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Quelle place pour la psychologie dans une culture traditionnelle africaine ?

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par Manon Le Flour
Institut Catholique de Paris - DU Solidarités Internationales : action solidaire et dialogue interculturel 2016
  

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2. Les théories utilisées et leur adaptabilité

La psychologie est une science qui existe depuis de nombreuses années. Au début elle était dans les traces de la philosophie et ce n'est qu'au XIXème siècle qu'elle va prendre son envol et se développer en Europe. Très vite de nombreux courants se développent, avec chacun leurs particularités et leurs méthodes afin de parvenir à un bien être psychique. Il y a souvent conflit entre les pères fondateurs de chacun de ses courants, chacun voulant être à l'origine de la méthode miracle.

Comme nous allons le voir, tous ces courants prennent naissance en Europe, voir aux Etats-Unis, dans des pays dits occidentaux. En France, l'université et l'Ecole de Psychologues Praticiens nous forment sur ces modèles théoriques qui ont vu le jour dans la même culture que nous. Pendant les cinq années de formation, nous apprenons les théories, les concepts et les méthodes. Puis pour la plupart d'entre nous, nous débutons notre vie professionnelle en nous appuyant sur un courant particulier en fonction de nos affinités et nous évoluons dans notre culture tout au long de notre carrière. Puis pour d'autres, l'envie d'aller voir ailleurs prends le dessus, puis l'envie de travailler et d'utiliser ses compétences afin d'aider des populations vulnérables également. Je me reconnais dans cette seconde catégorie et c'est pour cela que j'ai fait le choix d'entreprendre ce Service Civique à l'international. Cependant, ce choix de pratiquer la psychologie dans une tout autre culture a été accompagné de nombreux questionnements qui sont à l'origine de ce mémoire. En effet, je me demande alors de quelle manière les théories et méthodes apprises sont adaptées à une pratique dans une culture traditionnelle africaine.

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N'étant moi-même pas réellement sûre du courant de pensée qui me plait le plus, pensant qu'il y a du bon dans chacun d'entre eux selon la demande et les symptômes, j'étais un peu perdue à mon arrivée. Première expérience professionnelle en tant que psychologue, pays à la culture complètement différente de la mienne, première expérience humanitaire et premiers étonnements. En effet, tout ce qui m'avait été enseigné à l'école était remis en cause. Le cadre, concept tellement important en psychologie, était complètement déstructuré. Je suis très rapidement confrontée à cette notion du temps élastique caractéristique de l'Afrique, et également au concept d'efficacité. Au Congo-Brazzaville on prend le temps, le temps pour tout, laissant de côté le rendement. La question de l'argent m'étonne également. A mon sens, l'argent représente quelque chose dans la relation thérapeutique, il joue un rôle symbolique. L'acte de payer le thérapeute est important. Cependant, dans le projet dans lequel j'interviens, c'est le psychologue qui donne de l'argent pour le transport, ce qui permet aux malades de se déplacer en consultation. Une fois de plus je me retrouve décontenancée et toutes mes connaissances théoriques s'en trouvent remises en cause.

Le cadre est donc mis à rude épreuve mais pas seulement. La majorité de mon temps d'activité est consacré au suivi thérapeutique des patients et au réapprovisionnement des médicaments luttant contre le VIH. Les notions de base de l'entretien thérapeutique sont elles aussi différentes, voire inexistantes. En effet, les trois principes fondamentaux de l'entretien thérapeutique sont l'empathie, la neutralité bienveillante et la confidentialité. Très rapidement j'ai constaté que ces principes, essentiels à la création et la mise en place de l'alliance thérapeutique, n'étaient que très rarement respectés. Bien entendu, il est possible d'observer de l'empathie chez le personnel soignant, d'autant plus que ces derniers sont recrutés en partie en raison de leur sérologie positive. Mais en règle général, les bureaux de consultation sont comme des moulins, où chacun vient dire bonjour, s'asseoir auprès des patients, écouter et même prendre part à la consultation sans s'assurer auparavant de la possibilité de le faire ! Il m'a alors été très difficile d'assurer une consultation avec autant d'oreilles, d'yeux et de va et vient autour de moi, ce qui stoppait le processus thérapeutique dans la plupart des cas.

Je me suis sentie perdue, ne sachant pas vraiment par où commencer et me demandant quelle était ma légitimité de modifier cette organisation. Bien entendu il s'agissait de trouver un compromis entre mes connaissances théoriques et universitaires et la pratique la plus adaptée à la culture dans laquelle j'évoluais. Afin de trouver des réponses à mes questions, j'ai rencontré rapidement le docteur Paul Gandou, psychiatre à l'hôpital psychiatrique de Brazzaville afin qu'il me donne des clefs pour mieux comprendre les situations auxquelles

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j'étais confrontée quotidiennement. Le premier entretien que nous avons eu en octobre 2015 m'a permis d'appréhender les choses différemment afin de mieux adapter ma pratique aux conditions réelles et à la culture congolaise. J'ai à nouveau rencontré le docteur Paul Gandou à la fin de ma mission, ainsi que les psychologues Raymond Sita et Michel N'Zalamou avec lesquels j'ai pu discuter des différents courants et de leurs pratiques en République du Congo.

Dans un premier temps nous évoquerons le courant de la psychologie dynamique, proche de la psychanalyse, et qui est également le courant principal de l'école dans laquelle j'ai été formée. Le père fondateur est le célèbre autrichien Sigmund Freud. Ce courant s'appuie sur la structuration de la personne en trois instances : le Ca, le Surmoi et le Moi dont parlait Carrino (2006) dans son article. L'être humain se développe grâce aux pulsions d'autoconservation et sexuelles et grandit en passant par les différentes étapes du développement libidinal. Tout symptôme présent à l'âge adulte trouve son origine dans l'enfance de l'individu. Docteur Gandou fait la différence entre la théorie d'origine analytique et la psychanalyse. Selon lui, la psychanalyse à proprement parler n'a pas réellement sa place dans la culture congolaise. Il y a d'ailleurs très peu de psychanalyste au Congo-Brazzaville et je n'ai rencontré qu'un seul spécialiste évoquant Sigmund Freud dans son discours. En revanche, les théories analytiques peuvent avoir du sens dans les cultures africaines. En effet, il évoque le concept du mari de nuit dont il m'a parlé à plusieurs reprises. Ce concept est présent quand la personne, le plus souvent une femme, rêve à des relations sexuelles avec une personne inconnue ou connue qu'elle appellera le mari de nuit. Ce rêve est alors perçu comme un événement mystique ou le mari de nuit représente le mal et l'envoûtement. Dans un premier temps, la personne va se diriger vers l'Eglise afin de rompre l'envoûtement. Mais très souvent, ce dernier en accusant un membre de la famille, va renforcer l'élément négatif faisant que les rêves vont persister. C'est là que les théories analytiques, et plus particulièrement les méthodes d'analyse de rêve, entrent en jeu et peuvent avoir du sens au sein de la culture congolaise.

Proche de ce courant, il y a la psychologie clinique, qui est largement pratiquée en République du Congo. En effet, depuis peu, cette spécialité de la psychologie est enseignée à l'université de Brazzaville, formant dorénavant des psychologues cliniciens.

Le second courant important est la psychologie systémique et familiale, qui est celle que je pensais retrouver en Afrique. L'individu est pris en compte dans son entourage, dans le groupe auquel il appartient. L'école de Palo-Alto utilise essentiellement les concepts de rétroaction et de feedback. Le postulat de base est que tout comportement de l'un rétroagit sur

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l'autre qui rétroagit à son tour. La famille est alors considérée comme un système au sein duquel existent des règles explicites et implicites. Ce système est lui-même intégré dans un environnement sociologique avec lesquels il y a des interactions. Afin de comprendre les comportements, il est essentiel de connaître le contexte c'est-à-dire l'ensemble des éléments qui affectent le système. Il est impossible de comprendre un comportement sans connaître le système dans lequel il est produit. Etant donné que la communauté et le groupe sont très importants dans les cultures traditionnelles africaines comme nous l'avons vu, je pensais que ce courant serait plus présent au Congo-Brazzaville. Le docteur Paul Gandou nous explique pourquoi ces méthodes sont peu pratiquées. P. Gandou rejoint l'idée que la théorie systémique est peut être la théorie la plus adaptée mais elle est difficile à mettre en place. En effet, comme la famille en Afrique correspond à la famille au sens large, réunir tout le monde à la même heure et au même endroit représente une charge de travail conséquente et une organisation difficile.

Le dernier courant est celui qui est utilisé quotidiennement par le psychiatre Paul Gandou dans sa pratique, mais également pas Michel N'Zalamou. C'est le courant des thérapies cognitivo comportementales (TCC) qui s'appuie sur la psychologie cognitive et scientifique. Le postulat est que tout comportement est créé par un conditionnement, comme l'explique l'expérience de Pavlov. Des fois, certains conditionnements peuvent être inadaptés, entrainant un comportement inadapté pouvant également être appelé symptôme. Le but des TCC va alors être de rationnaliser ce comportement inadapté en changeant les perceptions de l'individu afin qu'il corrige sa conduite. Cette pratique prend alors tout son sens dans la culture africaine qui s'articule autour de la sorcellerie comme nous l'avons vu. Ainsi, selon Paul Gandou, la prise en charge doit s'appuyer sur les perceptions de l'individu. Sa pratique est associée avec des exercices de relaxation afin de diminuer les tensions internes.

Les TCC ont également développé des méthodes pour gérer le stress post-traumatique que nous retrouvons de plus ne plus dans les pays en crise. En effet, suite à des conflits armés ou à des catastrophes naturelles, certaines ONG ont mis en place les techniques de soins des troubles de stress post-traumatique, comme le débriefing, afin d'apporter de l'aide aux populations locales et vulnérables. C'est le cas à Brazzaville, ou le Centre National de Traitement des Traumatismes Psychiques a été mis en place à la suite des guerres civiles des années 1990. L'initiative est partie de l'UNICEF, ONG internationale reconnue et agissant au Congo-Brazzaville depuis plusieurs années, qui a fait venir un psychiatre du Sénégal pour former les équipes sur place à cette dimension. C'est réellement après la catastrophe du 04

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mars 2012, lors de l'explosion d'un dépôt d'armes à Mpila qui a fait plus de 200 morts, que ce centre de traitement a pris de l'ampleur au sein de la communauté de psychologues brazzavillois.

Parler de psychologie dans les cultures traditionnelles africaines sans évoquer la psychologie interculturelle et plus particulièrement l'éthnopsychiatrie est impossible. L'éthnopsychiatrie a été fondé par Tobie Nathan qui a débuté la prise en charge des patients migrants à la fin des années 1970. Selon Lauriane Courbin (2010, p.240)55, « ce qui fait la spécificité de l'ethnopsychiatrie, c'est qu'elle est une discipline qui contraint à la rencontre, parce qu'elle se contraint elle-même à la rencontre, si l'on entend par « rencontre » le type de mise en rapport que requiert la singularité d'une situation ». Cependant, ce courant est sujet à des critiques par rapport aux méthodes utilisées. L'éthnopsychiatrie est alors un courant hybride entre l'anthropologie et la psychiatrie afin de répondre aux problématiques des personnes ayant évolué dans des cultures différentes. En France, selon son fondateur, « l'ethnopsychiatrie s'est avant tout développée de manière clinique et plutôt en direction de la psychothérapie » (Tobie Nathan, 2000, p.137)56.

Tobie Nathan (2000) ne cesse de développer son approche et continue de développer de nouveaux paradigmes comme il l'explique dans son article. Il cherche alors à prendre de la distance avec les démarches néo-colonialistes et se base sur la mondialisation afin de proposer de nouvelles bases théoriques s'articulant sur trois points. Tout d'abord, il ne faut pas disqualifier les psychopathologies locales et les respecter. Puis, il propose de mettre en valeur les implicites théoriques des pratiques traditionnelles. Enfin, le troisième point est l'importance de montrer que ces pratiques locales peuvent elles aussi donner des solutions aux problèmes rencontrés par tous les thérapeutes. Tobie Nathan (2000, p.139) précise tout de même que « cette tentative, certes ambitieuse, n'est possible que si l'on considère sur le même plan - c'est-à-dire avec un égal respect - les thérapeutes occidentaux et les guérisseurs locaux ». Ainsi, l'ethnopsychiatrie a réussi à s'éloigner des modèles coloniaux à travers les expériences originales qu'elle traverse.

Comme nous avons pu le voir, même si la plupart des approches en psychologie ont vu le jour dans les sociétés dites occidentales, il est possible de les adapter à d'autres cultures. Le

55 Courbin, L & al. (2010). « Philosophie et ethnopsychiatrie : rencontre avec une pensée fabricatrice », Cliniques méditerranéennes, 2010/1 (n°81), p.239-258

56 Nathan, T. (2000). « Psychothérapie et politique. Les enjeux théoriques, institutionnels et politiques de l'ethnopsychiatrie », Genèses, 2000/1 (n°38), p.136-159

psychiatre Paul Gandou partage également cet avis. Ce qu'il faut retenir c'est l'importance de rencontrer l'autre, de prendre en compte ses représentations avant les siennes. Cela me rappelle la phrase de Jean Vanier qui avait marqué un bon nombre d'entre nous lors de la formation :

« Tu as toujours voulu me changer mais jamais me rencontrer ».

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire