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Multi ethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire. Perspective d'un humanisme de la diversité.

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par Essodina BAMAZE Nà¢â‚¬â„¢GANI
Université de Lomé - Master II en Philosophie politique et du droit 2015
  

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CHAPITRE III : DE LA PROBLÉMATIQUE DE LA DIVERSITÉ À UN HUMANISME DE LA DIVERSITÉ

Introduction

La notion de « diversité », dont différents textes117 internationaux font déjà un usage enthousiaste, est revenue à la mode ces dernières années d'une manière insistante, sinon prépondérante, dans les pays démocratiques. Sous forme de nom, on lui accole différents adjectifs. Ainsi parle-t-on d'une diversité culturelle, d'une diversité sexuelle, d'une diversité ethnique, d'une diversité linguistique. Dans cette acception très large, la diversité renvoie à ce qui est divers, c'est-à-dire ce qui présente des différences de nature et qui par conséquent fait appel à « Ce qui est varié » (c'est la diversité comme un « fait »). Mais si l'on veut bien considérer le regain d'intérêt que connaît cette notion depuis les années deux mille, on est amené, au-delà de cette première définition, à appréhender la diversité comme une « valeur » dont le principe consiste à prendre en compte la variété des profils humains dans les différents secteurs tels que l'économie, le droit, l'emploi, l'entreprise et la politique. Appréhendée comme une valeur à promouvoir, la diversité répond à ce souci fondamental de respecter « l'autre dans son altérité118 ».

En tant que valeur à promouvoir, la diversité se comprend donc comme une politique managériale des différences identitaires. Lorsqu'on l'envisage ainsi, c'est à des références historiques, géographiques et démographiques que l'on a recours pour mieux comprendre sa problématique contemporaine. Par exemple, historiquement parlant chaque État en fonction de son histoire particulière adopte une attitude vis-à-vis de la diversité comme valeur à promouvoir. Ce pourquoi, elle a pu véhiculer un lot de « stéréotypes et de préjugés119 » en France, et aux États-Unis, un « manque d'auto-estime120 ». À prendre à la lettre ce qu'enregistre ainsi la démocratie contemporaine au sujet de la promotion de la diversité, une difficulté appelle

117 Déclaration sur la diversité culturelle du 02 novembre 2001. Et Charte de la diversité, 2004.

118 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 72.

119 Ibid., p. 3.

120 A. Semprini, Le multiculturalisme, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1997, p. 76.

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cependant, d'ores et déjà, l'attention : comment penser et pratiquer la diversité, comprise désormais comme une valeur, dans un État sans entrer en conflit avec l'idéal de cohésion démocratique ?

3.1 La diversité entre humanisme abstrait et différentialisme radical

En considérant toute différence comme une valeur absolue qui ne doit comme telle être sacrifiée à une quelconque norme collective dans l'optique de permettre la vie commune, la diversité a connu un regain d'intérêt dans le monde contemporain à travers la mise en place de politiques managériales aussi bien dans les espaces publics que privés. Mais, parler d'une politique managériale de la diversité paraît redondant et tautologique. Tautologique en effet, parce que le « « Il y a » du divers », expression proclamée et consacrée par Bruyeron, apparaît comme l'essence de toute société. Ceci étant, d'où vient alors le fait que la diversité dans les démocraties contemporaines soit problématique au point que le débat philosophique en fasse son champ de réflexion le plus visible ? En réalité, à tout prendre, le souci d'éradiquer les différences, celui d'homogénéiser le divers et le désir de réduire l'autre au même, ont pris une allure telle que « la différence des cultures, en tant que fait » finit par se heurter à cette « sensibilité démocratique, ouverte par définition à la pluralité121 ».

Dans cette logique, lorsqu'on s'engage à soumettre à la sanction analytique, les fondements de la problématique de la diversité, il sera impérieux d'insister d'abord sur le débat entre une conception d'extrême individualisation justifiant l'idée d'un humanisme abstrait et celle d'un attachement manifeste de l'humain à un groupe quelconque comme conduisant, en raison de la multiplicité des groupes auxquels peuvent s'attacher les individus, « à la problématique de la pluralité des systèmes de valeurs et aux implications de cette pluralité122 ». Se pose du coup la question de savoir : comment s'opère la gestion de la diversité dans la perspective d'un humanisme allant d'une extrême valorisation de l'individu à son ré-enracinement communautaire ?

121 S. Mesure et A. Renaut, La guerre des dieux. Essai sur la querelle des valeurs, Paris, Grasset & Fasquelle, 1996, p. 37.

122 Ibid. p. 38.

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Vaste mouvement intellectuel qui prit naissance au XVIe siècle avec les travaux123 de Pétrarque et Boccace, l'humanisme était focalisé sur l'affirmation du pouvoir et l'autonomie de l'homme, et aussi sur le rejet d'une quelconque transcendance divine pouvant obnubiler les capacités de l'homme au sein d'une nature abordée en termes de mystère. L'humanisme ainsi présenté repose l'interrogation portant sur l'homme et sur la place que ce dernier est censé occuper dans l'univers. Les quelques réflexions qui se sont développées autour de cette question n'ont eu d'autre réponse que celle consistant à affirmer l'entière responsabilité de l'homme dans son existence. Compris de la sorte, l'humanisme retrouve ses traces depuis l'Antiquité grecque à partir de l'affirmation de Protagoras d'après laquelle « l'homme est la mesure de toutes choses ». Il trouve ses prolongements au XVIIIe siècle, où il sera récupéré par le mouvement des Lumières fondant la connaissance sur la raison humaine débarrassée de toutes sortes de croyances et de traditions. D'où ce retour à l' « autonomie » et à l' « indépendance » du sujet de la connaissance. Tout ceci indique clairement que l'humanisme est un vaste mouvement, à la fois intellectuel et philosophique, que l'on retrouve à travers l'histoire de l'humanité. Nonobstant cette large diffusion, Renaut qui a eu le mérite de le porter au rang d'un concept philosophique souligne trois grands moments caractérisant chacun une conception particulière de l'identité humaine.

Ainsi, sous le prisme renautien, on distingue une première idée d'humanisme allant de Grotius (ou Pufendorf) à Wolff. De ce point de vue, l'humanisme sera caractérisé par l'idée d' « une nature ou essence, dont peut être déduit le contenu des droits de l'homme124 ». Elle correspond donc à l'aspiration abstraite de la notion juridique des droits de l'homme. Elle évoque également les prétentions européennes à incarner l'humanité. Car, en réalité, l'idée des droits de l'homme abstraits et universels n'est que la résultante des visées impérialistes de l'Occident dominateur. De ces visées au fondement desquelles figure l' « universalisme abstrait », se révèlent souvent des revendications du type de « Boko Haram » au Nigéria. Pour certains, ce n'est là qu'une attitude fanatique. Mais à nos yeux, c'est une

123 Caractérisés par un retour aux textes anciens en vue de récupérer, de manière critique, les valeurs culturelles que ces auteurs anciens avaient exaltées.

124 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 276.

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revendication profondément révélatrice. Révélatrice de ce que peut signifier la référence à des valeurs communes dans un espace qui n'est pourtant pas homogène ; révélatrice aussi de ce que peuvent être les réactions des uns et des autres dans un contexte d'universalisme se fermant aux différences. Que de gens, en effet, ne voient à travers toutes ces revendications qu'un seul aspect : l'hostilité à l'égard des valeurs occidentales.

Mais pour tout analyste attentif, il s'agit d'une « tyrannie de l'universel » qui invite à repenser autrement les rapports entre les cultures. En cause cette fois, non plus l'universalisme mais l'universalisme par exclusion des particularismes. Une inquiétude des plus répandues, et qui a été à l'origine de nombreux conflits sanglants, notamment les génocides occasionnés par la colonisation, ainsi que d'innombrables tensions. Cette inquiétude peut se formuler comme suit : l'humanisme abstrait, que Semprini désigne par l'expression d' « universalisme « borgne »125 », se distingue-t-il d'une « occidentalisation du monde » ? N'aura-t-il pas eu, pour principale préoccupation, d'imposer au monde entier une même échelle de valeurs ? À en croire les partisans de « la politique de la différence », l'ensemble du projet entrepris par l'humanisme des Lumières n'est qu'un déguisement sous lequel se dissimulerait une entreprise de domination. Et, on peut même légitimement se demander si l'universalisation des valeurs qui rime avec ce premier type d'humanité ne va pas conforter l'hégémonie d'une culture. Ce qui présenterait deux périls graves : le premier, celui de voir peu à peu disparaître les valeurs des autres cultures ; le second, celui de voir les porteurs de ces cultures menacées adopter des attitudes de plus en plus radicales et suicidaires. En ce sens, l'humanité, après avoir frôlé ce premier type d'humanisme a procédé à sa relecture permettant ainsi le passage à un second type d'humanisme.

Ce dernier se voulant soucieux à l'égard des différences correspond à

l' « humanisme différencié », lequel repose sur le postulat qu' « il y a bien une nature humaine, mais une nature originellement différenciée126 ». Ce second type d'humanisme procède au « ré-enracinement » de l'individu dans une communauté particulière. Du coup, il se situe à l'antipode de cette première idée d'humanité qui

125 A. Semprini, op. cit., p. 9.

126 Confère A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 277.

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procédait à un « déracinement » de l'individu de son contexte social. Du même coup, l'humanisme différencié s'inscrit en faux contre cette première vision de l'humanisme, parce que cet humanisme (essentiellement abstrait) dépouille l'individu de ses liens naturels. Le second type d'humanisme est incarné par le romantisme qui reproche à la modernité dans sa globalité d'avoir arraché l'homme à ses liens communautaires an ayant recours à une « abstraction méthodique de son insertion originaire dans une humanité particulière127 ». Bien évidemment, à partir des réflexions du romantisme, la notion de « différence » n'a cessé de gagner du terrain pour devenir une valeur en soi. Ceci devient particulièrement évident dans l'univers juridique. Désormais donc, les droits de l'homme placent la « différence » au centre de leurs dispositions en démontrant le rapport intrinsèque entre différence et démocratie. L'idée alors d'une « identité différenciée » gagne progressivement les esprits.

Pourtant, bien que critique de la première idée d'humanité, cette seconde idée n'est pas épargnée de critiques. Renaut lui reproche justement sa tendance au « différentialisme dogmatique » ou encore au « différentialisme radical ». C'est pourquoi : « elle ne saurait, selon lui, nourrir la recomposition d'une représentation de l'humanité capable de résister aux séductions d'un différentialisme radical128 ».

Partant des défaillances de ces deux types d'humanisme, Renaut envisage la troisième idée d'humanité située au-delà de l'alternative d'un humanisme naturaliste ou essentialiste et d'un antihumanisme différentialiste de type radical. Cette prise de distance radicale, Renaut la pose encore sur le terrain de l'universalisme. Il établit par voie de conséquence une relation dialectique entre humanisme et universalisme. Ceci à plus d'un niveau : « Cette troisième idée d'humanité correspond à une autre manière de prendre ses distances avec l'humanisme naturaliste ou essentialiste : cette prise de distance, pour radicale qu'elle soit, reste cette fois sur le terrain de l'universalisme129 » ou encore : « La troisième idée d'humanité, que je crois devoir

127 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 277.

128 Id.

129 Ibid., p. 278.

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défendre, reste en effet visiblement dans le cadre de l'humanisme, en ceci qu'elle préserve la perspective de l'universalisme130 ».

Dans le contexte de la présente étude, il y a lieu de distinguer un universalisme abstrait d'un universalisme ouvert. L'universalisme abstrait désigne non seulement le modèle des droits de l'homme abstraits mais aussi et surtout, il caractérise l'idéal incarné par la République française, laquelle République au nom de son histoire, sape tous les fondements d'un « droit à la différence ». Mais, devrait-on en réalité tirer une relation d'opposition entre ce droit et la pensée française de l'universalisme qui se nourrit d'une représentation homogène et rationnelle de l'humanité ? En effet, en parfaite connivence avec l'histoire de la République qui naît à la suite de la Révolution, la France accède à l'universel par la notion de l' « individu ». Ce passage à l'universel caractérise une nouvelle conception du droit. Désormais donc, les « droits individuels » expriment la transcendance de l'individu alors que les « droits collectifs » sont censés l'obscurcir. Or, une telle conception des droits de l'homme, par sa tendance à affirmer l'universel comme valeur en excluant du champ de l'humain tout ce qui ne s'y réduit pas « vient arracher l'humain à ses appartenances et détruire son inscription dans une nature particulière131 ».

Dans la même logique, si nous percevons la résurgence des différences au sein de l'espace public comme exigence d'un universalisme ouvert, ce nouvel universalisme n'est pas sans conséquence sur la vie sociale, politique et économique. L'attachement manifeste des individus à des identités collectives, résultat d'une perversité de l'universalisme dogmatique, témoigne d'après Renaut de « l'exclusion quotidienne et la discrimination économique, sociale ou politique132 » de ces différentes identités. C'est à la lumière de ce constat que le passage d'un universalisme abstrait à un universalisme ouvert à la diversité sera marqué par une nouvelle conception de la justice et de l'injustice :

L'injustice n'est pas aujourd'hui perçue au premier chef dans les différences de niveau de vie, du moins à l'intérieur de certaines limites. Pour des consciences convaincues que tous « naissent et demeurent libres et égaux en droits », l'injustice, voire la discrimination résident

130 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 279.

131 Ibid., p. 275.

132 Ibid., p. 286.

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bien davantage dans le fait que certains sont moins favorisés que d'autres du point de vue de la capacité qui leur est ménagée de démontrer leurs qualités par l'acquisition de compétences et par la mise en oeuvre professionnelle133.

En effet, à partir de ce qui s'exprime de plus en plus en termes de respect des différences ou encore de reconnaissance des identités et des différences culturelles, on assiste à une nouvelle demande de justice qui ne s'inscrit plus dans une dynamique de l'égalité démocratique telle qu'elle a longtemps contribué à l'exclusion de certains groupes au nom d'une réduction de la différence à l'identique. Plus précisément, la conception de l'égalité démocratique comme abstraction des différences avait favorisé une forme d'injustice comprise comme injustice collective, c'est-à-dire celle commise à l'encontre de certains groupes culturels. Dans cette optique, les revendications liées à l'identité culturelle, en tant qu'elles témoignent d'un « tournant culturel » des sociétés contemporaines, introduisent une nouvelle conception de la justice : « les revendications de justice ne s'exprimeraient plus uniquement en fonction de principes de redistribution économique, mais emprunteraient également et en priorité le vocabulaire de la reconnaissance culturelle134 ».

En considérant ce que Fraser nomme « tournant culturel » des sociétés contemporaines, on est porté à s'interroger sur les conditions d'une véritable répartition des ressources et des biens dans une société démocratique qui se doit désormais d'avoir un droit de regard envers les plus défavorisés. Dans ces conditions, comment envisager de manière satisfaisante la poursuite pluraliste d'intérêts divers, qui sont en conflit les uns avec les autres ? À la lumière de ce défi, l'apport de Renaut ne s'appréhende que par rapport à un héritage philosophique qu'il convient d'analyser dans les lignes suivantes.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe