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Quelle place pour la psychologie dans une culture traditionnelle africaine ?

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par Manon Le Flour
Institut Catholique de Paris - DU Solidarités Internationales : action solidaire et dialogue interculturel 2016
  

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3. La prise en charge des malades mentaux par les institutions religieuses

Comme nous l'avons vu dans la partie précédente de ce travail, lorsqu'un individu rencontre des troubles mentaux c'est la responsabilité de tout le groupe qui est mobilisée. Nous avons déjà évoqué les différentes méthodes de prise en charge traditionnelle disponibles à travers la médecine des plantes et l'oeuvre des tradipraticiens. Mais, comme l'écrit Serge M'Boukou dans son article (2007, p.6)46, « le christianisme en premier lieu apparaît comme un adversaire redoutable de l'ordre local. Il porte avec lui une énergie disruptive tendant à disqualifier systématiquement les pratiques et les représentations locales. La démonisation des cultes locaux ainsi que des modes de compréhension et de prise en charge des maux dont souffrent les hommes bouleverse les cadres traditionnels ».

De ce fait, la religion a fait son entrée dans l'itinéraire thérapeutique rencontré chez les congolais. En effet, au début des années 1980, comme l'évoque le Dr Paul Gandou dans l'entretien que nous avons passé, lorsque les tradithérapeutes ne parvenaient pas à faire disparaître le symptôme, la famille se tournait alors vers le pasteur ou le prêtre de la paroisse à laquelle elle appartenait. Ainsi, il explique : « dans l'itinéraire thérapeutique, puisque les perceptions sont mystico religieuses, ou mystiques en général, ce qui se passe dans la dynamique, la personne aura tendance à aller plutôt d'abord à l'église voir le pasteur pour faire qu'elle sorte de cet envoûtement ». La consultation à l'église a vraiment pour but de sortir de l'envoûtement qui a été jeté sur l'individu.

Les tradithérapeutes sont donc concurrencés par les pasteurs des Eglises comme l'explique Michel Mboussou (2009)47 dans son article. En effet, « ces lieux de culte drainent toutes les couches sociales de notre pays et les acteurs qui y professent, reprennent tout simplement le discours des guérisseurs, à savoir que le mal vient généralement de l'extérieur, et à ce titre, ces propos sont ensemencés sur une terre fertile, riche en mystère » (Mboussou, 2009, p.772). Selon l'auteur, les pasteurs actuels font preuve d'une certaine agressivité et s'appuient sur la naïveté de la population, ainsi que sur la misère matérielle et morale, afin d'embrigader un maximum de personne. Ainsi, « dans ce contexte de souffrance, la seule voie de salut et de guérison est de croire fermement en un dieu suprême » (ibid..). Le concept d'acculturation ayant fait son petit bonhomme de chemin dans les cultures traditionnelles africaines avec les

46 M'Boukou, S. (2007). « Trajectoires du soin en Afrique », Le Portique. [En ligne], 4-2007 | Soin et éducation (II), mis en ligne le 14 juin 2007, consulté le 04 août 2016. URL : http://leportique.revues.org/944

47 Mboussou, M. & all. (2009). « Religion et psychopathologie africaine », L'information psychiatrique, 2009/8 (volume 85), p.769-774

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présences des dogmes chrétiens, l'étiologie « sorcière » a finalement fait son entrée dans les discours des nouvelles églises évangéliques. De ce fait, nous pouvons témoigner d'une mutation des systèmes de croyances culturels qui perdent petit à petit les valeurs principales.

Les Eglises se différencient et prennent de l'ampleur puisqu'elles offrent « un espace rassurant, stable et permanent, partagé collectivement, où une parole sur l'invincible va pouvoir exister et où l'individu va pouvoir se sentir vivre, malgré sa souffrance, par l'action de s'exprimer » (ibid., p.773). D'une certaine manière, l'Eglise reprend le rôle du village qui prenait en charge les personnes malades, comme on l'entendait avant le phénomène d'urbanisation. De plus, il parait important d'accueillir les individus dans un cadre d'entraide et de réflexion, où le discours est rassurant. En effet, Dieu peut apporter la guérison et le salut, là ou la médecine traditionnelle et/ou occidentale ont échoué. Les individus reprennent alors espoir et trouve la force de persévérer. Ainsi, comme l'écrit Mboussou & all. (2009, p.773), les Eglises sont alors de « véritables refuges contre tout ce qui trouble la quiétude des hommes, les nouvelles églises se substituent progressivement à nos communautés villageoises pour devenir des partenaires privilégiés du nouvel équilibre social€ ; elles canalisent, indéniablement, une grande part de la misère humaine, allant même pour certaines d'entre elles, à transformer leurs lieux de culte en lieux de soin ».

Dans leur enquête de terrain sur les itinéraires thérapeutiques, Lallemant, Jourdain et Gruenais (1988) ont visité des centres de soin religieux, provenant pour la plupart des mouvements pentecôtistes. Selon les auteurs, ces dernières sont plus fermées et difficiles d'accès. Elles existent au coeur de la ville de Brazzaville mais se font discrètes. Ces sectes sont très hiérarchisées, avec en haut de l'échelle le Pasteur qui gère la communauté. Les patients peuvent être reçus le jour et la nuit, selon les besoins de chacun, accueillis par une équipe toujours présente. Les patients sont invités à prier afin de parvenir au désenvoûtement et à la disparition des différents symptômes. Ils peuvent être aidés par le pasteur au cours des consultations. Ces dernières sont organisées autour de prières, de récits sur les plaintes amenées par les patients, de chants et d'interrogations directives par les membres de l'équipe. Il y a aussi des moments de divination pendant lesquels les individus recherchent la cause de la maladie.

Certains malades sont également invités à rester sur le lieu de culte et participer aux différentes activités, afin de favoriser la guérison. Les auteurs décrivent de nombreuses séances de prières, tout au long de la journée, mais également au cours de la nuit. Par

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exemple, entre 20 heures et 6 heures du matin, des séances de prières sont organisées toutes les deux heures.

Cependant, certains reportages ou documentaires nous montre une réalité tout autre. Une réalité difficile où les personnes présentant des troubles mentaux sont exclues de la société. Benedict Carey (2015)48, journaliste pour le The New York Times, a consacré un reportage sur la prise en charge des malades mentaux en Afrique de l'Ouest. Ce journaliste témoigne de scènes difficiles à croire :

« The church grounds here sprawled through a strange, dreamlike forest. More than 150 men and women were chained by the ankle to a tree or concrete block, a short walk from the central place of worship. »

Benedict Carey, 2015, p.A1

L'auteur précise que dans ces pays où la maladie mentale est peu connue, les chaines peuvent être une solution pour les familles confrontées au désespoir face à la perte de contrôle des personnes atteintes de troubles. Le reportage photo d'Alexis Duclos (2012)49, nommé « Les enchaînés », fait froid dans le dos. Malgré des images magnifiques, elles traduisent la souffrance et le désespoir de ces personnes qui se sont un jour retrouvées attachées à un tronc d'arbre suite à des troubles mentaux.

Ces derniers sont donc rassemblés dans des centres de prières, comme l'un de ceux que B. Carey (2015) a visité au Togo appelé « Jesus Is the Solution ». La vie quotidienne est rythmée par les prières faites pour Dieu afin d'éloigner les mauvais esprits qui se sont abattus sur eux et par la visite de la famille. En effet, cette dernière est responsable du malade et doit lui fournir une chaine à son arrivée et bien souvent une paillasse, ainsi que de la nourriture et les soins primaires tel que vider le « pot de chambre » et la toilette. La durée des séjours varie d'un individu à l'autre. Si la situation s'améliore, c'est-à-dire que l'individu est attentif et capable de penser clairement, la décision est prise de relâcher la personne afin qu'il rentre chez lui. Dans le cas contraire, les pasteurs présents dans ces camps de prières continuent et intensifient ces dernières afin qu'une solution se présente à eux. Et si cela ne change rien, à un moment donné, la famille reprend dans le foyer la personne atteinte de troubles mentaux et cherche un autre moyen afin de traiter les difficultés. Il est important de noter que dans ces

48 Carey, B. (2015, 12 octobre). The Chains of Mental Illness in West Africa, The New York Times, p.A1

49 Duclos, A. (2012). Les enchaînés. Reportage photo, Côte d'Ivoire. http://www.alexisduclos.com/

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centres aucune personne qualifiée en médecine ou en psychiatrie ne travaille et que toutes les décisions reviennent au pasteur et à ses assistants.

Il est intéressant de noter également que la majorité des personnes présentent ont déjà eu recours aux traitements traditionnels, tel que les tradithérapeutes, les herbes et les drogues, et que ces derniers ont échoué comme en témoigne Carey (2015).

Toutes les sociétés rencontrent des difficultés concernant la prise en charge des malades mentaux, et l'Afrique tout particulièrement puisqu'elle est confrontée à un manque de moyen. Dans les pays d'Afrique de l'Ouest ou l'offre psychiatrique est presque inexistante, les chaines proposées par ces centres de prières représentent alors le dernier recours que la famille peut avoir lorsqu'elle ne parvient plus à contrôler le malade mental. Etant donné que la religion joue un rôle important dans cette partie du monde, ces camps de prière connaissent une certaine reconnaissance. D'autant plus, que selon l'article du The New York Time (2015) les pasteurs prêchent, qu'à travers eux, Dieu dans sa toute puissance est en mesure de guérir tous les maux et les symptômes, et que cela est d'autant plus vrai€ pour les maladies psychiatriques qui relèvent de la spiritualité d'une certaine manière.

Cette pratique est présente dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest comme l'évoque B. Carey (2015) qui témoigne de fait similaire au Ghana par exemple. Ces pays partagent une culture traditionnelle africaine, toute différente bien entendu mais avec des similitudes, ce qui peut nous laisser penser que ces centres de prières sont présents au Congo-Brazzaville également. Cependant, je n'ai pas eu l'occasion de constater une telle pratique au cours de mon séjour brazzavillois.

Il est donc difficile d'estimer exactement le nombre de malades mentaux en Afrique aujourd'hui puisqu'une partie d'entre eux est enchainée au fond des forêts dans des centres de prières, ou plus simplement enfermée au fond des parcelles familiales.

A l'heure actuelle, l'individu est alors confronté à un choix lorsqu'il entre dans un circuit thérapeutique. En effet, il peut avoir recours à un tradipraticien comme nous l'avons vu, à des séances de guérison par la prière dans des centres religieux comme nous venons de le voir ou encore se présenter dans des dispensaires afin de profiter de soins médicaux et/ou psychiatriques. Il n'est d'ailleurs pas rare que les malades aient recours à ces différents moyens en parallèle les uns des autres.

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Lors de l'entretien avec le docteur Paul Gandou, psychiatre à l'hôpital psychiatrique de Brazzaville, ce dernier nous avait parlé du renversement progressif de l'itinéraire thérapeutique commun à de nombreux patients. En effet, pendant les années 1980, les malades et leurs familles avaient tendance à se diriger vers le tradithérapeute, puis le pasteur et enfin vers la sphère psychiatrique en tout dernier recours. Cependant, il témoigne d'une modification progressive de l'itinéraire thérapeutique depuis le début des années 2000. L'expansion des mouvements religieux répondant à certaines attentes de la population a créé un retournement. De ce fait, les individus auraient tendance à consulter le pasteur en premier afin de faire disparaître les symptômes présents, selon le docteur Paul Gandou. Cependant, la sphère psychiatrique, avec l'augmentation du personnel soignant compétant et le développement des connaissances, prend de plus en plus de place au sein des itinéraires thérapeutiques empruntés par les malades comme nous allons le voir dans la partie suivante.

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"