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Pragmatique, narrativité, illocutoire et délocutivité généralisées.

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par Jean Robert RAKOTOMALALA
Université de Toliara - Doctorat 2004
  

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3. LA SYNECDOQUE.

Résumé :

Pour une lecture intertextuelle dont le but est d'accroître la lisibilité, disons que la synecdoque reprend la figure de Cendrillon. Longtemps négligée au profit de la métaphore et de la métonymie, elle s'avère la plus intéressante puisqu'elle est dans l'essence du langage. L'article néanmoins a pour mission de montrer que le principe synecdochique est à l'oeuvre dans le choix de forme en vertu de son implication dans le rapport interlocutif.

Mots clés : synecdoque, métonymie, métaphore, inaliénable, conventionnel

Abstract :

For an Intertextual reading whose goal is to increase the readability, say that the Synecdoche takes up the figure of Cinderella. Long overlooked in favour of metaphor and the metonymy, it turns out the most interesting since it is in the essence of the language. Article nevertheless has for mission to show that the synecdochique principle is at work in the choice of form under his involvement in the interaction face act report.

Key words: Synecdoche, metonymy, metaphor, inalienable, conventional

La synecdoque a permis à TODOROV (TODOROV, 1970) de mettre NIETZSCHE (NIETZSCHE, 1887) au goût du jour, en ce qui concerne notamment la question de l'oubli comme principe fondamental au coeur de la possibilité du langage. Sans le mécanisme de la synecdoque, le langage serait devenu hors portée de tout apprentissage puisqu'il s'apparenterait à une tautologie du réel. La relativité linguistique connue sous le nom de "thèse de Sapir Whorf" est une démonstration qui atteste que le langage ne peut pas être une tautologie du réel mais que chaque langue présente une organisation particulière de ce réel.

En effet, cette thèse consiste à dire que chaque communauté linguistique organise différemment le concept des choses à travers son système lexical. Ainsi, pour donner un exemple, on s'aperçoit qu'une communauté d'éleveurs possède un vocabulaire plus riche pour dénommer la robe des zébus qu'une communauté de bureaucrate dans la même aire linguistique. A fortiori, deux communautés linguistiques différentes auront une conception différente de la même réalité. Cette dernière affirmation est soutenue par Ernst CASSIRER (1969, pp. 44-45) quand il pose que le langage est une contribution à la construction du monde des objets :

« Le langage n'entre pas dans un monde de perceptions objectives achevées, pour adjoindre seulement à des objets individuels donnés et clairement délimités les uns par rapport aux autres des « noms » qui seraient des signes purement extérieurs et arbitraires; mais il est lui-même un médiateur dans la formation des objets; il est, en un sens, le médiateur par excellence, l'instrument le plus important et le plus précieux dans la conquête et pour la construction d'un vrai monde d'objets. »

De cette dernière remarque, il suffit d'ajouter que dans l'état actuel de nos connaissances, toute tentative de résoudre l'origine du langage n'est qu'une hypothèse

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fondée sur la supposition que l'ontogenèse de la parole reproduit les étapes de la phylogénèse (LAFONT, 1978, p. 63). Autrement dit, ce qui se passe dans l'acquisition de la parole chez l'enfant serait mutatis mutandis le schéma de l'acquisition de la parole au niveau de l'espèce humaine. Toutefois, il faut accepter que l'ontogénèse de la parole se fait au sein de l'univers linguistique donné des adultes qui réalisent dans des découpages spécifiques de l'univers référentiels. L'acquisition du langage n'est pas un processus ex nihilo, elle prend sa source dans le logosphère déjà construit.

Cette dernière remarque permet de rompre avec le mentalisme de la psychologie qui avance que le langage est l'expression de la pensée, comme s'il s'agissait d'une simple extériorisation. En définitive, chaque sujet ne parle pas depuis « l'intérieur de sa tête », mais depuis la langue maternelle déjà là qu'il investit, depuis les discours des autres, les paroles des autres, masse discursive qui précède et organise a priori le rapport du sujet à lui-même, à autrui et au monde. C'est ainsi qu'il y a relativité linguistique.

Il y a lieu de croire que la relativité linguistique est en relation étroite avec la notion de synecdoque. Il faut distinguer la relativité linguistique de l'arbitraire du signe linguistique, car ce dernier est issu des contrastes entre les langues. En revanche, c'est la possibilité des langues elles-mêmes, donc du langage qui, dans sa relativité, dépend de la synecdoque.

Pourtant, dans la littérature de la rhétorique, cette figure fait office de puînée maltraitée au profit de ces deux aînées que sont la métaphore et la métonymique. La remarque suivante de Gérard GENETTE (GENETTE, 1972, p. 25)est très instructive à ce propos:

« Comme on a déjà pu s'en aviser, il suffit maintenant d'additionner ces deux soustractions : le rapprochement dumarsien3 entre métonymie et synecdoque et l'éviction fontanière4 de l'ironie, pour obtenir le couple figural exemplaire, chiens de faïence irremplaçables de notre propre rhétorique moderne: Métaphore et Métonymie. »

L'analyse que nous proposons dans cet exposé suit la réhabilitation amorcée par le groupe u (DUBOIS J. , et al., 1982) qui définit la métaphore comme une double synecdoque et on ne peut que suivre le commentaire de TODOROV à cet égard:

« Tout comme dans les contes de fées ou dans le Roi Lear, où la troisième fille, longuement méprisée, se révèle être à la fin la plus belle ou la plus intelligente, Synecdoque, qu'on a longtemps négligée - jusqu'à ignorer son existence - à cause de ses aînées, Métaphore et Métonymie, nous apparaît aujourd'hui comme la figure la plus centrale. » (TODOROV, 1970, p. 30)

L'introduction de la dimension pragmatique du langage a exacerbé cette relativité au point que les expressions linguistiques s'opacifient pour exhiber la subjectivité de l'énonciateur en termes d'actes de langage. Dès lors nous sommes plus dans un processus de

3 De Dumarsais (César Chesneau), 17ème siècle.

4 De Fontanier (Pierre), 19ème siècle.

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signification du signe constitué de signifiant et de signifié, mais dans un processus de symbolisation dont la sémiosis est un système de renvois de signe à signes.

C'est là un point important où la pragmatique rejoint la sémiotique triadique de Charles Sanders PEIRCE, notamment dans la théorie des interprétants telle qu'elle se définit dans la définit dans la conception suivante :

« Un signe ou representamen est un Premier qui se rapporte à un second appelé son objet, dans une relation triadique telle qu'il a la capacité de déterminer un Troisième appelé son interprétant, lequel assume la même relation triadique à son objet que le signe avec ce même objet ... Le troisième doit certes entretenir cette relation et pouvoir par conséquent déterminer son propre troisième ; mais, outre, cela, il doit avoir une seconde relation triadique dans laquelle le representamen, ou plutôt la relation du representamen avec son objet, soit son propre objet, et doit pouvoir déterminer un troisième à cette relation. Tout ceci doit également être vrai des troisièmes du troisième et ainsi de suite indéfiniment... (2.274) » (PEIRCE, 1978, p. 147)

Il appert de cette définition du signe triadique qu'elle mélange à la fois le processus de signification et le processus de symbolisation. Dans la première partie de la définition, il est dit que le premier renvoie à son second ; il s'agit là du mouvement de la dénotation privilégié par la doctrine saussurienne. Mais quand il est ajouté que cette première relation doit être capable de déterminer un troisième qui interprète la première relation, nous sommes dans un processus de symbolisation qui s'articule sur un renvoi de chose à choses.

L'analyse de Michel LE GUERN confirme ce système de renvois quand il entend par symbole la possibilité pour un signifié de devenir le signifiant d'autre chose et ainsi de suite :

« On pourra donc dire qu'il y a symbole quand le signifié normal du mot employé fonctionne comme signifiant d'un second signifié qui sera l'objet symbolisé ». (1972, p. 40)

C'est de cette manière que la « balance » est prise pour le symbole de la justice parce que le signifié de la balance devient justement l'expression de la notion de justice en ce que ce signifié peut être compris comme une objectivité mécanique de tout ce qui est présenté sur la balance, et ce signifié est défini par la symbolisation comme immanente à la justice. Si le processus relève purement de la signification, on voit mal comment quelque chose qui est déjà défini par les dictionnaires - donc par convention sociale - comme étant un instrument de mesure des massifs pour en faciliter notamment le commerce, peut renvoyer à la justice de manière stable comme s'il s'agissait d'une signification.

Autrement dit, la question qui va nous guider maintenant est de savoir pourquoi la symbolisation se greffe de manière parasite sur la signification. C'est une question qui n'est pas triviale en considérant que le principe d'économie inscrit dans la double articulation du langage a pour but d'éviter la surcharge de la mémoire alors que paradoxalement le symbole dédouble littéralement la signification en ajoutant à côté de la relation signifiant / signifié une autre : le symbolisant et le symbolisé.

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On peut répondre à cette question de plusieurs manières, mais celle qui va être privilégiée dans cet exposé s'inscrit dans le cadre de la pragmatique. La démarche consiste à dire que si le langage n'est pas une tautologie du réel c'est parce qu'il embraye sur la dimension interlocutive en termes d'actes de langage.

Sous quelques réserves, cette option correspond à la thèse praxématique dont voici - il nous semble - la meilleure expression :

« De l'objet, la nomination ne nous dit rien de ce qu'il est pratique d'en dire. La logosphère est un spectacle de réalité que l'homme a « monté » au cours de son histoire, pour les services qu'il en attendait.

L'homme ainsi n'atteint jamais le sens des choses - la formule elle-même est privée de sens -, mais le sens qu'il donne aux choses et qui accompagne, facilite son action sur les choses ». (LAFONT, 1978, p. 16)

C'est-à-dire que signifier implique toujours des actes, et en tenant compte que le langage est avant tout pour une communication, nous en déduisons qu'au niveau cognitif, ces actes sont de nature linguistique donnent son intelligibilité au rapport interlocutif. Pour éviter de revenir sur de longs développements de la théorie des actes du langage, prenons un exemple pour clarifier les choses.

Très peu de femmes connaissent bien les propriétés physiques d'un diamant mais elles savent toutes que c'est un objet très rare si bien qu'elles sont convaincues que c'est un véritable symbole de l'amour. Autrement dit, offrir à une femme du diamant en guise de symbole de l'amour, c'est la convaincre de la sincérité de cet amour. C'est de cette manière que s'opère le renvoi de signe à signes : du diamant à l'amour, on passe par la sincérité et la conviction. Il nous semble aussi que c'est dans cette dérivation illocutoire que se vérifie l'hypothèse d'Adam SCHAFF qui considère que langage et connaissance sont les deux faces d'une seule et même chose.

D'ailleurs, c'est une thèse qui fait l'unanimité des linguistes et des philosophes que d'admettre que le langage influence notre mode de perception de la réalité :

« Cette thèse signifie exactement ceci que le langage, qui est un reflet spécifique de la réalité, est également, dans un certain sens, le créateur de notre image du monde. Dans ce sens que notre articulation du monde est du moins dans une certaine mesure la fonction de l'expérience non seulement individuelle, mais aussi sociale, transmise à l'individu par l'éducation et avant tout par le langage. » (SCHAFF, 1969, p. 236)

C'est une expérience facilement vérifiable, mais là où le bât blesse dans la formulation de cette thèse c'est que partout l'exemple avancé revient à dire pratiquement la même chose : la différence lexicale au niveau quantitatif entre les dénominations de la neige par les Inuits et par les langues européennes tout en oubliant de signaler que si les Inuits ont un lexique plus riche pour dénommer la notion, c'est que chaque lexique renvoie à d'autres signes qui enregistrent des expériences.

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Ce qui veut dire que la relativité linguistique n'est pas dans la diversification des langues mais dans la manière dont chaque langue opère le renvoi de signe à signes. Bien que le terme de relativité linguistique ne soit nullement présent chez HJLEMSLEV, nous avons toutes les raisons de penser que son effort d'analyse sur le principe d'isomorphisme en termes de substance et forme du contenu est une autre forme d'expression de cette pensée :

« Seules les fonctions de la langue, la fonction sémiotique et celles qui en découlent, déterminent sa forme. Le sens devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

Ce qui veut dire que le sens, dépendant de l'univers référentiel, est identique dans toutes les langues, mais seulement, sa mise en forme engendre la relativité linguistique en se diversifiant dans chaque langue. Une diversification qui découle du principe de renvoi de signe à signes. Autrement, la traductibilité entre les langues serait impossible.

Il est vrai comme le fait remarquer MARTY (MARTY, 1980, p. 29)que l'oeuvre de Peirce est compliquée par une terminologie lourde, et de plus fluctuante. En plus on reproche à la théorie du signe triadique d'une part, le fait que tout est signe et que, d'autre part, le processus de renvoi de signe à signes est un processus ad infinitum.

La seule réponse que l'on peut avancer contre cette remarque est le protocole mathématique avancé par Joëlle RÉTHORÉ (RETHORE, 1980, p. 32). En résumé, la question est de savoir comment le nombre « 1 » peut renvoyer au nombre « 2 » ; dès lors l'introduction du nombre « 3 » comme interprétant de la relation entre « 1 » et « 2 » permet de trouver la raison « n+1 » de ce processus. Il n'est plus alors difficile de prévoir un processus de renvois à l'infini puisque les entiers naturels sont infinis.

Si le lexique d'une langue n'est qu'un système dans lequel le signifiant est relié au signifié pour engendrer la désignation d'un objet du monde, au sens philosophique de ce dernier terme, alors il serait une série de hasard, car : « D'après KOLMOGOROV et CHAÏTIN, une série de hasards est une série dans laquelle il n'est d'autre détermination des membres que leur énumération. » (SAVAN, 1980, p. 11)

Au contraire, il y a lieu de penser que le lexique d'une langue est fonction du principe de renvoi de signe à signes. Mais le principe de renvoi de signe à signes qui fait que le langage est aussi un instrument de connaissance n'est pas un principe unique. Il existe des lexiques par le biais desquels le renvoi de signe à signes se signale par un trouble de la référentialité. Ces lexiques sont en gros ce que nous appelons « trope », et parmi les tropes nous allons nous attacher particulièrement à la synecdoque.

Il nous semble que ce survol des théories mises en cause est nécessaire. Leur convergence sur le point où la symbolisation prend le pas sur la signification n'est pas seulement un garant scientifique, mais surtout, elle va nous permettre de prendre la synecdoque sous le double processus de la signification et de la symbolisation et que sa

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motivation fondamentale est commandée par des buts pragmatiques qui sont une inscription du sujet dans le langage. Évidemment, les résultats sont extensibles aux autres tropes.

Plus précisément, il s'agit de considérer les tropes, et en particulier la synecdoque, comme des actes de langage. En effet, nous pouvons nous prévaloir de deux cautions pour une telle démarche. La première nous vient de Catherine KERBRAT-ORECCHIONI (KERBRAT-ORECCHIONI, 1994) qui s'attache à démontrer l'existence de trope illocutoire. La seconde, plus intéressante, est un détournement de la logique par Benoît de CORNULIER vers le domaine de la pragmatique. Un détournement qui emprunte la voie de l'onomasiologie pour affecter à un signifiant une signification déjà exprimable en langue.

Ce détournement est appelé « détachement du sens » dont voici la formulation : "Détachement (fort) du sens : (P & (Psignifie Q)) signifie Q" (CORNULIER, 1982, p. 132)

Autrement dit, lorsque l'énonciateur décide explicitement ou implicitement que tel segment linguistique doit être interprété de telle ou telle manière, ce segment linguistique signifie ce que lui est assigné en vertu de cette interprétation. C'est ce qui se passe exactement dans la synecdoque. Soit l'exemple classique de « un village de 10 toits ».

« Toit » est un lexique qui existe déjà dans la langue concernée. Au nouveau de la signification, son signifié peut se résumer en ceci : partie qui recouvre les murs d'une maison afin de protéger des intempéries. Dès lors, il s'ensuit dans son emploi en discours tel montré par cet exemple, il y a un trouble référentiel : un village n'est pas composé seulement de toits. Ce trouble est indiciel de la voie d'interprétation qui force à comprendre qu'une maison n'est pas seulement faite de toit, ce qui impose de lire « toit » par conjonction avec l'interprétation que lui fournit le terme « village » dont il est l'adnominal.

Ce qui revient à dire que « toit » tout en continuant à signifier "toit" met en arrière-plan cette signification au profit de la symbolisation qui renvoie au signe « maison ». C'est de cette manière que cette synecdoque que l'on qualifie de particularisante signifie plus. Autrement dit, en se servant de la logique du calcul propositionnel tel qu'il est converti sous la notion de détachement du sens de CORNULIER, nous avons l'interprété « toit » et l'interprétant « maison » sous l'interprétation forcée par le contexte que « toit » renvoie à « maison ». Il faut rappeler que dans cette démarche que c'est la conjonction de l'interprétant avec l'interprétation qui impose l'interprétant, et ceci est, il faut le reconnaître, un acte de langage imposé par l'énonciation qui consiste à donner une règle d'interprétation d'un élément du langage pour qu'il puisse renvoyer à un autre élément, exprimable également dans ce langage et ainsi de suite indéfiniment selon la théorie des interprétants de PEIRCE.

CORNULIER a eu effectivement une plume heureuse en accouchant les lignes suivantes qui pointent sur un acte de sémiotisation inédite - ce qui nous permet d'assumer l'assomption des figures au sein des actes de langage - sans que cela mette en péril l'intercommunication, même dans le langage courant :

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« Le détachement du sens est donc un principe qui permet à un langage de s'incorporer n'importe quel élément nouveau comme signe de n'importe quelle valeur qu'on puisse déjà y exprimer. En ce sens, l'inventivité sémiologique est arbitraire, radicalement et totalement, dans la mesure où le détachement fort du sens a la force d'une règle. De fait, en principe «P» peut être n'importe quoi. » (CORNULIER, 1982, p. 136)

Il est très remarquable dans les dessins des enfants, à cause justement de leur maladresse, qu'un tracé confus ne peut représenter leur maman qu'en vertu de la légende qui l'interprète comme tel, il en est exactement de même pour les signalisations des panneaux routiers : ils signifient en vertu du code de la route.

La réussite de cet acte, s'il faut le mettre dans le cadre de conditions de félicité d'AUSTIN, est garantie par deux choses. Premièrement, la contradiction entre « toit » avec sa situation d'adnominal de « village » force l'allocutaire à identifier la figure. Deuxièmement, en identifiant la figure, il a l'indice dans le segment « village » pour suivre l'interprétation imposée par le contexte. À savoir que « village » lui-même est une synecdoque particularisante pour désigner un type de groupement de maisons, c'est ce qui permet à « toit » de renvoyer à « maison ».

De la même manière, pour prendre l'exemple éculé de "voile" pour renvoyer à « bateau », on s'aperçoit qu'il n'y a pas de raison - même par simple connaissance encyclopédique - qu'une voile puisse être aperçue en mer sans le bateau auquel elle est attachée comme élément moteur de l'énergie éolienne. C'est ce qui force à comprendre l'expression comme une figure synecdochique dans la mesure où elle est comprise comme une partie d'un tout.

Du point de vue de l'émetteur, on peut se demander pourquoi telle partie et non telle autre qui est choisie par le locuteur. Pour y répondre, il faut faire intervenir la notion d'universaux linguistiques. Il nous semble que la nomination indirecte d'objet du monde relève d'une dimension affective fortement ancrée dans l'homme. Dans la mesure où les mots sont multidimensionnels, et Robert LAFONT a parfaitement raison de dire que le praxème - l'équivalent du monème chez MARTINET - n'est pas doué de sens mais est un outil de production du sens (1978, p. 29), ils sélectionnent dans leur emploi un parcours d'évocations irréductible aux problèmes de signification tels que cela est défini par les dictionnaires.

Dès lors, il y a lieu de comprendre que si deux signes, respectivement littéral et figuratif, peuvent atteindre la même référence, c'est que l'un relève de la convention sociale et que l'autre, idiosyncratique est une inscription du sujet dans le langage par un ajout de dimension affective selon un processus de renvois de signe à signes.

Dans les exemples que nous avons donnés, on peut comprendre dans le premier que c'est la partie qui assure la protection contre les intempéries qui est l'objet de la focalisation de la figure. C'est cette valeur protectrice de la maison qui est mise en avant comme s'il s'agissait de mettre à distance l'époque où l'humanité se refusait dans des cavernes. Cette dimension affective est ancrée dans le langage puisqu'elle entre en relation intertextuelle, à

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la manière d'une homothétie, dans d'autres expressions comme " avoir un « toit »" Par ailleurs, « toit » est aussi à son tour une synecdoque qui désigne un ensemble de matériaux les plus divers disposés sur des pannes afin de protéger une maison des intempéries.

Dans le deuxième exemple, il n'est que de se référer à l'immolation d'Iphigénie à Aulis pour solliciter à Éole de lever le vent afin que les bateaux des Spartes puissent se faire justice à Troie, pour rendre compte de l'affectivité qui s'attache à la voile. Tout se passe comme si sans voile, il n'était pas question de navire. Il faut aussi admettre que du point de vue du sens. C'est la voile qui signale de loin un bateau de ce genre. De la sorte, pour communiquer cette information référentielle, il est plus logique de parler de voile que de bateau. Ensuite, s'il faut ajouter que les navires sont également un instrument de communication entre les hommes, surtout en termes de circulation de marchandises, alors le terme de voile dans sa légèreté peut également renvoyer à ce parcours d'évocations sous forme de promesse sur la trame d'un avatar puisque la navigation en voile est tributaire des caprices de la nature.

Cette exemplification montre bien qu'il ne s'agit pas du tout de changement de sens mais d'un parcours d'évocations dans un système de renvois de signe à signes. Il n'est même pas possible de suivre la voie tracée par TODOROV dans cette perspective qui donne le commentaire suivant en constatant la bévue de la théorie substitutive :

« Fontanier est un des rares à être conscient de la différence entre les deux opérations; il définit les tropes comme la substitution d'un signifié à un autre, le signifiant restant identique ; et les figures, comme la substitution d'un signifiant à un autre, le signifié étant le même ». (TODOROV, 1970, p. 28)

En effet, il s'agit d'un système de renvois que prennent en charge les mots dans la mesure où ils sont eux-mêmes synecdochiques d'une pluralité d'expériences réduites en un seul : le mot, suivant en cela le principe d'oubli qui a fait dire à NIETZSCHE que l'homme est un animal métaphorique. Ce qui veut dire en définitive qu'il n'y a pas de substitution de quoi que ce soit, mais simplement d'oubli contre l'oubli conventionnel : en éclipsant le sens littéral de « toit » la figure fait tomber celui-ci dans un oubli volontaire, c'est-à-dire un epokhé ou une mise entre parenthèses.

Mais une mise entre parenthèses de la sorte ne peut se faire que sous la reconnaissance préalable de ce qui est ainsi oublié. En oubliant que « toit » est une agglomération de matériaux pour une fonction précise on se rappelle qu'il est un aggloméré pour un objet supérieur à lui : la maison.

De nouveau, faisons dialoguer les auteurs. Dans un article publié dans un ouvrage collectif, Jacques DERRIDA tente de montrer le concept de différance (avec un « a ») en partant de la thèse de SAUSSURE selon laquelle dans la langue il n'y a que des différences, et voici l'un des résultats :

« On pourrait ainsi reprendre tous les couples d'opposition sur lesquels est construite la philosophie et dont vit notre discours pour y voir non pas s'effacer l'opposition mais s'annoncer une nécessité telle que l'un des termes y apparaisse comme la différance de l'autre, comme l'autre différé dans l'économie du même

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(l'intelligible comme différant du sensible, comme sensible différé ; le concept comme intuition différée - différante ;[...] » (DERRIDA, 1968, p. 56)

On perçoit pourtant à la lecture du texte entier dans lequel s'inscrit ce passage que DERRIDA y exprime le malaise de l'impossibilité de saisie de la différance comme entité représentable, bien que plus tard, il a abandonné ce doute :

« Le gramme comme différance, c'est alors une structure et un mouvement qui ne se laissent plus penser à partir de l'opposition présence/absence. La différance, c'est le jeu systématique des différences, des traces des différences, de l'espacement par lequel les éléments se rapportent les uns aux autres. » (DERRIDA, 1987 (éd. or. 1972), p. 38)

Ce qui est intéressant dans cette évolution, c'est qu'elle s'inscrit, dans le dialogue des textes, en écho avec la thèse de NIETZSCHE (Cf. (KREMER MARIETTI, 2001)) pour qui les figures rhétoriques sont l'essence du langage, parce qu'elles procèdent par symbolisation, c'est-à-dire, par renvoi de signe à signes que DERRIDA appelle ici rapport des éléments les uns aux autres.

Exactement, ce rapport paradigmatique des éléments, car c'est de cela qu'il s'agit, se lit dans les mots (pour émonder le jargon) que nous utilisons pour nommer les choses. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre le mot comme une cristallisation d'expériences. Une cristallisation qui peut naître du contact aux choses ou du contact aux mots dans un mouvement de complémentarité. Et déjà, nous retrouvons l'aspect synecdochique du mot, car une pluralité d'expériences est réduite en une dans le mot. Il faut reconnaître encore que ce mouvement synecdochique n'est pas simple mais double.

D'abord, le mot comme un tout individué renvoie à une foule d'éléments qu'il subsume, ensuite, il entre aussi en tant qu'élément d'une autre unité qui le subsume à son tour avec d'autres comme le souligne l'affirmation suivante :

« La praxis linguistique rend compte du réel en transférant à l'« l'unité de typisation » toutes les occurrences dont la variété n'importe pas au message, en ramenant à l'« unité de hiérarchie signifiante » toutes les occurrences présentes en une. Le praxème ne produit du sens qu'en ce qu'il est cette double unité » (LAFONT, 1978, p. 134)

En effet, et pour illustrer, les premières occurrences qui font le type permettent d'appeler « arbre » une foule d'individus comme peuplier, eucalyptus, manguier, citronnier, etc. Le rapport de ces individus à arbre est un rapport synecdochique, chaque individus reproduit aussi le même rapport avec ses sous individus, et ainsi de suite indéfiniment. Les occurrences qui font l'unité de hiérarchisation sont une décomposition du mot « arbre » en unités plus petites : racines, tronc, branches, feuilles, etc. de telle manière que arbre soit synecdochique de ces éléments. Chaque unité plus petite entretient le même rapport avec ses sous unités et ainsi de suite indéfiniment.

Quand on dit dans le domaine de la technique automobile « arbre de transmission », le mot unité « arbre » sélectionne « tronc » comme synecdoque généralisante ; et quand on

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parle d'« arbre syntagmatique » en linguistique ou d'« arbre généalogique » en anthropologie, la sélection opte pour « racines » ou « branches » selon le sens d'orientation des ramifications.

Cette même analyse de l'unité mot en tant que double articulation se retrouve sous une forme plus technique et rigoureuse chez le groupe u (DUBOIS J. e., 1982). Mais pour éviter le piège des sèmes, il y a lieu de dénoncer que les analyses componentielles sont restrictives.

En effet, rien n'interdit au mot unité « arbre » de renvoyer à « sève », à « écorce », à « bourgeon », à « fleur », à « fruit » ; et plus encore à des éléments qui ne sont pas constitutifs de l'unité arbre dans l'une ou l'autre articulation. Par exemple, à « oiseau », à « vent », à « vie » etc. mais ce dernier type de renvoi ne saurait plus concerner la synecdoque.

En tout état de cause, nous préférons parler du mot unité d'un foyer d'évocations. Mais pour le cas de synecdoque les parcours d'évocations seront limités à la double articulation du mot tel que cela est défini par LAFONT. Cette spécification de la synecdoque nous impose de lever une ambiguïté native de la définition de la synecdoque. Reprenons alors la définition la plus citée :

Cette définition semble être claire. Elle montre le point d'intersection entre la métonymie et la synecdoque : un changement de nom ; en même temps qu'elle montre leur différence. Dans la synecdoque, le changement concerne un rapport de la partie au tout dans un sens du plus vers le moins qui permet de parler de synecdoque généralisante et du moins vers le plus engendrant ce que l'on appelle synecdoque particularisante.

Or, il est très curieux de constater qu'un ouvrage qui est toujours cité et qui se distingue par sa clarté et sa pertinence dans l'approche de la métaphore et de la métonymie, citant exactement la même définition de DUMARSAIS ci-dessus nous livre la remarque suivante : « Pour la synecdoque de la partie pour le tout ou du tout pour la partie, le processus est le même que dans le cas de la métonymie » (LE GUERN, 1972, p. 15).

Et ce processus, nous croyons le comprendre dans l'exemplification suivante qui a pour but d'asseoir épistémologiquement la théorie de la métonymie :

« Par exemple, si j'invite le lecteur à relire Jakobson, cela n'implique pas de ma part une modification interne du sens du mot « Jakobson ». La métonymie qui me fait employer le nom de l'auteur pour désigner un ouvrage opère sur un glissement de référence ; l'organisation sémique n'est pas modifiée, mais la référence est déplacée de l'auteur au livre. » " (LE GUERN, 1972, p. 14)

Le processus, donc, qui semble fonder la définition réside dans ce que LE GUERN appelle glissement de la référence. C'est ce glissement de la référence qui est commun à la synecdoque et la métonymie. Il s'ensuit que certains exemples qu'il donne comme étant des métonymies sont des synecdoques dans notre perspective.

En effet, s'il est indubitable, sans qu'il soit nécessaire pour l'instant de faire la démonstration de la preuve que dire relisez Jakobson, le nom « Jakobson » est métonymique. Par contre, dans la remarque suivante où un exemple issu des textes de Zola est présenté

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comme ayant la même facture, c'est-à-dire, être une métonymie au même titre que l'exemple précédent, le doute est permis :

« Quand Zola écrit : « de grosses voix se querellaient dans les couloirs, le mot « voix » ne change pas de contenu sémantique ; l'utilisation du mot « voix » pour désigner des personnes qui parlent n'entraîne qu'une modification de la référence. La relation qui existe entre les voix et les personnes qui parlent, tout comme la relation qui existe entre Jakobson et son livre, se situe en dehors du fait proprement linguistique : elle s'appuie sur une relation logique ou une donnée de l'expérience qui ne modifie pas la structure interne du langage » (ibid. p. 14).

Il est inutile dans l'espace de ce travail de se prononcer sur les causes de cette confusion, il faut remarquer par ailleurs que cette confusion est presque une permanence dans la littérature dédiée. Tout le monde semble s'accorder sur la nécessité de faire la distinction entre métonymie et synecdoque mais n'arrive pas souvent à maintenir cette distinction dans les exemples. Pour n'en citer qu'un autre cas qui justifie notre remarque à l'instant, il n'est que d'évoquer que le même exemple de « voile » pour « « bateau » apparait à l'entrée métonymique et à l'entrée synecdoque dans le Dictionnaire de linguistique et des Sciences du langage (DUBOIS J. e., 1994).

Il suffit donc de dire ici que la synecdoque et seulement la synecdoque implique un glissement de la référence - pour réutiliser cette expression - entre des éléments constitutifs du mot unité, que ces éléments se trouvent dans le mot compris comme unité typisation ou dans le mot compris comme unité de hiérarchie signifiante.

Dès lors, on ne peut pas accepter que « voix » soit métonymique de « personnes » puisque le concept de personne - en tant qu'unité de hiérarchie signifiante, donc une synecdoque des éléments qu'elle subsume - implique linguistiquement le concept de voix qui est un élément inclus dans l'unité « personne ». Il s'agit donc d'une synecdoque. C'est une des conséquences de la remarque de TODOROV sur l'analyse des textes de NIETZSCHE que nous avons évoquée au tout début de cet article.

Par ailleurs, la réduction de cette synecdoque à la métonymie est préjudiciable à la lecture littéraire des textes de Zola. Ce point de jonction entre la linguistique et la littérature ne doit pas être négligé. Sur le plan énonciatif, la synecdoque de Zola permet de rendre compte que 1°, le narrateur ne voit pas les personnes qui se querellaient, il ne fait qu'entendre des voix et reconnaît le caractère conflictuel des échanges. 2°, la querelle demeure verbale et ne s'est pas encore commuée confrontation en physique.

Ce qui veut dire qu'en disant que « des grosses voix se querellaient dans les couloirs » Zola entend bien modaliser son énonciation par une sorte de création d'une isotopie de la querelle. Autrement dit, son énonciation insiste sur le fait qu'il s'agit d'une querelle à l'exclusion de ses paradigmes par le fait de poser comme sujet du verbe l'expression synecdochique « voix » à la place de ce qui est attendu : « personnes ».

C'est de cette manière qu'il peut véhiculer d'autres informations, par exemple en qualifiant ces voix de « grosses », il indique implicitement que les personnes en question sont

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des hommes et non des femmes car la voix est un indice du sexe. Nous sommes alors dans le domaine de la modalisation autonymique de Jacqueline AUTHIER-REVUZ, (1995) car en choisissant la synecdoque, l'auteur, non seulement crée l'isotopie de la querelle, mais en outre, donne une information sur le sexe des protagonistes, et l'on peut ajouter que le sens impliqué dans la narration est l'ouïe et non la vue ; ce qui donne une facture de réalisme de la description ou plus exactement, ce qui donne une « illusion référentielle », pour utiliser cette expression de RIFFATERRE (1982).

En changeant de théorie d'analyse, nous allons nous apercevoir que c'est exactement l'énonciation qui est mise à contribution dans la synecdoque. Nous pouvons prendre la séquence « des grosses voix » comme interprété et « se querellaient » comme interprétant. La conjonction de l'interprété à l'interprétant donne une interprétation qui implique l'interprétant. Il s'agit donc pour Zola d'imposer la querelle par l'utilisation de la synecdoque.

D'autre part, et c'est là l'objectif de cette communication, la synecdoque et les figures sémantiques s'inscrivent dans une perspective des actes du langage. Rappelons très brièvement que dans une première approche, disons heuristique, l'acte de langage est un accomplissement du sens signifié par un verbe sous une énonciation au présent de l'indicatif et à la première personne. C'est le cas du verbe « déclarer » par exemple. Depuis, on s'est aperçu des actes indirects qui font l'économie des verbes performatifs dans la réalisation. C'est la combinaison des deux qui peut être comprise comme la théorie énonciative standard. Puis avec l'analyse des délocutifs du type « merci » il est devenu naïf de vouloir à tout prix chercher le verbe performatif. Dans cet exemple, en effet, on peut, dans une perspective générative, avoir : « je vous dis merci » où l'acte de langage pertinent n'est pas dans le verbe mais dans le nom « merci » par délocutivité.

Cette dernière performativité est le propre du détachement du sens dans sa version forte. C'est par cette règle du détachement du sens que le langage s'incorpore d'éléments nouveaux pour quelque chose que l'on peut déjà signifier dans ce langage. Autrement dit, l'acte de langage qui se profile derrière la synecdoque est une production du sens qui investit la dimension autonymique de la figure.

« Voix », dans l'exemple qui nous occupe, est interprété par l'interprétant « personne » et renvoie donc à « personne » par cette interprétation que l'on appelle synecdoque. Faire des figures est donc un acte de langage qui consiste à créer un nouveau signe. Cette créativité est gouvernée par le principe de la double articulation du praxème, en ce qui concerne la synecdoque. TODOROV a raison, les figures ne peuvent être traitées dans une théories substitutives, elles continuent de signifier littéralement tout en se dotant d'une réflexivité qui attire l'attention sur elles et qui leur permettent de renvoyer à d'autres signes.

Renforçons maintenant la règle du détachement du sens par la sémiotique triadique. Jacques DERRIDA, en s'opposant au structuralisme appelle déconstruction du signe le concept de « différance ». Ce post-structuralisme suppose que les contraires ne s'opposent pas mais coexistent dans une structure polémique. Nous ne sommes plus alors dans une linguistique

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qui fait dériver le signe du rapport entre signifiant et signifié pour désigner un objet du monde. L'intelligibilité des signes leur vient du renvoi systématique à d'autres signes comme nous avons eu l'occasion de le constater dans l'analyse de la synecdoque à partir de la double organisation synecdochique de l'unité mot.

On peut dire dans ce cas que le mot synecdochique est un premier, il renvoie au second qu'il ne faut pas confondre ici avec le référent, par l'intermédiaire de l'application de la règle synecdochique. C'est ainsi que « voix » renvoie à « personnes » et « personnes » à son tour à d'autres éléments de même niveau.

En définitive : synecdoque, détachement du sens, différance, autonymie, sémiotique triadique relèvent du même principe, le renvoi systématique de signe à signes que consignent particulièrement les tropes. C'est ce principe qui empêche au langage d'être une tautologie du réel par une inscription de la subjectivité à la base des actes du langage. Illustrons cela par un exemple de synecdoque.

En prenant la synecdoque au sens étymologique de compréhension simultanée, nous renforçons le rejet de la théorie substitutive en même temps que nous renforçons que le principe de renvoi, en aucun moment, n'escamote pas le premier terme, mais se sert de lui pour renvoyer au second, en fonction de buts pragmatiques.

Il est très remarquable de constater que les gens de la campagne, soumis aux aléas climatiques quant à leur moyen de subsistance, usent d'expressions qui semblent avoir pour fonction de conjurer le sort. Cette attitude linguistique est particulièrement vivace à Madagascar. Elle peut se comprendre sur la base d'un rapport aux divinités qui accordent ou refusent leur bienveillance en fonction du comportement linguistique des vivants.

Or, il faut constater à la suite de FREUD (FREUD, 1912) que le rapport aux divinités en tant que sacrées est toujours marqué par une ambivalence : il est fait de crainte et d'adoration en même temps. Dès lors, on s'aperçoit que la crainte engendre l'euphémisme qui peut s'analyser comme une synecdoque croissante ou expansive. En évitant de nommer certaines choses de crainte de heurter les divinités, il est utilisé une expression de très grande généralité.

Ainsi, en ce qui concerne l'élevage, le campagnard élève des poules, des oies et des canards, le plus souvent. Mais de crainte que les divinités comprennent comme une fatuité s'il en parle directement, le campagnard les désigne par biby [bête]. La raison de cette synecdoque est que les divinités sont également responsables des autres bêtes et non pas seulement des siens. Selon cette perspective, la synecdoque est aussi une forme de préservation de la face.

Pour terminer, en tenant compte que les diverses théories qui ont été présentées pour analyser la synecdoque comme essence du langage, n'arrivent pas à faire une démarcation nette de la question du sens, il nous faut donc évoquer une autre théorie qui est arrivée à faire une radicalisation de la forme. Il s'agit du Prolégomènes à une théorie du langage de Louis HJELMSLEV (HJLEMSLEV, 1968-1971).

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Nous pouvons dire que chez HJELMSLEV, la démarche est plus confiante parce qu'au lieu de parler de sens il fait appel à la notion absolument neutre de « grandeur ». Mais au lieu de faire nous-même la glose de cette théorie féconde, donnons la parole à un commentateur à qui nous devons la relecture de l'ouvrage selon ses nouvelles indications :

« Pour HJELMSLEV le langage ne contient rien que du langage. La sémantique n'existe pas. Il n'existe qu'un plan d'expression et un plan de contenu, appliqué à un inventaire. Mais rien ne dit que l'expression doive être nécessairement sonore ni le contenu nécessairement conceptuel, ces deux niveaux ne sont définis que relationnellement, et ne s'appliquent qu'à tout inventaire qui en est doté. Il n'y a donc rien à abstraire, car il n'y a pas de noyau, pas de sèmes, pas de classèmes, pas de traits pertinents » (ALMEIDA, 1997)

Ce qui lui a permis de concevoir le principe d'isomorphisme entre l'expression et le contenu et que de la sorte : « Le sens devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être substance d'une forme quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

Or s'exprimer en trope, c'est changer de forme de lire le monde, et cette forme, par sa différence avec d'autres formes, indique la force illocutoire de l'expression. Pour illustrer cette dernière remarque, nous allons nous servir d'une synecdoque qui passe inaperçue à cause de son évidence même.

Il s'agit de notre usage des noms propres. C'est pratiquement universel maintenant qu'un individu possède un nom et au moins un prénom. Sauf, circonstance particulière, on choisit l'un ou l'autre. Si l'on choisit le nom, la valeur illocutoire est la marque de distance respectueuse qui est une interdiction de la familiarité. Si l'on choisit le prénom, c'est la marque de la réduction de la distance en témoignage d'une intimité. Il est évident que choisir l'un ou l'autre, c'est faire une synecdoque ; car c'est exprimer une partie pour la totalité. Il en va de même, si par affectivité, le prénom lui-même est encore tronqué : au lieu de dire, par exemple Robert, on se contente de Rob ou de Bob. Pareillement pour l'utilisation d'hypocoristique.

En conclusion, la raison qui pousse les analystes vers la voie de la rhétorique restreinte, sous le couple métaphore et métonymie seulement, paraît maintenant, comme le signale GENETTE (GENETTE, 1970), être une méconnaissance du mécanisme de la synecdoque : le principe de renvoi de signe à signes qui est au coeur de l'essence du langage.

Travaux cités

ALMEIDA, I. (1997, Mai). Le style épistémologique de Louis Hjlemslev. Aarhus, Danemark.

AUTHIER-REVUZ, J. (1995). Les non coïncidences du dire et leur représentation méta-énonciative. Paris: Thèse de Doctorat d'état.

CASSIRER, E. (1969). "Le langage et la construction du monde des objets", dans Essai sur le langage. Paris: Minuit.

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CORNULIER, B. (1982). "Le détachement du sens" dans Les Actes de Discours, Communications,32. Communications, p. 132.

DERRIDA, J. (1968). "La différance". Dans P. Sous la Direction de SOLLERS, Théorie d'ensemble (p. 56). Paris: Seuil.

DERRIDA, J. (1987 (éd. or. 1972)). Positions. Paris: éditions de Minuits.

DOMINE, F. (1988, Octobre). "Dumarsais, es tropes ou des différents sens". Mots(17), pp. 234 - 235.

DUBOIS, J. e. (1982). Rhétorique Générale. Paris: Seuil.

DUBOIS, J. e. (1994). Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris: Larousse.

FREUD, S. (1912). Totem et tabou, interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs. Paris: Payot.

GENETTE, G. (1970). "Rhétorique restreinte", dans Recherhces rhétoriques,. Paris: Seuil. GENETTE, G. (1972). Figure III. Paris: Seuil.

GRANGER, G. (1982, juin). "A quoi servent les noms propres". Langages.

HJLEMSLEV, L. (1968-1971). Prolégomènes à une théorie du langage. Paris: éditions de Minuit.

KERBRAT-ORECCHIONI. (1994). Rhétorique et pragmatique: les figures revisitées. (persée, Éd.) Langue française, 101.

KREMER MARIETTI, A. (2001, Mars). "Nietzsche, la métaphore et les sciences cognitives". Revue tunisienne des études philosophiques(28 - 29).

LAFONT, R. (1978). Le travail et la langue. Paris: Flammarion.

LE GUERN, M. (1972). Sémantique de la métaphore et de la métonymie. Paris: Larousse.

MARTY, R. (1980, Juin). "La sémiotique phanéroscopique de Charles S. Peirce". Langages, p. 29.

NIETZSCHE, F. (1887). Généalogie de la morale. Paris: Gallimard. PEIRCE, C. S. (1978). Ecrits sur le signe. (G. Deledalle, Trad.) Paris: Seuil.

PERALDI. (1980, Juin). "introduction" in La sémiotique de Charles Sanders Peirce. Langages, 58.

RETHORE, J. (1980, Juin). "La sémiotique triadique de C. S. Peirce". Langages(58), p. 32.

RIFFATERRE, M. (1982). "illusion référentielle" dans Littérature et réalité. Paris: Larousse.

SAVAN, D. (1980, Juin). "La séméiotique de Charles S. PEIRCE". Langages(58), p. 11.

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SCHAFF, A. (1969). Langage et connaissance. Paris: éditions Anthropos.

TODOROV, T. (1970). "Synecdoques", dans Recherches rhétoriques, Communications,16. Paris: Seuil.

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