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Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.

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par Myriam ARFAOUI
Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015
  

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2. Du Sahel-Sahara à l'Azawad : l'identité touareg et les revendications territoriales au Mali.

Au centre du Sahel-Sahara, du Maghreb à l'Afrique subsaharienne, sur des relais de massifs montagneux (Aïr, Tassili des Ajjer, Hoggar, Adrar des Ifoghas), le « pays Touareg » compte aujourd'hui un peu moins de deux millions d'individus, éclatés depuis les années 1960 entre cinq Etats : l'Algérie, la Libye, le Niger, le Mali et le Burkina-Faso81. L'intangibilité82 des nouvelles frontières modernise la conflictualité en la liant à l'affirmation d'une identité particulière sur un espace territorialisé. Les populations sont intégrées à des Etats souvent fragiles dont elles doivent partager le principe national crée ad hoc. Et, « les hommes des espaces infinis »83 voient « leurs axes de transhumance barrés par des frontières dont le tracé avait été décidé sans eux, et le plus souvent contre eux »84 (A). L'espace traditionnel est concurrencé par l'espace urbain qui « se complexifie et enregistre des transformations notables : multiplication des conurbations, apparition des cités résidentielles et des bidonvilles, disparition du ksar et de la médina au profit des centres villes modernes et fonctionnels »85. Le mode de vie nomade est mis en difficulté par les grandes sécheresses86 et la nécessité ou l'obligation de se sédentariser ; « entre une demande croissante de ressources et les capacités du milieu, il y a toute une palette de fragiles équilibres »87 qui « engendrent des mouvements migratoires vers les villes [...] »88. La croissance démographique et l'urbanisation « ont une influence directe sur les populations locales, de plus en plus marginalisées numériquement. Les Touareg par exemple, sont passés dans les régions de Gao et de Tombouctou d'un tiers de la population lors du dernier recensement colonial de 1950 à 20% un demi-siècle plus tard [...] »89. L'Etat malien, du fait de ses fragilités internes, ou liées à des facteurs externes, peine à assurer un développement et une intégration homogène sur

81Indépendances : Libye (1947), Mali (1960), Niger (1960), Burkina-Faso (1960), Algérie (1962).

82L'Organisation de l'Unité Africaine (remplacée en 2002 par l'Union Africaine) décide en 1964 que l'uti possidetis doit être appliqué à toute l'Afrique.

83LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, Paris, Ellipses Marketing, 2009, p.922 84Ibid.

85BEN MAMI, Skander, « Des populations nomades face à un espace saharien en mutation », IRIS - Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe, [En Ligne], septembre 2013, p.7

URL : http://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/obs-monde-arabe/des-populations-nomades-septembre-

2013.pdf

86L'Institut de Recherche pour le développement souligne le déficit pluviométrique du Sahel depuis 1970, et en

particulier des années 1973 et 1983.

87UNESCO, « Le Sahara des cultures et des peuples », Paris, [En Ligne], 2003, p.14

URL : http://portal.unesco.org/culture/fr/files/16660/10698574653strategie.pdf/strategie.pdf

88Ibid.

89BEN MAMI, Skander, « Des populations nomades face à un espace saharien en mutation », op. cit., p.7

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l'ensemble de son territoire. Les populations marginalisées qui ne se reconnaissent pas dans l'Etat constitué, favorisent le repli identitaire90, qui prend la forme d'une revendication territoriale (B). C'est donc une problématique géopolitique classique91 que prétend interroger le présent propos, à savoir, comment les Touareg s'adaptent-ils à l'Etat malien ? Ab extra, comment une identité traditionnelle forte s'oppose et s'impose à l'Etat moderne ?

A. Organisation et structure des sociétés touaregs : l'identité d'un peuple du désert.

Les populations nomades sahariennes sont composées de plusieurs groupes aux origines ethniques variées et aux territoires plus ou moins identifiés92. Les Touareg, berbérophones, évoluent sur une zone traditionnelle d'environ 2,5 millions de km2 au coeur du Sahara central, « dans le sud de l'Algérie, autour du Tassili n'Ajjer et des villes d'In Salah, Djanet et Tamanrasset, au nord du Mali et à l'est du Niger, autour de Bilma et Agadez »93. Le terme « Touareg », vulgarisé par le français, a des origines incertaines, énigmatiques, qui diffèrent d'un groupe social à l'autre94, bien qu'il soit généralement associé à son étymologie arabe, « les abandonnés de Dieu »95. Au Mali, les Imageren96, se désignant eux-mêmes comme Kel

90« Avec le processus de mondialisation, les Touaregs assistèrent à la ruine de leur système économique, social et politique traditionnel. Plusieurs bouleversements se conjuguèrent pour provoquer ce déclin. Avec l'affirmation de la domination européenne et l'essor du transport maritime, la place du commerce caravanier transsaharien diminua considérablement. La restriction continue de la liberté de déplacement, la rupture des liens de dépendance et la dégradation du milieu naturel compromirent irrémédiablement les ressources et le mode de vie touaregs. L'éloignement des centres de décision, l'insuffisance des infrastructures, l'absence dans les circuits économiques réorganisés, l'exclusion de l'exercice du pouvoir et le désintérêt de l'Etat malien entretinrent la marginalisation. », GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes en bleus dans une zone grise », Diploweb, [En Ligne], mai 2013

URL : http://www.diploweb.com/Touaregs-du-Mali-Des-hommes-bleus.html

91« [L'actuelle situation malienne] est la rencontre entre un différend géopolitique des plus « classiques » - fruit des tracés hasardeux des frontières postcoloniales - avec une forme hybride de « gangstéro-djihadisme », dans Jean-François Fiorina, « Le Mali au bord du gouffre, retour sur la menace islamiste au Sahel », CLES - Comprendre les enjeux stratégiques, Note hebdomadaire n°94, [En Ligne], 31 janvier 2013

URL : http://notes-geopolitiques.com/wp-content/uploads/2013/01/CLES94.pdf

92Les Chaamba du Timimoun sont d'origine arabe, les Reguibat du Sahara occidental sont arabophones d'origine berbère, et les Toubou, du Tchad à la Libye, sont des nomades « noirs ».

93BEN MAMI, Skander, « Des populations nomades face à un espace saharien en mutation op. cit., p.4

URL : http://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/obs-monde-arabe/des-populations-nomades-septembre-2013.pdf

94HUREIKI, Jacques, Essai sur les origines des Touaregs : Herméneutique culturelle des Touaregs de la région de Tombouctou, Paris, Karthala, 2003, pp. 57 - 70

95RIBADEAU DUMAS, Laurent, « André Bourgeot sur la longue histoire des Touaregs », Geopolis, [En Ligne], janvier 2013

URL : http://geopolis.francetvinfo.fr/andre-bourgeot-sur-la-longue-histoire-des-touaregs-12099

96Autre nom donné aux Touareg du Mali, signifiant « hommes libres ».

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Tamasheq97, appartiennent à des sociétés tribales hiérarchisées et matriarcales qui reconnaissent comme base commune de leur identité la langue berbère. Ces sociétés portent un nom différent en fonction des régions où elles vivent (le nom de la région précédé du vocable Kel). Les différentes tribus sont regroupées en huit principales confédérations dont trois se situent au Mali : les Kel Adrar dans la région de Kidal, les Kel Ataram dans la région de Gao, et les Kel Ansar dans la région de Tombouctou ; « les relations forgées au fil des siècles au sein de ces tribus, entre ces tribus et entre leurs confédérations, influencent encore aujourd'hui la population touareg »98. Egalement nommés Kel Tagelmoust99, les Touareg ont pour autre référant identitaire le voile que portent les hommes, et qu'ils ne quittent quasiment jamais puisque, « le voile de front et de bouche et le pantalon sont les vêtements distinctifs de l'homme [...] ; ôter son voile de tête et de bouche, jeter son voile [...], ôter son pantalon sont des expressions qui signifient être déshonoré »100. L'origine tribale est traditionnellement liée à une référence féminine101. La femme a un rôle singulier et important puisqu'elle transmet le statut social aux enfants. Le mariage se fait entre membre de la même tribu : la famille du futur marié demande la main de la future mariée. Celle-ci ramène la taggalt (une sorte de dot composée de bétail, ustensiles, aujourd'hui pécuniaire), et la cérémonie se clôture par le dressage symbolique et effectif d'une tente. Les Touareg sont très attachés à leur bétail dont ils vivent (pour le transport, la nourriture, la peau), et chaque animal est associé au statut de son détenteur - le chameau pour les nobles par exemple. Les aléas géographiques et climatiques dont ils dépendent en ont fait des commerçants (« esclaves, dattes, sel, minerai de cuivre, bétail, peaux, artisanat (bois, cuir, métal) aux échelons local et intra-saharien ; esclaves, céréales, plumes d'autruche, or, étoffes indigos, produits manufacturés - notamment armes -, thé, sucre, soie, épices, parfums, encens, dans le cadre transsaharien »102), participant également au commerce triangulaire jusqu'au XIXème siècle. Les sociétés touaregs sont composées de plusieurs castes, rangs, se rapprochant du modèle de la classe sociale : « une aristocratie guerrière, des vassaux, des religieux à titre collectif, des artisans et un groupe

97Littéralement, « les gens du Tamasheq », soit, ceux qui parlent tamasheq.

98GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes en bleus dans une zone grise », op. cit.

99Littéralement, les gens du voile. Le tagelmoust est le voile que portent traditionnellement les hommes Touareg. Il peut être de différente couleur ; l'indigo est fait de lin, tend à déteindre sur la peau, et est identifié aux « hommes bleus » - autre manière de désigner les Touareg.

100FOUCAULD, Charles de, Dictionnaire touareg-français, dialecte de l'Ahaggar (4vol), dans BERNUS, Edmond, « Les Touaregs, traditions nomades et réalités du désert », Clio, [En Ligne], juillet 2002

URL : https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_touaregs_traditions_nomades_et_realites_du_desert.asp 101Dans la tradition Touareg, Tin Hinan, une femme berbère arrivée dans l'Ahaggar, donna naissance à la tribu suzeraine des Kel Ghela. Sa servante, Takana, est à l'origine de la tribu vassale Dag Ghali.

102GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes en bleus dans une zone grise », op. cit.

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servile qui comprend plusieurs niveaux selon son statut - esclaves, affranchis, ... »103). Chaque confédération a un amenokal à sa tête, toujours issu de la même tribu, dont le pouvoir est symbolisé par l'ettebel, un tambour de guerre.

Avant la colonisation, les seigneurs du désert104 ont une main mise sur le Sahel-Sahara dont ils contrôlent flux et mouvements. Le système économique transsaharien est déstabilisé dès le XIXème siècle par une succession d'évènements qui annihilent la prépondérance des Touareg sur cet espace105. L'abolition de la traite négrière sectionne une des principales sources de revenue de l'économie traditionnelle. Les biens d'échange classiques sont suppléés par les nouveaux modes de production et de transaction106. L'hostilité du Sahara central ne permet pas l'installation de cultures et de plantations. Il est exclut des investissements coloniaux en développement et infrastructures, tandis les voies ferrées Kayes-Bamako en 1904 et Lagos-Kano en 1912 transforment le circuit transsaharien107. Les Touareg n'ont pas les capacités et les moyens de s'adapter à la modernité ; ils en sont exclus. Et la conférence de Berlin108achève cette régression en mettant le continent sous tutelle. Le Sahel-Sahara est soumis par les armes entre 1894 et 1904109.

« Dans le nord du Tchad, de 1900 à 1902, les forces françaises furent confrontées à la confrérie sénoussite dont la résistance fut réduite par le lieutenant-colonel Destenave. Au mois de juillet 1901, le capitaine Laperrine qui venait d'être nommé commandant supérieur des oasis, entreprit la pacification des immensités sahariennes, mais il eut à faire à de sérieuses résistances opposées par plusieurs tribus touaregs dont les Oulliminden, les Kel Air et les Kel Gress. Pour tenir la région, il lui fut nécessaire de créer plusieurs postes, dont ceux d'Agadès en 1904 et d'In Gall en 1905. En 1906, ce fut celui de Bilma en plein désert du Ténéré. Mais le Sahara n'était

103 BERNUS, Edmond, « Les Touaregs, traditions nomades et réalités du désert », op. cit.

104 EDEL, Chantal (dir.), Les seigneurs du désert : de Tombouctou à la Mecque, Témoignages, 19ème siècle - 20ème siècle, Paris, Omnibus, 2014

105« Maîtres du Sahara central et bien intégrés dans les courants commerciaux intra et transsahariens

précoloniaux, les Touaregs virent leur pouvoir détruit, leur système économique ruiné et leur société disloquée par la colonisation, lors de la première phase de la mondialisation, puis par l'indépendance du Mali. », GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes bleus dans une zone grise », op. cit.

106« Le développement par les Européens du commerce maritime au long cours dès le XVIème siècle sapa lentement une base essentielle de la prospérité, donc de la puissance des Touaregs. », ibid.

107Ibid.

108La conférence de Berlin qui commence en novembre 1884 et s'achève en février 1885 organise le partage de l'Afrique entre les Etats européens, et marque le début de la colonisation.

109Ibid.

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toujours pas totalement pacifié car les Touaregs refusaient de se soumettre. L'Adrar des Iforas le fut cependant en 1909 et le Tibesti en 1913. »110

L'administration coloniale française définit la politique concernant les Touareg essentiellement en terme de contrôle des populations, « soumission des tribus, recensement, quadrillage militaire, contrôle des armes, imposition de l'arrêt des rezzous, suppression de la traite esclavagiste, abolition du système tributaire, obligation de fourniture de guides et d'animaux, contrôle des déplacements, fixation des prix du bétail, ingérence dans l'organisation politique traditionnelle [...] »111. L'introduction du suffrage universel en 1945 a déstabilisé les chefs tribaux qui, pour préserver l'identité de leur communauté, refusent presque systématiquement la scolarisation de leurs enfants112 - les mesures prises par la Constitution de la IIème République de 1974 (représentation politiques des fractions) et par la loi sur la décentralisation de 1993, pour apaiser les tensions entre les Touareg et l'Etat, n'ont pu être pleinement efficace du fait notamment de l'analphabétisme et du manque de connaissances techniques et politiques. La décolonisation n'a pas répondu aux attentes de ces populations qui se trouvent coincées dans un modèle archaïque, « l'affirmation identitaire est alors devenue un des modes de revendication d'accès à l'égalité, mais aussi le moyen d'accéder à une modernité nécessaire, par le biais d'une structuration politique nouvelle. »113

110LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.591

111GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes bleus dans une zone grise », op. cit.

112INSAR, Mohammed Ali Ag Ataher, « La scolarisation modern comme stratégie de résistance », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, Vol.57, n°57, 1990, pp.91 - 98

113FREMEAUX, Jacques, « Pierre Boilley, Les Touaregs Kel Adagh. Dépendances et révoltes : du Soudan français au Mali contemporain », Outres-Mers, Vol.88, n°330-331, 2001, p. 348

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote