les objets et les lieux.

De ce point de vue, l'humanisme ne saurait se confondre avec l'anthropocentrisme en ce sens que les choses sont décrites telles quelles.

Alain Robbe-Grillet, toujours prompt à démonter les mécanismes de la production textuelle, souligne fréquemment les failles du procédé descriptif traditionnel. Tel est le passage de Pour un nouveau roman :

« La description servait à situer les grandes lignes d'un décor, puis à en éclairer quelques éléments particulièrement révélateurs, elle ne parle plus que d'objets insignifiants, où qu'elle s'attache à rendre tels ... »115(*).

En vérité, dans le récit traditionnel plus particulièrement chez Balzac, on semble lire l'existence d'un lieu étroit entre le cadre de l'histoire et les personnages. Cela se justifie, dans ses incipit romanesques, par l'usage de descriptions du milieu ambiant, totalité censée expliquer indiciellement le statut ou le comportement des personnages représentés comme la synecdoque de l'ensemble. Ainsi dans Le Père Goriot la description de la pension Vauquer est l'isotopie de la dégénérescence qui glisse de l'espace, à ses pensionnaires. Qu'on relise cette séquence consacrée à Mme Vauquer :

« Mme Vauquer respire l'air chaudement fétide sans être écoeurée. Sa figure fraîche comme une première gelée d'automne, ses yeux ridés, dont l'expression passe du sourire prescrit aux danseuses à l'amer renfrognement de l'escompteur, enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. Le pagne ne va pas sans l'argousin, vous n'imaginez pas l'un sans l'autre »116(*)

En revanche dans Tropismes et Le Planétarium entre la diégèse du récit et les personnages s'institue un grand fossé qui foisonne en descriptions minutieuses.

Dans Tropismes, les multitudes de détails comme la description des « murs, des arbres grillagés, des bancs, des toilettes sales, des squares » ( T. 11) s'imbriquant pour éclaircir une disposition des lieux dans laquelle le lecteur peine à tirer son épingle du jeu. En effet, ces objets ne sont nullement l'émanation des comportements de ces personnages errants.

Dans Le Planétarium, la prolifération d'objets désignés à l'aide d'un lexique invariablement lié à l'évocation d'un instant précis conforte l'invasion de la description dans l'architecture du récit. Tel est le cas de l'incipit du roman :

«  (...Ce rideau de velours, un velours très épais, du velours, de laine de première qualité, d'un vert profond, sobre et discret ... et d'un ton chaud, en même temps lumineux... une merveille contre ce mur beige aux reflets dorés... Et ce mur... Quelle réussite. On dirait une peau ... Il a la douceur d'une peau de chamois... Il fut toujours exiger ce pochage extrêmement fin, les grains minuscules font comme un duvet... » (P.7).

Dans cet extrait descriptif, ni le « rideau » ni le « mur » ne présente aucun lien direct avec les « manies » de la Tante Berthe. De cette façon, c'est dire que ces descriptions qui, s'attardent sur ces objets pris dans leur simultanéité, surprennent « le cours du temps et contribuent à éclater le récit dans l'espace »117(*). La description de ces objets de façon simultanée est rendue possible grâce à la marque du présent de narration voilant, par voie de conséquence, la ligne de démarcation classique récit / description « qui reposait en partie sur une opposition temporelle »118(*) . En plus, l'on est même tenté de dire que l'emploi systématique du présent de narration dans le Nouveau Roman ou plutôt dans Tropismes et Le Planétarium conduit le récit à vaciller entre la diégèse et la narration. Voici, en toute clarté, l'avis de Gérard Genette :

« Tout se passe comme si l'emploi du présent d l'indicatif en rapprochant les instances, avait pour but de rompre leur équilibre et de permettre à l'ensemble, de basculer soit du côté de l'histoire, soit du côté de la narration, c'est-à-dire du discours »119(*).

De même, si, dans le récit traditionnel, la description des objets se caractérise par la notion de certitude qui enrobe aussi bien l'action et les personnages, dans Tropismes et Le Planétarium, en revanche, elle apparaît sous un jour incertain. Autrement dit, à cette extrême description méticuleuse des objets se dressent des extraits descriptifs marqués par l'incertitude.

Dans Tropismes le doute mine le descripteur en proie à la fatigue mieux aux déformations dues à la mémoire ou à l'imagination. Convoquons ce récit représentatif de la description de l' «  Exposition » :

« Oui, Oui évidemment, elle était allé voir l'Exposition (ce n'était rien, il ne devait pas faire attention, ce n'était rien, elle écarterait tout cela d'un revers de la main), elle y était allée un de ces dimanches après-midi, où l'on ne sait jamais que faire » (T.46).

Dans cet exemple l'usage des termes négatifs encadrés par les parenthèses cautionne l'idée selon laquelle le récit sarrautien confine toujours à la contradiction. Laquelle contradiction se lit à travers ce « Non vraiment » (P.7) qui engage LePlanétarium et jalonne les descriptions. D'ailleurs, rien qu'avec l'adverbe « vrai/ment » on semble décrypter une double lecture de la vérité et du mensonge. De ce point de vue « le récit ne peut plus avancer qu'en interrompant lui-même l'alternance est ainsi une machine à fabriquer des mises en suspen »120(*)qui obligent le lecteur à se maintenir constamment dans l'indécision. Ainsi dans la volonté de détruire le postulat de réalité qui commande les descriptions traditionnelles, Francise Dugast-Portes soutient en ces termes :

« La description n'est plus destinée à cautionner les autres aspects du récit par l'établissement de circonstants vérifiables ou vraisemblables. Mais paradoxalement, elle devient autonome dans sa capacité génératrice et l'appel qui est fait au préreprésenté »121(*).

De ce fait, le récit qui n'impose plus sa loi la description, est fait, de l'aveu de Robbe-Grillet, de telle manière que toute tentative de reconstitution d'une chronologie extérieure mène tôt ou tard à série de contradictions ou à une impasse.

Par ailleurs, il urge de signaler que l'appel au préreprésenté dérive des textes, des lieux et des objets rappelant d'autres oeuvres, loin des descriptions destinées à créer l'illusion référentielle. Ainsi Nathalie Sarraute, pour ce faire, convoque la notion d'intertextualité qui fait date dans Tropismes et Le Planétarium.

Dans Tropismes, par exemple, l'assemblage tire sa validité lorsque la narratrice, inscrit dans ledit texte les « clochettes » auxquelles elle emprunte au « conte d'Hoffmann » :

« (...) des clochettes, comme dans un contre d'Hoffmann, des milliers de clochettes à la note claire comme sa voix virginale se mettraient en branle » (T.88).

Dans Le Planétarium le contentieux qui oppose Alain à Gisèle à propos des commodités de conversation (« les bergères Louis XV » (P.64) ; «  Les fauteuils de cuir »  (P.70)) est l'occasion pour la narratrice d'insérer un objet descriptif issu du dix-huitième siècle et estampillé « Voltaire ». Ce passage est significatif à cet égard :

« Là, grosse bête, non pas celle-ci, voyons, c'est un fauteuil Voltaire, non là, tendue de soie rose pâle, la bergère... » (P.61).

En outre, on aura repère au passage, entre autres, l'allusion à « ce poème de Rimbaud » (P.65) ou celui de Baudelaire : « L'invitation au voyage ». En effet, le récit intègre au plan intertextuel quelque peu l'attirail des objets et des lieux du recueil intitulé Les Fleurs du mal. Les éléments sont réparables au fil de cette citation : « Elle, répondant à toutes invitations au voyage : et le bureau ? » (P.65-66).

Dès lors, il ressort de ces exemples constitutifs de l'intertextualité une description qui, dépouillée de sa fonction habituelle par référence au réel, convoque l'interprétation du lecteur qui se doit de créer son propre univers. Cependant la création d'un tel univers imaginaire confère à la description tantôt des échos fantastiques, tantôt des résonances poétiques.

Rappelons-nous dans Tropismes la manière dont on découvre les évocations minutieuses de « thés » (salons de thés) à l'intérieur desquels on semble lire « des scènes lamentables, des disputes à propos de rien » (T.64). Ces descriptions suscitent autant qu'elles accompagnent l'oisiveté des femmes tout en constituant des motifs récurrents (« Elles allaient dans les thés ») sources de poésie. Le Planétarium est sur ce point un bon exemple des virtualités de l'écriture poétique due en grande partie par la description des « carottes râpées » qui reviennent comme un leitmotiv :

« Mon gendre aime les carottes râpées. Monsieur Alain adore ça. Surtout n'oubliez pas de faire des carottes râpées pour Monsieur Alain. Bien tendres... des carottes nouvelles ... Les carottes sont-elles assez tendres pour Monsieur Alain ? » (P, 98).

La répétition, dans cet extrait descriptif, du substantif « carottes » doit amener à le réduire à la seule apologie d'un Nouveau Roman opposé au roman traditionnel. C'est dire que le récit sarrautien est une recherche complexe où l'attention portée sur la forme du message comme disait Jakobson, s'impose à son destinataire.

Du reste, si, dans le roman traditionnel,  le traitement de l'espace équivaut à examiner les techniques et les enjeux de la description réaliste, dans Tropismes et Le Planétarium Nathalie Sarraute nie cette démarche, que ce soit sous sa forme romantique ou sous sa forme positiviste. En fait, ce serait un truisme de dire que la description consiste, au sens propre du terme, en son insertion, son fonctionnement et sa fonction.

Commençons par le premier point relatif à l'insertion de la description. De l'avis de Vincent Jouve l'approche de l'insertion de la description consiste dans trois problématiques : « Comment est désigné le sujet  décrit ? La description est-elle motivée ? Son apparition dans le récit correspond-elle à une nécessité interne à l'histoire ?»122(*).

En fait, dans le roman traditionnel, la désignation du thème-titre s'opère par ancrage consistant à mettre en lumière le sujet de la description tout au début du passage descriptif. De cette évidence, témoignent les oeuvres réalistes comme celles de Balzac bien évidemment. Convoquons cet exemple tiré de La Cousine Bette :

« Le milord arrêta dans la partie de la rue comprise de Bellechasse et la rue de Bourgogne, à la porte d'une grande maison nouvellement bâtie sur une portion de la cour d'un vieil hôtel à jardin »123(*).

En effet, dans ce passage descriptif le thème-titre est sans nul doute « le milord » relevant d'une désignation par ancrage qui aide à la compréhension immédiate. En d'autres termes, la description balzacienne, privée de tout effet d'ambiguïté ou de « suspens est donnée comme intelligible ».

Mais Sarraute semble, dans la perspective néo-romanesque, privilégier la désignation par affection qui consiste à différer l'indication du thème-titre. Celui-ci ne verra le jour une fois la description terminée. Ainsi, dans LePlanétarium l'on remarque l'ensemble des personnages sont désignés par affectation. Songeons par exemple à cet « elle [qui] erre misérablement au milieu des décombres, recherche de vieux débris » (P.14-15) et à qui la narratrice nommera cinquante pages après sous le nom de « la vieille Tante Berthe... » ( P.51 ). La même description est valable pour le personnage de « il » qui sera aussi identifié à la quarante troisième page sous le nom d'Alain. Aussi, n'est-il pas étonnant de lire dans cette technique descriptive du récit un effet de suspens qui maintient l'attention du lecteur en éveil. Une telle disposition de la description est particulièrement efficace pour créer la surprise ou l'opacité dont Tropismes illustre parfaitement. Car, les « ils » décrits dès l'incipit mettent le lecteur dans le doute : il ne sait nullement s'il s'agit des enfants, des adultes, des vieux. Il le saura lorsqu'il parcourt des yeux les quatre-vingt-treize pages du récit :

« « Ah ! Ces vieux os, on se fait vieux. Ah ! Ah !.  Et ils faisaient entendre leur craquement » (T.100 ).

Néanmoins il faut comprendre que la description sarrautrienne en réaction contre celle de facture balzacienne, ne s'interrompt guère une fois mise en branle. En clair, la description dans Tropismes et Le Planétarium se veut pérenne. Autrement dit, elle situe aussi bien au début qu'à la Clausule du récit. D'où son autonomie qui suscite un certain dynamisme consistant à accroître des séquences descriptives qui s'imbriquent en créant une relation de simultanéité des actions. Falou Bane dira :

«  (...) Loin de cantonner la description dans l'immobilité du récit, le Nouveau Roman en fait un élément dynamique, un moyen d'invention de la matière romanesque »124(*).

De ce fait, le récit néo-romanesque ne saurait être construit sur le socle de la motivation des passages descriptifs qui est une constante pour les romans réalistes. On sait, de toute évidence, que les romanciers réalistes s'emploient à mettre la description sur le compte d'un personnage. Tandis que dans le Nouveau Roman la description est centrée sur les objets du récit. De l'avis de Jean Ricardou «  ces objets décrits se trouvent investis d'une importance particulière (...) »125(*).

Ainsi, la description au lieu de consister, comme l'estime Philippe Hamon dans Introduction à l'analyse du descriptif, en une séquence  type de cinq phases (personnage qualifié + Notation d'une suspension dans le récit + verbe de perception, de communication ou d'action + Mention d'un lieu propice + objet à décrire) dont le rôle est de motiver l'insertion d'un passage descriptif dans le récit, elle enfreint dans Tropismes et Le Planétarium «  les hiérarchies convenues »126(*). Autrement dit, Nathalie Sarraute se démarque de cette tendance en ce sens qu'on ne rencontre pas dans ses récits des personnages qualifiés capables d'être attentifs à un endroit qu'ils découvrent. Ce qui les pousse à cultiver l'ignorance, l'hésitation :

« L'Angleterre ... Ah ! oui ! L'Angleterre... Shakespeare ?

Hein ? Hein? Shakespeare. Dickens. Je me souviens, tenez, quand j'étais jeune, je m'étais amusé à traduire du Dickens. Thackeray. Vous connaissez Thackeray ? Th...Th... c'est bien comme cela qu'ils prononcent ?Hein ? Thackeray ?C'est bien cela ? C'est bien cela qu'on dit ? ( T . 94)

De même, dans ce passage descriptif du Planétarium :

« Unemaniaque voilà tout ... la forêt luxuriante où il les conduisait, la forêt vierge où ils avançaient, étonnés, vers il ne sait quelles étranges contrées, quelles faunes inconnues, quels rites secrets (...) »(P.57), l'on remarque que l'auteur de Martereau ne respecte pas la thèse de Philippe Hamon. D'abord nous savons pertinemment qu'une personne maniaque est la négation d'un personnage qualifié. Ensuite que la motivation d'une suspension dans le récit est sans valeur. La narratrice ne met qu'à découvert la motivation d'Alain c'est-à-dire sa curiosité, son réflexe professionnel.

Partant de cette remarque, force est de noter que la remise en question de cette technique représentative de la description traditionnelle, se substitue une nouvelle description axée sur l'objet. La description de cet objet consiste, de l'aveu de Jean Ricardou, en trois catégories : la situation (l'espace-temps), les qualités et les éléments. Ces données narratives expriment le fonctionnement de la description dans Tropismes et Le Planétarium. En effet, dans ces deux textes, on décrypte un goût exacerbé du descripteur pour des minuties. C'est ce que Jean Ricardou appelle « le vertige de l'exhaustif »127(*). Qu'on se rappelle ce passage descriptif extrait des Tropismes :

« Ainsi il professait au collège de France. Et partout alentour, dans les facultés avoisinantes, aux cours de littérature, de droit, d'histoire ou de philosophie, à l'institut et au palis, dans les autobus, les métros, dans toutes les administrations, l'homme sensé, l'homme normal, l'homme actif, l'homme digne et sain, l'homme fort triomphait (T.76-77). Cette minute descriptive relève, non pas d'une façon de voir, mais d'une manière décrire. Elle met en exergue ouplutôt détermine la situation du récit à travers l'évocation de l'espace-temps (« collège de France... dans les autobus, les métros »).

En fait, il faut convenir que, les autobus, les métros tout comme le train dans La Modification de Michel Butor jouent le rôle de médiateur, de jonction entre les deux catégories du récit : l'espace-temps.

De la même manière, il ressort de ce passage descriptif des qualités ou plutôt de « nouvelles parenthèses qualitatives » telles « sensé, normal, actif, digne et sain » qui qualifient ce professeur. Cet exemple n'est pas sans rappeler celui tiré en ce début de Vous les entendez ?

« Des rires argentins. Des rires cristallins. Un peu trop ? Un peu comme des rires de théâtre ? Non, peut-être pas... si tout de même, on dirait qu'il est possible de déceler ... Mais non, voilà une légère explosion, de celles qu'on ne peut pas empêcher ... »  (VE.12).

Dans cette perspective, Le Planétarium semble créditer cette procédure descriptive qui est effectivement systématique dans le Nouveau Roman. Dans le récit liminaire consacré, en grande partie, à la « porte », on note une rafale d'adjectifs qualificatifs : « petite, vitrée, avale, arrondie, belle, vraie... » (P.7-19 ). En outre, dans ce même récit nous remarquons une mise en pratique de la description qui s'attèle à inscrire jusqu'aux couleurs superposées des rideaux qui, tels des caméléons épousent tantôt les propriétés d'un « velours  très épais, du velours de laine de première qualité, d'un vert profond, sobre et discret ... » (P.7), tantôt deviennent simples : « c'est ce rideau vert sur ce beige... » (P.8 )

En réalité, ce métissage des couleurs apparaît aux yeux de la narratrice comme « bizarres, déconcertantes, même franchement laides, choquantes » ( P.8 ). Par l'invasion de ces « parenthèses intégrées » (épithètes, attributs...) la description se présente dès lors comme « une machine à enliser le récit »128(*). En termes plus clairs, si dans le récit traditionnel, les écrivains de l' « euphorie diégétique » s'emploient à pulluler les actions à l'intérieur des descriptions, les nouveaux romanciers, en l'occurrence Nathalie Sarraute se plaisent à foisonner les descriptions dans les actions apparemment inexistantes. C'est dire que la prolifération des descriptions sur un objet principal n'occultera pas, dans une certaine mesure, les éléments, j'allais dire, les « objets secondaires intérieurs »129(*)

Dans Tropismes essayons d'analyser ce passage :

« « On vous appelle. Vous n'entendez donc pas ? Le téléphone. La porte. Il y a un courant d'air. Vous n'avez pas fermé la porte, la porte d'entrée ! » une porte avait claqué » ( T.41).

Cet exemple constitutif de la description néo-romanesque, renferme en son sein un objet principal à savoir la « porte » répétée quatre fois. Certes il est le plus manifeste, mais il n'en demeure pas moins que les autres objets(« téléphone », courant d'air ») signalant leur présence et jouent de facto le rôle de premier plan. En un mot, dans Tropismes, « au niveau de la ligne descriptive, il n'y a jamais d'objets secondaires : la description porte tout au premier plan »130(*). Ce qui autorise la narratrice à alterner une kyrielle d'objets autonomes dans l'épaisseur d'un quelconque passage descriptif.

Ainsi dans Le Planétarium, le récit consacré à la description de Madame Tussaud est très illustratif à cet égard :

« Mais alors, tout ce qu'elle a aimé, tous ces trésors qui lui ontété confiés depuis toujours, à elle, l'enfant prédestinée, et qu'elle a recueillis, préservés en elle avec une si grande piété, avec une telle ferveur ... Les visages, les gestes, les paroles, les nuances des sentiments, les nuages, la couleur du ciel,les arbres et leurs failles, leurs cimes mouvantes, les fleurs, les oiseau, les troupeaux, le sable des plages la poussière des chemins, les champs de blé, les meules de foin au soleil, les pierres, le lit des ruisseaux, la crête des collines dans le lointain, la ligne ondulante des vieux toits, les maisons, les clochers, les rues, les villes, les fleuves, les mers, tous les sons, toutes les formes, toutes les couleurs contenaient ce venin, dégageaient ce parfum mortel :  Madame Tussaud »  (P.156).

Ce tableau descriptif qui s'apparente à un puzzle provoque un enlisement du récit. Cet enlisement est, selon Jean Ricardou, la conséquence de l'échelonnement du simultané au successif. De ce fait, il souligne : « le récit s'enlise, de rupture en rupture, dans l'épaisseur labyrinthique du contemporain »131(*). Donc il n'est pas étonnant que la description néo-romanesque soit présentée comme une rupture avec la description réaliste mieux la description à fonction représentative.

En dernière analyse, s'il est des tenants de la description représentative, d'autres au contraire comme « les écrivains de la contestation diégétique » jugent nécessaire de rompre avec les techniques descriptives héritées du roman traditionnel. Ainsi, Nathalie Sarraute et la quasi-totalité des néo-romanciers mettent en pratique dans leurs romans une nouvelle technique de description baptisée : Description productrice ou créatrice.

En fait, dans le roman traditionnel, les théoriciens réalistes s'attèlent à assigner à la description représentative trois fonctions essentielles : une fonction mathésique (diffusion du savoir), une fonction mimésique (construction d'une représentation) et une fonction sémiosique ( régulation du sens).

Mais les néo-romanciers au premier rang desquels l'auteur du Portrait d'un Inconnu cherchent, de façon radicale, à se démarquer de cette esthétique qui n'est plus de mise. De cette façon, dans Tropismes et LePlanétarium, Sarraute au nom de préoccupations esthétiques et en fonction de l'affirmation de la subjectivité de toute activité perceptive, remet en question principalement les fonctions mathésiques et mimésiques des descriptions. Celles-ci consistent respectivement, selon Jean Michel Adam dans Le Texte descriptif, à disposer à l'intérieur du récit les savoirs de l'auteur qu'ils proviennent de ses enquêtes ou de ses lectures et à verbaliser des données référentielles de l'énoncé s'opérant textuellement par le biais de description qui, dans un récit, encadrent ou alternent avec les séquences narratives.

C'est dans cet esprit qu'Alain Robbe-Grillet, dans Pour un nouveau roman, cloue au pilori l'écriture réaliste pour avoir constitué la cohérence de ses fictions sur des conceptions explicatives du monde qu'elles illustrent, et de donner l'illusion, d'une prétendue association de l'univers réel avec le monde réel de référence :

« Reconnaissons d'abord que la description n'est pas une invention moderne. Le grand roman, français du XIXe siècle en particulier, Balzac en tête en regorge [...]. Il est certain que ces descriptions-là ont pour but de faire voir et qu'elles y réussissent. Il s'agissait alors, le plus souvent, de planter un décor, de définir le cadre de l'action, de présenter l'apparence physique des protagonistes. Le poids des choses ainsi posées de façon précise constituait un univers stable et sûr, auquel on pouvait ensuite se référer, et qui garantissait par sa ressemblance avec le monde réel l'authenticité des événements [...] le foisonnement de ces détails justes auquel il semblait que l'on puisse indéfiniment puiser, tout cela ne pouvait que convaincre de l'existence objective - hors de la littérature - d'un monde que le romancier paraissait seulement reproduire, copier, transmettre à un quelconque document »132(*).

En revanche, l'effet antiréaliste de la description consiste, à première vue, pour Nathalie Sarraute, à dévoiler l'artifice langagier. Tel est le rôle des inventaires de prédicats qui s'achèvent par des points de suspension. Ce fragment de récit tiré des Tropismes est convaicant :

« Et rien que l'héritage de tante Joséphine ... Non... Comment voulez-vous ? Il ne l'épousera pas. C'est une femme d'intérieur qu'il lui faut, il ne s'en rend pas compte lui-même. Mais non, je vous le dis. C'est une femme d'intérieur qu'il faut ... d'intérieur ... D'intérieur ... » (T. 64).

Dans Le Planétarium les points de suspension essaiment le texte en se fondant tantôt sur des corrections, tantôt sur des hésitations ou des ajouts. Qu'on se rappelle cet extrait dialogique :

« - Un lapsus ! hi, hi, vous avez fait un lapsus.

- Quel lapsus, chère Madame ?

- Eh bien vous avez dit " elle" en parlant d'Alain.... Petite voix pointue comme cri de souris ... Si, si... petite rire ... j'ai entendu, vous l'avez dit ...

- Non, j'ai dit "il"

- Vous avez dit " elle" ... sans vous rendre compte ... » (P.192 ».

Ces ajouts se manifestent fréquemment à travers l'emploi des parenthèses ou des conjonctions de coordination : « ou » par exemple. Lisons ce récit des Tropismes :

« Leurs visages étaient comme raidis par une sorte de tension intérieure, leurs yeux indifférents glissaient sur l'aspect, sur le masque des choses, le soupesaient un seul instant (était ce joli ou laid ?) » (T.64).

En vérité, de tels choix littéraires visent, en grande partie, à attirer l'attention du lecteur sur la subjectivité descriptive au moment où l'écriture réaliste travaille à éclipser la présence du descripteur à coups de détails justes ou crédibles. Ainsi on note dans ce processus de mise à nu de l'artifice langagier « Des interventions métalinguistes qui interrompent une description pour signaler l'opération sémiotique qui l'élabore, brisant ainsi toute illusion référentielle»133(*).

Un tel point de vue vise à mettre en exergue le procédé des métaphores qui, très en vue dans l'acte descriptif, est arborée par l'accumulation des comparaisons ou des conjonctions de comparaisons (dans Tropismes, P.16,17,23,27, etc. dans Le Planétarium P.7,8,14,15,16,17, etc,.). Claude Simon de souligner dans Leçon des choses :

« La description ( la composition) peut se continuer (ou être complétée) à peu près indéfiniment selon la minutie apportée à son exécution, l'entraînement des métaphores proposées, l'addition d'autres objets visibles dans leur entier ou fragmentées par l'usure, le temps »134(*).

Ensuite, il est temps de remarquer que Nathalie Sarraute dans sa volonté de se mettre en déphasage des procédés descriptifs du récit réaliste, enraye l'illusion référentielle qui se cristallise à l'usage des assertions référentielles contradictoires.

Dans Tropismes c'est le cas de ce personnage anonyme « elle » qui dénigre le « soleil » en le traitant de « traître » avant de se rétracter pour magnifier ses vertus à l'égard de son mari qui «  pourtant (...) aimait se soigner ... » (T.17).

Dans Le Planétarium ces types d'assertions sont visibles principalement dans la façon dont les personnages sont caractérisés. En fait, qu'il s'agisse de Germaine Lemaire ou de Tante Berthe la narratrice ou les personnages nous les décrivent au moyen de plusieurs facettes. S'agissant de Germaine Lemaire, Pierre la décrit tantôt comme « une jolie femme ... »( P.101 ), tantôt il estime qu' « elle est laide comme un pou » (P.102).

De plus, en ce qui concerne Tante Berthe, Alain nous la présente au début du récit comme « ... une maniaque, une vieille enfant gâtée, insupportable ... » (P.13)et à la clausule du récit il nous la montre sous un aspect favorable : « Elle a rajeuni de vingt ans » (P.242).

Par ailleurs, dans ce mécanisme de blocage de l'illusion référentielle du récit, force est d'accorder une importance particulière aux mouvements de focalisations variables. En d'autres termes, Sarraute, dans la mouvance des néo-romanciers, nous offre tantôt un passage correspondant à ce que voit le personnage, comme le prouve la présence des possessifs dans ce passage descriptif des Tropismes :

« Quand il était avec des êtres frais et jeunes, des êtres innocents, il éprouvait le besoin douloureux, irrésistible, de les manipuler de ses doigts inquiets, de les palper ... » (T.51).

Dans ce récit du Planétarium, Alain soutient : «  Voyez mes domaines, mes châteaux, les signes de ma puissance, mes quartiers de noblesse, les actes valeureux accomplis par mes ancêtres qui ont fondé la gloire de ma lignée ... » (P.242).

Tantôt le passage descriptif est perçu par une autre instance narrative. Comme en témoignent les locutions prépositionnelles « en arrière, en avant... », tantôt il est possible de spécifier à quel focalisateur renvoie la perspective c'est-à-dire en avant de qui, en arrière de qui :

« Allez donc ! En avant ! Ah, non, ce n'est pas cela ! En arrière ! En arrière ! Mais oui, le ton en joué, oui, encore, doucement, sur la pointe des pieds, la plaisanterie et l'ironie. » (T.28).

A la lumière de cette analyse représentative des failles notées dans la construction de la description réaliste, on en arrive avec Jean Ricardou à l'idée selon laquelle « l'effort antiréaliste de la description est double : d'une part, elle altère la disposition référentielle de l'objet (étalant une simultanéité en successivité) et, d'autre part, elle empêche, par ses interruptions intempestives, le déroulement référentiel du récit »135(*)

En revanche, si, les néo-romanciers s'insurgent contre la double description mathésique mimésique, quelle est alors la méthode descriptive qui s'accommode à leur nouvelle conception de la littérature. C'est sans nul doute la fonction productrice ou créatrice que nous avons évoqué antérieurement.

Dans cette perspective disons que cette nouvelle donnée descriptive à droit de cité dans Tropismes et Le Planétarium. Dans ces deux récits, bien que les descriptions prolifèrent, l'auteur des Fruits d'or s'attache, à des degrés divers, à les attribuer une directivité fonctionnelle et antireprésentative. Ainsi, jeux d'analogies, recours à des signes polysémiques tels sont les procédés qu'elle analyse en attribuant aux descriptions une fonction génératrice ou productrice de fiction. Cet état de fait n'a pas échappé à Jean Ricardou qui soutient :

«  La description est créatrice. Elle invente en toute cohérence un univers et tend à susciter un sens avec lequel elle entre en lutte. C'est comme une course contre le sens que peuvent se lire maintes oeuvres contemporaines ».136(*)

Cette conception inhérente au récit sarrautien n'est pas sans pertinence, si l'on continue d'examiner la question du point de vue de des signes polysémiques. Quel est dès lors l'intérêt de cette démarche dans Tropismes et LePlanétarium ? Il n'est guère contestable, pour commencer, que l'oeuvre traditionnelle répond à une intention de sens, au profit d'un « quelque chose à dire », de sorte que la question de ce que l'écrivain a voulu dire  n'est pas ambigu. Pour Balzac, dans un Avant-propos de 1842 consacré à La Comédie humaine, il s'agit de « surprendre le sens caché dans cet immense assemblage »137(*).

En revanche, dans Tropismes et le Planétarium, Nathalie Sarraute laisse au récit une part d'imprévisible, en abandonnant au destinataire le soin de retotaliser un ensemble disparate qui suscite bien entendu plusieurs sens.

Ainsi il n'est pas étonnant que Tropismes commence par l'animation descriptive de l'image des bêtes sauvages : « Ils semblaient sourdre de partout, éclos dans la tiédeur un peu moite de l'air, ils s'écoulaient doucement comme s'ils suintaient des murs, des arbres grillagés, des bancs, des trottoirs sales, des squares » (T.11).

En effet, ce récit participe des jeux d'analogie entre l'univers humain et l'univers animal. Ces « ils » sont tantôt décrits comme des bêtes maritimes qui semblent « sourdre » de l'eau, tantôt comme des insectes volants « dans la tiédeur un peu moite de l'air » comme des loques humains habitant dans des « squares ». C'est dire que le comparant « ils » une fois posé, s'hypertrophie en produisant et créant d'autres scènes obtenues, non par l'artifice d'un système chronologique, mais par des transitions purement descriptives fondées, de l'avis de Jean Ricardou, sur des analogies.

Dans Le Planétarium on peut s'approprier les propos de Jean Michel Adam selon lesquels les descriptions productrices ont un rôle transitaire mettant en exergue certains signifiants qui les composent par un processus de comparaison étendu. C'est ainsi qu'un récit, représentatif de la visite faite par Germaine à Alain, est influencé par un passage spatial qui se trouve, par voie de conséquence, anthropomorphisé :

« Toutauteur de lui se rétrécit, rapetisse, devient inconsistant, léger- une maison de poupée, des jouets d'enfants avec lesquels elle s'est amusée à jouer un peu pour se mettre à sa portée, et maintenant elle repousse tout cela, allons, assez de puérilité ... le ciel tourne au-dessus de lui, les astres bougent, il voit se déplacer les planètes, un vestige, une angoisse, un sentiment de panique le prend, tout bascule d'un coup, se renverse... elle-même s'éloigne, elle disparaît de l'autre côté. Mais il ne veut pas la lâcher, il peut la suivre, les suivre là-bas (...) » (P.249).

De cette façon, se construit un récit dont la dissémination des histoires qui le composent émane moins d'une description représentative que d'une description génératrice de signes polysémiques dans leur double composante formelle et signifiante. Cette nouvelle armature de la description « piétine, se contredit, tourne en rond. L'instant nie la continuité »138(*) du fait de la force créatrice de l'écriture en mouvement : celle des « tropismes ». En un mot, c'est qu'affirmer que les pouvoirs de la description dans Tropismes et Le Planétarium relèvent non seulement de son autonomie à l'égard d'un récit balkanisé, mais aussi et surtout de la prolifération des objets, des lieux dont elle commande. Du coup, si la description s'affranchit du diktat narratif incarné par le récit, quelle serait alors la texture des modes narratifs dans Tropismes et Le Planétarium ? L'analyse des points qui suivent permettront d'y voir plus clairement.

* 113 Gérard Genette, Figures II, op. Cit., P.56.

* 114 Gérard Genette, Figures II, Ibid, P.59.

* 115 Alain Robbe Grillet, Pour un nouveau roman, op. Cit., p.126.

* 116 Honoré de Balzac, le Père Goriot, op. Cit., p.13.

* 117 Gérard Genette, Figures II, op. Cit. , p 59.

* 118 Bernard Valette, Le roman, op. Cit., p.35.

* 119 Gérard Genette, Figures III, op. Cit. , p.231.

* 120 Jean Ricardou, Lenouveau roman suivi des raisons d'ensemble, Paris, Seuil, 1990, p.145.

* 121 Francise Dugast-Portes, le Nouveau Roman, op. Cit. , p.100.

* 122 Vincent Jouve, La poétique du roman, Paris, Armand Colin / vuef, 2001, p. 40.

* 123 Honoré De Balzac, La Cousine Bette, Paris, Bookking International, 1993, p.24.

* 124 Falou Bane, «Narration et Narrateur dans la Jalousie d'Alain Robbe Grillet et La Modification de M. Butor», op. Cit., p.21.

* 125 Jean Ricardou, Problèmes du nouveau roman, op.cit. p.112.

* 126 Jean Ricardou, le nouveau roman, op.cit., p.137.

* 127 Jean Ricardou, Le Nouveau roman, op.cit., p.136.

* 128 Jean Ricardou, ibid. p.139.

* 129 Ibid, p.135-136.

* 130 Jean Ricardou, Ibid, p.137.

* 131 Ibid. p.145.

* 132 Alain Robbe- Grillet, Pour un nouveau roman, op. Cit., p. 123.

* 133 Jean Michel Adam et André petit Jean, Le Texte narratif, Paris edition Nathan, 1989, pp.16-70.

* 134 Claude Siomon, Leçon des choses, Paris, Minuit, 1947, pp.10-11.

* 135 Jean Ricardou, Le Nouveau Roman, op.cit., p.141.

* 136 Jean Ricardou, Problèmes du Nouveau roman, op. Cit., p.109.

* 137 Honoré de Balzac, La comédie Humaine, Paris, Gallimard, 1951, PP.3-16.

* 138 Jean Ricvardou, Problèmes du nouveau roman, op.cit., p.133.

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