WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.

( Télécharger le fichier original )
par Myriam ARFAOUI
Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Première Partie - Le conflit malien dans son milieu : les inerties physiques de l'espace sahélo-saharien.

La description de l'espace, de ses caractéristiques physiques et humaines, met en exergue le socle d'une conflictualité en gestation, réactivée par le rapport entre inertie et immédiateté; « Ces inerties - conditionnantes, mais pas déterministes [...] sont la géographie et l'identité, moteurs incontournables de l'Histoire »22. Les hommes et le milieu sont la charpente d'un système d'interaction dans lequel ils se construisent mutuellement, en fonction de leur temps. Dès lors, le caractère conditionnant des inerties physiques contribue-t-il à adapter l'espace sahélo-saharien au temps contextuel ?

L'étude du territoire de l'Azawad ne peut être isolée de celle de l'ensemble sahélo-saharien. Ce vaste espace est appréhendé à différentes échelles d'analyse imbriquées : une représentation continentale (de l'océan Atlantique à la mer Rouge) ; une représentation régionale (Sahara central et Afrique de l'ouest) ; une représentation locale jouxtant les frontières maliennes. Le désert, aride et hostile, génère des modes de vie spécifiques, adaptés à sa physionomie. La mobilité qui le caractérise, est concurrencée depuis le XIXème siècle par un mode différent de gestion de l'espace, le découpage territorial, alors même que le lien social, infrastructure première, se maintien et s'adapte à la modernité (I). Pour autant, le désert n'est pas fondamentalement répulsif ; trafiquants (terrain opaque, peu contrôlé, proche de l'Europe) et investisseurs étrangers profitent de ses ressources physiques et minérales pour l'intégrer à la mondialisation (II).

9

22ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, Paris, Argos, 2013, p.13

10

I - Géographie de l'espace sahélo-saharien : des hommes en bleu dans une tâche blanche quadrillée.

Le Sahara, désormais confondu avec le Sahel23, est une région désertique différenciée de l'oekoumène. Espace de transition et de séparation, de lien et d'opposition, de mobilité et de fixation, il se construit autour d'une dialectique contradictoire entre la réalité de sa composition physique et les mutations perceptuelles et historiques de son appréhension, de la tâche blanche grecque24 au quadrillage des explorateurs européens du XIXème siècle25. Qu'est ce qui dans la géographie physique de cet espace, dans sa permanence, conditionne les trajectoires, les perceptions, et les mutations humaines qui le dynamisent aujourd'hui ?

Le nomade adapté à la spécificité physique du désert, est son « habitant » itinérant (I). Les frontières figées26 du XXème siècle perturbent son mode de vie en imposant un modèle sédentaire de représentation de l'espace. Fragmenté, le Sahara est intégré par morceau à de nouveaux Etats - ses populations à de nouvelles sociétés dont elles ne partagent pas l'identité. Ainsi les Touareg sont depuis les années 1960 dans une opposition constante et renouvelée face à l'Etat malien. Contraints d'abandonner leur mode de vie, ils poussent les portes de la modernité en utilisant ses propres outils : la revendication territoriale (2).

23 OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.28

24« Longtemps, dans les atlas, le Sahara figure comme une tâche blanche. », Ibid.

25« Malgré la fluidité de cet espace caractérisé par la circulation et le mouvement, les géographes tracent des limites entre des étendues qu'ils décrivent et auxquelles ils donnent des noms. Paradoxalement, c'est en sillonnant l'espace, en suivant les routes, en étant mobiles, que les géographes ont enfermé le Sahara-Sahel dans une description négligeant la mobilité. », Ibid.

26Le désert a connu des structures politiques, des « Empire de la route » - c'est-à-dire qu'des structures mobiles construites sur la circulation induite par le désert. A l'inverse, les frontières coloniales et postcoloniales sont figées, ce qui est une nouveauté.

11

1. Milieu naturel et structures sociales : Portrait physique du Sahel-Sahara. Composition, disposition, et conditionnement.

Le Sahel-Sahara ne peut être étudié sans recourir à l'analyse pragmatique de données physiques objectivement observables qui existent en elles-mêmes, au-delà et indépendamment des interprétations humaines conscientes ou inconscientes. En tant que « science de l'activité physique à la surface du globe terrestre »27, la géographie physique étudie « la composition, la répartition spatiale et l'évolution du milieu naturel »28. L'esquisse d'une approche géomorphologique, hydrologique et climatologique met en évidence les ressorts strictement physiques qui conditionnent a posteriori les relations entre les populations du désert africain. Le milieu sahélo-saharien est alors étudié comme un système fondé sur les interactions entre l'énergie et la matière29, leur transformation mutuelle et réciproque.

? Le désert sahélo-saharien : définition par la limitation climatique, étatique, et conceptuelle d'une étendue ouverte.

Géographiquement délimité par ses marges30, le désert se définit par opposition à ce qu'il n'est pas, c'est-à-dire, un lieu de fixation. Circonscrit par les limites imposées des territoires qui l'entourent, il est un « espace vide d'hommes, au paysage minéral, où la vie se résume à un petit nombre d'espèces végétales et animales spécialisées, adaptées à la rareté des ressources en eau. »31. Forme de « séparation par le vide »32, espace de césure et de continuité, il aborde un rôle géopolitique paradoxal du fait de l'interprétation subjective des caractéristiques environnementales qui le composent. Les contraintes physiques et climatiques en font une étendue difficilement contrôlable et souvent incontrôlée33.

27MARTONNE, Emmanuel de, Traité de géographie physique ; climat - hydrographie - relief du sol -

biogéographie, Paris, Armand Colin, 1913, p.73

28MAYER, Raoul Etongué, Notions de Géographie Physique, Paris, Broché, 2014, p.5

29VIGNEAU, Jean-Pierre, VEYRET, Yvette (dir.), Géographie physique - Milieux et environnement dans le

système terre, Paris, Broché, 2002, pp.368

30BOURGEOT, André, « Sahara : espace géostratégique et enjeux politiques (Niger) », dans : Grégoire

Emmanuel (ed.), Schmitz Jean (ed.). « Afrique noire et monde arabe : continuités et ruptures ». Autrepart, 2000,

(16), p.21

31POURTIER, Roland (dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, Paris, Nathan, 2009, p.31

32ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, op. cit., p.73

33BRACHET, Julien, « Sahel et Sahara : ni incontrôlables, ni incontrôlés », Les Dossiers du CERI [en ligne],

2013

URL : http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/dossiersduceri/sahel-et-sahara-ni-incontrolables-ni-incontroles

12

L'organisation de cet espace est « comparée à celle des espaces maritimes : même rôle des « côtes » ou « rivages » dans la fixation des hommes et activités (Sahel), même importance des « îles » et de leurs « ports » (oasis), mêmes moyens de contrôle (base militaire de Tamanrasset aujourd'hui convoitée par les Américains pour contrôler le Sahara). »34. Physiquement, le désert se compose d'ergs (déserts de sable), de regs (déserts de pierre), d'hamadas (plateaux rocailleux), et d'oasis (zones d'eau et de végétation), tandis que l'aridité en constitue le paramètre fondamental35. Le Sahara « couvre plus de 8,5 millions de km2, de l'océan Atlantique à la mer Rouge »36 et « situé de part et d'autre du tropique du Cancer, il sépare sur une profondeur de plus de 3000 km, l'Afrique méditerranéenne de l'Afrique dite « subsaharienne »37. ». Au sud, le Sahel38 est « une bande de 6000 km de long sur 500 km de large se trouvant à mi-chemin entre les sables stériles du nord et les zones humides du sud. »39. Il est un « domaine de transition vers les savanes tropicales, entre le pays des Blancs (civilisation méditerranéenne arabo-berbère) et le pays des « Noirs » (civilisations soudaniennes). »40. La territorialisation, l'anthropomorphisme, et la sécheresse, ont progressivement favorisé l'avancée d'un désert désormais confondu avec ses marges, alors même que l'importation du modèle occidental de l'Etat l'a morcelé. Sa singularité ne l'a pas pour autant isolé, puisqu'il « a toujours constitué un obstacle aux déplacements, sans pour autant empêcher les relations culturelles et commerciales, ni les unions politiques ou religieuses. » 41.

L'aridité, hostile à la vie, fait du Sahel-Sahara une étendue partiellement sauvage. Pour autant, elle n'exclut pas la progression d'une vie adaptée à son milieu. Les sociétés sahélo-sahariennes ne sont pas fondamentalement déterminées par le climat désertique. Indépendamment des réalités géomorphologiques, les interprétations de l'espace le définissent en partie, et conditionnent a fortiori son appréhension. Le Sahel-Sahara n'est pas strictement

34GAUCHON, Pascal (dir.), Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, Paris, PUF, 2011

35« Le paramètre fondamental des déserts réside dans l'absence ou la grande rareté, tant spatiale que temporelle, d'une eau indispensable à la vie », POURTIER Roland (dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, op. cit., p.33

36Ibid. p.31

37Ibid.

38De l'arabe áÍÇÓ (Sahel) : côte, frontière, rivage. « Le Sahel désigne, dans la littérature médiévale arabe, la zone entre le Maghreb [ÈÑÛ ã áÇ, el maghrib, le couchant] et le bilad as sudan [äÇÏæÓ áÇ ÏáÇ È áÇ, el bled el soudân], pays des « noirs ». », GAUCHON, Pascal (dir.), Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, op. cit. 39CHAUTARD, Sophie, L'indispensable de la géopolitique, Paris, Studyrama, 2009, p.52

40LEROUX, Marcel, « Charles Toupet, Le Sahel », dans Revue de géographie de Lyon. Vol.68 n°2-3, 1993. Risques naturels dans le couloir rhodanien : les excès pluviométriques, p.110

41POURTIER, Roland (dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, op. cit., p.33

13

répulsif ou attractif. L'adaptation psychologique semble en l'espèce, aussi importante que la transformation physique de l'espace. Qu'elle soit donc perçue comme une séparation par le vide, ou comme une connexion par le grand, la mer de sable est une interface active, à travers laquelle des structures sociales historiques s'opposent ou s'imposent à la modernité en réinterprétant, remodifiant, réinvestissant, un espace particulier, conditionnant et non déterministe.

? Hydrologie et topologie : les conditions physiques de la mobilité.

Les aspects hydrologiques, climatologiques, et topographiques du Sahel-Sahara ne servent pas, en l'espèce, à soulever des problématiques écologiques, économiques, ou purement géographiques. Au-delà, la variable aquifère, de par son agencement et sa disposition, motive les sociétés mobiles. Et c'est la corrélation entre rareté des ressources en eau, et nécessité du mouvement, que le présent propos interroge. Néanmoins, il est nécessaire de souligner que, pour des Etats affaiblis composés en grande partie d'espaces désertiques (le désert constitue 50% du territoire malien42), l'eau devient un enjeu de développement et de sécurité important.

Du fait de sa rareté « tant spatiale que temporelle »43, l'eau « indispensable à la vie »44joue au Sahel-Sahara un rôle capital. La rareté spatiale s'exprime par une carte fluviale essentiellement composée de deux grands fleuves, et d'un réseau de zones d'eau éphémères et variables, tels que les oasis, « ilots de vie au coeur du désert »45, ou les oueds46. La rareté temporelle caractérise les climats désertiques, et est évaluée via la pluviométrie47, « faible en moyenne »48, et la pluviosité49, « extrêmement contrastée »50. Le manque de précipitation corrélé à de fortes températures pouvant dépasser les 50° Celsius en journée, favorise l'évaporation d'une eau faiblement représentée, et nécessite une connaissance des routes et points d'eau mobiles du désert afin d'y évoluer.

42POURTIER, Roland (dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, op. cit., p.33

43« Le paramètre fondamental des déserts réside dans l'absence ou la grande rareté, tant spatiale que temporelle,

d'une eau indispensable à la vie. », Ibid.

44Ibid.

45Ibid.

46Dictionnaire Larousse, «Cours d'eau le plus souvent intermittent des régions sèches, où l'alimentation

s'effectue presque uniquement par ruissellement, et s'achevant généralement dans une dépression fermée ou

disparaissent par épuisement. »

47Volume des précipitations.

48OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.31

49Fréquence et durée des précipitations.

50Ibid.

14

« Le Sahel est traversé par quatre fleuves extra-sahéliens : le Sénégal, le Niger, le Logone-Chari et le Nil. S'y ajoute le lac Tchad, lequel a perdu 80% de sa superficie en un siècle. Le réseau hydrographique se compose de cours d'eau éphémères alimentant des mares temporaires dont certaines retiennent l'eau jusqu'au printemps, ce qui est favorable aux troupeaux. Des programmes visant à constituer des bassins de rétention et des lacs artificiels basés sur des techniques d'aménagement simples permettent la récupération d'importantes quantités d'eau de ruissellement. Le réseau se complète de grands systèmes aquifères. Ce sont celui des grès de Nuble, les bassins du lac du Tchad, de l'Iullemeden, de Taoudednni, et le système du bassin sénégalo-mauritanien. Leurs potentialités hydrauliques sont susceptibles de valoriser certaines régions du Sahel, mais ces ressources sont faiblement exploitées du fait de la profondeur des nappes et de la salinité des eaux. »51

Le Niger est « long d'environ 4200 km »52 et draine « un bassin estimé à 1 100 000 km2 (deux fois la France) »53. Il prend sa source dans le Fouta Djalon, coule vers le nord-est jusqu'à Tombouctou, avant de prendre la direction sud-est jusqu'au golfe de Guinée. Au Mali, il forme le delta intérieur du Niger où il se subdivise en un grand réseau de canaux, de marécages, et de lacs54, avant de reprendre un cours normal. Le fleuve Sénégal est formé par la confluence des rivières Bafing et Bayoke descendant du Fouta Djalon. Il est long d'environ 1750 km et arrose la Guinée, le Sénégal, la Mauritanie et le Mali.

La particularité du Sahel-Sahara ne réside pas tant dans ce réseau fluviale, mais dans les « cours d'eau éphémères alimentant des mares temporaires [...] »55. Ce sont ces cours et points d'eau, oueds, gueltas, oasis, qui ont un réel impact historique sur les populations. Rareté et éphémérité induisent une circulation nécessaire, facilitée par la mise en place d'une carte psychique puis physique des routes du désert56.

51CUTTIER, Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », Res Militaris , Vol. 3, n°3, [En Ligne], été 2013

URL : http://resmilitaris.net/ressources/10180/21/res_militaris_article_cuttier_les_donn_es_structurelles_de_la_c rise_au_sahel.pdf

52Dictionnaire Larousse, http://www.larousse.fr/encyclopedie/riviere-lac/Niger/135281

53Ibid.

54 Lac Korientzé, lac Débo, lac Niangay, lac Do, lac Garou, lac Haribongo, lac Kabara, lac Tanda, lac Fati, lac Horo, lac Télé, lac Kamango, lac Figuibine.

55CUTTIER, Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », op.cit.

56« Le Sahara n'a jamais été une barrière. Reste que la traversée des déserts implique une connaissance précise des lieux, des itinéraires, et surtout des points d'eau. », POURTIER, Roland (dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, op. cit., p.33

15

Ces points d'eau dépendent en partie des pluies. Or, le Sahara-Sahel est une région climatiquement instable. Les périodes de pluie et de sécheresse57 se succèdent, « des espaces pouvant tour à tour devenir une terre aride qu'il faut fuir, ou une zone de pâturage qui attire pasteurs et troupeaux. »58.

« Au Sahel, la période 1940, 1950 et 1960 est anormalement pluvieuse. Cette série est interrompue en 1968 par l'amorce d'un épisode de sécheresse jusqu'à 1984-1987. La moyenne normale 1968-2000 se traduit par un décalage des isohyètes vers le sud d'une centaine de kilomètres. L'aridité progresse, le désert gagne. Selon le même processus, les dernières années enregistrées pourraient insinuer que l'humidité revient. L'isohyète de l'aridité (150 ou 200 mm en moyenne annuelle) ne constitue pas une limite franche, d'autant moins que d'une année à l'autre les écarts peuvent être très importants. Si la pluviométrie est faible en moyenne, la pluviosité y est extrêmement contrastée. Cette irrégularité qui résiste aux prévisions statistiques fragilise l'interprétation des conditions bioclimatiques. Ce fait est fondamental pour la gestion des populations mobiles et l'aménagement pour le développement. »59

A la rareté des ressources en eau s'ajoute le caractère aléatoire des saisons de pluie. La mobilité est suggérée, et au-delà, c'est la connaissance de l'espace qui devient la condition sine qua non d'évolution dans le désert.

Le relief entretient la sécheresse. Les hautes montagnes ont un rôle de barrière, empêchant dépressions, vents, et anticyclones, de traverser le désert. Le Hoggar60, terrain volcanique, se trouve au sud de l'Algérie, et l'Adrar des Ifoghas61 se dresse au nord-est du Mali, dans la région de l'Azawad. Le Tassili des Ajjer se situe en Algérie, au nord-est de l'Hoggar, tandis que l'Aïr62 se trouve essentiellement au Niger. Ces massifs ont un rôle historique pour les populations touareg, puisqu'il est leur espace de sédentarité, là où résident les personnes âgées et les enfants63.

57La sécheresse équivaut à moins de 100mm/an de précipitation.

58TOUPET, Charles, « La crise sahélienne », dans Revue de Géographie de Lyon, Vol.70, n°70-3, 1995, p.181 59OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.31

60En arabe ÑÇÞ å JÇÈ Î (jbel hougar), du tamasheq Ahaggar, ou Ihaggaren, la classe noble des touaregs du Hoggar. 61En tamasheq, «montagne des Ifoghas». Les Kel Ifoghas sont un clan touareg aristocratique de la région. 62En tamasheq « Ayâr ». Le massif de l'Aïr est historiquement un territoire touareg.

63 « Les Kel Ahaggar, comme d'autres tribus guerrières, « résident » dans les centres de culture du grand massif saharien. Ils résident en effet, puisque tout nomade qu'ils soient, là sont les maisons, l'attache où restent les vieillards, une partie des femmes, et les enfants. », RETAILLE, Denis, « L'espace nomade », op. cit., p.74

16

L'aridité du Sahel-Sahara confère à l'organisation aquifère une fonction impulsive et motivante, réaffirmant l'idée selon laquelle la disposition physique d'un espace conditionne les sociétés qui y évoluent. Pour autant, la réalité physique ne peut être considérée comme seul facteur explicatif des choix de vie des Hommes. L'aridité ne produit pas dans une linéarité parfaite la société mobile. Considérer le nomade comme la résultante automatique d'une situation géographique extra-ordinaire64, c'est conférer au milieu naturel un caractère déterministe et ériger le sédentaire en principe. Or, la réalité physique conditionne, mais ne détermine pas, les dynamiques humaines. En ce sens, elle ne se résume pas à la seule description littérale de la terre et des eaux, mais intègre dans son analyse l'interprétation que les Hommes se font de l'espace. L'Homme et l'espace se construisent réciproquement65. Et la compréhension que l'Homme a de son espace relève également de son aménagement. Certes, le désert est aride. Pour autant, il ne semble pas hostile par essence puisqu'à travers sa vision du monde propre, le nomade s'y est adapté. La mobilité ne peut être réduite aux seules données physiques, comme l'aridité66. Il faut ab extra considérer ces sociétés en elles-mêmes, à travers leur mode d'agir, leur mode d'être, et leur mode de percevoir.

? La représentation nomade de l'espace : une géographie de la mobilité.

Aridité, relief, disposition et disponibilité de l'eau, conditionnent, sans pour autant déterminer, le caractère mobile des populations du Sahel-Sahara, qui doivent aller à la rencontre des ressources nécessaires à la vie. Dès lors, « le découpage des lieux et des limites n'est pas, ou ne constitue pas, la bonne description de la réalité. »67. Il faut changer de modèle, et adopter une représentation de l'espace fondée sur la mobilité, en ce qu'elle « repose sur l'idée que le mouvement détermine la structuration de l'espace. »68. Le mouvement est premier, et le Sahel-Sahara est un système ouvert, construit autour de connexions, de réseaux, de liens, contextuellement établis sur un territoire donné. L'envisager

64Extra-ordinaire par rapport à notre regard occidental, c'est-à-dire, une situation géographique à laquelle nous ne sommes pas habituellement confrontés, que nous percevons comme strictement étrangère et a-normale. 65« Entre l'homme et l'espace existent des dialectiques toujours en mouvement : si l'espace contribue à façonner l'homme, ce dernier, par son regard, ses gestes, son travail, ne cesse de transformer l'espace. », MOREAU DEFARGES, Philippe Moreau, Introduction à la Géopolitique, Paris, Points, 2009 (3ème ed.), p.11

66RETAILLE, Denis, « L'espace nomade », op. cit., pp.71-82

67RETAILLE, Denis, « Conflit au Sahel : l'explication par la géographie », Thinkovery, enregistrement vidéo, [En Ligne], 5'37

URL : http://www.thinkovery.com/conflits-au-sahel-lexplication-par-la-geographie

68OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.17

17

en tant que tel permet de mettre en évidence le paradoxe lié à un espace de circulation segmenté, et les problématiques sécuritaires qui résultent de cet oxymoron.

Parmi les couples d'opposition classiques existe celui du nomade et du sédentaire, conditionné par l'environnement, « la géographie « commune » a ainsi définit l'aridité comme limite de l'oekoumène »69, et les modes de vie qu'il génère. Or « elle [la géographie « commune »] ne reconnaît que secondairement ce qui fait l'originalité de la géographie saharienne, qui est aussi l'originalité de la géographie du monde : la mobilité et les routes qui la portent. »70

Le mouvement est rattaché à la figure du nomade, mobile avec son habitat, tandis que le sédentaire est arrêté dans son habitat71. La représentation de l'espace diffère puisque « pour le nomade, identifié à son cheval, l'espace est infini. Il est là pour être parcouru, conquis, dévasté. Si le paysan est enraciné dans la terre (tout en tentant souvent de s'en échapper), le nomade est le mouvement, la course. »72. Et, cette conscience de l'espace participe à son aménagement, notamment parce qu'elle conditionne l'action de l'Homme : si l'espace est fixe, il s'y établit, le cultive, l'améliore. Si l'espace est mobile, il constitue des points de transition, des liens, et des routes, pour l'apprivoiser. Les sociétés sédentaires ont alors une conception concentrique de l'espace, « centrée sur le village comme lieu d'habitat humain »73. L'espace est organisé en « cercles concentriques qui distinguent les zones les plus proches, où sont pratiquées des agricultures intensives »74 et « les espaces périphériques exploités par les troupeaux ou pour la chasse et la collecte »75. Les sociétés nomades ont une conception rayonnante de l'espace, fondée sur des réseaux, des flux, et des connexions qui dynamisent les lieux de jonction et de rencontre.

« Il [l'espace nomade] est fait de parcours le long desquels se croisent les hommes, les
animaux et les autres ressources naturelles ou domestiques qu'ils exploitent. Il s'agit d'un

69OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.29

70Ibid.

71RETAILLE, Denis, « Conflit au Sahel : l'explication par la géographie », Thinkovery, enregistrement vidéo,

[En Ligne], 5'37

URL : http://www.thinkovery.com/conflits-au-sahel-lexplication-par-la-geographie

72MOREAU DEFARGES, Philippe, Introduction à la Géopolitique, op. cit., p.13

73LEROI-GOURHAN, André, Le geste et la parole, tome 1 : Technique et langage, Paris, Albin Michel, 1964,

cité dans BONTE, Pierre, Anthropologie des sociétés nomades, fondements matériels et symboliques, Université

Paris 8, [En Ligne], p.29

URL : http://www2.univ-paris8.fr/sociologie/fichiers/bonte-cours.pdf

74Ibid.

75Ibid.

18

réseau de parcours et de lieux de rencontre, matériellement (campements, puits, etc.) et symboliquement, des groupements humains. Ces lieux de rencontre sont des noeuds autour desquels s'organisent socialement et symboliquement, mais aussi à travers leurs traces matérielles, les intérêts communs des membres des communautés nomades, leur identité et celle du territoire qu'elles exploitent. »76

L'opposition nomade/sédentaire est d'ordre cognitif et symbolique. Elle « va alimenter les représentations qu'elles [ces deux visions du monde] se font de leur inscription dans l'espace » 77.

Les sociétés ne sont cependant pas composées intégralement d'un bloc sédentaire, ou d'un bloc nomade78. L'opposition stricte peut être dépassée par la valorisation d'un continuum79 entre ces deux concepts : deux visions du monde, deux perceptions d'une même réalité géographique, complémentaires plus qu'exclusives. La représentation sédentaire ne suffit pas à mettre en exergue la complexité d'un espace traversé par des sociétés nomades et des identités singulières. Réciproquement, une représentation de l'espace basée sur la mobilité réduirait l'importance que revêtent aujourd'hui les Etats, la territorialisation, et les enjeux de pouvoir dans les problématiques sahélo-sahariennes. Le leit motiv de la conflictualité nomade/sédentaire réduit, voire contredit, la réalité de menaces multidimensionnelles et évolutives. Le mode de vie ne détermine pas l'action des unités humaines, qui interagissent ou se recomposent souvent en fonction d'intérêts stratégiques et politiques. C'est donc dans la complémentarité des deux concepts nomade/sédentaire qu'il est possible de saisir les mécanismes, l'importance, et les mutations des liens sociaux, politiques, et religieux qui animent l'action des Hommes sur cet espace sahélo-saharien. Au sein des sociétés sédentaires existent des personnes, souvent haut placé, extrêmement mobiles, et tous les nomades ne sont pas constamment dans le mouvement80. Les interactions internes, au sein des groupes à dominance nomade, et externe, entre les différents groupes nomades et sédentaires, forment des points de liaison qui contribuent à dynamiser l'espace. Les lieux sont en mouvement, leur importance est contextuelle et conjoncturelle - elle dépend des connexions qui se font au sein des réseaux de solidarité. Ce n'est donc pas seulement dans la relation directe entre l'Homme

76BONTE, Pierre, Anthropologie des sociétés nomades, fondements matériels et symboliques, op. cit., p.29

77Ibid.

78RETAILLE, Denis, « Le continuum nomade sédentaire et l'espace mobile », dans ALEXANDRE, Frédéric, GENIN, Alain (dir.), Continu et discontinu dans l'espace géographique, Tours, Université François Rabelais, 2008, pp. 417 - 429

79Ibid. 80Ibid.

19

et l'espace que les deux se façonnent, mais également dans la relation entre les Hommes sur l'espace. Or, les réseaux de solidarité ne s'arrêtent ni aux limites bioclimatiques, ni aux frontières étatiques. Et, les allégeances et affiliations historiques, entre nomades, ou clientélistes, entre nomades et sédentaires, mettent en évidence les canaux par lesquels transitent les biens matériels et immatériels.

Comme la mer, le désert est un vaste espace difficilement délimité par des barrières physiques. Le contrôle des routes, et donc du mouvement, se fait par l'établissement de bases en constante mutation - les Empires du Sahel-Sahara étaient des Empires de la route. Mais la comparaison prend fin avec la reconnaissance internationale de frontières, et l'importation du modèle étatique. De la nécessité de contrôler le mouvement, les sociétés nomades, notamment touaregs, passent à la nécessité de contrôler le territoire. Ce n'est donc pas seulement la part de mobilité dans l'espace fixe qu'il faut analyser, c'est-à-dire la manière dont les relations entre les Hommes se pérennisent indépendamment des frontières étatiques, mais également, la part de fixité dans l'espace mobile, et l'adaptation des sociétés nomades aux standards territoriaux et identitaires internationaux.

20

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon