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Pragmatique, narrativité, illocutoire et délocutivité généralisées.

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par Jean Robert RAKOTOMALALA
Université de Toliara - Doctorat 2004
  

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1.2. LA NARRATIVITÉ

Dans les sciences humaines, la narratologie est une discipline à part entière, mais elle tend de plus en plus à envahir tout le champ cognitif de diverses disciplines. En tout cas, la narrativité fait échec à la volonté de diviser les textes en types parmi lesquels on distingue : l'informatif, l'explicatif, l'argumentatif, le descriptif. En réalité, un texte ne peut pas être défini exclusivement par un seul type, une description de femme peut être, par exemple, un argument sur sa séduction et peut expliquer en outre pourquoi tel ou tel individu s'est ruiné pour elle.

Par contre ce qui semble être une certitude, c'est que tout texte est de nature narrative. Cette position dominante de la narrativité dans tous les textes est expliquée de la manière suivante par Umberto ECO :

«Face à l'ordre "Viens ici", on peut élargir la structure discursive en une macroproposition narrative du type "il y a quelqu'un qui exprime de façon impérative

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le désir que le destinataire, envers qui il manifeste une attitude de familiarité, se déplace de la position où il est et s'approche de la position où est le sujet d'énonciation". C'est, si on le veut, une petite histoire, fût-elle peu importante.» (ECO, 1985, p. 185)

Autrement dit, toute production linguistique de rang de l'énoncé reçoit son intelligibilité par son insertion dans la logique narrative, comme le montre cette narrativisation de l'ordre « Viens ici » dans ce passage. Les textes littéraires, poème ou prose se plient également à une logique narrative qui permet de dire qu'ils prennent naissance à partir d'un manque et qu'ainsi, leur énonciation a pour but la liquidation du manque.

Un autre argument pour la prégnance du narratif dans tout discours nous vient de BARTHES qui soutient son universalité et sa capacité de s'inscrire dans n'importe quelle sémiotique : « Innombrables sont les récits du monde. C'est d'abord une variété prodigieuse de genres, eux-mêmes distribués entre des substances différentes, comme si toute matière était bonne à l'homme pour lui confier ses récits : le récit peut être supporté par le langage articulé, oral ou écrit, par l'image, fixe ou mobile, par le geste ordonné de toutes les substances ; il est présent dans le mythe, la légende, la fable, le conte, la nouvelle, l'épopée, l'histoire, la tragédie, le drame, la comédie, la pantomime, le tableau peint, le vitrail, le cinéma, les comics, le fait divers, la conversation. De plus, sous ses formes presque infinies, le récit est présent dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les sociétés ; le récit commence avec l'histoire même de l'humanité. » (BARTHES, 1966, p. 1)

Cette dernière remarque qui consiste à dire que le récit commence avec l'histoire même de l'humanité n'est pas sans confirmer les résultats des recherches sur l'origine du langage ; à savoir que l'hominisation de l'espèce coïncide avec le passage du protolangage vers le langage. Cette convergence nous permet de dire que la narrativité est l'essence du langage.

Par ailleurs, d'Etienne Souriau (1950) à Greimas (1966b) en passant par Vladimir Propp (1970 (or. 1958)), les récits servent à la découverte de la narrativité. Cette procédure de découverte du mécanisme narratif à partir du matériau du récit est une démarche déductive mais confirme une fois de plus la prégnance de la narrativité dans l'acquisition du langage. De plus, il est très instructif de constater que le matériau narratif de cette découverte soit justement des contes populaires (PROPP) ou des mythes (GREIMAS), c'est-à-dire des productions linguistiques que l'on peut ranger dans ce que nous avons appelé ici « première littérature ». Ainsi, GREIMAS (1966b, pp. 29-30) est parvenu à une description simple de l'algorithme narratif :

« Une sous-classe de récits (Mythes, contes, pièces de théâtre, etc.) possède une caractéristique commune qui peut être considérée comme la propriété structurelle de cette sous-classe de récits dramatisés : la dimension temporelle, sur laquelle ils se trouvent situés, est dichotomisée en " un avant vs un après".

À cet "avant vs après" discursif correspond ce qu'on appelle un "renversement de situation" qui, sur le plan de la structure implicite, n'est autre chose qu'une inversion des signes du contenu. Une corrélation existe ainsi entre les deux plans : »

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Avant

?
Après

Contenu inversé

Contenu posé

En parlant de sous-classe de récits, nous ne pouvons que conclure à une attitude prudentielle à une étape précise de la recherche, car nous avons déjà pu constater avec Umberto ECO la généralisation de la narrativité à tout texte. Néanmoins, on peut tenir cet algorithme pour valable pourvu qu'il soit compris comme une version faible de celui-ci :

« Un récit idéal commence par une situation stable qu'une force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de déséquilibre ; par l'action d'une force dirigée en sens inverse, l'équilibre est rétabli ; le second équilibre est semblable au premier mais les deux ne sont jamais identiques. » (TODOROV, 1971-1978, p. 50)

De cette exploration de la narrativité, nous retenons ceci : une fois le monde converti en récit, la catégorie du réel s'évanouit comme une question inutile. En effet, selon les thèses de B. VICTORRI, le langage serait né par la nécessité d'évoquer une crise passée chez les populations du paléolithique. C'est-à-dire qu'il s'agit de transférer des événements abolis du passé dans le présent de l'énonciation sous forme de spectacle linguistique.

Cette manière de faire s'adresse avant tout à l'intelligence et de cette manière s'inscrit dans un rapport interlocutif. Il s'ensuit que la conformité du récit à ce qui s'était passé vraiment importe peu, ce qui compte c'est la logique narrative qui s'y expose, une logique que l'on peut résumer de la sorte : une lutte pour la hiérarchie sociale conduirait à l'anéantissement de toute la population par un déchaînement de violence incontrôlable. L'objectif de notre apprenti narrateur, celui du paléolithique, était donc de parvenir à développer cette matrice sémantique de manière à obtenir l'adhésion du public sur la valeur illocutoire de son récit. En effet, la logique narrative fait en sorte qu'une minute de récit peut contenir cent ans d'histoire. Mais voyons comment VICTORRI s'imagine les choses :

« Supposons alors que notre apprenti narrateur arrive à faire comprendre qu'il veut évoquer l'un des acteurs de cette crise passée, en utilisant quelque procédé mimétique : imitant l'une de ses particularités physiques, un animal qu'il aimait chasser, son cri favori, etc. Le succès d'une telle évocation était susceptible de produire une impression très forte sur tout le groupe : pour la première fois l'image d'un membre disparu du groupe apparaît devant eux, chacun prenant conscience que les autres partagent la même « vision ». Ce qui était cantonné dans des mémoires individuelles devient l'objet d'une attention collective, acquiert une présence intersubjective, « magique », qui frappe profondément les esprits. Le narrateur peut alors progresser tant bien que mal dans son proto-récit, faisant revivre les personnages devant le groupe subjugué, conscient de vivre collectivement une expérience tout à fait nouvelle. Cette conscience collective renforce la cohésion du groupe et lui confère un nouveau pouvoir. » (VICTORRI, 2002)

Nous retenons de cette hypothèse tout à fait probable que s'il y a référence évolutif fictionnel dans de pareils récits, c'est parce que le narrateur s'efforce de référer à un personnage de manière métonymique (le cri de l'animal qu'il aime chasser) ou synecdochique ou métaphorique, d'une part, parce que c'est un langage qui est en train de se construire et

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d'autre part parce qu'il se trouve dans l'obligation d'obtenir l'adhésion de son auditoire. Ce sont référents évolutifs fictionnels qui ont conduit par la suite les analystes à les comprendre comme une dimension du merveilleux, alors qu'en réalité, il s'agit d'un problème de référence qui n'empêche pas l'intelligibilité de la logique narrative. Actuellement, puisque nous ne sommes plus confrontés à un problème de référence avec les outils sémantico-grammaticaux dont nous disposons, ces références évolutives nous semblent être une naïveté du narrateur, ce qui a longtemps porté un discrédit aux récits oraux comme les mythes ou les contes.

Il y a donc avantage à penser que c'est la logique narrative qui rend supportables les référents évolutifs fictionnels et quelques autres incohérences dans les textes concernés. Le paradoxe de cette situation peut s'expliquer par confrontation avec le langage des mathématiques. Quand dans un énoncé, nous lisons ax2 + bx + c = 0, nous ne nous demandons pas de quel « x » il s'agit, ni quel est le référent de « x », nous devons agir de même dans les récits qui sont commandés par des buts pragmatiques.

Il faut bien admettre pourtant que la réalité est le lieu duquel le langage s'est levé, mais dans la mesure où ce n'est plus un protolangage, mais justement un langage, il s'est arrogé le droit à l'autonomie pour servir essentiellement le rapport interlocutif. Cependant, il ne faut pas radicaliser l'autonomie linguistique, car en réalité, il s'agit d'affirmer la propriété isomorphe du langage et du monde des objets ; pour l'illustrer faisons appel à Robert de MUSIL :

« [...], si l'on veut un moyen commode de distinguer les hommes du réel des hommes du possible, il suffit de penser à une somme d'argent donnée. Toutes les possibilités que contiennent, par exemple, mille marks, y sont évidemment contenues qu'on les possède ou non ; le fait que toi ou moi les possédions ne leur ajoute rien, pas plus qu'à une rose ou à une femme. Mais disent les hommes du réel, "le fou les donne au bas de laine et l'actif les fait travailler"; à la beauté même d'une femme, on ne peut nier que celui qui la possède ajoute ou enlève quelque chose. C'est la réalité qui éveille les possibilités, et vouloir le nier serait parfaitement absurde. Néanmoins, dans l'ensemble et en moyenne, ce seront les mêmes possibilités qui se répéteront, jusqu'à ce que vienne un homme pour qui une chose réelle n'a plus d'importance qu'une chose pensée. C'est celui-là qui, pour la première fois, donne aux possibilités nouvelles leur sens et leur destination, c'est celui-là qui les éveille. » (MUSIL, 1982, pp. 18-19)

Autrement dit, que ce soit un événement réel, ou un événement raconté ; il implique toujours la même intelligibilité narrative. Très brièvement, la logique narrative est une disposition d'intelligibilité qui empêche qu'à aucun moment un élément simple ne renvoie qu'à lui-même. La logique narrative fait que le monde n'est pas un référent ultime, mais qu'en passant à travers lui, le mouvement de la référence s'arrache de la nécessité d'existence pour s'engager vers une référence textuelle que nous appellerons à la suite de RIFFATERRE « référence horizontale » (1979, p. 37 et passim) qui est un renvoi de texte à texte.

Ce qui veut dire encore que la signification cesse d'être celle du discours synthétique et bascule vers l'univers de la vérité analytique. C'est de cette manière que le langage s'autonomise et qu'il y a lieu de dire qu'une fois le monde converti en discours la catégorie du

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réel s'évanouit comme une question inutile. La référence horizontale fait que dès qu'une figure du monde est posée dans un discours, la référence au monde extralinguistique importe peu, ce qui devient important c'est l'intelligibilité de la figure en ce qu'elle peut être autrement. La figure s'inscrit dans un parcours temporel où elle peut perdre des propriétés et en acquérir d'autres. De cette manière, il n'y a rien que du langage dans le langage.

Dans la logique narrative, les contraires ne s'opposent pas mais coexistent en polémiquant. C'est ainsi que dans la sémiotique narrative, le programme narratif consiste en un passage d'un état de disjonction vers un état de conjonction à un objet du désir. Avec son style propre, QUINE nous apprend avec une pointe d'exacerbation la même chose, c'est-à-dire, l'impossibilité du langage d'être une tautologie du réel :

« C'est pourquoi que j'ai dit et redit et au fil des années qu'être, c'est être la valeur d'une variable. Plus précisément, ce que l'on reconnaît comme être est ce que l'on admet comme valeurs des variables liées. » (QUINE, 1980, p. 51)

Nous allons nous servir de cette dernière propriété du narratif pour essayer de résoudre le problème de la question de l'obligation juridique introduite dans la compréhension de la valeur illocutoire.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera