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Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.

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par Myriam ARFAOUI
Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015
  

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B. Le fonctionnement d'AQMI : des modes opératoires croisés.

Al-Qaïda n'est pas une identité importée, mais une valeur ajoutée, une identification du local au global. Les groupes déjà présents au Sahel-Sahara se transforment537, aggravant la conflictualité initiale qui ne disparaît pas. Ils conservent leurs structures initiales en l'adaptant à un nouveau projet - cette adaptation, qui n'est pas une éradication, confère à ces groupes un certain degré d'autonomie qui les replace dans leur cadre géopolitique, dans leurs conflits locaux classiques.

o La zone d'action

Conformément à la tradition tribale arabo-musulmane, la structure de base d'AQMI est le lien personnel, l'allégeance au chef respecté538 ; les membres se mettent au service de l'émir, sans pour autant condamner leur autonomie. La zone d'action suit en principe ce réseau social : AQMI existe là où l'individu veut le faire exister.

D'un point de vue géographique, la zone d'action s'élargit à mesure qu'Abdelmalek Droukdal confirme la globalisation de sa stratégie. AQMI conserve du GIA et du GSPC le découpage sous-régional ; « Aujourd'hui, l'organisation est structurée en quatre régions, aboutissement de plusieurs découpages territoriaux auxquels les groupes jihadistes algériens ont procédé depuis les années quatre vingt dix »539.

La région Centre est la plus active; elle « regroupe le plus grand nombre de combattants, soit près de 500 »540, et est dirigée par Abdelmalek Droukdal, le représentant international de l'organisation. La région Est compte une centaine de membres, tandis que la région Ouest est la moins active, avec une cinquantaine de membres. En revanche, « la région Sud revêt désormais la plus grande importance dans la stratégie internationaliste d'AQMI dont elle est

536DAGUZAN, Jean-François, « D'Al-Qaïda à AQMI, de la menace globale aux menaces locales », op. cit. 537« L'AQMI n'est pas né spontanément. Il est le fruit de recompositions successives de l'islamisme radical dans cette zone géographique et de l'évolution géostratégique mondiale. », DAGUZAN, Jean-François, « D'Al-Qaïda à AQMI, de la menace globale aux menaces locales », op. cit.

538PLAGNOL, Henry, LONCLE, François, «situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne », Rapport d'information, Assemblée Nationale (France), p. 37.

539DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.43

540Ibid.

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devenue le bras armé hors Algérie »541. Elle couvre la zone sahélo-saharienne sous le commandement de Yahia Djouadi542, avec quelques trois cents membres actifs au nord du Mali et en Mauritanie ; « Si la région sahélienne représente autant pour l'organisation c'est qu'elle profite de l'étendue de territoires incontrôlés, chevauchant plusieurs Etats aux frontières poreuses pour y développer une zone de repli et de mobilisation »543.

AQMI est divisée en katibas, des unités de base qui répondent elles-aussi de logiques tribales, avec une certaine autonomie et indépendance ; « AQMI constitue plus une organisation traditionnelle en tribus conforme à la tradition arabo-musulmane, qu'une structure hiérarchisée » 544. Ces katibas sont réparties en deux brigades : l'Ouest (Mauritanie, Sud-Algérie, Nord-Mali), dirigée par Abdelkader Mokhtar Belmokhtar545, « un chef de guerre devenu parrain de la contrebande de tabac et passeur des candidats à l'émigration en provenance d'Afrique subsaharienne et de Mauritanie »546 ; et l'Est, dirigée depuis 2004 par Abou Zeid.

Les différentes katibas gardent une large marche de manoeuvre, d'autant que la plupart sont impliquées dans les trafics sahariens et transsahariens. Ainsi, à leur tour, dans une logique non plus macro mais micro de poupées russes, elles forment la structure d'AQMI mais n'en dépendent pas exclusivement - si bien que localement, les enjeux géopolitiques classiques, notamment, pour le contrôle des voies de transit commerciaux, prennent le dessus sur l'appartenance à la même organisation ; « Il est évident que des liens idéologiques, opérationnels et de financement ainsi que des relations individuelles sont établis entre les différents émirs [...] Pourtant hormis cet exemple, il est difficile d'affirmer clairement qu'AQMI dispose d'un commandement unifié » 547. Des conflits internes éclatent, notamment entre Abdelmalek Droukdal et Mokhtar Belmokthar, poussant les chefs de katibas à poursuivre leur propre dessein, tout en profitant de la notoriété que leur confère l'organisation.

541DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.45

542 Nom de guerre : Abou Amar

543Ibid.

544Ibid., p.41

545 Nom de guerre : Khaled Abou Abass

546Ibid.

547Ibid., p.41-42

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o Le recrutement

Les modes de recrutement d'AQMI sont la combinaison des structures sociales locales, et de la stratégie médiatique globale d'Al-Qaïda.

Les liens personnels, et les réseaux déjà tissés par les hommes de cet espace, sont sollicités ; « le recrutement dépend en effet de la proximité ethnique des acteurs, qui ont tendance à faire confiance à d'autres acteurs partageant la même appartenance qu'eux, et de leurs différentes alliances »548. Ainsi, le maillage djihadiste tente de se calquer sur le maillage social : en créant des liens privilégiés avec les autorités traditionnelles (chefs tribaux, marabouts), en multipliant les mariages avec les populations locales, en offrant aux sociétés une alternative de socialisation, via les madrasas et le financement d'infrastructures par exemple.

A l'inverse d'autres cellules régionales d'Al-Qaïda, AQMI n'a pas le soutien des populations du fait des actions passées du GIA et du GSPC549 ; la stratégie médiatique d'Al-Qaïda est donc pour elle une ressource essentielle en terme de recrutement. L'enrôlement des djihadistes est un processus qui va du repérage au conditionnement psychologique - il inclut l'individu dans sa totalité à un groupe, et à une cause. AQMI s'insère dans les failles sociales produites par la situation économique et politique des Etats sahélo-sahariens. Elle se positionne comme une solution alternative pour la jeunesse désoeuvrée et désenchantée en lui proposant une opportunité d'identification à un groupe humain (un sentiment d'appartenance fort), et un but à poursuivre (un sens à son existence) ; « Les frustrations d'une partie de la population, le rejet d'une élite politique accusée de corruption et d'enrichissement sont habilement récupérés par les idéologues islamistes et les recruteurs d'Al-Qaïda qui profitent des nouveaux moyens de communication pour diffuser leur discours de rupture et séduire de nouveaux volontaires »550. Avec le passage du GSPC à AQMI, le groupe armé non étatique ne cherche plus à recruter massivement des hommes prêts à combattre dans un but politique, mais des individus prêts à se sacrifier, au nom d'une cause qu'ils définissent comme transcendantale, hautement supérieure, voire ultime. Il ne s'agit plus d'appréhender la lutte en terme de changement, mais en terme de pré-requis à la vie éternelle : cette perspective conditionne la pensée, l'individu place sa vie entre les mains d'une entité ou d'une idée

548RETAILLE, Denis, « Guerre au Sahara-Sahel : la reconversion des savoirs nomades », L'information géographique, Vol.75, [En Ligne], 2011/3

URL : http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=LIG_753_0051&DocId=162782&hits=6931+4165+443 549DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.46

550Ibid.

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supérieure (en l'espèce Dieu, et son défenseur Al-Qaïda), à laquelle il se soumet entièrement. L'individu devient quelqu'un - il fait parti d'un groupe, se définit par rapport à lui ; « l'individu se détache peu à peu du réel pour s'installer dans [...] le sacré »551. Ainsi, il est conditionné pour devenir un héros, un martyr, luttant pour une cause qu'il croit intimement juste, et pour laquelle il donne sa vie; « L'objectif d'AQMI n'est ainsi plus de recruter massivement pour alimenter en nombre les katibas dans le maquis et continuer une guerre civile inefficace. L'objectif désormais est de cibler des individus motivés, déterminés et conditionnés au martyre »552.

Le repérage précède ce conditionnement psychologique, puisqu'AQMI va à la rencontre de l'individu susceptible de l'intégrer. Pour ce faire, internet est un média efficace : il permet, via des vidéos, des textes, des déclarations, des images, d'installer Al-Qaïda chez l'individu.

« Les recruteurs d'Al-Qaïda identifient trois profils-type pour amorcer un conditionnement en trois étapes : les « exaltés », ceux qui recherchent l'aventure ou l'expérience initiatique et se laissent embrigader facilement, les « fugitifs » ensuite qui estiment que la réalité ne correspond pas à leurs aspirations existentielles et rejoignent l'organisation pour fuir cette réalité, les « transfuges » enfin qui ont expérimenté d'autres modes de contestation et qui se réfugient dans Al-Qaïda pour compenser leur échec et leur frustration. »553

o Le financement

? Les opportunités locales : la contrebande et les trafics.

AQMI profite d'une économie parallèle largement installée pour financer ses activités : la contrebande et les trafics, de drogue notamment, sont une de ses ressources essentielles.

« Parallèlement à leurs activités terroristes, les émirs d'AQMI ont développé des circuits de financement qui s'apparentent à ceux d'une organisation mafieuse. Racket, braquages de bureaux de poste, attaques de convois de fonds, contrebande et trafics divers de voitures, d'armes, de tabac et de drogues dures sont des modes d'action répandus, notamment dans la région sahélienne »554.

Les circuits informels sont réinvestis - AQMI se fait protecteur de convois pour les transits de marchandises, et certains groupes armés se réclamant du djihad global, participent activement aux trafics transsahariens; « Mokhtar Belmokhtar serait d'ailleurs autant l'un des responsables

551DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.48 552Ibid. 553Ibid. 554Ibid., p.49

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de la zone Sud que le principal chef de cette « mafia du sable », dont Tamanrasset serait devenue la plaque tournante [...] »555.

? La territorialisation : une autre source de financement.

Au-delà du racket et du banditisme, la territorialisation et l'absence de l'Etat, permettent la mise en place d'une sorte de système fiscal islamiste - le groupe récolte des fonds via les contributions des populations. Ainsi en est-il de la zakkât, un des cinq piliers de l'islam - d'autres impôts pouvant être mis en place au gré des émirs ; « En Kabylie, les paysans seraient soumis à un « impôt djihadiste » »556.

? L'industrie de l'enlèvement.557

La prise d'otage est devenue depuis 2003 une ressource financière inestimable pour AQMI ; elle fait également partie des principales actions menées contre l'Occident. Ce phénomène met en perspective trois problèmes qui s'alimentent et s'enlisent l'un l'autre.

Dans l'articulation du djihad global, l'enlèvement est une manière pour AQMI de porter atteinte à l'Etat occidental et à ses valeurs, tout en amassant de lourdes recettes essentielles à son maintient; « Selon les services algériens, AQMI aurait encaissé près de 12 millions d'euros grâce aux seules rançons des cent quinze enlèvements de ressortissants algériens perpétrés dans le Nord du pays en 2007 »558. Le développement de cette « industrie » a nettement contribué à la baisse du tourisme dans la région, mettant un coup de frein important aux économies des Etats sahélo-sahariens. Et l'importance des sommes amassées contribuent à former en quelque sorte, dans la région, des individus spécialistes de l'enlèvement, à transformer la prise d'otage, au départ moyen opportun de financement, en véritable trafic - tout comme le trafic de drogue, ou le trafic de cigarettes.

« A partir de 2009, les enlèvements d'Occidentaux se multiplient au Sahara et au Sahel. En janvier 2009, quatre touristes sont enlevés au Niger ; l'un d'entre eux, le Britannique Edwin Dyer, est exécuté en juin 2009, le Royaume-Uni tardant à payer la rançon. En novembre 2009, Pierre Camatte est enlevé au Nord-Mali (Ménaka). En septembre 2010,

555DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.50 556Ibid.

557DANIEL, Serge, AQMI, l'industrie de l'enlèvement, Paris, Fayard, 2012 558DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.51

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AQMI enlève sept employés d'Areva à Arlit, au Niger, dont trois sont libérés, quelques mois plus tard, contre une rançon d'une dizaine de millions d'euros. En novembre 2011, deux Français, des géologues voulant développer une cimenterie, sont enlevés au Nord-Mali (Hombori, au sud de Gao). Le premier, Philippe Verdon, est retrouvé assassiné à Tessalit, à la frontière algérienne, en juillet 2013, probablement en raison de sa maladie et pour éviter qu'il ne soit récupéré par l'armée française en opération. Le second, Serge Lazarevic559, est toujours détenu au Sahara. »560

559Libéré le 9 décembre 2014.

560MATHIAS, Gregor, Les guerres africaines de François Hollande, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, 2014, p.48

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo