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Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.

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par Myriam ARFAOUI
Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015
  

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II - Les ressources de l'espace sahélo-saharien : mutations d'une terre d'échange dans la mondialisation.

Le Sahel-Sahara est structuré par des routes qui préexistent largement aux frontières étatiques. La stérilité du sol a motivé les échanges - le commerce est devenu le centre nerveux de ce système. Les caravanes traversent le désert d'une rive à l'autre, établissant au croisement de leur sillage des oasis et des villes. La diffusion des marchandises et des idées suit les couloirs de sable et leurs noeuds de jonction qui mélangent en un même lieu des populations différentes130. Supplantées par la colonisation et l'essor du commerce maritime, les routes du Sahel-Sahara sont réactivées aujourd'hui par la criminalité ; « Les nouvelles routes de l'antimonde reprennent aujourd'hui les anciennes routes précoloniales »131. Opaques, hostiles, et peu contrôlées, elles contribuent à la discrétion d'échanges mafieux (drogues, armes, migrations) en direction de l'Europe voisine insérant l'Afrique dans la criminalité internationale, et la mondialisation132 (1).

La découverte d'un sous-sol minier opulent a, dans ce contexte, motivé l'intérêt des Etats étrangers pour la région, d'autant que les Etats sahéliens n'ont pas les moyens d'installer les infrastructures nécessaires à l'exploitation de leurs ressources (2). Les enjeux sécuritaires deviennent prioritaires : par exemple, le Nigeria, « oil-rich nation »133, doit faire face à Boko Haram ; et, la région de Kidal, riche en uranium, est le fief d'Ansar Dine134, le mouvement

130« A l'origine du développement économique et de l'émergence des villes, les échanges transsahariens ont aussi contribué à la migration et au brassage des peuples [...] », GAGNOL, Laurent, Les circulations transsahariennes : enjeux et perspectives, Colloque, « La contribution de l'élevage pastoral à la sécurité et au développement des espaces saharo-sahéliens », N'Djamena, [En Ligne], mai 2013, p.2

URL : http://www.pasto-secu-ndjamena.org/classified/J2-3-15-L-Gagnol-axestranssahariens-reluok.pdf 131Cyberhistoiregeo, « Dynamiques géographiques du continent africain. Le Sahara : ressources et conflits. », Cyberhistoiregeo : mutualisation en Histoire Géographie, cours [En Ligne], p.8

URL : http://lewebpedagogique.com/histoiregeotruffaut/files/2013/05/coursnatsahara.pdf

132SIMON, Julien, « Le Sahel comme espace de transit des stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques. », op. cit., pp. 125-142

URL : http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=HER_142_0125

133Au-delà des BRICs, l'économiste Jim O'Neill fait référence aux MINTs (Mexique, Indonésie, Nigéria, Turquie), O'NEILL, Jim, « MINT : The Next Economic Giants », BBC Radio, Enregistrement Audio, 43', [En Ligne], janvier 2014

URL : http://www.bbc.co.uk/programmes/b03p824m

134« L'autre site [d'uranium] est situé dans la région de Kidal, au nord-est, qui a la particularité d'être le fief du groupe islamiste Ansar Dine », JEANCLOS, Yves, « Les richesses du sous-sol malien », Arte Journal, Interview par Fred Méon, [En Ligne], janvier 2013

URL : http://www.arte.tv/fr/les-richesses-du-sous-sol-malien/7273746,CmC=7287886.html

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touareg islamiste d'Iyad Ag Ghali. L'exportation outre-mer d'intérêts nationaux ajoute au contexte conflictuel initial un autre degré de lecture géopolitique : les enjeux de pouvoir sous les territoires.

1. Les routes du désert sahélo-saharien : de la caravane à la caravelle.

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Deux cartes complémentaires, ou concurrentes, se superposent au Sahel-Sahara. L'une découpe le désert en Etats objectivement identifiables ; l'espace est a priori fixe, les frontières limitent et séparent différentes aires géographiques135. L'autre dresse le portrait d'un désert traditionnellement ouvert, structuré par la circulation des populations qui y vivent ou le traversent. A contrario, les différentes aires géographiques sont connectées, reliées, par des routes qui matérialisent le mouvement fondamental ; l'espace est mobile, dispersé, et opaque pour ceux qui ne le connaissent pas136, (les lieux se déplacent en fonction des rencontres137, les routes sont nombreuses, les populations adaptent leur itinéraire aux conjonctures). A la fois fragmenté en territoires figés, et rythmé « par des routes millénaires dont la trame est restée inchangée depuis des siècles » 138, le désert, qui comme la mer « sépare et unit »139, s'est transformé en plateforme commerciale multicouche. Il actualise les formes traditionnelles d'échanges sahariens entre populations locales (A), et intègre à sa structure historique les nouveaux produits mafieux transcontinentaux (B).

135OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.108 136GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», Diploweb, [En Ligne], mars 2012

http://www.diploweb.com/Al-Qaida-au-Sahara-et-au-Sahel.html

137RETAILLE, Denis, « L'espace nomade », op. cit., pp.71-82

138OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.36 139GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», op. cit.

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A. Le réseau et les échanges : une structure initiale inchangée.

La grande diversité de routes qui parcourent le désert multiplie les itinéraires possibles. Les populations choisissent en fonction du contexte climatique, économique, ou sécuritaire, les voies à parcourir ; « Parmi un grand nombre de possibilités, seuls sont utilisés les tracés jugés, à un moment donné et en fonction du contexte local ou régional, les plus pratiques et les plus sûrs »140. Dans le désert, la relation Homme-espace est en constante évolution. Elle nécessite des efforts d'adaptation multiples et différents selon les conjonctures; le mouvement, tant physique, que psychologique, est premier, si bien qu' « au Sahara, on ne décide pas, on obtempère »141.

Les principaux axes de circulation sont connus, pratiqués, certains cartographiés depuis la colonisation. Mais, pour l'essentiel, ils demeurent tributaires de la connaissance qu'ont les peuples de cet espace142. En ce sens, la seconde carte du Sahel-Sahara livre une définition du pouvoir qui ne s'exprime pas seulement en termes de contrôle de territoire, mais par la maîtrise des routes et des étapes de croisement qui la prolongent143 . Le terme arabe mamlaka signifie dans son sens général « autorité ». Mais, il est également utilisé pour désigner les Empires de la route, cette configuration en axes de circulation contrôlés, faisant écho au pouvoir imposé par la mobilité. Les routes sont segmentées, « chaque groupe ne connait, ne contrôle, et n'exploite qu'un segment du trajet, ce qui entretient la fragmentation territoriale et complique encore l'éventuel relevé des parcours »144. Le Sahel-Sahara est découpé schématiquement en croix, par deux axes principaux, de l'océan Atlantique à la mer Rouge, et du Maghreb au Sahel. Théodore Monod distingue, quatre axes, quatre fuseaux méridiens qui divisent géographiquement le Sahara, et qui sont repris dans l'étude du commerce et des relations sahariennes et transsahariennes actuelles145.

140GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», op. cit.

141LECOQUIERRE, Bruno, « Le Sahara, désert habité et terre de passage », Conférence présentée au Festival International de Géographie, Saint-Dié des Vosges, [En Ligne], 9 octobre 2011, URL : http://www.reseau-canope.fr/fig-stdie/fileadmin/contenus/2011/itineraires/01/ITI1_08_Sahara_LECOQUIERRE.pdf

142GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», op. cit.

143OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.36 144GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», Diploweb, op. cit.

145CHOPLIN, Armelle, « Un Sahara, des Sahara-s. Lumières sur espace déclaré « zone grise » », Géoconfluence, [En Ligne], juillet 2013

URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/un-sahara-des-sahara-s

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« Le « fuseau » transsaharien occidental, qui mettait en relation les régions du bassin du Sénégal et du haut-Niger jusqu'à Tombouctou (les Empires du Ghana, du Mali, du Macina, etc.) aux cités commerçantes de l'actuel Maroc, était animé essentiellement par les tribus maures. Le fuseau central, activé et contrôlé dans une certaine mesure par les Touareg, reliait quant à lui les ports et oasis des actuels Algérie et Libye aux Empires de la boucle du Niger, aux cités-États haoussas ou aux Empires du Kanem-Bornou aux abords du lac Tchad. Le dernier axe, plus oriental et qui est devenu prépondérant à la fin du XIXème siècle, traversait le pays Toubou, en mettant en relation les royaumes du Darfour et du Ouaddaï à l'actuel Libye. »146

Le désert n'est pas vide d'Hommes147 ; il est parcouru, a contrario, par « un peuplement continu [qui] apparait le long de ces routes [...] »148. Sociétés et marchandises structurent un réseau articulé par des hubs où s'élèvent oasis et villes. La variable aquifère n'explique pas à elle seule la présence d'oasis, qui ab extra se sont constituées au croisement des routes (Agadez, Gao, Tombouctou, Djenné, entre autre)149. L'établissement de ces étapes est nécessaire à la vie, et entretient ce réseau qui repose avant tout sur les relations humaines et commerciales. La distinction entre nomade et sédentaire comme concepts opposés, est dépassée, puisque « les villes sahariennes et sahéliennes sont ainsi nées de cette rencontre »150. La nécessité de l'échange a unifié le désert en un vaste ensemble de transition et de transaction. Il s'agit d'une région « où dans la durée, la survie des populations dépend des stratégies de négoce avec leurs voisins »151. Les populations ne vivent pas d'un désert qui ne produit que peu, ou pas, de biens. Mais, la pratique du commerce entre ses marges, « esclaves, or, ivoire, huile de palme »152, du sud vers le nord, et « étoffes, dattes, chevaux, livres et islam »153, du nord vers le sud, « sans oublier le commerce du sel »154, permet la vie et l'évolution de ces sociétés. Les villes-étapes servent un commerce intense, développé sur la base de solidarités lignagères, alliances tribales, ou relations clientélistes « souples et

146GAGNOL, Laurent, Les « circulations transsahariennes : enjeux et perspectives », op. cit., p.2

147« Durant l'ère pré coloniale, le Sahara n'était absolument pas une périphérie de l'espace de la moitié Nord du

continent, mais bien un ensemble de centres de gravité des échanges. », JOYEUX, Alain, « Les enjeux

géopolitiques sahariens », Education Défense IHEDN, [En Ligne], novembre 2013, p.2

URL : http://defense.ac-montpellier.fr/pdf/cercle/joyeux_sahara_texte.pdf

148OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.36

149GAGNOL, Laurent, « Les circulations transsahariennes : enjeux et perspectives », op. cit., p.2

150RETAILLE, Denis, « L'espace nomade », op. cit., pp.71-82

151SCHEELE, Judith, « Circulations marchandes au Sahara : entre licite et illicite », Hérodote, n°142, 2011/3,

p.143

152JOYEUX, Alain, « Les enjeux géopolitiques sahariens », op. cit., p.2

153Ibid. 154Ibid.

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fluctuantes »155. Elles ont notamment permis la diffusion à grande échelle des idées et de la religion musulmane (au XVème siècle par exemple, Tombouctou est un centre du savoir islamique156).

Avec « le triomphe de la caravelle sur les caravanes »157, les modes d'échanges traditionnels déclinent. L'essor du commerce maritime déplace les centres de gravité sahélo-sahariens vers la périphérie viable et exploitable, au détriment du centre sec continental. Dans le même esprit, la colonisation développe le commerce littoral qui, désormais, se met intensivement à produire, et « capte les richesses naturelles et agricoles d'un large arrière pays »158. Les nouvelles villes et les capitales ne se forment plus au croisement des routes, mais s'implantent sur le littoral (Nouakchott), ou dans les zones agricoles des pays semi-désertiques (Bamako)159. L'administration coloniale, qui entend contrôler l'espace, met en place un service de transport transsaharien qui fait reculer la mobilité et les échanges traditionnels. Les nouvelles technologies, et les engins à moteur modifient profondément la valeur espace-temps, et rendent de ce fait obsolète le commerce caravanier, qui finit par disparaitre dans les années 1950160. La division de l'espace en sphères politiques dans les années 1960 entérine ces transformations qui relèguent au second plan les activités commerciales traditionnelles. Les axes de circulation sont fragmentés au sein des nouveaux Etats.

Aux indépendances, les politiques internes des Etats tentent de modifier le processus d'exclusion des zones désertiques à l'aide principalement de deux mesures : augmentation de la présence militaire dans les zones inféodées du nord, et aménagement du territoire par les « constructions de routes, [et] développements des villes [...] »161. Colonne vertébrale de l'intégration politique intra-étatique et régionale, les routes modernes s'ouvrent dès les années 1990 au commerce saharien et transsaharien. Les marges nord et sud du Sahara multiplient les échanges. Au fil du temps, un décalage s'instaure entre les pays du Maghreb et les pays du Sahel162 : le manque de moyens ne permet pas, au Mali par exemple, d'aménager la partie

155GAGNOL, Laurent, « Les circulations transsahariennes : enjeux et perspectives », op. cit., p.2

156GERNER, Jochen, « Repères, petite histoire de l'islam en Afrique subsaharienne », Le Un, n°43, février 2015

157JOYEUX, Alain, « Les enjeux géopolitiques sahariens », op.cit,. p.2

158Ibid., p.3

159Ibid.

160Ibid., p.2

161Ibid., p.3

162SCHEELE, Judith, « Circulations marchandes au Sahara : entre licite et illicite », op. cit., p.153

nord de son territoire (dans le même temps, des velléités sécessionnistes continuent de croître), alors même que le gouvernement doit mettre en place les moyens nécessaires à son désenclavement.

Deux cartes, deux réseaux, se juxtaposent : celle de routes modernes, et celle de routes millénaires ; celle d'un commerce désormais légal, contrôlé et normé. Et celle d'un commerce sauvage, illégal ou illicite, qui pour évoluer utilise la structure inchangée des échanges traditionnels sahélo-sahariens. Bien que les routes modernes soient « par définition figée »163, elles ne « bouleversent pas le schéma global légué par l'histoire »164. Le lien social, les relations interpersonnelles, forment l'infrastructure première du désert. Les circuits traditionnels n'ont pas disparu, et continuent de s'accorder à la modernité ; « le commerce saharien est donc caractérisé à la fois par des continuités d'infrastructures et des changements d'acteurs et de marchandises »165. Adaptée, l'histoire profonde de cet espace sert une économie parallèle, une économie de trafic, qui réintroduit la nécessité de prendre en compte les enjeux de pouvoir sur les axes et les routes de la circulation transsaharienne.

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163OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.36 164Ibid.

165SCHEELE, Judith, « Circulations marchandes au Sahara : entre licite et illicite », op.cit., p.159

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand