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Multi ethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire. Perspective d'un humanisme de la diversité.

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par Essodina BAMAZE Nà¢â‚¬â„¢GANI
Université de Lomé - Master II en Philosophie politique et du droit 2015
  

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4.2 Décolonisation et diversification des responsabilités en Afrique noire

Pour comprendre la logique à laquelle répond la décolonisation des consciences en Afrique noire, il s'avère indispensable de situer notre analyse à partir de ce que fit la colonisation dans le contexte africain. Dans le contexte africain en effet, la récurrence des ethnicismes paraît se nourrir du syndrome de fermentation de la diversité ethnique liée à la colonisation des identités. De ce fait, le regain d'intérêt pour la décolonisation des identités telle que défendue par Renaut réside dans la promotion d'une « ouverture maintenue à un universel se débarrassant à l'infini des démons de la colonisation des identités209 ». Dans le sillage de cette colonisation des identités, lorsqu'on ambitionne d'appréhender les problèmes africains ou d'évoquer le sort de l' « Afrique désemparée », l' « Afrique déboussolée » ou encore

l' « Afrique désenchantée », le salut de cette Afrique a toujours été présenté comme résidant dans la seule responsabilité de ses acteurs politiques. Et une raison paraît justifier cette tendance : c'est celle d'après laquelle, placés au-devant de la scène politique, seuls les dirigeants ont une vision de la société idéale à construire.

208 Cité par Institut national de recherche pédagogique, Approches interculturelles en éducation, septembre 2007, p. 23.

209 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 433.

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Mais à partir du moment où toutes leurs actions tendent à avaliser le propos de Lissouba, d'après lequel, « On n'organise pas des élections pour les perdre210 », il y a lieu de réexaminer et même de nuancer cette prise de position justifiant la seule responsabilisation des dirigeants africains. En réalité, l'intérêt personnel prévalant dans l'esprit des gouvernants africains, on ne saurait pour cette même raison faire appel à leur unique responsabilité et de surcroît, ayant observé aussi comment les cellules familiales ont contribué à la crispation du sentiment identitaire notamment dans le cas du génocide rwandais, il y a urgence de diversifier les responsabilités. Par conséquent, le propos de Lissouba ainsi que la crispation autour du sentiment d'appartenance Hutu et Tutsi rendue possible par l'éducation familiale représentent quelques-unes de ces perspectives qui engagent la responsabilité de toutes les composantes sociales comme une condition essentielle à une « démocratisation ancrée » en Afrique noire.

C'est précisément à partir de ce constat que se justifie actuellement la nécessité d'une décolonisation des consciences dans les États postcoloniaux d'Afrique noire. Dans ce registre, ce qu'on ne perçoit pas encore, et dont il faut dire quelques mots, c'est le lien entre décolonisation des consciences et responsabilité. Pour établir ce lien, on se référera à l'éthique (comprise comme la morale) dans la pensée de Renaut : « il est extrêmement difficile, même si certaines philosophies morales de grande ampleur l'ont tenté, de concevoir la moralité sans recourir à l'idée de responsabilité (...)211 ». En partant de cette affirmation, qui établit un lien entre moralité et responsabilité, le lien entre décolonisation et responsabilité se laisse percevoir dans la conscience comme dénominateur commun à la responsabilité et à la décolonisation. En effet, la décolonisation comme pierre angulaire d'un humanisme de la diversité est présentée sous le prisme renautien comme une activité de déconstruction des préjugés véhiculés dans la conscience (individuelle et collective) par la colonisation. La responsabilité, consistant à répondre de ses actes, met en exergue la place prépondérante de la conscience que l'on définit ici comme une connaissance claire que chacun peut avoir à l'égard du monde environnant et à l'égard de soi-même. Dans le contexte de l'Afrique noire où, les conditions d'un

210 Propos repris par D. Kokoroko, « Les élections disputées : réussites et échec », op. cit., p. 115.

211 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 254.

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véritable décollage politique sont laissées à la charge des gouvernants, il est question de déconstruire une telle mentalité en procédant en retour à une sorte de détection des responsabilités à tous les niveaux de l'appareil étatique.

Sur ce mode, lorsqu'on se place dans cette posture consistant à situer les responsabilités, il faut s'apercevoir qu'il existe, en premier lieu, des responsabilités liées à la cellule familiale et à l'école. La famille, en tant qu'elle révèle son impact sur l'insertion sociale de tout individu, est le lieu réputé pour la formation et la maturation de ce dernier. Elle facilite, à tort où à raison, l'intégration de l'individu dans une communauté d'égaux. De ce fait, elle pose les bases d'une véritable personnalité de l'individu ; laquelle personnalité pourra se parfaire à l'école. Du coup, il existe un lien étroit entre la cellule familiale et l'école. La première après avoir posé les fondements d'une maturation de l'individu, nous permet alors de tourner les regards vers l'école qui se trouve investie d'une mission particulière : rendre libre et responsable l'individu en lui permettant d'établir un pont entre ses liens sociaux primaires et l'intégration dans une communauté d'égaux. À travers l'instruction, l'école permet à l'individu d'obéir à une règle impersonnelle tout en lui donnant la possibilité de se forger le sentiment d'appartenir à une entité commune qu'est la nation. Pour ces raisons, la cellule familiale et l'école doivent être les lieux privilégiés où l'éducation à la démocratie, à la citoyenneté doivent s'enraciner en Afrique noire. Elles doivent constituer ce contexte dans lequel les valeurs cardinales de « cohésion sociale », de « respect de la diversité » (culturelle, ethnique, sexuelle et religieuse) sont largement diffusées. C'est à ce prix que l'individu qui serait porté au sommet des instances de décisions politiques peut agir en ayant en vue l'intérêt national. On conclut alors que la famille et l'école doivent jouer les rôles d'avant-garde dans l'édification des États-nations démocratiques en Afrique noire : « L'école, aidée par la famille, mais aidant aussi la famille à faire siennes certaines valeurs d'ouverture, peut assurément jouer un rôle (...)212 ».

Aussi doit-on préciser que l'Université, en tant qu'un ferment de la diversité humaine, se trouve concernée. En tant que ce lieu de diffusion d'un plus haut savoir, l'espace universitaire est celui au sein duquel on voit poindre des tendances à

212 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 426.

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l'ethnocentrisme. Preuve en est : le regroupement de différents groupes sur la base des référents ethniques ou régionalistes servant de « lit de Procuste » lors des processus électoraux. Face à cela, il y a lieu de « désethniciser » le fait ethnique dans l'espace universitaire. Ce qui ne peut s'opérer véritablement que par une recomposition sociale procédant par l'exploration des thèmes touchant à l'ouverture à la diversité dans la perspective du partage d'un espace civique commun à préserver. Il s'agira d'y renforcer, par exemple, les capacités en matière de « politique managériale des différences ethno-identiatires », de « pluralisme démocratique », de « relativisme culturel » et la nécessité de son dépassement. Encore faudrait-il rappeler que, pour obtenir le résultat escompté, les universitaires doivent mobiliser leur bagage intellectuel pour deux motifs essentiels : d'abord, pour offrir une perspective qui permet d'allier conviction individuelle à la responsabilité collective ; ensuite, pour offrir ce cadre propice à une véritable refondation politique nationale. Ils ont donc une lourde mission en tant qu'éclairés et éclaireurs :

C'est une tâche qui attend partout les hommes de culture de concilier les indispensables résistances identitaires au rouleau compresseur de la société du vide, pour maintenir ici et là nos vitalités historiques (...) avec la non moins indispensable exigence de recul et de refroidissement, le non à l'inféodation, que l'on peut et doit exiger de ce nom, où qu'il se trouve213.

Quant aux dirigeants politiques, ils n'ont d'autres responsabilités que celle exigeant d'eux des dirigeants exemplaires dans leurs relations avec le peuple. Il serait par exemple requis de tenir à leur parole, de s'engager véritablement en faveur du bien commun dans un esprit de vérité et de sincérité. Car, comme l'écrivait si pertinemment Junior : « Même si la politique est l'art du mensonge, il faut que les dirigeants démontrent un minimum de vertus cardinales, d'honnêteté, de franchise et de recherche de l'intérêt général au détriment des ambitions par trop personnelles214 ». En aspirant toujours au bien commun, les dirigeants africains favoriseraient ainsi une répartition équitable des ressources de l'État. Une telle exigence augure la responsabilité de l'État dans la répartition des ressources.

213 R. Debray, L'intellectuel face aux tribus, op. cit., p. 59.

214 D. F. Junior, Quand l'Afrique s'éveillera..., Yaoundé, Nouvelles du Sud, 1998, p. 175.

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En considérant tout ce qui a été dit au sujet de la politique des quotas, on en conclut que les États africains doivent fonder leur politique de répartition des ressources sur le principe de l'égalité des chances qui ne fait aucunement appel à une « politique de la différence ». Mais faire abstraction des différences ne signifie pas qu'il faut « attribuer à toutes les personnes, en mettant entre parenthèses leurs différences, la même quantité d'une charge ou d'une ressource quelconque215 ». Une précision mérite alors d'être faite au sujet de la notion de « différence ». La « différence » dont il s'agit de faire abstraction concerne ici les distinctions fondées sur des appartenances ethniques induites par la politique des quotas. En revanche, la différence qu'il s'agit de ne pas mettre entre parenthèses, à la lumière du propos de Renaut, sus indiqué, concerne le « mérite ». En traitant chacun avec le même respect et la même attention dans l'accès à l'emploi, par exemple, le seul critère de différenciation serait le mérite et non point la référence à une appartenance ethnique. Puisque, avec ce retour vers la politique des quotas ethniques dans la répartition des avantages sociaux et économiques dans les États africains, on pourrait régresser vers l'édification d'une nation ethnique (ce dernier entravant profondément l'enracinement de la nation civique).

Toutefois, pour rendre plus effective cette égalité des chances sans faire courir le bruit d'un privilège accordé à une ethnie, il faut alors faire appel à la justice compensatrice qui, comme nous l'avons déjà signalé, ne passe en rien par l'établissement des quotas ethniques. Plus grande, est ici encore, la proportion accordée à l'humanisme de la diversité présentée comme synthèse des deux exigences : celle de concilier la diversité dans les consciences (individuelles et collectives) et celle de promouvoir la répartition équitable des ressources de l'État à partir de la politique préférentielle. La politique préférentielle s'affiche comme une perspective idoine en Afrique noire.

Il appert alors que le choix de l'humanisme de la diversité comme perspective d'un enracinement de la démocratie en Afrique noire se révèle fécond pour la raison suivante : cet humanisme permet de distinguer clairement entre un traitement politique (engageant la responsabilité de l'État) et un traitement éthique (engageant

215 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 18.

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la conscience de l'individu) ; démarche longtemps ignorée par ses pairs qui n'ont vu que la responsabilité de l'État. Certes, il est vrai, la véritable promotion de la diversité se joue dans la conscience de l'individu porteur d'une culture. Mais, en réduisant tout le processus de promotion de la diversité à la responsabilité de l'État et à celle de l'individu, une inquiétude surgit relativement aux appartenances communautaires surtout quand on a à l'esprit l'évidence d'après laquelle « L'identité de l'individu est liée à des identités collectives et ne peut être stabilisée que dans le cadre d'un réseau culturel216 ». Formulée de façon interrogative, cette inquiétude se ramène à ceci : comment concilier les attentes communautaires de reconnaissance avec l'exigence démocratique de cohésion sociale ? Ne pourrait-on pas, au-delà de l'État et de l'individu, engager la responsabilité communautaire des représentations culturelles ? Il importe alors de dire qu'une exploration de cette inquiétude déchaîne des critiques à l'endroit de Renaut.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote