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Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.

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par Myriam ARFAOUI
Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015
  

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II. La conflictualité sahélo-saharienne et le détonateur malien.

Le Sahel-Sahara est affecté par une multitude de conflits multiformes, transfrontaliers, voire interdépendants : « Coups d'Etat militaires, mouvements de contestation, révoltes et révolutions, insurrections ; depuis le début du XXIème siècle, des crises multiformes remodèlent le paysage politique des pays du Maghreb et du Sahel ainsi que leurs relations géopolitiques »505. L'instabilité politique, économique, et sociale des Etats sahéliens entérine la conflictualité d'une région qui s'adapte difficilement à la modernité. Et, cette même réalité profite à une multitude de groupes et groupuscules qui émergent, s'affranchissent, et entrent dans une dialectique d'opposition à l'Etat ; «Entre 1990 et 2013, pas moins de 31 groupes non étatiques sont à un moment ou un autre, opposés aux Etats saharo-sahéliens »506. Dans cet espace fissuré, Al-Qaïda, comme un fluide, se déverse et comble les trous laissés par l'insécurité (1).

« En kidnappant une trentaine de touristes occidentaux dans le désert algérien en 2003, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) - devenu Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en 2007 - marque le début d'une période d'instabilité exceptionnelle dans l'histoire récente des espaces saharo-sahéliens. Jamais encore depuis les indépendances, le Sahara et le Sahel n'ont été affectés par une insécurité aussi généralisée et violente. »507

Le Mali, considéré jusqu'alors comme un modèle de démocratie508, se transforme en aimant belligène : le coup d'Etat de 2012, qui fait écho à la rébellion touareg, transforme ce pays en plaie ouverte. Infectée par plusieurs éléments parasites, l'Azawad se fait instantanément le lieu de concentration de la conflictualité sahélo-saharienne (2).

« Moins localisées et souvent transfrontalières, les crises contemporaines nécessitent de nouvelles réponses institutionnelles. Le conflit malien illustre ces complexités où se mêlent rébellions indépendantistes, extrémisme religieux et trafics

505OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.180 506Ibid., p.177 507Ibid., p.176 508CUTTIER, Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », op. cit., p.11

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1. La construction bottom-up de la conflictualité : du GSPC à AQMI, une stratégie de la représentation.

AQMI naît d'une transformation par le bas de groupes armés islamistes algériens. Cette branche d'Al-Qaïda pour le Sahel-Sahara est le résultat d'un long processus conclu en 2007 par l'allégeance d'Abdelmalek Droukdal à Oussama Ben Laden. Son intégration à Al-Qaïda nécessite « une réévaluation complète des méthodes de guerre du GSPC »509, un changement d'idéologie, et un élargissement de sa zone d'action (1). Or, cette transformation n'a pas été une transplantation mimétique de la nébuleuse globale ; ses traditions locales, bien qu'adaptées, résistent, et s'expriment par le maintien de modes d'action et de finalités propres, traduit par la multiplication de dissidences. Ainsi, lorsque le conflit éclate au Mali en 2012, AQMI s'insère dans cette brèche ouverte, et contribue à la concentration de velléités géopolitiques momentanément combinées (2).

509SAMBE, Bakary, « Crise malienne : origines, développements et répercussion dans la sous-région », Konrad Adenauer Stiftung, [En Ligne], PDF

URL : http://www.kas.de/wf/doc/kas_33096-1522-3-30.pdf?121213171402

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A. La métamorphose du GSPC algérien : une matrice idéologique importée.

En 1991, les élections législatives remportées par le Front Islamique du Salut (FIS) sont annulées, ce qui déclenche une guerre civile entre plusieurs factions islamistes : le Groupe Islamique Armé (GIA) crée en 1992, l'Armée Islamique du Salut (AIS), créée en 1994, et le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) crée en 1998, contre l'Armée Nationale Populaire (ANP)510. De 1994 à 1999 le gouvernement algérien crée des milices patriotes pour lutter contre les militants fondamentalistes. Les membres du FIS et des groupes armés islamistes sont emprisonnés dans des camps au sud du pays. Le soutien des populations au gouvernement déclenche un cycle de violence punitive, en 1996, 1997, 1998, et jusqu'en 2002 de manière plus sporadique511.

Le GIA est formé d'un conglomérat de milices salafistes de la région d'Alger, dont la violence est exprimée par son slogan : « Du sang, du sang, de la destruction, de la destruction. Ni trêve, ni dialogue, ni réconciliation ! »512. Le groupe est composé de deux tendances : les djazaristes (jezeïr veut dire Algérie en arabe) qui veulent imposer l'Etat islamique en Algérie ; les salafistes qui ont des visées mondiales. Il se caractérise par une violence poussée à son paroxysme durant la guerre civile algérienne.

« Dès 1994, Djamel Zitouni prend le contrôle du GIA qui connaît sous son émirat une radicalisation sans précédent. Zitouni décrète le principe de la guerre totale. Il s'agit pour lui non seulement de détruire le régime mais aussi de s'attaquer à l'ensemble des groupes sociaux susceptibles de soutenir le pouvoir algérien. »513

Antar Zourabi, chef du GIA en 1996, édicte une fatwa d'apostasie collective à l'égard de tout Algérien qui refuserait de se battre contre le pouvoir514 - il légitime ainsi la violence faite aux civils ; « cette stratégie extrême provoque de graves dissensions au sein du groupe »515, qui finit par disparaître en 2002.

510BALANCIE, Jean-Marc, DE LA GRANGE, Arnaud (dir.), Les Nouveaux mondes rebelles, conflits,

terrorismes, et contestations, op. cit., p.103 511Ibid.

512CARMARANS, Christophe, « Mali : les principaux acteurs de la crise », Jeune Afrique, [En Ligne], décembre

2012

URL : http://www.rfi.fr/afrique/20121212-mali-reperes-principaux-acteurs-crise-/

DURAND, 513Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., 2011, p.18

514OUAZANI, Cherif, « L'adieu aux larmes », Jeune Afrique, [En Ligne], janvier 2005

URL : http://www.jeuneafrique.com/Article/LIN16015ladiesemral0/

515DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.18

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Le GIA tente dans un premier temps de se rapprocher d'Al-Qaïda : « Il [Oussama Ben Laden] nous a même proposé de nous venir en aide et c'est pour cela que Djamel Zitouni m'a demandé de me rendre au Soudan en 1994 pour le rencontrer [...] Outre son aide financière, Ben Laden nous a aussi affecté plusieurs de ses éléments pour participer à l'action armée » 516. Mais les deux organisations connaissent des désaccords idéologiques ; la tradition malékite, l'islam confrérique, et le nationalisme algérien, sont réprouvés par Al-Qaïda :

« On retrouve de nombreuses références à ibn Taïmiyya, à Sayyid Qotb et au wahhabisme [dans le salafisme algérien]. Toutefois, le wahhabisme y est revisité par « les Oulémas » (les penseurs algériens classiques), dont ben Badis et ses compagnons qui, tout en préconisant un retour aux premières sources de l'islam, invitent les croyants à faire leur propre lecture des textes révélés. Les Oulémas s'inspirent également de l'islam confrérique très puissant au Maghreb, qui insuffle ainsi une dimension millénariste à leur doctrine politique. Enfin, même si les salafistes algériens rejettent le concept de nationalisme, ils se prévalent, ne serait-ce qu'inconsciemment, de la tradition nationaliste algérienne, puisqu'ils font régulièrement référence à la guerre de la libération algérienne et à la présence continue de la France en Algérie. »517

Le GSPC est une dissidence du GIA crée par Hassan Hattab518, opposant d'Antar Zourabi, en 1998519. Il est, dans les années qui suivent sa création, l'opposant principal de l'Etat algérien, lui refusant tout compromis. Sa stratégie se développe sur trois principes : « le principe d'allégeance articulé autour de la soumission dans le respect de la religion, le principe de communauté tendu vers le califat comme objectif politique et enfin, le principe de l'unité basé sur la notion de l'Umma comme justification de la lutte visant à créer une « Union du Maghreb Islamique » »520. Dans les années 1990 il réinvestit les réseaux du GIA521, et depuis Londres, Abu Qutada, un proche d'Oussama Ben Laden, contribue à l'intégrer à la mouvance d'Al-Qaïda522. Mais parallèlement, dans le maquis algérien ses membres se divisent et ont du mal à trouver une cohésion. Les attentats du 11 septembre 2001 donnent une

516 MOKEDDEM, Mohamed, Les Afghans algériens : de la Djamaa à Al-Qaïda, Alger, éditions ANEP, 2002, p.

59.

517LOUNNAS, Djallil, « AQMI, une filiale d'Al-Qaïda ou organisation algérienne ? », Centre d'études et de

recherche internationales, Université de Montréal, [En Ligne], PDF, p.43

URL : http://archives.cerium.ca/IMG/pdf/AQMI.pdf

518Nom de guerre : Abou Hamza

519BALANCIE, Jean-Marc, DE LA GRANGE, Arnaud (dir.), Les Nouveaux mondes rebelles, conflits,

terrorismes, et contestations, op. cit., p.103

520DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., pp.19-20

521Mokhtar Belmokhtar était l'émir de la région sahélienne du GIA, par exemple.

Ibid., p.19

522Ibid., p.20

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nouvelle impulsion à l'organisation ; Hassan Hattab profite des retombées médiatiques et de l'influence d'Al-Qaïda pour fomenter des attaques contre les convois algériens au Sahel-Sahara. Il annonce le 10 octobre 2002, « « l'état de l'union » après le ralliement de nouvelles zones à son groupe »523.

La guerre de 2003 en Irak divise le GSPC, entre les panislamistes d'Abdelmalek Droukdal524 qui « place au dessus de tout la « solidarité avec les frères en Islam »525, et les islamo-nationalistes d'Hassan Hattab qui « place au dessus de tout autre considération la lutte en Algérie pour imposer un Etat islamique »526. Cette dissidence vaut à Hassan Hattab sa position au sein du GSPC - il démissionne au profit de Nabil Sahraoui527.

« L'exclusion du courant des « exégètes » à la tête du GSPC, tel Hassan Hattab, émir de 1998 à 2003, et la montée des « opérationnels » tel l'émir Nabil Sahraoui à la tête de la mouvance à partir de juin 2003, ont marqué un tournant important dans l'évolution du mouvement salafiste armé en Algérie. »528

En 2004, Abdelmalek Droukdal prend la tête du GSPC, et modifie sa stratégie en l'adaptant notamment au modèle irakien « Al-Qaïda au Pays des deux Fleuves »529.

« Ancien chef de l'armement, Droukdal a formé la plupart des combattants du groupe à la fabrication d'explosifs, au maniement des charges et dispose d'un charisme incontesté au sein du groupe. Dès sa prise de fonction, il relance le ralliement des derniers mouvements réfugiés dans le maquis pour les unifier sous la bannière du GSPC. De même, il entreprend un rapprochement avec les autres groupes maghrébins et se lance à la reconquête de la jeunesse [...]. »530

Abdelmalek Droukdel veut se rapprocher d'Al-Qaïda, et le fait par deux moyens. En s'appuyant sur les Afghans algériens présents en Tchétchénie, il crée une relation amicale avec Abou Hafs, chef de file des combattants arabes de Tchétchénie, proche d'Oussama Ben Laden. Puis, grâce à Abou Moussab al-Zarkaoui, dont il admire le projet irakien, « qui, dès septembre 2005, recommande le rattachement du GSPC à Al-Qaïda »531.

523DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.22

524Nom de guerre : Abou Moussab Abdel Woudoud

525Ibid.

526Ibid.

527 Nom de guerre : Abou Ibrahim Mustapha

528BALANCIE, Jean-Marc, DE LA GRANGE, Arnaud (dir.), Les Nouveaux mondes rebelles, conflits,

terrorismes, et contestations, op. cit., p.103

529DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.24

530Ibid., pp.23-24

531Ibid., p.31

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Entre 2005 et 2006, le GSPC est mis à l'essai par les dirigeants d'Al-Qaïda. L'organisation se forme en interne pour répondre aux impératifs de la cellule mère : le groupe se restructure, renforce son discours panislamiste, adopte de nouveaux modes opératoires532. Sa stratégie médiatique est centralisée ; « en s'appuyant sur Internet, le GSPC parvient à réformer complètement sa communication et mène une propagande efficace en rendant accessible de nombreux documents, magazines, ou vidéos »533. Et « Finalement, en septembre 2006, al-Zawahiri confirme la place du GSPC dans l'orbite d'Al-Qaïda, tandis que Droukdal formalise son allégeance dans une longue missive écrite dans le style le plus pur de l'organisation centrale. En janvier 2007, le GSPC adopte le nom d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) »534. Les velléités algériennes d'origine sont abandonnées au profit du projet global. Le groupe change de cible : ce n'est plus seulement l'Etat algérien, mais l'Occident tout entier qui est l'ennemi; les actions s'orientent localement vers l'extérieur.

« Les moyens utilisés ont changé. Al-Qaïda au Pays du Maghreb Islamique recourt désormais aux attentats à la voiture piégée, aux explosions déclenchées à distance ainsi qu'aux attaques suicides. Le danger ne concerne plus seulement les autorités algériennes, les intérêts étrangers sont aussi pris pour cible. Relayées par une communication efficace, les opérations bénéficient dès lors d'une large couverture médiatique, notamment dans la presse européenne. Al-Qaïda au Pays du Maghreb Islamique inspire désormais crainte et terreur. Quatrième front d'Al-Qaïda après l'Afghanistan, l'Irak et l'Arabie Saoudite, l'organisation s'est imposée dans le paysage du « jihad mondial » et étend sa menace du Sahel à l'Europe. »535

Al-Qaïda, par voie d' « islamo-morphisme », invite les groupes locaux à changer d'idéologie, de stratégie, et de finalité pour répondre à l'impératif d'uniformisation, au détriment des particularités locales. Or, les enjeux directs présents au Sahel-Sahara ne disparaissent pas - AQMI leur confère une lecture globale, qui n'éradique pas en elle-même les réalités géopolitiques locales. Cet « islamo-morphisme » fonctionne dans le sens où le GSPC est acquis au jihad global, mais la résistance locale est telle que des dissidences se créent au sein même du groupe. La glocalisation se transforme, depuis quelques années, en perspective locale sous couvert de globalité; « Au Sahel, l'islamisme radical se conjugue avec

532DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.22 533Ibid., p.32

534LOUNNAS, Djallil, « AQMI, une filiale d'Al-Qaïda ou organisation algérienne ? », op. cit., p.43 535DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.37

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des revendications très locales de groupes qui voient dans la bannière Al-Qaïda le moyen de mieux exister médiatiquement »536.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote