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Les OGM face à la question de la sécurité alimentaire: controverse et dilemme

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par Jean-Paul SIKELI
Université Cocody Abidjan en partenariat avec le Centre de Recherche et d'Action pour la Paix - DESS droits de l'homme 2005
  

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Paragraphe 2 : au plan régional africain

Il s'agira pour nous d'examiner successivement la législation africaine et celle ivoirienne

A La législation africaine

Au plan africain, il existe deux lois dénommées lois modèles africaines ; la première est relative à la protection des droits des communautés locales tandis que la seconde est relative à la sécurité en biotechnologie. Nous les étudierons successivement.

1- La loi modèle africaine pour la protection des droits des communautés locales, des

agriculteurs et des obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques

a- Le contexte

Les sociétés africaines ont constamment innové et fait évoluer leurs connaissances et technologies, pour les adapter à différentes conditions, comme l'ont fait toutes les sociétés humaines. La période coloniale a imposé des changements sans laisser de choix aux peuples locaux. Le « paradigme de développement » d'aujourd'hui continue d'imposer des valeurs et des priorités étrangères. Cependant, de plus en plus les gens commencent à réagir. Ils estiment que les nouvelles technologies doivent être adaptées aux valeurs et aux besoins des communautés, aux traditions culturelles différentes, à qui elles sont destinées. Il faut que ces nouveautés contribuent à la qualité de vie d'une société, en harmonie avec l'environnement et il ne faut pas qu'elles sapent ou détruisent les modes de vie des populations locales. Au cours du vingtième siècle, les sciences et technologies occidentales ont fait des progrès rapides dans tous les domaines, modifiant considérablement la structure de la société dans son ensemble, le pouvoir politique et économique et, surtout, le contrôle et l'accès aux différentes ressources biologiques nécessaires aux moyens de subsistance durables179.

Il est généralement admis que la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique sont nécessaires au bien-être des systèmes vitaux de la planète, dont dépend l'humanité toute entière. Certains tentent au contraire de réclamer des droits de monopole privé sur la diversité biologique d'une communauté. La mainmise des monopoles industriels sur les ressources naturelles des populations autochtones a d'importantes conséquences au niveau local, national et régional sur la sécurité et la souveraineté alimentaires, l'agriculture, le développement rural ainsi que la santé et l'environnement végétal. Le brevet sur les organismes vivants ou sur les plantes ou leurs éléments signifie la reconnaissance légale de droits exclusifs privés sur ceux-ci et leur descendance.

Pour les Africains, les brevets ou toute autre forme de droits de propriété intellectuelle sur les organismes vivants ont de graves conséquences sur le mode de vie des communautés qui se sont succédées sur le continent pendant plusieurs générations. La Convention sur la Diversité biologique (CDB) reconnaît dans son préambule le rôle et les réalisations des communautés locales et autochtones dans la conservation de la biodiversité et par là même, la nécessité de réaffirmer et de protéger les droits des communautés. Les Accords sur les ADPIC qui confèrent aux droits de propriété intellectuelle la possession privée, individuelle et exclusive sur les formes de vie, sont en totale contradiction avec les principes de base de la Convention.

Il semble de plus en plus que les régimes de propriété intellectuelle (DPI) ne peuvent pas protéger les technologies, les innovations, les pratiques et la biodiversité locale. Ces Systèmes favorisent le biopiratage, le pillage de la créativité et des innovations et autres pratiques des communautés locales, les privant des bénéfices économiques tirés de ces produits. Dans un tel contexte, un système qui reflète et protège le caractère essentiel de la richesse culturelle de l'Afrique s'impose. C'est pour répondre à ces différentes préoccupations tenant compte des spécificités africaines des agriculteurs que la loi modèle africaine relative à la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques, a été adoptée à Lusaka en Zambie en 2001, par le sommet des chefs d'Etat dans le cadre de la défunte Organisation de l'Unité Africaine (OUA).

La loi modèle africaine relative à la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques reconnaît la nature dynamique des modes de vie riches en biodiversité des populations locales et leur importance dans le patrimoine humain. Ainsi que le pense le Docteur J.A EKPERE180, si certaines lois favorisent les intérêts des puissants qui cherchent à limiter le développement des autres peuples, cette loi cherche plutôt à défendre les modes de vie des communautés. Elle définit une limite claire entre les systèmes des communautés d'une part, et le contrôle exclusif de la privatisation du vivant d'autre part. Elle permet donc à la communauté de se protéger. Pour l'essentiel cette loi s'adosse à la Convention sur la biodiversité qui impose de respecter et préserver les styles de vie innovants des communautés locales et autochtones, dont le consentement doit par ailleurs être obtenu pour avoir accès à leurs ressources biologiques, à leurs connaissances et à leurs pratiques. Elle leur garantit une part des bénéfices obtenus par ceux à qui l'accès est autorisé. C'est donc un système légal qui définit les règles d'accès et de partage des bénéfices ainsi que les droits des communautés, notamment les droits des agriculteurs, en tenant compte des caractéristiques particulières de l'Afrique et l'énorme diversité biologique et culturale qui distingue ses sociétés à dominante rurale.

L'un des principaux accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les accords sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle touchant au commerce (ADPIC) oblige ses Etats-membres à adopter soit des brevets181, soit un système « sui generis effectif »182pour une nouvelle variété végétale. Les pays du Nord et le Secrétariat de l'Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) essayent de promouvoir la Convention de l'UPOV de 1991 en tant qu'option « sui generis » appropriée. Les pays africains rejettent de plus en plus cette convention parce que pour ces derniers, elle n'est qu'un instrument qui permet aux monopoles étrangers d'obtenir des droits sur la diversité locale. La loi modèle africaine inclut donc des droits d'obtenteur, formulés de telle façon que la longue tradition d'innovation et de sélection des communautés d'Afrique ne soit pas menacée par les nouvelles normes commerciales de sélection et d'innovation, largement dictées par les groupes d'intérêts et /ou pour les marchés étrangers. De ce fait, elle remplirait pour certains juristes les obligations prévues par l'article 27.3 (b) des Accords ADPIC en faveur d'une option sui generis, tout en respectant les obligations prévues par la Convention sur la Diversité biologique.

Plusieurs principes découlent de ce texte juridique dont nous étudierons les plus fondamentaux :

C- Les principes

- La souveraineté et la sécurité alimentaires183 :

La monopolisation des produits agrochimiques, les semences homogènes, la monoculture et maintenant le génie génétique tendent à réduire la biodiversité. Non seulement le génie génétique sert à produire des semences homogènes, mais il est sous le contrôle des grandes compagnies des pays industrialisés. Ainsi, l'agriculture industrielle protégée par les brevets telle que nous la connaissons actuellement empêche le contrôle local et national sur la production alimentaire. On peut craindre que ces systèmes et technologies qui limitent la biodiversité aient de graves conséquences sur la sécurité et la souveraineté alimentaire de l'Afrique. Devant cette situation, la loi modèle africaine réagit vigoureusement en s'assignant entre autre comme objectif de « veiller à l'utilisation efficace et équitable des ressources biologiques afin de renforcer la sécurité alimentaire nationale »184. La véritable sécurité alimentaire, qui assure l'autosuffisance des communautés et des nations, nécessite la décentralisation plutôt que la centralisation. Il faut donc un système décentralisé de production qui permet aux communautés locales de rester autonomes dans leurs choix et dans la maîtrise et la gestion des ressources et des moyens de subsistance. Il s'agit d'un droit fondamental inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l'homme185 . Seuls les produits agricoles en excédent devraient être exportés et une fois seulement que les besoins alimentaires du pays ont été satisfaits. Les droits coutumiers des agriculteurs à garder, utiliser, échanger et vendre les semences sont reconnus par la loi modèle africaine, parce qu'ils sont le fondement des pratiques agricoles et ont toujours été pratiqués par les communautés agricoles.

- Souveraineté, droits et responsabilités inaliénables de l'Etat186 :

L'Etat est l'entité légalement reconnue pour représenter le peuple. C'est au peuple qu'il appartient de lui conférer sa souveraineté et son autorité. L'Etat a donc la responsabilité et le devoir de défendre les droits de ses populations et de les protéger contre des interventions extérieures non sollicitées. Le principe de l'égalité souveraine des Etats et les principes de non-intervention qui en découlent sont inscrits dans l'article 2 de la Charte des Nations-Unies et l'article 3 de la Convention sur la Diversité Biologique qui établit que les Etats ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources avec la responsabilité de les conserver et de les gérer de façon durable. En son sein, l'Etat doit donc protéger la diversité culturelle de la population, tenir compte de ses opinions et concilier des intérêts divergents. C'est le contrat social établi entre le peuple et lui. Ainsi, il faut clarifier la relation entre les droits d'un Etat et ceux des communautés locales. L'Etat doit protéger les droits des communautés locales dont les systèmes socioculturels sont indissociables des principes de durabilité et assurent la création, le maintien et la protection de la biodiversité187. La loi modèle africaine est fondée sur le principe que les connaissances, innovations et pratiques associées à la biodiversité des communautés locales sont le résultat de nombreuses pratiques vérifiées et expérimentées par les générations passées et présentes188. Pour préserver et garantir leur continuité et leur évolution, elles doivent être transmises aux générations futures. C'est un droit fondamental et une responsabilité de chaque génération envers celle qui lui succède. Ainsi, personne n'a le droit de s'approprier, de vendre ou de monopoliser un quelconque élément d'une ressource biologique et des connaissances, innovations et pratiques qui lui sont associées. En ce sens, les droits des communautés sont considérés comme inaliénables189 et ceux qui les détiennent ne doivent en être privés. Il s'agit de droits et de responsabilités intergénérationnels. Nul ne peut, de son propre chef, affaiblir ou abolir ces droits par ses décisions, mais au contraire, a le devoir de les défendre et de les transmettre aux générations futures.

-Les droits et responsabilités des communautés190:

La loi modèle de l'unité africaine définit les « communautés locales » comme des populations humaines vivant dans une zone géographique donnée. Elles créent, utilisent, gèrent, et transmettent leur richesse biologique, connaissances, innovations et pratiques. Celles-ci sont régies par leurs propres lois coutumières qu'elles soient écrites ou orales. Les droits des communautés revêtent une importance majeure dans la mesure où les rédacteurs de la loi y consacrent toute la Quatrième Partie.

Les droits des communautés reconnaissent que les pratiques coutumières des communautés locales dérivent de devoirs et de responsabilités a priori des générations passées et futures des espèces humaines et non humaines. Cette conception traduit une relation fondamentale avec toute forme de vie et s'imprègne d'un profond besoin de respect. Les droits et responsabilités des communautés qui régissent l'utilisation, la gestion et le développement de la biodiversité, ainsi que les connaissances, innovations et pratiques traditionnelles qui lui sont associées, ont existé bien avant l'émergence des droits privés sur la biodiversité et les concepts de propriété et de possession individuelle. Les droits des communautés sont donc considérés comme naturels, inaliénables, préexistants ou primaires. La loi modèle africaine reconnaît leur caractère a priori dans son préambule. Ces droits conduisent à formaliser l'existence du contrôle communautaire sur la biodiversité. Ce système de droits qui favorise la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique et encourage l'utilisation et le développement des connaissances et technologies, est tout à fait essentiel à l'identité des communautés locales et au rôle irremplaçable qu'elles jouent dans la conservation et l'utilisation durable de cette diversité. Les droits des communautés sont particulièrement importants pour la nature multiethnique de l'Afrique. La loi offre ainsi l'opportunité de reconnaître et de soutenir le riche héritage culturel et les ressources biologiques de l'Afrique par la reconnaissance d'un système de droits préexistants. L'ONU a reconnu l'existence des droits collectifs des communautés locales et autochtones dans le Projet de Déclaration des droits des peuples autochtones, et a recommandé que tous les Etats appliquent ces droits dans leur législation nationale191. Le droit international reconnaît à l'Etat des droits souverains sur ses ressources biologiques192. Cependant, le caractère intangible des connaissances relatives à ces ressources et technologies n'est pas protégé. La CDB a fort heureusement évoqué cette situation en son article 8(j) en reconnaissant l'importance des connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales en rapport avec la conservation de la biodiversité et son utilisation durable et équitable.

L'existence, presque partout dans le monde, de droits collectifs des communautés doit être reconnue avant que ces droits ne soient complètement laminés par les intérêts commerciaux. La loi modèle africaine place les droits et responsabilités des communautés au coeur même de l'utilisation de la biodiversité et des connaissances innovations et pratiques associées pour défendre le riche héritage de l'Afrique en matière de diversité biologique et de culture.

-La valeur des connaissances autochtones193 :

Les sociétés rurales ont de grandes connaissances écologiques parfois spécifiques aux différents sols, minéraux, espèces et cycles saisonniers, parfois relative à une interprétation dynamique des écosystèmes sur lesquels elles ont co-évolué. Les cultures autochtones ont donc une conception écologique du monde qui rappelle que, comme toutes les autres espèces, nous sommes tous intimement soumis aux lois de la nature. Cela les amène à respecter les cycles dynamiques de la vie et ses interactions et à se sentir responsables et constructifs au sein d'écosystèmes dont elles font intégralement partie. La loi modèle africaine donne à l'Afrique les moyens de protéger sa richesse culturelle et au-delà, sa richesse biologique. Non seulement elle reconnaît officiellement la diversité dans la loi, mais elle soutient et renforce activement les capacités d'adaptation et développement des diverses cultures du continent

- Participation totale à la prise de décision194:

La loi modèle africaine cherche à garantir la participation réelle des communautés locales dans la prise de décision sur toutes les questions relatives à leurs richesses biologiques, connaissances et technologies. Ainsi, il faut que les communautés locales et autochtones participent à l'élaboration et à l'exécution de plans, politiques, programmes et processus qui ont une incidence sur leur vie et leur territoire, et qui ont un rapport avec la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité.

Chaque culture a ses propres conceptions du monde, qui déterminent son évolution au cours des siècles. Si la diversité des traditions et des connaissances des communautés doit être préservée et transmise aux générations à venir, il faut que ces communautés soient à même de prendre des décisions selon leur us et coutumes. En effet, c'est leur développement qui est en cause. On doit également tenir compte de la diversité culturelle de l'Afrique lors de tout processus de participation. D'après la loi modèle africaine, les communautés locales doivent être consultées lors du partage des bénéfices tirés de l'accès et de l'utilisation de leurs ressources biologiques, connaissances et technologies. C'est le seul moyen pour que les communautés participent de façon totale et équitable et selon leurs us et coutumes, aux décisions qui touchent à la biodiversité.

- L'accès à la diversité biologique et génétique195 :

L'article 15 de la CDB établit que l ' « accès aux ressources génétiques » doit être limité à une utilisation raisonnable de ces ressources d'un point de vue environnemental. Les systèmes traditionnels d'accès, d'utilisation ou d'échange de la biodiversité ne doivent pas être remis en cause. La loi modèle donne une définition large de l' « accès » qu'elle décrit comme « l'acquisition de ressources biologiques, de leurs produits dérivés, des connaissances, d'innovations, de technologies ou de pratiques des communautés telle qu'elle est autorisée par l'autorité compétente nationale.» Elle définit le contrôle de l'accès à la biodiversité et aux connaissances et technologies des communautés comme « le devoir de l'Etat et de son peuple »196. Dans ce contexte, elle prévoit un système d'accès soumis au consentement donné en connaissance de cause des communautés locales concernées ainsi que l'Etat.

- Le Consentement donné en connaissance de cause197:

La CDB établit que l'accès aux ressources génétiques doit être soumis à l'obtention du consentement donné en connaissance de cause du pays d'origine, sauf si celui-ci en décide autrement198 . Sur le fondement de cette dispositions, l'article 3.1 de la loi modèle africaine stipule que « l'accès à toute ressource biologique et /ou connaissances ou technologie des communautés locales dans toute partie du pays devra être soumis à une demande en vue d'obtenir le consentement donné en connaissance de cause et une autorisation écrite ». La loi modèle africaine contient des dispositions spécifiques relatives à la consultation des communautés concernées. Elle donne à l'autorité compétente nationale l'obligation de garantir que cette consultation a bien lieu. L'accès aux ressources biologiques est invalide si le consentement donné en connaissance de cause n'a pas été donné. C'est aussi le cas si la permission a été accordée mais que la procédure de consentement donné est incomplète, ou encore si elle n'est pas en conformité avec les critères d'une participation réelle et équitable.

La loi modèle africaine reconnaît que le partage des bénéfices est un « droit » des communautés locales. Il correspond à l'un des trois objectifs de la CDB qui dispose dans son article 1 que « le partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques, notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert approprié des techniques pertinentes, compte tenu de tous les droits sur ces ressources et aux techniques, et grâce à un financement adéquat », doit être une réalité.

-Le partage des bénéfices justes et équitables199:

L'Etat doit garantir qu'un pourcentage déterminé (minimum cinquante pour cent) de tout profit financier est restitué à la communauté locale. Dans la partie consacrée aux droits des agriculteurs, la loi modèle insiste su ce droit fondamental dû aux communautés locales.

Les bénéfices non financiers sont au moins aussi intéressants que les bénéfices financiers. Il s'agit notamment de la participation à la recherche et au développement en vue du renforcement des capacités, l'accès aux technologies utilisées pour étudier et améliorer la ressource biologique, le retour des informations relatives aux ressources biologiques auxquelles l'accès a été autorisé...

-Les droits d'obtenteur200 :

La loi modèle africaine reconnaît le droit des obtenteurs sur les variétés qu'ils élaborent, tout en favorisant un système d'obtention commerciale adapté aux systèmes agricoles africains. La loi modèle consacre toute une section aux droits d'obtenteurs. La loi modèle reconnaît que les agriculteurs sont, et ont toujours été, des obtenteurs et elle cherche à garantir que les obtenteurs exclusivement commerciaux ne portent pas atteinte aux pratiques coutumières des agriculteurs. Pour les Africains, la section de la loi modèle relative aux droits d'obtenteurs remplit bien les obligations de l'article 27.3 (b) des Accords ADPIC en faveur d'un système sui generis pour les variétés végétales. Les droits des agriculteurs font cependant partie des droits des communautés, et de ce fait n'ont pas à satisfaire les obligations des ADPIC. Elle reconnaît ainsi les efforts et les investissements, tant des individus que des institutions, dans l'élaboration de nouvelles variétés végétales et propose une reconnaissance et une récompense économique. L'obtenteur acquiert les droits exclusifs de produire et de vendre la nouvelle variété. Cependant, ces droits doivent être protégés conformément aux dispositions relatives aux droits des agriculteurs de la ladite loi. Ceci signifie que les agriculteurs peuvent conserver, utiliser, échanger et vendre les semences et boutures de leur exploitation. Les Africains estiment que l'UPOV est une fausse alternative au brevet dans la mesure où la révision de cet accord en 1991 le place quasiment sur le même terrain que le système des brevets.

- Pas de brevet sur le vivant201:

Le groupe de travail de la Commission scientifique, technique et de recherche de l'OUA estime que « la privatisation des formes de vie à travers le régime des droits de propriété intellectuelle viole le droit fondamental à la vie et va à l'encontre du concept africain du respect de la vie. »202

La loi modèle africaine partage les inquiétudes exprimées dans la position commune du groupe africain concernant les accords sur les ADPIC. La loi est claire à ce sujet tant dans son préambule que dans la troisième partie relative à l'accès aux ressources biologiques, où elle déclare que les brevets sur les formes de vie et sur les processus biologiques ne sont pas reconnus et donc, pas applicables.

La loi préconise l'interdiction des brevets sur les végétaux et les animaux, ainsi que sur les micro-organismes et tous les organismes vivants et leurs éléments. Elle déclare également que les processus naturels qui permettent la production de végétaux, d'animaux et tout autre organisme vivant ne peuvent faire l'objet de brevet.

- Vers l'égalité des sexes- un principe transversal203:

Partout dans le texte de la loi modèle africaine, des dispositions sont prévues qui reconnaissent la contribution des femmes dans la conservation de la biodiversité. En effet elles jouent un rôle majeur et vital au sein des communautés locales et agricoles. Leur apport est déterminant dans tous les pays riches en biodiversité, et les pays africains ne font pas exception. Paradoxalement, les procédures de prise de décisions menacent souvent le rôle coutumier de ces dernières. La loi modèle est une alternative de solution à la promotion des droits des femmes, ce parce qu'elle reconnaît formellement leurs droits coutumiers et leur droit à participer de façon pleine et entière aux processus de décision.

Elle prévoit clairement que les femmes soient consultées et impliquées dans des décisions prises dans le cadre du consentement donné en connaissance de cause, en tant que membres à part entière de la « communauté locale concernée ». Les intérêts des femmes sont aussi pris en compte dans le partage des bénéfices tirés de la diversité biologique, puisque ceux-ci sont restitués à la communauté locale et doivent être redistribués « d'une façon qui traite les hommes et les femmes équitablement ». Cette loi évoque le rôle essentiel des femmes et leur contribution dans la conservation de la biodiversité dans toutes ses sections. Il ne pourra y avoir d'égalité des sexes si cet élément fondamental n'est pas pris en compte dans l'ensemble du droit national.

Dans l'ensemble la loi modèle africaine sur la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques est profondément enracinée dans la philosophie des droits de l'homme. Elle pourrait largement contribuer à l'amélioration des conditions de vie des agriculteurs des pays africains dans la mesure où elle se donne comme un instrument décisif dans la protection de leurs différents droits.

1 La loi modèle africaine sur la sécurité en biotechnologie

a Contexte et champ d'application

L'article 19.3 de la Convention sur la diversité biologique appelle les parties contractantes à déterminer les modalités d'un protocole sur la biosécurité. La création d'un groupe de travail sur la biosécurité a permis d'entamer les négociations dès 1996. La sixième rencontre de ce groupe de travail à Carthagène (Colombie) a vu se renforcer les oppositions entre les différents groupes de négociation. Les consultations informelles à Vienne (Autriche) ont permis de faire évoluer ces négociations entre représentants de chaque groupe de pays, avec des consultations entre les pays du Sud, rarement réunis et des consultations informelles avec la société civile et les industriels. La conférence extraordinaire des parties à Montréal (Canada) en janvier 2000 a donné naissance au Protocole de Carthagène dont s'inspire largement la loi modèle africaine sur la sécurité en biotechnologie. Cette loi adoptée en 2001, s'applique à l'importation, à l'exportation, au transit, à l'utilisation confinée, à la dissémination ou la mise sur le marché de tout OGM, qu'il soit destiné à être disséminé dans l'environnement ou utilisé comme produit pharmaceutique, denrée alimentaire, aliment pour bétail ou produit de transformation, ou d'un produit dérivé d'OGM204.

b- Les stipulations de la loi

L'autorisation préalable donnée en connaissance de cause et la notification écrite205 sont exigées par ladite loi, avant l'importation, le transit, l'utilisation confinée, la dissémination ou la mise sur le marché d'OGM. Elle accorde une importance particulière à l'évaluation et à la gestion des risques206. Aucune décision d'importation, d'utilisation confinée, de dissémination ou de mise sur le marché d'un OGM ou dérivé d'OGM ne peut être prise par l'Autorité compétente sans évaluation des risques pour la santé humaine, la diversité biologique et l'environnement207. L'autorité compétente peut, entre autres, interdire l'importation, l'utilisation confinée, la dissémination ou la mise sur le marché de tout OGM ou dérivé si ses caractéristiques ou traits spécifiques entraînent des risques inacceptables pour la santé humaine, la diversité biologique, l'environnement, les conditions socio-économiques ou les normes culturelles. C'est une loi qui tient largement compte de la volonté et de la spécificité de chaque pays dans la mesure où « Si un organisme génétiquement modifié ou un produit dérivé (...) a fait l'objet d'une interdiction légale dans le pays d'origine, son exportation ne pourra être en aucun cas autorisée »208. On pourrait en déduire qu'un OGM peut faire l'objet d'une mesure d'interdiction dans un pays africains en raison de plusieurs facteurs d'ordre sanitaire, environnemental, socio-économique, éthique, culturel ou religieux. Cette disposition tend donc à protéger les pays dans leur spécificité, par le respect scrupuleux des valeurs socioculturelles qui guident leurs choix de société.

La dissémination involontaire est soumise à des mesures d'urgence209 et la loi modèle fait obligation d'identifier et d'étiqueter tout OGM ou tout produit qui en est dérivé210.

Au total, tout comme son inspirateur (le protocole de Carthagène), la loi modèle africaine sur la sécurité en biotechnologie repose sur le principe de précaution, qui fait l'objet d'une consécration formelle et officielle au paragraphe 3 de son préambule. En consacrant le principe de précaution, les rédacteurs de la présente loi ne cachent pas leur inquiétude devant les risques potentiels découlant de l'utilisation incontrôlée des biotechnologies modernes.

B- La législation ivoirienne

1- Le contexte :

La Côte d'Ivoire, comme de nombreux pays en développement a pris une part très active à la Conférence de Rio de 1992 sur l'Environnement et le Développement, au cours de laquelle ont été discutés et adoptés au niveau mondial, l'Agenda 21 qui présente les biotechnologies comme un outil de promotion susceptible de contribuer à atteindre les objectifs du développement durable, et la convention sur la diversité biologique dont l'article 19 est relatif à la biotechnologie et au partage des avantages qui en découlent. Toutefois, comme les effets secondaires des produits dérivés des biotechnologies modernes restent encore incertains, la communauté internationale invite à la précaution. Dans le cadre de la recherche des moyens de gestion des risques biotechnologiques, un atelier sous-régional sur les technologies nouvelles et les produits qui en découlent a été organisé dans la capitale économique ivoirienne. Cet atelier a définit les enjeux de la biotechnologie nouvelle pour l'Afrique et particulièrement pour les régions Ouest et Centre. Il a été noté que la biotechnologie moderne présente des potentialités pour l'amélioration des productions agricoles. Mais certaines manipulations pourraient constituer une menace pour les ressources naturelles. En considération des enjeux socio-économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques, le gouvernement ivoirien a mis sur pied un comité ad hoc pour réfléchir sur cette nouvelle donne et surtout proposer une réglementation pour l'importation, la production, l'expérimentation, l'utilisation, ou la mise sur le marché national des OGM. Parallèlement à cette démarche, la Côte d'Ivoire participait très activement aux réflexions du Comité intergouvernemental sur la prévention des risques biotechnologiques. Le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques qui en a résulté fait peser sur les Etats-parties une obligation majeure ; son article 2 dispose que : « chaque partie prend les mesures juridiques, administratives et autres nécessaires et appropriées pour s'acquitter de ses obligations au titre du protocole ».

C'est dans ce cadre que la Côte d'Ivoire a sollicité et obtenu du Fonds pour l'Environnement (FED) des ressources pour définir sa politique de gestion et d'utilisation des OGM sur son territoire. Un cadre national de biosécurité a été proposé, il s'agit de l'avant-projet de loi portant prévention des risques liés aux biotechnologie. Le texte est dans sa mouture très fidèle à la loi modèle africaine qui retrace les directives du Protocole de Carthagène.

2- OGM et régime juridique en Côte d'Ivoire

L'étude de la législation en matière de biotechnologie et de biosécurité a révélé que bien qu'il n'existe pas de textes réglementaires spécifiquement relatifs aux OGM, l'on ne saurait évoquer un quelconque vide juridique. En effet, soucieux de protéger son couvert végétal d'où il tire la quasi-totalité de ses ressources alimentaires, le gouvernement ivoirien a dès le début de son indépendance pris des mesures de protection de ses cultures. Ainsi, les importations de semences et autres végétaux ont été soumises à des règles très strictes. Cependant, compte tenu des risques potentiels que les OGM présenteraient pour la santé de l'homme et l'environnement, ceux-ci constituent aujourd'hui une spécificité qui commande des précautions particulières. Or, la législation gouvernant la sécurité en matière de biotechnologie est quasi inexistante. On trouve quelques dispositions dans des textes réglementant des secteurs similaires. Mais elles sont parcellaires et insuffisantes. Un renforcement de la réglementation nationale s'impose, à l'effet de l'adapter à l'environnement international et aux nouvelles technologies.

Mais, avant de suggérer ces mesures à prendre, il est important de présenter le cadre normatif existant.

a Le cadre normatif existant :

En l'absence de législation nationale spécifique à la prévention des risques biotechnologiques, des dispositions de textes existants peuvent aisément s'appliquer à certains aspects des OGM. Il s'agit notamment de textes relatifs à l'introduction des végétaux en Côte d'Ivoire, à la protection des végétaux existants et de la prévention d'atteinte à la diversité biologique, à l'utilisation de produits phytosanitaires...

- Introduction des végétaux en Côte d'Ivoire

En Côte d'Ivoire, aucune opération d'introduction, d'importation et d'exportation de toute espèce animale ou végétale ne peut se faire sans une autorisation préalable de l'autorité compétente. Ce principe est posé par l'article 16 de la loi n° 96-766 du 30 octobre 1996 portant code de l'environnement. Mieux, le gouvernement s'est très tôt doté de mesures préventives contre les végétaux et autres matières susceptibles de véhiculer des organismes dangereux pour les cultures nationales avec la mise en oeuvre du décret n° 63-457 du 07 novembre 1963 fixant les conditions d'introduction et d'exportation des végétaux et autres matières susceptibles de véhiculer des organismes dangereux pour les cultures. Ce texte conditionne l'importation des végétaux à l'obtention préalable d'un certificat phytosanitaire attestant de l'état sanitaire des végétaux en cause. Ce permis d'importation est délivré par le Ministère en charge de l'agriculture à travers les services spécialisés de la protection des végétaux. Par application de ces dispositions, le gouvernement de Côte d'Ivoire dispose d'un texte pour se prononcer sur le transfert et l'importation de certains types d'OGM dont la dangerosité est avérée ou probable ailleurs. En outre, le décret n° 92-392 du 1er juillet 1992 relatif à l'homologation et à la protection des variétés végétales, à la production et à la commercialisation des semences et plants qui soumet à homologation les variétés végétales nouvelles avant leur multiplication, permet au gouvernement d'opérer une stricte sélection des semences et plants, y compris les semences et plants génétiquement modifiés.

3 Protection phytosanitaire

L'utilisation des produits phytosanitaires a fait également l'objet d'une réglementation. Ceci s'explique par le fait que l'économie du pays repose essentiellement sur l'agriculture. Ainsi, l'utilisation de tout pesticide qui peut s'avérer dangereux pour la santé de l'homme et les ressources naturelles, a été soumise à agrément par le décret n° 89-02 du 04 janvier 1989 relatif à l'agrément, la fabrication, la vente et l'utilisation des pesticides. Les articles 4 à 7 fixent les conditions et formalités d'obtention de l'agrément. L'agrément est accordé par un arrêté du ministre de l'agriculture sur proposition d'un comité interministériel dit « comité de pesticides ». Cette procédure très intéressante peut être utilisée pour les demandes concernant des expérimentations et utilisations en usine de certains types d'OGM tolérants aux herbicides et pesticides.

4 Etude d'impacts environnementaux

En application des principes de développement durable, la loi n° 96-766 du 03 octobre 1996 portant code de l'environnement fait obligation à tout initiateur de projets de développement d'obtenir une autorisation du Ministère en charge de l'environnement. Cette autorisation est accordée sur la base d'une étude préalable des conséquences du projet sur l'environnement. Le décret n° 96-894 du 08 novembre 1996 déterminant les règles et procédures applicables aux études relatives à l'impact environnemental des projets de développement définit les différents types de projets en trois catégories. Ainsi, on distingue les projets qui de par leur nature sont exemptés des études d'impacts environnementaux, les projets ne présentant pas de risques sérieux pour l'environnement soumis à un simple constat d'impact et les projets qui en raison de leur nature, de leurs dimensions, de la sensibilité des sites qui les accueillent, peuvent présenter des risques sérieux pour l'environnement, soumis à une étude d'impacts environnementaux complète. Certaines activités concernant les OGM peuvent entrer dans la dernière catégorie, notamment les essais en champ. En plus, l'article 16 fait obligation de consulter le public en réalisant une enquête publique dans la zone d'implantation du projet. La prise en compte de l'avis des populations bénéficiaires du projet ou susceptibles d'êtres perturbées par le projet est un facteur important dans la prise de décision. Cette procédure est très intéressante à utiliser dans la phase transitoire d'autant plus que l'étude des risques éventuels, l'information et la consultation du public sont des étapes incontournables dans le cadre de certaines utilisations des OGM.

b- Nécessité de renforcement de la réglementation sur les OGM

Après l'inventaire de l'arsenal juridique relatif à la problématique biosécurité / OGM, on constate que les textes sont anciens et mal ou pas tout à fait adaptés à la nouvelle donne des biotechnologies modernes. Les dispositions existant aussi bien en matière d'importation, d'homologation des végétaux qu'en matière de dissémination demeurent insuffisantes s'agissant des OGM. En effet, les préoccupations concernant la prévention des risques potentiels, réels ou supposés des OGM ne sont pas tout à fait pris en compte par ces textes. Il y a donc lieu de prendre des dispositions qui viseraient à garantir la sécurité ou à minimiser ces risques. L'avant-projet de loi nationale sur la biosécurité a été initié pour combler ce quasi-vide juridique. Inspiré de la loi modèle africaine sur la sécurité en biotechnologie, il en est une copie conforme. Il se présente sous cinq titres qui sont :

Titre 1 : Les dispositions générales

Titre 2 : L'utilisation confinée des OGM et leur dérivés

Titre 3 : La responsabilité et les dispositions pénales

Titre 4 : Les disposions finales

En attendant la transformation de cet avant-projet de loi en projet, puis en loi adoptée par le parlement et compte tenu de la situation sociopolitique du pays et de l'urgence en la matière, il est nécessaire de prendre un décret pour définir un régime juridique sui generis sur les OGM en Côte d'Ivoire. Ce régime devra contenir des règles pour prévenir les éventuels effets nuisibles des OGM sur la santé humaine et l'environnement.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon