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Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.

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par Myriam ARFAOUI
Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015
  

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B. Politisation et militarisation de la revendication touareg dans l'Azawad : le filigrane de la conflictualité malienne.

Le 22 septembre 1960 Modibo Keita de l'ethnie Bambara, proclame l'indépendance. Le Mali hérite d'un territoire majoritairement désertique, à la jonction de deux traditions114. Le pays possède schématiquement trois zones climatiques qui correspondent grosso modo aux différentes civilisations qui le traversent : un nord saharien désertique, un centre sahélien sec progressivement gagné par la savane, et un sud soudanien qui forme un passage vers les forêts tropicales115. Les Touareg, qui historiquement razziaient et puisaient leurs esclaves dans les populations « noires » sédentaires, doivent accepter leur domination politique, la majorité des administrateurs coloniaux français étant remplacés par des Bambara. Les nouvelles politiques de développement donnent priorité à l'agriculture au détriment de l'élevage116, tandis que les grandes sécheresses de la fin du XXème siècle déstabilisent définitivement les sociétés nomades (pertes de troupeaux, exils)117. Le nord du pays marginalisé entre dans un cycle d'opposition politique et militaire face au gouvernement central.

Depuis 1958 l'Azawad fait l'objet de revendications autonomistes ou indépendantistes. Géographiquement, et dans sa définition la plus réduite, l'Azawad correspond à un erg d'environ 380 km2 situé entre Tombouctou et Araouane. Géopolitiquement, le territoire est constitué des trois régions administratives de Tombouctou, Gao et Kidal, et concerne l'ensemble du nord malien (avec quelques variantes suivant les mouvements touaregs relatives à la limite sud du territoire). Les rébellions touaregs, qui de 1916 à aujourd'hui remuent le Sahara central, sont principalement motivées par l'affirmation identitaire et la volonté de représentation politique. Au fil de leur progression, elles sont catalysées par plusieurs phénomènes qui les rendent quasiment inévitables. La grande sécheresse qui débute dans les années 1970 modifie profondément la physionomie de l'espace ; « les pasteurs maliens avaient perdu plus de la moitié de leurs troupeaux »118, et la

114BALANCIE, Jean-Marc, LA GRANGE, Arnaud de (dir.), Les Nouveaux mondes rebelles, conflits,

terrorismes, et contestations, Paris, Michalon, 2005, p.177

115FAO, Le Mali, 2003, [En Ligne], consulté le 16 février 2015

URL : http://www.fao.org/ag/agp/AGPC/doc/Counprof/Mali/malifr.htm#3

116 AMSELLE, Jean-Loup, « Le Mali socialiste (1960 - 1968), Cahiers d'études africaines, Vol.18, N°72, 1978,

pp. 631 - 634

117LEROUX, Marcel, « La dynamique de la Grande Sécheresse sahélienne », Revue de Géographie de Lyon,

Vol.70, N°70-3, 1995, pp.223 - 232

118GRIPCI, « Le conflit touareg au Mali et au Niger », Groupe de Recherche sur les interventions de Paix dans

les conflits intra étatiques, [En Ligne], 2002, p.2

URL : http://www.gitpa.org/Peuple%20GITPA%20500/GITPA%20500-4_plusTEXTEREFconflittouareg.pdf

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famine qui en résulte produit un exode massif vers les zones moins arides du Sahel-Sahara. Ces transferts de population profitent notamment à la Libye qui voit ses contingents militaires gonfler - un grand nombre de Touareg rejoint les légions islamiques et l'armée nationale119. A la mort de Mouammar Kadhafi en 2011, ils retournent au Mali pour la plupart, après s'être servis dans l'important arsenal militaire disponible120. Enfin, l'Algérie décide en 1990 de renvoyer au Mali et au Niger les réfugiés touaregs qui peuplent son territoire - le camp d'In Guezzan par exemple121. Le mouvement touareg, au départ uni, alterne revendications politiques et rébellions militaires contre le gouvernement de Bamako (les jeunes exilés ayant appris à se battre à l'étranger). Il finit par se diviser au gré de luttes tribales pour le leadership.

Dans les années 1910, Firhoun, amenokal des Oulliminden Kel Ataram, lance la première rébellion touareg122. En 1916, Kaocen Ag Kedda, un sénoussis de l'Aïr, mène des attaques contre les positions françaises. La rébellion est violemment réprimée, notamment lors d'une dernière bataille décisive à Aderambukan123. En 1957 Mohamed Ali Ag Attaher, ancien amenokal des Kel Ansar, demande à l'ensemble des chefs tribaux de refuser la fusion de leur peuple avec les « Noirs » au sein d'un même Etat124. Parallèlement, la France émet officiellement sa volonté de créer l'Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS), un projet ayant pour ambition de détacher des territoires riches en ressources de l'Algérie, du Mali, du Niger et du Tchad, qui correspondent au Kel Tamasheq. Modibo Keita s'y oppose soulignant l'atteinte à l'intégrité territoriale du Mali, et le projet n'aboutit pas. En 1963 une rébellion éclate contre le président Modibo Keita, menée par des Kel Adagh et des Kel Ansar.

119FAVERIE, Alain, « Rebelles touaregs : orphelins de Kadhafi », Jeune Afrique, [En Ligne], octobre 2011 URL : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2646p040.xml0/

120« D'autant plus que les armes dérobées dans les arsenaux libyens (missiles Sam, etc.) vont irriguer de vieux conflits (Nord-Tchad, touareg, Darfour, etc.) et que les combattants sahariens de la Légion verte, créée par le colonel Kadhafi dans les années 1980, sont prêts pour bien des aventures. », PLANTADE, Ydir, « La Nouvelle géopolitique post-Kadhafi explique les problèmes actuels au Mali », Le Monde Afrique, [En Ligne], mars 2012

URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/12/la-nouvelle-geopolitique-post-kadhafi-explique-les-
problemes-actuels-au-mali_1652756_3212.html

121GRIPCI, « Le conflit touareg au Mali et au Niger », Groupe de Recherche sur les interventions de Paix dans les conflits intra étatiques, op. cit.

122« Souvent en conflit avec les autorités françaises, il [Firhoun] avait déjà essayé de se révolter à la fin de l'année 1914 », FUGLESTAD, Finn, « Les révoltes des Touareg du Niger (1916 - 17) », Cahiers d'études africaines, Vol.13, N°49, 1973, p.89

123LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op.cit., pp.925-926

124« Il faut que la France qui a tailladé notre nation et notre pays sache que ni l'argent ni le feu ne nous feront jamais accepter d'être dirigés par ses nouveaux serviteurs. », ABROUS, Dahbia, « Temoust : regards croisés », dans CLAUDOT-HAWAD, Hélène (dir.), Touaregs et autres sahariens entre plusieurs mondes, Aix Marseille, Institut de recherche et d'études sur le monde arabe et musulman, 1996, pp.137 - 154

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Elle se solde par une violente répression et la mise sous surveillance militaire de la région de l'Azawad. En 1988, Iyad Ag Ghali crée depuis la Libye le Mouvement Populaire de l'Azawad (MPA). En 1990 il conduit une attaque contre un poste de police à Ménaka actant le départ d'une nouvelle rébellion. L'accord de Tamanrasset signé le 6 janvier 1991 entre les représentants de l'Etat malien et Iyad Ag Ghali tente de restaurer la paix en préconisant la démilitarisation des régions de Kidal, Gao, et Tombouctou. Le Pacte National signé le 11 avril 1992 prévoit, en plus d'un statut administratif particulier pour l'Azawad, de réintégrer les Touareg dans l'armée nationale et l'administration. Malgré les initiatives de paix, les tensions ne s'estompent pas dans le nord du pays. Les Songhaï de la région créent le Mouvement Patriotique Ganda Koy, et lancent une contre-insurrection, faisant prendre au conflit initial des allures de lutte raciale entre « Blancs » nomades et « Noirs » sédentaires125. Les accords de Bourem signés en 1995 mettent fin aux exactions, et la cérémonie de la flamme de la paix de 1996 fait place à un semblant d'apaisement social126. Le MPA, qui veut représenter l'ensemble des Touareg, indépendamment de leur région d'origine ou de leur statut social, est dominé par la classe noble des Ifoghas. En 1994 il se confronte à l'Armée Révolutionnaire pour la Libération de l'Azawad (ARLA) constituée depuis 1991 par la classe vassalique de Kidal, ajoutant au conflit une dimension sociale. La rébellion, qui ne comptait que deux mouvements touaregs, l'un au Mali, l'autre au Niger, se transforme en une constellation de mouvements politiques et militaires. Iyad Ag Ghali, Hassan Fagaga, Amada Ag Bibi et Ibrahim Ag Bahanga créent en 2006 l'Alliance Démocratique pour le Changement (ADC), censée représenter la branche politique du mouvement touareg. En 2007, Ibrahim Ag Bahanga forme un groupe dissident, l'Alliance Touareg du Nord-Mali pour le Changement (ATNMC), mettant en exergue la difficile, voire impossible, cohésion du mouvement touareg. La rébellion au Mali et au Niger s'arrête en 2009, avant de reprendre en 2012 au Mali avec des nouveaux acteurs.

Le mouvement touareg s'est divisé au gré des affiliations tribales et idéologiques. Il se multiplie en une kyrielle de mouvements hétérogènes complexifiés par l'émergence de groupuscules islamistes et djihadistes au Sahel-Sahara. Le Mouvement National de Libération

125SALLIOT, Emmanuel, « Revue des évènements sécuritaires au Sahel 1967-2007 », OCDE, [En Ligne], 2010, p.36

URL : http://www.oecd.org/fr/csao/publications/47093863.pdf

126FIDH, « Mali : les négociations d'Alger ne doivent pas consacrer l'impunité », Fédération internationale des ligues de droits de l'homme, [En Ligne] 2014, p.2-3

URL : https://www.fidh.org/IMG/pdf/note_de_position_mali_fidh_amdh_lutte-impunite_antiterro_novembre2014_fr.pdf

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de l'Azawad (MNLA), est un groupe politique et militaire laïc indépendantiste, crée en octobre 2011 par la fusion du Mouvement National de l'Azawad (MNA) et de l'Alliance Touareg Niger-Mali (ATNM). Il revendique l'autodétermination de l'Azawad :

« Les populations du nord et du sud du Mali sont trop différentes pour composer un Etat ensemble, comme le Mali et le Sénégal n'étaient pas faits pour être un seul pays. C'est pour ça que nous en appelons à la communauté internationale, afin qu'ils convainquent le Mali de nous donner notre indépendance. »127

Ansar Dine, crée au début des années 2012 par Iyad Ag Ghali, est un groupe touareg islamiste qui entend imposer la charia à l'ensemble du Mali :

« A compter de ce jour, nous nous engageons à la lutte armée sans merci pour l'application de la charia, dans un premier temps dans l'Adrar des Ifoghas. Quiconque est d'accord avec cette position est avec nous. Nous sommes des musulmans du Mali (...) et notre objectif est de convaincre de gré ou de force les autres à appliquer la charia. Nous ne voulons pas une république indépendante à part, mais une république islamique. »128

Après l'opération Serval, une nouvelle vague de mouvements touaregs et islamistes maliens émergent : le Haut Conseil de l'Azawad (HCA), le Mouvement Islamique de l'Azawad (MIA), le Mouvement Arabe de l'Azawad (MAA), entre autre. La problématique touareg initiale, liée à l'affirmation d'une identité particulière sur le territoire d'un Etat, est confondue par l'apparition d'une multitude de discours imbriqués (raciaux, tribaux, sociaux, radicaux). Les luttes fratricides font apparaitre de nouveaux enjeux, de nouvelles stratégies, des alliances contextuelles et conjoncturelles qui s'établissent en fonction d'intérêts particuliers affirmés ou déguisés. L'islamisme et le djihadisme catalysent l'amalgame, faisant place à une hydre de conflictualité et de revendications qui obscurcissent la distinction entre mouvement de libération nationale lié à l'expression d'une identité touareg, et velléités religieuses ou idéologiques.

« Si la pauvreté, l'islamisme radical et la criminalité sont pointées du doigt comme les causes principales de l'implosion de l'Etat malien, ils ne doivent pas occulter une réalité

127GROGA-BADA, Malika, « Mahmoud Ag Aghaly : « Donnez-nous l'indépendance et ce sera la fin d'Aqmi » au Mali », Jeune Afrique, [En Ligne], février 2012

URL : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20120221091159/

128 AFP, « Mali : un mouvement islamiste appelle à appliquer la charia par les armes », Atlas info, [En Ligne], mars 2012

URL : http://www.atlasinfo.fr/Mali-un-mouvement-islamiste-appelle-a-appliquer-la-charia-par-les-armes_a26787.html

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géopolitique : la revendication de l'identité touareg, et derrière elle, la question berbère. »129

129FIORINA, Jean-François, « Le Mali au bord du gouffre, retour sur la menace islamiste au Sahel », CLES - Comprendre les enjeux stratégiques, Note hebdomadaire n°94, [En Ligne], 31 janvier 2013

URL : http://notes-geopolitiques.com/wp-content/uploads/2013/01/CLES94.pdf

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein