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L'émancipation familiale face aux institutions: des pères séparés dans l'impasse

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par Catherine Azémar
Conservatoire des arts et métiers Paris - Master de recherche: sciences du travail et de la société 2009
  

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INTRODUCTION

A partir de la problématique sociale posée par « l'adolescence », rencontrée dans ma pratique professionnelle d'assistante sociale en pédopsychiatrie, je me suis interrogée sur la place du père, sans cesse convoqué par les jeunes eux mêmes ou les professionnels. Par ailleurs, dans le contexte actuel de crise économique et sociale, je constate que la famille est mise au premier plan face à la détresse des jeunes, censée leur donner des repères que la société elle-même n'aurait plus.

Si je me réfère à l'observation faite par les sociologues de la famille d'une mise en parallèle entre les transformations familiales et la démocratisation de la société, avec l'émancipation de l'individu dans la situation contemporaine la famille devient individualiste et relationnelle. L'avènement de l'individualisme transposé à la question de la famille signifierait donc qu'elle n'existe plus comme institution, mais se ferait avec le désir des individus (Commailles et Martin, 1998). Ainsi, être en couple aujourd'hui peut signifier « être libre ensemble » (Singly,2000), traduisant une certaine démocratisation de la famille qui aurait donné naissance à la forme actuelle de couples autonomes. Le raffermissement de cette autonomie apparaît alors être à l'origine de configurations parentales diverses. Je note ainsi que le modèle de la famille nucléaire et maritale « père mère enfant » a laissé place à une multiplicité de modèles familiaux. Avec la baisse des mariages et l'accroissement des unions libres, l'augmentation des séparations et divorces, on assiste à une émancipation de la famille qui laisse entrevoir différentes configurations familiales, désignées par les termes de familles « recomposées », « monoparentales », ou plus récemment « homoparentales ». Partant du constat que l'idéal politique de la démocratie rapporté à l'univers privé implique le principe d'égalité (Commailles et Martin, 1998), les auteurs nous expliquent que dans la logique républicaine du XIXe siècle, l'affirmation progressive des principes démocratiques, accompagnée par l'essor industriel, a conduit aux bouleversements sociaux ayant affecté la sphère privée depuis les années 1960. La promotion et la généralisation de l'instruction, l'emploi féminin, la maîtrise de la procréation, l'émancipation des femmes avec la remise en cause du mariage, ont ainsi participé à l'émergence d'un nouveau modèle individualiste et égalitariste des relations familiales.

Si ce bouleversement au sein de la sphère privée s'est déroulé dans un contexte d'émancipation des femmes, notamment après leur entrée massive dans le monde du travail et l'autocontrôle des naissances, au même moment cependant, le discours des professionnels de l'enfance déplore l'absence du père, de la loi symbolique qu'il représente. Un discours inspiré de la théorie psychanalytique freudienne et relayé par les interprétations des apports de Lacan, qui tend à désigner le père comme séparateur d'une dyade mère/ enfant. Cependant, dans le processus de démocratisation à l'oeuvre, de la même façon que le modèle unique de la famille fait place à une diversité de modèles familiaux, ce père, dont la disparition est obstinément déplorée, fait place aux pères multiples. Comme l'explique François Dubet dans un article intitulé « Le roi est nu » (Dubet, 2004), cette disparition du père est liée à son histoire symbolique et religieuse remise en cause par les sociétés démocratiques, mais aussi à l'accroissement de l'égalité des hommes et des femmes : « Le père était le père tant qu'il régnait sur les enfants et sur les femmes, tant que les femmes étaient des quasi-enfants proches de la nature et loin de Dieu et de la politique[..]Quand la femme décide d'avoir ou non un enfant, comment le père pourrait-il être le médiateur du sacré ? » (Idem, p 33). Et de poursuivre : « Nous vivons sous le règne du risque et de l'incertitude et c'est là le prix de notre égalité. Les pères ont remplacé le père, et c'est très bien, à condition de permettre à chacun d'accomplir le rôle qu'il s'est choisi. » (ibid, p.39) Aussi le père, ancienne figure d'autorité qui incarnait le pouvoir royal et divin, a par la suite symbolisé l'ordre familial dans une configuration matrimoniale de la famille. Avec la suppression du terme chef de famille marquant la fin de cette organisation familiale comme modèle de référence, le père n'occupe plus ce rôle de représentant de l'institution familiale.

Il ne symbolise plus l'unité de la famille, et a perdu depuis 2005, avec la fin du patronyme, le monopole de la transmission du nom de famille1(*). Au cours d'une première étape de ma recherche, je m'étais intéressée à l'application de cette nouvelle loi, établie au nom de l'égalité des sexes. Le discours de couples concernés, interrogés alors pour cette étude, m'avait permis de mettre en évidence la prédominance du choix du nom du père dans la pratique, même si le principe de la loi était par ailleurs bien accepté. Ces résistances au changement s'exprimaient autour de l'idée de l'existence d'un équilibre des liens de filiation paternelle et maternelle, à travers le don du nom pour le père et le fait de porter l'enfant pour la mère, tout en affirmant vivre de façon égalitaire le partage des rôles parentaux. Ce qui venait témoigner d'une part d'un attachement à la tradition du patronyme, relié à la coutume qui est que la femme mariée adopte le nom de l'époux, d'autre part du sentiment que cette pratique viendrait appuyer la distinction des sexes, « naturelle », sans pour autant être représentative d'une inégalité des hommes et des femmes. A partir de ces contradictions, dans le courant de la sociologie de l'individu, Ulrich Beck nous explique que le mouvement d'égalité des sexes s'accompagne socialement de résistances conduisant à un effet de forces contraires entre une volonté de changements vers plus d'égalité, et la persistance des représentations rassurantes sur les rôles prédéterminés, les places bien définies.( Beck, 1986).

Aussi, dans un contexte d'égalité des sexes à travers les différents espaces de la vie publique et privée, au moment où se met en place la parité homme/femme sur la scène politique, la question des rôles sexués est interrogée dans la sphère privée. En matière de politique familiale, des mesures incitatives sont instaurées pour que les hommes, qu'on estime trop absents, s'impliquent dans leurs rôles de pères, notamment avec l'instauration d'un congé de paternité, dont un grand nombre de pères se saisissent. Parallèlement à cela, des études témoignent d'une évolution de l'identité masculine, une « métamorphose du masculin » autorisant les hommes à revendiquer leur fonction « paternante », au même titre que les femmes dans leur rôle « maternant » (Castelain Meunier, 2002). Les médias en outre se font l'écho de l'émergence de ces « nouveaux pères » qui aspirent à un rôle parental proche de celui classiquement exercé par les mères. Et il n'est pas rare d'observer certaines femmes commenter avec émotion le comportement de ces jeunes pères, attentifs et affectueux.

Depuis quelques décennies, l'évolution sociale a conduit en matière de droit de la famille à l'affirmation du principe d'égalité et d'exercice conjoint de l'autorité parentale indépendamment du statut conjugal des parents. Par ailleurs, le courant démocratique au sein de la famille ayant conduit à un nombre croissant de divorces et de séparations, la législation dans ce sens a évolué pour donner des droits identiques aux enfants quelque soit la situation matrimoniale des parents. S'il s'avère cependant que les rôles des pères et mères sont amenés à devoir s'exercer séparément, hors d'une cellule conjugale, on retient socialement la prédominance de foyers composés d'un parent unique, qui sont essentiellement des mères seules avec leurs enfants. Subissant cet état de fait dans une situation de crise économique et sociale dont elles sont les premières cibles, elles déplorent dans ces cas une absence d'inscription des pères, qui peut s'exprimer par la plainte du non versement des pensions alimentaires (Cadolle, 2008). Et si l'augmentation constante de familles définies comme « monoparentales », résulte bien d'un mouvement d'émancipation, l'appellation quant à elle, induit dans sa terminologie une non-existence de l'autre parent, en l'occurrence le père. Un phénomène qui pourrait induire le retour au schéma de l'organisation sociale et familiale sur lequel a reposé la société industrielle, à savoir la mère au foyer et le père pourvoyeur de revenus ; la première se trouvant de ce fait exclue du marché du travail, le deuxième, désigné mauvais père quand il est mauvais payeur, et qui peut se trouver isolé et endetté. Ainsi des contradictions et inégalités demeurent, qui apparaissent de manière aigue dans les situations de couples séparés, et conduisent à un contexte de tensions entre des modèles en évolution et mal stabilisés.

Comprendre alors comment les pères réaménagent leur place dans une certaine réalité sociale vient interroger les rôles des pères et mères dans une société mêlant la permanence de la tradition avec une aspiration plus égalitaire. Ainsi depuis de nombreuses années des associations qui semblent méconnues se sont crées à l'initiative de pères militants pour l'égalité parentale. Le mouvement marginal qu'ils représentent, m'a alors semblé pouvoir apporter un éclairage intéressant au fait qu'est souligné dans notre société l'importance à accorder une place au père, et la mesure de l'obstacle à pouvoir définir et situer les rôles et places parentales dans une configuration sociale où l'égalité des sexes se cherche toujours. De plus, avec la prise en compte en droit de la famille d'une distinction couple conjugal et couple parental, interroger la place des pères en situation de séparation conjugale, peut s'avérer pertinent pour la compréhension de ce phénomène de tensions et contradictions. Alors que le mouvement d'émancipation des femmes a accompagné le droit des enfants, et donc n'aurait pas modifié leur place de mère en tant que telle, dans le sens d'une remise en question de ce statut, la question demeure en suspens pour les hommes. Il s'agit alors pour l'étude qui suit, de comprendre comment s'expriment ces tensions, contradictions, et transformations des rôles, derrière les revendications des pères au sein de ces associations. Ma recherche s'appuie donc sur le recueil de témoignages d'hommes s'adressant aux associations de pères, l'observation des permanences dans ces lieux militants où s'expriment leurs difficultés à être reconnus à une place de père, et le fait de n'être toujours pas entendus depuis l'origine du mouvement. Le but recherché étant celui d'identifier sur quoi porte le combat de ces hommes, et au-delà des représentations exprimées par cette population, comprendre la façon dont peut s'envisager l'articulation des places parentales tenues par les hommes et les femmes.

Pour aborder ce travail de recherche, je situerai dans une première partie, composée des trois premiers chapitres, l'histoire de la place du père, qui à travers le mouvement d'émancipation de la famille, pose la problématique de l'égalité des sexes. Une deuxième partie, des chapitres quatre à sept, intitulée le conflit des pères séparés, concernera plus directement l'étude de terrain et les résultats de mon enquête, au travers les discours des pères et l'analyse de leurs attentes.

* 1 Loi du 04 mars 2002 relative au nom de famille entrée en vigueur en 2005, permettant aux parents mariés ou non, de faire le choix du nom de famille des enfants

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard