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Quelle place pour la psychologie dans une culture traditionnelle africaine ?

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par Manon Le Flour
Institut Catholique de Paris - DU Solidarités Internationales : action solidaire et dialogue interculturel 2016
  

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3. Le concept de personnalité et l'identité congolaise

Le concept de culture est également au centre des recherches dans différentes sciences comme l'anthropologie, la sociologique, ou encore la psychologie. Cependant, les années 1930 vont marquer un tournant dans l'étude de la culture. Certains anthropologues vont alors chercher à se défaire de l'étude des cultures considérée comme abstraite et à se concentrer sur la manière dont les individus incorporent et vivent leur culture. Ils vont alors former l'école « culture et personnalité ». Comme le précise D. Cuche dans son ouvrage (2010, p.38) : « l'hypothèse [de ce courant théorique] étant précisément que chaque culture détermine un

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certain style de comportement commun à l'ensemble des individus participant d'une culture donnée ». De ce fait, la pensée majeure de ce courant est que ce sont les hommes qui vivent cette culture qui permette de la définir.

Ruth Benedict va essentiellement centrer son travail sur la définition des « types culturels » qui se retrouvent au sein d'un « arc culturel » qui inclus les différentes possibilités culturelles. De ce fait, la culture est définie par un certain modèle que Benedict va nommer pattern. C'est d'ailleurs grâce à son concept de pattern of culture qu'elle va devenir célèbre. La culture est alors homogène et cohérente, et non pas seulement une juxtaposition de traits culturels. Et c'est grâce à cette direction globale que la culture va pouvoir être définie, et non pas par la présence ou non de traits culturels.

En parallèle aux recherches de Benedict, Margaret Mead va essentiellement travailler sur les processus de transmission culturelle et de socialisation. Pour cela, elle étudie alors les modèles d'éducations afin de comprendre de quelle manière la culture s'inscrit chez l'individu, pouvant alors expliquer la personnalité de ce dernier. Ainsi, comme le résume D. Cuche dans son ouvrage (2010, p.41), « la personnalité individuelle ne s'explique pas par des caractères biologiques (par exemple, ici, le sexe), mais par le « modèle » culturel particulier à une société donnée qui détermine l'éducation de l'enfant ». L'enfant, dès sa naissance va alors être confronté à des valeurs et des interdits formulés de manière explicite ou non qui vont l'amener a adopter de manière inconsciente un comportement considéré comme conforme aux principes fondamentaux de la culture dans laquelle il évolue.

La psychologie s'est elle aussi penché sur la question de la culture à travers ce courant théorique. Ralph Linton et Abram Kardiner ont souhaité se différencier des anthropologues en étudiant l'individu dans sa singularité. Pour eux, ainsi que pour ce courant de pensée, l'homme et la culture sont deux entités bel et bien différentes, tout en étant indissociables puisqu'elles agissent l'une sur l'autre. R. Linton mettra en avant le concept de « personnalité de base » qui est directement lié à la culture dans laquelle l'individu grandit. Selon lui, c'est le type de personnalité de base prédominant dans une culture qui la différencie des autres. Ainsi, l'individu au cours de ses expériences acquiert les valeurs et les fondements de sa culture à travers l'éducation transmise par les institutions primaires, soit la famille et l'école. Souhaitant un concept flexible et adapté, Linton avance que dans une même culture il peut y avoir plusieurs types de personnalité de base puisqu'il peut également y avoir plusieurs systèmes de valeurs.

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Enfin, ces auteurs vont également aborder la question de l'évolution des cultures. En effet, puisque l'individu qui intériorise sa culture à sa manière, et qu'il peut être créateur d'innovation, il peut alors amorcer un changement. C'est donc « l'accumulation des variations individuelles (d'intériorisation et de vécu) à partir du thème commun que constitue la personnalité de base permet [qui] d'expliquer l'évolution interne d'une culture qui se fait le plus souvent à un rythme lent » (Cuche, 2010, p.45).

Plusieurs groupes de recherche se sont penchés sur la définition du concept de « personne » et Gora Mbodj (1988, p.141)28 nous propose celui de l'université du Mirail à Toulouse qui définit la personne comme « l'être conscient de son existence, doué de raison, maître et responsable de ses actes ». De ce fait, l'individu a conscience d'exister et d'être différent des autres, mais a aussi besoin d'être en lien avec son entourage pour être, tout en étant un dans un espace temps et spatial donné.

Dans son ouvrage, C. Moukouta (2005) tente de définir l'archéologie de la personnalité congolaise. Il débute ce chapitre en précisant que « l'une des caractéristique de l'Afrique en général, du Congo en particulier est sa conception singulière de la notion de personne. En effet, attribuer à un individu la qualité de personne sous-entend reconnaître d'emblée l'existence d'un ordre de symboles, d'une logique de représentation qui lui assignent une reconnaissance juridique et morale à travers le rôle et la fonction qui l'occupe dans la société » (Moukouta, 2005, p.33). Cependant, pour cet auteur, il existe un écart entre le dualisme cartésien de Descartes présent dans les sociétés occidentales et le monisme proposé par Spinoza des sociétés traditionnelles africaines. En effet, l'articulation entre esprit et matière ne correspond pas aux organisations sociales observées sur le continent africain. En Afrique, l'individu ne se différencie par de son environnement, il est lié à son entourage, à son groupe. L'âme et le corps sont liés. Ainsi, « au Congo, comme partout en Afrique, l'être est indivisible voire insécable. C'est dans la dynamique de ses rapports à la fois avec le monde réel et le monde invisible que l'existence de l'être prend sens et corps » (Moukouta, 2005, p.34).

Comme nous l'avons vu précédemment, la communauté joue un rôle essentiel dans l'organisation de la société africaine et cela va jusque dans l'achèvement du Moi de la personne. Nous pouvons dire que l'unité personnelle existe, mais elle englobe le groupe qui

28 Mbodj, G. (1988). « Modèle(s) théorique(s) et développement de la personne chez les Wolofs du Sénégal ». Regards sur la personne. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail

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entoure l'individu. L'autorité de la tribu, le plus souvent exercé par l'oncle maternel, est le garant du respect des lois et de la mémoire collective. Face à lui, il n'y a pas de notions de volonté et de liberté individuelle dans les sociétés africaines.

Comme nous l'avons vu précédemment, dans les cultures traditionnelles africaines, la société privilégie la transmission orale pour transmettre la culture de la communauté. De ce fait, nous pouvons dire qu'il existe un lien entre la culture, la langue et le langage. D. Cuche (2010) consacre dans son ouvrage un encadré sur le rapport entre ces trois entités. Il est essentiel pour le chercheur d'étudier la langue puisque c'est un fait culturel à part entière. Il évoque alors les travaux de l'analyse structurale en linguistique qui précise le lien complexe entre ces deux concepts. En effet, le langage est un produit de la culture qui est transmit de génération en génération, mais il est aussi une condition de la culture puisque c'est via ce langage que l'individu va acquérir sa culture. La langue est donc le ciment de la culture, et cela est d'autant plus vrai en Afrique.

L'Afrique est caractérisée par sa diversité linguistique avec l'existence de nombreux dialectes. En République du Congo, en raison du nombre important d'ethnies différentes, il est d'ailleurs difficile de tous les compter. Cependant, il est intéressant de noter que peu de pays africain ont conservé une langue nationale comme langue officielle ou co-officiel comme le précise M. Tchindjand & all. (2008). C'est le cas du Congo-Brazzaville puisque la langue officielle est le français. En effet, la majorité des pays africains ont choisi comme langue principale celle issue des longues années de colonisation.

Cependant, en République du Congo, nous avons pu observer que ce sont les dialectes nationaux qui sont principalement utilisés dans la vie quotidienne. D'ailleurs, il est intéressant de noter que le lingala et le kituba sont deux dialectes qui sont considérés comme les langues nationales véhiculaires dans le pays. Ces deux dialectes sont largement répandus au Congo-Brazzaville, mais il est possible de noter des différences en fonction des régions du pays, voir même des quartiers. En effet, le kituba est essentiellement parlé dans le sud du pays, à Pointe-Noire par exemple, alors qu'il sera plus rare à Brazzaville. Dans la capitale, il est plus courant de rencontrer une population qui parle le lingala, surtout dans les quartiers situés au nord de la ville. En revanche, la population vivant dans les quartiers sud, comme le quartier de Bacongo, utilise plus facilement un autre dialecte appelé lari qui se différencie du lingala dans sa construction et son vocabulaire.

La langue est importante puisqu'elle est le vecteur essentiel de la culture et qu'elle permet à l'individu de communiquer avec son entourage mais aussi parce qu'elle permet de marquer

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l'appartenance au groupe, à la communauté et même à l'ethnie. Ce sont les parents qui choisissent la langue qu'ils vont transmettre à leurs enfants, signifiant alors qu'ils appartiennent à la communauté dans laquelle ils évoluent.

Nous avons donc vu que la personnalité de l'individu se construit au fur et à mesure de ses expériences au sein d'une communauté, mais aussi que le langage est une des dimensions de l'identité de l'individu puisqu'il partage un socle commun avec son groupe lui permettant de partager et de communiquer.

L'identité de la personne est donc formée à travers de nombreuses dimensions et nous pouvons dire que le prénom en est une composante essentielle. En Afrique, c'est la reconnaissance du groupe, à travers les rites d'initiation, qui va valoriser la naissance biologique de l'individu, comme nous l'apprend C. Moukouta (2005). De ce fait, l'acte de nommer un individu, qui est alors du premier stade d'initiation, va permettre à l'individu de prendre toute son essence. En effet, il existe de nombreuses études cliniques menées en psychologie cherchant à démontrer le lien de corrélation entre prénom, identité et personnalité. Ainsi, comme l'écrivent Nicolas Guéguen & all. (2005, p.33)29 dans son article, le prénom est un « élément intrinsèque du soi privé et social, a une incidence sur les individus et il participe aux interactions sociales et à l'évaluation d'autrui ». Le choix du prénom dépend directement de celui des futurs parents qui vont se mettre d'accord, mais ce dernier semble directement influencé par la culture dans laquelle les parents évoluent.

Dans son article, N.Guéguen & all. (2005) exposent plusieurs études qui ont permis de démontrer un lien entre le prénom que l'individu porte, l'image de soi qui pourrait être influencé par ce dernier, mais aussi avec la personnalité de la personne. Les résultats des recherches montrent que le prénom est donc une composante de la personnalité de l'individu, et donc de son identité. Le prénom est la représentation du projet familial mais aussi social comme l'expose Jean-Gabriel Offroy (2001)30 dans son article. Il fait alors référence à plusieurs types de prénoms que nous pouvons retrouver dans la culture congolaise par exemple. Tout d'abord, il évoque « le prénom sacré », c'est-à-dire un prénom qui a déjà été porté par un ainé, vivant ou décédé. Selon l'auteur, par ce processus, les parents cherchent à

29 Guéguen, N. & all. (2005). « Le prénom : un élément de l'identité participant à l'évaluation de soi et d'autrui ». Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2005/1 (n°65), p.33-44

30 Offroy, J-G. (2001). « Prénom et identité sociale. Du projet social et familial au projet parental ». Spirale, 2001/3 (n°19), p.83-99

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conserver les âmes qui détiennent le potentiel productif du groupe. Le second type de prénom est celui qu'il a appelé « le prénom et l'héritage ». Ce dernier englobe les règles de prénomination qui sont liées aux stratégies familiales et le prénom joue un rôle économique. Le troisième type des prénoms est « le prénom et le projet familial » et correspond au droit d'ainesse répandu dans de nombreuses cultures. La transmission des prénoms est essentiellement lié à l'ordre de naisse et au sexe. Dans ce cadre, le prénom est révélateur du projet familial détenu par les parents et la famille. Enfin, il y a « le prénom qui situe dans un ordre social » très souvent présent dans les cultures traditionnelles, et particulièrement celle où le mythe est important. Dans ce cas, le prénom renvoi de nombreuses informations comme le statut social. Il permet de positionner l'individu à l'intérieur de sa famille, mais également au sein de la communauté. « Il fixe le destin, le statut, la « condition », comme on disait autrefois » (Offroy, 2001, p.88).

Le prénom peut alors jouer sur deux dimensions que J-G. Offroy (2001) va distinguer dans son article. Sur un niveau collectif, le prénom, et plus précisément sa répétition, va mettre en avant la volonté du groupe à se perpétuer. En revanche, sur un niveau individuel, le prénom est le symbole du désir parental de se réaliser à travers l'enfant.

Le prénom joue donc un rôle important dans la construction de l'identité de l'individu et semble pouvoir influencer l'individu au cours de sa vie. De ce fait, le nom que l'individu donne à son enfant n'est que rarement le fruit du hasard, et ce particulièrement en Afrique. Comme l'écrit M. Tchindjand & all. (2008, p.49) : « si le nom donné à un enfant à sa naissance est lié aux mutations politiques et sociales dues aux guerres que les régions, les clans ou les tribus ont connues, il révèle aussi les espérances et les projets d'avenir en même temps que les craintes, les appréhensions à conjurer ». Le prénom est alors un réel indicateur permettant de connaître l'origine ethnique dans le cas des prénoms traditionnels, ou encore l'appartenance religieuse. Cela est vrai en République du Congo. En effet, il n'est pas rare de rencontrer des individus qui ont des prénoms que nous pouvons considérer comme hors du commun. Il est impossible de compter le nombre de Dieu-veille, Dieudonné et Dieu-béni rencontré au cours de l'année.

Le prénom peut également raconter les circonstances de sa naissance comme témoigne R. Kapuoeciñski (1998) dans son ouvrage sur ses aventures africaines :

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« Dans de nombreuses communautés africaines, les noms que l'on donne aux enfants sont en rapport avec des événement du jour de leur naissance. [É].

Jadis, dans les régions où le christianisme et l'islam n'étaient pas encore bien implantés, la richesse des prénoms donnés aux hommes était infinie. C'est là que s'exprimait la poésie des adultes. Ils donnaient à leurs enfants des noms comme « Matin agile » (si l'enfant était né à l'aube) ou « Ombre d'Acacia » (s'il était né sous un acacia). Dans les sociétés ignorant l'écriture, les noms perpétuaient les évènements les plus importants de l'histoire ancienne ou actuelle. Si un enfant naissait au moment de la proclamation de l'indépendance du Tanganyika, on le baptisait « Indépendence » (en swahili Uhuru). Si les parents étaient des inconditionnels du président Nyerere, ils appelaient leur enfant Nyerere. »

Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.362

En revanche, de nos jours, les prénoms africains disparaissent petit à petit pour laisser place à des prénoms plus courants dans les sociétés occidentales. Selon M. Tchindjand & all. (2008), l'attribution du nom est actuellement influencé par trois facteurs : la mobilité des populations, le déracinement culturel (ou le nouvelle enracinement), ou encore l'assimilation culturelle. De ce fait, de nos jours, il n'est pas rare de rencontrer des prénoms de nos stars et héros occidentaux lorsque nous nous promenons en Afrique. Cependant, il est important de noter que tous ces prénoms et noms qui disparaissent au profit des prénoms occidentaux c'est avant tout du patrimoine immatériel qui se perd.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle