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Quelle place pour la psychologie dans une culture traditionnelle africaine ?

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par Manon Le Flour
Institut Catholique de Paris - DU Solidarités Internationales : action solidaire et dialogue interculturel 2016
  

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III. La religion au centre de la culture congolaise

1. L'arrivée des religions dites occidentales en Afrique et le concept d'inculturation

Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, la République du Congo possède une culture traditionnelle africaine. Cependant, il ne faut pas oublier son histoire et la période coloniale qui a duré plus de cent ans. C'est donc à la fin du XIXème siècle que les européens font leurs premiers pas sur le sol congolais en naviguant le long du fleuve Congo et signent un traité de souveraineté avec le Roi Makoko. Au fur et à mesure des explorations, les traités se multiplient. De fil en aiguille, le Congo devient l'un des quatre Etats de l'Afrique équatoriale française en 1885 puis, quelques années plus tard, la colonie du Congo Français officiellement.

Les européens arrivent donc sur ce nouveau territoire avec leur propre langue, leur propre monnaie, leur propre moyen de communication. Tout simplement avec leur culture, alors bien différente de celle des locaux. Lorsque deux cultures se rencontrent, de nombreuses possibilités apparaissent et de là sont nées les notions phare de l'anthropologie actuelle comme celle de l'acculturation. En raison du nombre trop important de recherche sur le sujet, le Conseil de la recherche en sciences sociales des Etats-Unis crée un comité afin de définir ce concept. C'est donc en 1936 que le Mémorandum pour l'étude de l'acculturation est publié définissant le concept d'acculturation :

« L'acculturation est l'ensemble des phénomènes qui résultent d'un contact continu et direct entre des groupes d'individus de cultures différentes et qui entrainent des changements dans les modèles (patterns) culturels initiaux de l'un ou des deux groupes. »

Denys Cuche, 2010, p.59

Ce Mémorandum joue un rôle essentiel et permet de créer un champ de recherche spécifique qui est précieux afin d'obtenir et d'utiliser les outils théoriques adéquates. De ce fait, au fil des années, la culture congolaise se voit transformée par la présence des français sur leur territoire.

Il existe un concept propre à la religion, celui de l'inculturation qui se définit alors comme « l'activité visant à intégrer le message chrétien dans une tradition culturelle » (Le Dictionnaire du Français, 1996, p.835). Ce concept se rapproche de celui de l'acculturation, à la différence qu'il évoque le contact entre l'Evangile et les autres cultures. De ce fait, l'inculturation est un concept théologique. R. Tabard (2010) consacre une partie de son article

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à ce phénomène d'inculturation. Selon lui, ce concept semble actuellement s'imposer en Afrique mais il s'agit avant tout d'une communication entre des hommes qui utilisent chacun leurs systèmes culturels de représentations. Ainsi, selon Léonard Santedi Kinkupu (2003, p.141)42, la théorie de l'inculturation s'articule autour de deux dimensions : « d'une part, évangéliser la culture africaine de telle sorte qu'elle puisse s'intégrer dans l'héritage chrétien de toujours et contribuer à rendre cet héritage plus « catholique » et, d'autre part, « africaniser » le christianisme au point d'en faire un constituant du patrimoine culturel et spirituel de l'Afrique ».

Selon Tabard (2005), « même si la vie chrétienne s'inculture depuis quelques décennies, le mouvement d'inculturation fait apparaître avec plus de force la vivacité des cultures traditionnelles » (Tabard, 2010, p.193). De ce fait, le Congo-Brazzaville en tant que culture traditionnelle africaine parvient tout de même à garder son identité et sa particularité. Les deux cultures se côtoient, se mélangent mais l'une n'étouffe pas complètement l'autre. Il n'y a pas eu assimilation, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu disparition de la culture d'origine comme le précise Cuche (2010). L'assimilation est alors la phase ultime de l'acculturation. En effet, pour Tabard (2010), même si il est possible de noter une augmentation importante du nombre de baptisé, sous-tendant une augmentation du nombre de catholiques, cela ne veut pas dire que l'Africain abandonne son identité profonde. Comme nous l'avons vu précédemment, puisque les cultures traditionnelles africaines sont profondément marquées par la dimension religieuse, le christianisme africain de nos jours ne peut pas être complètement détachée des systèmes de représentations traditionnelles présents au sein de la société. Comme l'écrit Tabard (2010, p.192), « on doit dire que si tout baptême d'un Africain constitue effectivement une augmentation du nombre de catholiques, ce rite ne signifie pas qu'il y a un Africain de moins ! Autrement dit, le baptême d'un adulte ne fait pas disparaître dans l'eau bénite toute la culture qui le constitue dans son être d'Homme et d'Africain ».

Cependant, il est impossible de ne pas se rendre compte du phénomène d'inculturation et de la présence de plus en plus forte des églises chrétiennes sur le continent africain. En 2005, Courrier International a consacré un dossier sur cette expansion du fondamentalisme chrétien qui sert d'appui à Elisabeth Dorier-Appril et Robert Ziaboula dans leur article (2005)43. Cet

42 Santedi Kinkupu, L. (2003). Dogme et inculturation en Afrique. Paris : Karthala

43 Dorier-Apprill, E., Ziavoula, R. (2005). « La diffusion de la culture évangélique en Afrique centrale. Théologie, éthique et réseaux », Hérodote, 2005/4 (N°119), p.129-156

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article parle essentiellement du christianisme évangélique et de sa conquête du monde. En effet, depuis le début des années 2000, le nombre de nouveaux adeptes se compte par million et ne cesse d'augmenter sur tous les continents. Tabard (2005) le précise dans son article en utilisant des chiffres récents. Bien que l'Eglise se soit implanté seulement un siècle auparavant en Afrique, représentant alors seulement cinq ou six générations de chrétien dans les familles, le nombre de baptisés à triplé en vingt-cinq ans. Tabard (2005) remet en cause ces informations et évoque la présence de l'Eglise catholique au sein du Royaume Kongo entre les années 1500 et 1838. Ces trois siècles auraient été une période féconde dans la construction d'églises et le baptême de nombreux individus, avant de disparaître. A l'heure d'aujourd'hui, les Eglises sont présentes sur tout le continent africain et intégrées aux sociétés. Cependant Tabard (2005, p.198) laisse à penser que « c'est aussi une « nouvelle Eglise qui naît dans des formes originales, dans la mesure où elle intègre des éléments des cultures et religions africaines ».

Durant la colonisation, chaque état menait sa propre politique et cette dernière pouvait être appuyée par une Eglise. Mais en parallèle et de manière indépendante, les Eglises évangéliques ont mit en place des missions afin d'évangéliser les peuples. De ce fait, l'émergence de ces Eglises n'est ni récente, ni soudaine. Selon Dorier-Apprill et Ziavoula (2005), cette émergence a précédé la crise économique et s'est consolidé dans la clandestinité lorsque les Eglises missionnaires étaient bridées par le régime marxiste. En Afrique Centrale, et plus particulièrement au Congo-Brazzaville, ce sont les Eglises évangéliques nordiques qui s'installent à partir du XIXème siècle. Cela a d'ailleurs été vérifié lors de mon expérience à Brazzaville. En effet, la plupart des projets mis en place par mon organisation d'accueil, c'est-à-dire l'Eglise Evangélique du Congo (EEC), est financé en grosse partie par une association regroupant l'Eglise Unie de Suède et l'Eglise Evangélique de Norvège : l'ASUdh (l'Action de Secours d'Urgence et de développement humain). Nous avons d'ailleurs partagé notre maison avec un couple de retraités norvégiens et une amie à eux qui étaient là pour donner des « cours de mariage » aux paroissiens de l'EEC qui le désiraient. De ce fait, l'EEC descend directement d'une branche de l'Eglise luthérienne suédoise et a été fondée en 1898 par des missionnaires comme le précise Dorier-Appril et Ziavoula (2005).

C'est au cours des périodes de pré et de post indépendance que les grands mouvements évangéliques ont commencé à se diffuser. Et actuellement, ces mouvements connaissent un réel succès en Afrique noire et ils s'enracinent dans un champ religieux diversifié. Comme

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l'écrivent Dorier-Apprill et Ziavoula (2005, p.130), « la variété des formes du christianisme contemporain y est peut-être plus grande que partout ailleurs ». Ils expliquent cette diversité religieuse par l'inculturation rapide des monothéismes qui sont arrivés lors de la période coloniale, mêlée aux nombreux prophétismes afro chrétiens et aux nombreuses croyances mystico-religieuses locales.

Il subsiste tout de même un conflit entre les religions monothéistes arrivées au cours des dernières années et les religions traditionnelles africaines présentes depuis toujours. Comme l'écris D. Philippe (2004, p.70), « certaines Eglises, nous l'avons vu, rejettent catégoriquement le culte des ancêtres au motif qu'il n'est pas sanctionné par l'Ecriture. C'est le cas de la plupart des Eglises évangéliques et pentecôtistes ». Cependant, toutes les églises missionnaires ont débuté une réflexion sur le concept d'inculturation et sur leur présence en Afrique. Nombre d'entre elles prennent le parti de ne pas se positionner sur la pratique des rites traditionnels chez leurs paroissiens. Selon D. Philippe (2004), c'est l'Eglise catholique qui a mené la réflexion sur l'inculturation la plus poussée et n'a donné aucune consigne précise sur la manière de concilier les héritages africains et les héritages chrétiens. Cependant, les autorités de l'Eglise catholique d'Afrique australe hésitent entre deux positions. Pour certains, l'inculturation est également une forme d'évangélisation, c'est-à-dire que les croyances déjà présentes peuvent être considérées comme une préparation à la foi. Dans cette vision, il suffit d'adapter le discours religieux à la culture indigène. Pour d'autre, la religion traditionnelle africaine a une réelle importance et ne doit pas seulement être utilisée comme un simple outil d'évangélisation mais doit être prise en considération dans sa globalité. Ainsi selon D. Philippe (2004, p.73), « le christianisme africain est profondément authentique. Le « théologie orale » qui s'élabore sous nos yeux est un signe de son dynamisme ».

Pendant et depuis la fin de la colonisation, l'évolution des relations entre sphère religieuse et gouvernement oscille. Les autorités coloniales n'ont cessé de se battre contre les messianismes chrétiens africains qui cherchaient à promouvoir l'identité africaine. Ces derniers étaient alors surveillés par les autorités comme nous le raconte Dorier-Apprill et Ziavoula (2005). La prise d'indépendance des pays africains marque la prolifération de mouvements religieux de différentes confessions. C'est donc à partir de 1960 que la République du Congo connaît une multiplication des Eglises chrétiennes nouvelles et indépendantes. Le Congo a connu une évolution un peu différente de celle de ces voisins en raison de la restriction religieuse menée par les gouvernements communistes militaires

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jusqu'aux années 1980. En effet, l'Etat congolais avait institué une loi antisectes qui permettait de contrôler la vie religieuse. Entre 1978 et 1991, en raison de cette loi, seulement sept Eglises étaient reconnues. Cette restriction prend fin en 1991 lors de la Conférence Nationale pendant laquelle la liberté de culte est proclamée. A partir de là, le Congo connaît une augmentation fulgurante de l'offre religieuse, et particulièrement dans les villes. Le Parti Congolais du Travail (PCT), parti politique de l'actuel et indétrônable président de la république déjà au gouvernement, tolère le pluralisme religieux à condition que les « sectes » se rassemblent en union. De ce fait, le Congo-Brazzaville se différencie de ses voisins par sa structuration de l'espace religieux. En effet, comme le précise Dorier-Apprill et Ziavoula (2005), le champ religieux s'organise essentiellement en fédérations et en réseaux stratégiques qui lui permet de défendre leurs représentations.

Les années 1990 sont marquées par trois guerres civiles en République du Congo qui laissent encore des traces aujourd'hui. En effet, il subsiste de nombreuses tensions ethno régionales, principalement entre les ethnies du nord et celles du sud, qui ont profité aux leaders des partis politiques tel que Denis Sassou N'Guesso. C'est la capitale Brazzaville qui a essentiellement été touchée pendant ces périodes noires, et particulièrement les quartiers du sud qui ont alors été bombardés, amenant la population à fuir. Cette période difficile prend fin en 2001 avec l'organisation du retour des populations exilées dans les forêts au sein de leur quartier, dans des conditions encore très pénibles. Cette période post conflit est une aubaine pour le président actuel qui est alors élu avec 89% des voix grâce à une campagne présidentielle de taille et à l'absence de concurrent sérieux. Ainsi, comme l'écrivent Dorier-Apprill et Ziavoula (2005, p.139), « en l'espace de quinze années, la société congolaise subit alors une mutation brutale liée à un contexte d'effondrement de l'économie rentière et de l'Etat redistributeur, lié au surendettement du pays et aux politiques d'ajustement, de chômage des jeunes scolarisés, de guerres entre milices politiques, d'un coup d'Etat, d'exodes urbains et de banditisme ».

Les guerres civiles ont bien entendu ralenti l'expansion des Eglises mais n'ont en aucun cas empêché cette dernière. En effet, Dorier-Apprill et Ziavoula (2005) ont débuté leur étude après la première guerre civile et ont constaté une différence entre les chiffres du gouvernement et la réalité. Ils ont alors découvert 250 lieux de cultes, comprenant des Eglises indépendantes diverses, mais également plusieurs Eglises chrétiennes évangéliques et des grandes Eglises instituées.

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A l'heure d'aujourd'hui, la liberté de culte est garantie par la Constitution mais le sujet reste délicat. En effet, les partis politiques nationaux et également les puissances occidentales restent très vigilants en raison de la situation actuelle au Congo. Les Eglises inquiètent puisqu'elles peuvent être le lieu de rassemblement de contre pouvoir ou encore de mobilisation partisane, mais en parallèle elles intéressent puisqu'elles sont des relais sociaux. Le texte de la Constitution de 2002 garantit également des dispositions relatives à la sécurité, la tranquillité et la salubrité du lieu et de la voie publique.

En 2005, le ministère de l'Administration du territoire et le ministère de l'Intérieur procèdent à un recensement des toutes les Eglises présentes à Brazzaville. Ce dernier va être réalisé par les forces de police qui arpentent les rues de la capitale afin d'identifier les lieux de cultes, tout en demandant aux responsables des Eglises de fournir les papiers en règle. Ils recensent alors 350 lieux de culte, rassemblée sous 224 dénominations. Les Eglises doivent alors répondre a un certain nombre de critère évoqués par Dorier-Apprill et Ziavoula (2005) : les pasteurs doivent être formés, les lieux de culte être construits en maçonnerie durable. De plus, l'Eglise doit disposer d'une date d'ordination et être capable de créer des oeuvres sociales et d'ouvrir un compte en banque... Les lieux de culte ne répondant pas à ses critères sont menacés de fermeture par le ministère de l'Intérieur. Ils ont alors un délai de six mois pour se conformer aux différents critères.

Comme nous l'avons vu, les Eglises et leurs mouvements sont en expansion au Congo-Brazzaville depuis plusieurs années malgré les politiques de restrictions mises en place par le gouvernement. Les Eglises doivent leur succès grâce à la population présente friande de cette effervescence religieuse. Cependant, comme l'écrivent Dorier-Apprill et Ziavoula (2005, p.131), « leur influence politique est amoindrie, voire nulle, dans un pays où la démocratie est purement formelle, comme le Congo ».

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams