WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les OGM face à la question de la sécurité alimentaire: controverse et dilemme

( Télécharger le fichier original )
par Jean-Paul SIKELI
Université Cocody Abidjan en partenariat avec le Centre de Recherche et d'Action pour la Paix - DESS droits de l'homme 2005
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Paragraphe 2 : Les enjeux de stratégie géopolitique

Le débat sur les OGM remet en selle la problématique des relations Nord-Sud et la querelle idéologique qui la soutend. La question du brevetage du vivant dans les relations commerciales contribue fortement à entretenir ce débat. Vandana SCHIVA125 note à ce propos que dans l'histoire, le brevet a pendant longtemps été utilisé comme un instrument de conquête coloniale. Aujourd'hui, les brevets sont souvent perçus par le tiers-monde comme des outils d'un néocolonialisme, mais les puissances occidentales les assimilent à un « droit naturel » ; un conflit naît ainsi de l'opposition entre les DPI et les droits des communautés villageoises. Ce conflit est curieusement entretenu par l'opposition marquée entre la convention sur la biodiversité et l'accord sur les ADPIC. En effet, alors que la convention de Rio, entrée en vigueur en 1993 entend promouvoir la reconnaissance des droits des communautés locales et des populations autochtones à leurs ressources biologiques, en se fondant sur le « principe d'un partage équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques, l'accord sur les ADPIC, ne promeut pas le partage des profits mais la privatisation des ressources génétiques »126 . Plusieurs observateurs du Sud voient dans la convention sur la biodiversité, un moyen de contrebalancer les droits accordés par les ADPIC.

L'appropriation du vivant à travers les brevets est considérée comme un acte de biopiraterie par les populations autochtones du Sud qui estiment que l'accord sur les ADPIC favorise le vol de leurs ressources naturelles. A ce propos, un rapport d'Action Aid indique que soixante deux brevets « seraient reliés à la biopiraterie (...), ceux-ci permettant à des entreprises de nations riches d'exploiter des ressources aux dépens de paysans pauvres et de leurs

Familles »127. Lors de la rencontre ministérielle de Seattle, les représentants des pays du tiers-monde ont exprimé de vives inquiétudes concernant les droits relatifs à la propriété intellectuelle. Il est affirmé dans l'une de leurs déclarations ceci :

« Certaines plantes que des peuples autochtones ont découvertes et qu'ils cultivent et utilisent pour se nourrir, se soigner ou s'adonner à leurs rituels sacrés ont déjà été brevetées aux Etats-Unis, au Japon et en Europe. En voici quelques exemples : l'aya-huasca, le quinoa et le sangre de drago, qui poussent dans les forêts d'Amérique du Sud ; le kava, dans le Pacifique ; le curcuma et le melon amer, en Asie. Notre accès à la biodiversité environnante et le contrôle que nous exerçons sur nos ressources génétiques ainsi que sur notre savoir traditionnel et notre héritage intellectuel sont menacés par l'Accord sur les ADPIC. L'article 27,3(b) de cet accord autorise en effet le brevetage des formes de vie et établit une distinction artificielle entre plantes, animaux et micro-organismes. En ce qui nous concerne, ce sont tous là des formes et des processus de vie qui sont sacrés et ne sauraient être considérés comme une propriété privée»128. Le problème de la privatisation du vivant au moyen des brevets est aussi lié à celui des OGM. Il est évident que la question des OGM n'est pas réductible à celle des brevets et que réciproquement, la problématique de la privatisation du vivant dépasse le domaine strict de l'agriculture et de l'alimentation. Cette dernière question touche également aux domaines de la santé et du médicament. Le brevetage du vivant et les manipulations génétiques constituent de véritables menaces pour les droits des communautés de base.

Visiblement l'idée de transfert de technologie sert souvent de prétexte à l'Occident pour drainer la technologie du Sud vers le Nord. Les tentatives de mainmise sur l'héritage génétique du tiers-monde en général, et l'héritage génétique africain en particulier participeraient d'un projet bien défini: il s'agit d'intégrer dans la sphère de l'échange marchand, les pratiques séculaires de gestion des écosystèmes et de la biodiversité développées par les sociétés locales, en particuliers les agriculteurs. Ces tentatives visent même à subordonner ces pratiques à des règles commerciales édictées au niveau mondial, bien souvent pour le bénéfice des opérateurs privés. La connaissance des ressources génétiques qu'ont acquises les paysans profite tant aux habitants qu'aux entreprises du Nord. Cependant, les agriculteurs du Sud ne touchent aucune « redevance » pour leur « propriété intellectuelle ». Alors qu'il n'a jamais été question que les agriculteurs acquièrent des brevets sur les semences qu'ils améliorent, les transnationales, elles, font breveter de nouvelles variétés qu'elles prétendent avoir inventées alors que ce sont les paysans qui travaillent à les mettre au point depuis des siècles. Les peuples autochtones se sentent ainsi floués. L'exemple de biopiraterie dont on fait le plus souvent cas est celui de la thaumatine, un édulcorant naturel extrait des fruits d'un arbuste appelé katemfe (thaumatococcus daniellii) qui pousse dans les forêts de l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale. Depuis des siècles apparemment, les populations de ces régions utilisent les fruits de cet arbuste pour sucrer les aliments ou pour renforcer leur goût. Des chercheurs de l'université d'Ifé au Nigeria ont découvert que la protéine extraite de cette plante est environ deux mille fois plus sucrée que le saccharose (le sucre ordinaire).

Depuis quelques années, la thaumatine est utilisée par les industries de l'alimentation et de la confiserie dans plusieurs pays. Plusieurs sociétés ont tenté d'utiliser la technologie de l'ADN recombinant sur le gène producteur de la protéine de la thaumatine. Beatrice Food, une firme agroalimentaire a obtenu un brevet aux Etas-Unis pour le procédé de clonage du gène dans la levure. Il semble également que des chercheurs de la société Lucky Biotech Corporation et de l'université de Californie ont reçu un brevet américain pour tous les fruits, les semences et légumes trangéniques renfermant le gène qui produit la thaumatine. A ce rythme, il est fort probable que des plantations de katemfe ne seront bientôt plus nécessaires ; les pays où le katemfe est cultivé ne pourront alors même plus en exporter les fruits129.

Les agriculteurs des pays en développement craignent que le fait d'accorder des brevets sur des produits agricoles à des sociétés transnationales ne mette leur indépendance en péril et ne les contraignent à quitter leurs terres. Ils craignent également que cela ne favorise la prolifération de variétés génétiquement uniformes et réduisent leur choix aux semences. Les agriculteurs revendiquent le droit de conserver, d'utiliser, et d'échanger les semences qu'ils ont mis des années à obtenir. Ils veulent s'assurer que les brevets ne compromettront pas leurs pratiques agricoles et qu'ils pourront toujours semer des variétés brevetées sans demander de permission, ni payer des redevances. Ainsi que le fait remarquer Wangari Maathai,

du Greenbelt Movement au Kenya, « Pour assurer leur sécurité alimentaire, les communautés locales doivent avoir accès aux semences, pouvoir les améliorer et les échanger librement, et produire suffisamment de nourrture pour subvenir à leur besoins.(...) Le recours au génie génétique menace la sécurité alimentaire de la génération actuelle et des générations futures. »130. Au-delà même de la sécurité alimentaire, c'est la question de la souveraineté alimentaire131 qui est mise en cause avec l'introduction des OGM dans la sphère alimentaire. Il est essentiel de bien percevoir que, derrière les OGM, se dessine plus généralement la question des semences. En effet en contrôlant désormais les semences qu'elles mettent au point, les firmes biotechnologiques ne s'assurent-elles pas également du contrôle des approvisionnements alimentaires ? La maîtrise des semences garantit le contrôle de la production alimentaire. Se couper de toute une partie du développement des semences reviendrait à renoncer à une large part de l'indépendance alimentaire. N'est-il pas vrai que le meilleur moyen de dominer une communauté, c'est de s'assurer le contrôle de son alimentation ?  Il est donc permis de se poser des questions sur la pureté d'intention de ceux qui proposent les semences ou les aliments transgéniques sur les marchés. On peut légitimement soupçonner les firmes détentrices des brevets sur les OGM d'avoir avant tout pour ambition de rendre leurs clients agriculteurs dépendants de leurs fournitures, et d'être essentiellement des commerçants pour qui toutes les stratégies sont permises pour écouler leurs produits avec le maximum de profit. Mais l'on peut surtout s'étonner de l'agressivité assortie parfois de menaces, dont font preuve les USA pays d'origine de la plupart de ces firmes. Elle fait douter de leur générosité pour l'Afrique, d'autant plus qu'il est démontré que les USA peuvent aider l'Afrique à éviter la famine sans recourir aux OGM, avec les stocks alimentaires mondiaux actuels. Pour le professeur Johnson EKPERE, les pays du Sud subissent « une pression pour accepter les biotechnologies de la part des pays qui y ont de gros intérêts. Cela se manifeste de différentes manières : politique, économique et scientifique. La pression politique est la plus forte. Accepter les biotechnologies est désormais souvent une condition pour obtenir une aide financière »132. Le lobby occidental des brevets voudrait convaincre tout le monde de la nécessité de ces derniers pour favoriser la croissance et atteindre un niveau de vie élevé dans le cadre de marchés libres réalisés grâce à l'invention technologique. Les DPI stimuleraient l'investissement, le transfert de la technologie du Nord vers le Sud ainsi que la recherche et l'innovation. Or la réalité est tout autre. Les systèmes de brevets drainent à l'heure actuelle la technologie et la richesse du Sud vers le Nord. Les exemples du riz basmati et de la plante neem sont édifiants. Le riz basmati, communément appelé le « joyau de la couronne » en Asie pour son arôme, ses grains longs et fins et son goût unique est beaucoup prisé au Pakistan et en Inde. Dans ces deux pays, des centaines de milliers de petits fermiers cultivent depuis plusieurs siècles diverses variétés de ce riz, qu'ils sélectionnent et préservent eux-mêmes. En septembre 1997, Rice Tec inc., une petite firme du Texas a obtenu un brevet controversé sur le riz basmati. « Le brevet que détient Rice Tec sur le basmati est considéré par plusieurs comme un cas classique de biopiraterie  » signale La Rural Advancement Foundation International (RAFI, aujourd'hui Action Group on Erosion, Technology and Concentration ), car « non seulement il usurpe le nom de basmati, mais il tire profit du génie génétique des agriculteurs d'Asie du Sud. Le brevet en question s'applique à des croisements touchant vingt deux variétés de riz basmati mis au point par des paysans du Pakistan et de l'Inde ». De son côté, l'entreprise américaine prétend avoir découvert la texture du riz après la cuisson en mesurant l' « indice d'amidon » d'un grain. Or d'après KR Bhatttachrya, ancien directeur du département des sciences céréalières de l'Institut central de recherche sur les techniques alimentaires de Myrose, en Inde, « le prétendu rapport entre l'indice d'amidon et le comportement du riz à la cuisson est faux, artificiel, et fallacieux ; il y a tout lieu de croire qu'il s'agit là d'un subterfuge dont Rice Tec s'est servi pour obtenir son brevet »13 3. Ceux qui contestent le brevet de la compagnie Rice Tec soutiennent que l'utilisation qu'elle fait du nom basmati est frauduleuse car seul le riz cultivé dans le nord de l'Inde et au Pakistan a droit à cette appellation.

En ce qui concerne, le neem (margousier, Azadiracta indica ) cette plante est utilisée à de nombreuses fins depuis des siècles, notamment en médecine et en agriculture. Les valeurs culturelles, médicinales et agricoles conjuguées du neem ont contribué à sa diffusion à grande échelle et à sa popularité. C'est ainsi qu'en Inde, le neem est appelé l'«arbre gratuit ». Pendant des siècles, le monde occidental a ignoré l'existence de cette plante et de ses propriétés. Depuis quelques années, cependant l'opposition croissante aux produits chimiques en Occident, en particulier aux pesticides, a provoqué un enthousiasme soudain pour les propriétés pharmaceutiques du neem, de sorte qu'en 1985 aux Etats-Unis, des sociétés américaines et japonaises ont obtenu plus d'une dizaine de brevets sur des formules stables de solution et d'émulsion à base de nems, y compris un dentifrice. Ainsi la multinationale Grace, une fois ses brevets obtenus et devant la perspective d'une licence d'exploitation de l'Agence de Protection de l'Environnement, a cherché à commercialiser son produit en s'établissant d'abord en Inde.

La demande de semences de la compagnie a eu trois effets : le prix des graines de neem est maintenant hors de la portée des simples citoyens ; en fait l'huile de neem utilisée dans les lampes est quasiment introuvable parce que les huileries ne peuvent plus se procurer les graines. La compagnie achète presque toutes les graines recueillies, les agriculteurs et les fournisseurs autochtones de soins de santé n'y ont plus accès, emportant comme conséquences l'inaccessibilité des pauvres à une ressource essentielle pour leur vie, ressource qui leur était auparavant offerte facilement et à bon marché. Le vif intérêt de Grace pour la production du neem a soulevé une vive protestation des scientifiques, des agriculteurs et des militants politiques indiens. Pour eux, les multinationales n'ont pas le droit de s'approprier les résultats obtenus après des siècles d'expérimentations autochtones et des décennies de recherche « scientifique » indienne. De son côté, pour se justifier, la multinationale prétend que les procédés modernes d'extraction constituent bel et bien une invention. Bien que les travaux de recherche et de développement ayant débouché sur ces compositions et procédés brevetés se soient inspirés du savoir traditionnel, le résultat a été jugé suffisamment nouveau et différent du produit naturel original et des modes d'utilisation traditionnels pour être brevetable.

Du reste, les OGM posent le problème de l'aide alimentaire. En effet, malheureusement celle-ci est de plus en plus utilisée comme arme pour créer des marchés au profit de l'industrie de la biotechnologie et des aliments génétiquement modifiés. L'exemple le plus frappant de cette forme d'«aide inhumaine» fut la tentative de l'USAID de fournir du maïs transgénique aux pays d'Afrique australe frappés par la famine, tels que la Zambie, le Zimbabwe et le Mozambique qui ont pourtant refusé. La combinaison des changements climatiques et des programmes d'ajustement structurel imposés par la Banque Mondiale, a fait de cette région une victime de la sécheresse et de la famine. En 2003, plus de trois cent mille personnes y étaient confrontées directement et la politique qui consiste à leur envoyer une aide alimentaire contenant des OGM est devenue un problème sérieux. Déjà lors de la première session qui clôtura le sommet de la terre à Johannesburg en Afrique du Sud en 2002, l'ex-Secrétaire

d'Etat américain Collin POWELL fut hué à la fois par les ONG et les gouvernements, alors qu'il insistait pour que les pays africains importent les aliments génétiquement modifiés en provenance des USA. Mieux, des centaines de représentants des paysans africains ont condamné la pression exercée par les USA pour distribuer une aide alimentaire à base d'OGM. A la place, ils ont proposé des solutions locales, reposant sur le droit à la terre,

à l'eau et aux semences. Dans la même foulée, le président zambien Levy MWANAWASSA avait déclaré que son peuple préférerait mourir plutôt que de manger des aliments toxiques134. Le président Zambien avait par ailleurs condamné la FAO, l'OMS et le PAM qu'il accusait

d'irresponsabilité en raison de leur soutien aux USA135. « Nous sommes peut être pauvres et nous faisons peut être face à une pénurie alimentaire, mais nous ne sommes pas prêts à exposer le peuple à des risques de maladies » avait-il insisté136. La mondialisation sert souvent de prétexte à l'Occident et tout particulièrement aux Etats-Unis qui veulent accéder librement à tous les pays pour trouver des fournisseurs et vendre leurs produits partout où les entreprises alimentaires peuvent avoir des coûts plus bas et faire de gros profits. Le gouvernement des Etats-Unis a généralement profité de certaines crises et a cherché à protéger et à renforcer sa domination dans le système alimentaire mondial en étendant le contrôle monopolistique de ses entreprises sur les secteurs clés du système alimentaire, s'assurant ainsi que les profits et les royalties continueront à affluer vers ce pays. Dans ce nouveau contexte mondial, les cultures génétiquement modifiées ne sont pas seulement une nouvelle technologie pour l'agriculture des Etats-Unis ; elles sont en première ligne de la politique étrangère de ce pays. En effet le gouvernement américain a de plus en plus recours à des accords de libre-échange bilatéraux et multilatéraux et à une pression diplomatique au plus haut niveau pour pousser les pays à adopter des réglementations favorables aux multinationales concernant les cultures transéniques137. Tout ceci faire dire à Peter HENRIOT que la controverse sur les OGM participe du « paysage plus large de la mondialisation. Elle met bien en évidence les connivences géopolitiques du commerce mondial alliées aux influences politiques et aux intérêts des grandes sociétés multinationales »138.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus